Un man­nequin sué­dois représen­tant le Reis turc Erdoğan a été sus­pendu tête en bas et filmé ain­si “exé­cuté”, il y a quelques jours, à Stockholm.

L’ac­tion est revendiquée par un “Comité pour le Rojava”.

On peut voir, sur la vidéo partagée par le groupe par la suite, une mise en scène de l’exé­cu­tion du dic­ta­teur ital­ien Mus­soli­ni en 1945, suiv­ie de celle de la poupée représen­tant Erdoğan, accom­pa­g­nées du texte : “L’histoire a mon­tré que c’est ain­si que finis­sent les dic­ta­teurs”.

Le pre­mier min­istre sué­dois a “vive­ment con­damné” l’ac­tion, dans un con­texte où la Turquie men­ace tou­jours la Suède d’op­pos­er un véto à son entrée dans l’OTAN, et cri­tique vio­lem­ment les autori­sa­tions de man­i­fes­ta­tion de sol­i­dar­ité publique pour les Kur­des, qual­i­fiées de “sou­tien aux ter­ror­istes”. On ne pou­vait guère atten­dre d’autres réac­tions de la part du gou­verne­ment sué­dois, tout aus­si diplo­ma­tique­ment pleu­tre que le gou­verne­ment français par exem­ple, poli­tique migra­toire et Ukraine obligent.

Ces mêmes gou­verne­ments, qui se gar­dent d’ailleurs de con­damn­er explicite­ment la men­ace per­sis­tante que fait peser la Turquie sur la Syrie Nord, et les bom­barde­ments qui y font des vic­times civiles régulière­ment, per­me­t­tent pour­tant par ailleurs, les résur­gences tou­jours plus pres­santes de groupes se récla­mant de l’ex Etat islamique en Irak et en Syrie. Ils con­tribuent ain­si à une désta­bil­i­sa­tion sup­plé­men­taire après l’onde de choc de la guerre russe en Ukraine, désta­bil­i­sa­tion que Erdoğan “l’en­tremet­teur ami de Pou­tine” entre­tient sans scrupules pour sa  prochaine cam­pagne présidentielle.

L’ac­tion spec­tac­u­laire et rad­i­cale du Comité pour le Roja­va est liée bien sûr à ce con­texte, et elle en désigne le responsable.

Bien évidem­ment, le régime turc a aus­sitôt par­lé de vio­la­tions des promess­es du gou­verne­ment sué­dois et exigé des recherch­es, pour­suites et sanc­tions graves con­tre une soi-dis­ant “provo­ca­tion ter­ror­iste du PKK” (Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan), ain­si que l’ar­rêt immé­di­at de toutes autori­sa­tions con­cer­nant l’ex­pres­sion de la com­mu­nauté kurde en Suède. La liste de deman­des d’ex­tra­di­tion de militant.es kur­des reste d’ac­tu­al­ité, alors que le gou­verne­ment sué­dois a con­sid­érable­ment dur­ci ses “poli­tiques migratoires”.

Erdoğan tête en bas”, c’est aus­si une allé­gorie pour 2023. 

Et c’est prob­a­ble­ment ain­si qu’elle est reçue en Turquie par une bonne par­tie des opposants au régime : ‘prof­iter de ces élec­tions qui vien­nent pour se débar­rass­er du tyran”.

Mais rien n’est moins sûr.

D’une part, et c’est là une cer­ti­tude, des “élec­tions” à froid, dans le cadre d’une démoc­ra­ture, ne sont pas une garantie de “change­ment” pro­fond, et d’autre part, et c’est une “habi­tude” en Turquie, ces élec­tions pour­raient bien se dérouler dans un con­texte de ten­sions internes et externes dont ce régime cor­rompu et mafieux a le secret. La fébril­ité des dirigeants turcs témoigne pour cela. Et, sans rire, on pour­rait égale­ment assis­ter pour la troisième fois à une “prise du Capi­tole” à Ankara.

La coali­tion actuelle islamo-nation­al­iste sert d’al­i­bi “démoc­ra­tique et répub­li­cain” a un régime prési­den­tiel qui con­cen­tre tous les pou­voirs, et en réal­ité repose sur un Etat dans l’E­tat, qui dis­pose des moyens de la cor­rup­tion, des forces de répres­sion légales et occultes, du con­trôle de la jus­tice et de l’ar­mée, entre autres. La façade démoc­ra­tique n’y con­trôle pas grand chose dans la réal­ité, mais joue néan­moins un rôle lorsqu’il s’ag­it de faire reculer des droits, juguler l’ac­tion d’une oppo­si­tion, con­damn­er et empris­on­ner, et envelop­per cela dans un sem­blant de respect constitutionnel…

Mais qu’en est-il des “pré­parat­ifs” de la course électorale ?

Quelles sont les écuries sur la ligne de départ, et qui four­nit l’avoine ?

En principe, ces élec­tions se dérouleront en juin 2023, autour du 18, et seront des Prési­den­tielles et des lég­isla­tives. Cer­tains com­men­ta­teurs par­lent du 30 avril, du 7 mai, ou encore du 14 mai… Pour l’élec­tion prési­den­tielle, si aucun can­di­dat ne rem­porte plus de 50% des voix au pre­mier tour, un deux­ième sera organ­isé deux semaines plus tard. A ce jour, Erdoğan dis­tille tou­jours l’in­cer­ti­tude. Elles doivent pour­tant être annon­cées au plus tard 60 jours avant. Notons égale­ment qu’après le 6 avril 2023, c’est une nou­velle loi élec­torale édic­tée en 2022 qui s’appliquera.

Rap­pelons que cette année 2023 est aus­si celle du cen­te­naire de la République turque, le 23 octo­bre, et for­cé­ment celui aus­si du Traité de Lau­sanne, le 24 juil­let, qui partagea en qua­tre le Kur­dis­tan et en remit une par­tie à la Turquie à venir. Dire que ces échéances élec­torales seront placées sous le sceau du nation­al­isme, n’est donc pas lire dans une boule de cristal. Et le nation­al­isme en Turquie porte un nom, celui de Mustafa Kemal Atatürk.

Erdoğan est annon­cé per­dant dans les sondages au 1er tour, et ce, quel que soit son opposant, sauf bien sûr un.e leader de par­ti soutenu par les Kur­des. Cela pousse donc à des “coali­tions élec­torales”, et fait penser que ces élec­tions se dérouleront après avril, afin d’ap­pli­quer les nou­velles règles, qui pour­rait empêch­er le HDP (Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples) ou un nou­veau par­ti recréé en cas de dis­so­lu­tion de se présen­ter. La tam­bouille élec­torale fait donc recette, sous “le por­trait du père de la nation”.

Pour élargir cette chronique, je vous invite à con­sul­ter égale­ment cet arti­cle.

Mais qui est déjà sur les rangs en ce début d’an­née 2023 ?

Six can­di­dats poten­tiels se sont déclarés pour le moment : Muhar­rem Ince, prési­dent du par­ti de la Pays (Mem­leket Par­tisi), Recep Tayyip Erdoğan, Cem Uzan, ancien prési­dent du par­ti Jeune (Genç par­ti), Doğu Per­inçek, prési­dent du Par­ti de la Patrie, Ser­dar Savaş, et Sinan Oğan, ancien député du MHP.

La can­di­da­ture de Recep Tayyip Erdoğan, prési­dent sor­tant, est soutenue par la coali­tion actuelle­ment au pou­voir, dite  “Alliance pop­u­laire”, entre l’AKP, Par­ti de la jus­tice et du développe­ment et le MHP, par­ti ultra nation­al­iste. Il déjà été élu prési­dent en 2014 et 2018 après avoir aus­si été pre­mier min­istre de 2003 à 2014. Erdoğan, bon prince, a déjà annon­cé que ce serait “la dernière”.

Face à cela, une coali­tion de par­tis et surtout de “per­son­nal­ités” dite “Table des Six” ou “Alliance de la nation”,  se ren­con­tre régulière­ment. Leur pro­gramme est de faire chuter Erdoğan, et de revenir à un sys­tème par­lemen­taire. Mais la com­po­si­tion de ce groupe en dit plus long.

• Par­ti répub­li­cain du peu­ple (CHP, par­ti kémal­iste fondé par Atatürk, présidé par Kemal Kılıçdaroğlu

• Bon Par­ti (IYI par­ti, scis­sion du MHP ultra nation­al­iste, présidé par Mer­al Akşener

• Par­ti de la Félic­ité, Saadet par­tisi, islamo-con­ser­va­teur, présidé par Temel Karamollaoğlu

• Par­ti Démoc­rate, nation­al­iste con­ser­va­teur et laïc, présidé par Gül­tekin Uysa

• Par­ti de l’Avenir, libéral-con­ser­va­teur, présidé par Ahmet Davu­toğlu (ancien mem­bre de l’AKP)

• Par­ti de la Démoc­ra­tie et du Pro­grès, libéral-con­ser­va­teur, présidé par Ali Baba­can (ancien mem­bre de l’AKP)

Une belle tablée de revenants tous aus­si nation­al­istes et pour beau­coup “big­ots libéraux”. Le CHP, actuel prin­ci­pal par­ti d’op­po­si­tion par­lemen­taire, et sérieuse machine élec­torale, sem­ble le plus capa­ble d’im­pos­er son can­di­dat. Ekrem Imamoğlu, l’actuel maire d’Istanbul, a cara­colé en tête un temps, mais, en décem­bre 2022, un tri­bunal d’Istanbul l’a con­damné. Même si l’af­faire est en appel, la tablée pencherait davan­tage pour Kılıç­daroğlu, qui sem­ble, pour­tant nation­al­iste, le moins effray­er les voix kur­des pour un 2e tour. Mer­al Akşen­er (Bon par­ti) elle, est sou­vent présen­tée comme une pre­mière min­is­tra­ble en cas de vic­toire de la  “Table des Six” et dans le cadre d’un retour à un sys­tème par­lemen­taire. On attend donc le messie de la Cène.

Courant 2022, est née une coali­tion dite “de gauche” avec le HDP (Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples). Elle regroupe de petits par­tis et organ­i­sa­tions à ses côtés comme le Par­ti du mou­ve­ment ouvri­er (EHP), le Par­ti du tra­vail (EMEP), le Par­ti des tra­vailleurs de Turquie (TİP) ve Par­ti de la lib­erté sociale (TÖP), la Fédéra­tion des assem­blées social­istes (SMF), les Maisons du peu­ple (HHE). Elle a pris pour nom “Alliance du tra­vail et de la lib­erté”. Ses pre­mières réu­nions publiques ont été vis­itées par la police et des arresta­tions de militant.es ont déjà eu lieu.

Avec poten­tielle­ment plus de 10% de l’élec­torat à lui seul, le HDP appa­raît comme celui qui ferait bas­culer l’élec­tion. Il est très majori­taire dans le vote des Kur­des. C’est pourquoi il est men­acé de fer­me­ture depuis plus d’un an. Sela­hat­tin Demir­taş, deux fois can­di­dat aux prési­den­tielles, député déchu, est en prison depuis plus de 6 ans, mal­gré des déci­sions de la Cour Européenne des Droits Humains en sa faveur. En ce début d’an­née, le HDP a annon­cé qu’il présen­tera un.e candidat.e. Per­vin Bul­dan, co-prési­dente du par­ti pour­rait être désignée, mais une désig­na­tion pour­rait aus­si se faire au sein de la coali­tion de gauche.

Tam­bouille élec­torale oblige, chaque écurie pèse le pour et le con­tre sur la présence du HDP et de la coali­tion dans l’élec­tion. Pour les uns poten­tiel réser­voir de voix pour un deux­ième tour, pour les autres empêcheurs de tourn­er en rond, à élim­in­er et réprimer avant l’élec­tion. Mais, là encore les Kur­des n’ont pour amies que les montagnes.

Les mou­ve­ments démoc­ra­tiques en Turquie n’ont pas plus à gag­n­er d’une coali­tion nation­al­iste dont cer­tains mem­bres dévelop­pent le racisme sous cou­vert de turcité, que d’un atte­lage qui recon­duirait l’actuel régime. Ils ont pour la Turquie un pro­gramme de change­ment pro­fond qui dépasse de loin le sim­ple retour au par­lemen­tarisme et sont les seuls à pro­pos­er une rup­ture pour que cesse la polar­i­sa­tion en Turquie. Si ces mou­ve­ments démoc­ra­tiques, autour du HDP, applaudi­raient la chute d’Er­doğan, (et qui ne se réjouirait pas de sa dis­pari­tion poli­tique ?), ils savent aus­si que toutes les dif­fi­cultés de la Turquie resteraient entières, avec un sim­ple change­ment de main du pouvoir.

On par­le ces jours derniers de la date du 14 mai. En qua­tre mois il peut se dérouler bien des choses encore. Erdoğan ne se lais­sera pas vol­er cette célébra­tion du cen­te­naire en octo­bre sans jouer de la corde nation­al­iste, face à d’autres joueurs de vio­lon kémal­iste, ni non plus dérober l’habit du “diplo­mate inter­na­tion­al” pour le ray­on­nement de la “Grande Turquie” ain­si que son rôle de guide poli­tique pour le “monde sunnite”.

Je ne dévelop­perai pas la réflex­ion sur qui, à l’In­ter­na­tion­al, a intérêt ou pas à voir dis­paraître Erdoğan de la géopoli­tique de la région, et des actions en coulisse que cela pour­rait générer.

Que penser de ce tweet récent de John Bolton, ex Con­seiller nation­al à la sécu­rité des Etats Unis, ex Ambas­sadeur aux Nations Unies :

La Turquie est mem­bre de l’OTAN, mais n’ag­it pas comme tel. Envis­ager sérieuse­ment leur expul­sion ou leur sus­pen­sion met­tra l’ac­cent sur les enjeux de leurs prochaines élec­tions, ren­dra plus dif­fi­cile pour Erdo­gan de ren­vers­er le vote et don­nera aux can­di­dats de l’op­po­si­tion une réelle chance.

Il serait aus­si intéres­sant de not­er qu’à l’oc­ca­sion de ces élec­tions, la place des femmes, leurs droits bafoués, la vio­lence patri­ar­cale et les fémini­cides seront plus que jamais enfoui sous les défer­lements patri­o­tiques et bigots.

Erdoğan tête en bas ne serait que jus­tice, mais une autre poupée pour­rait pren­dre sa place, revê­tant le bon­net de la turcité, devant les yeux ébahis des peu­ples de Turquie, comme une his­toire qui se prolonge..


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…