Dans la série “on a vu pass­er mais…”, nous nous autorisons quelques rap­pels à pro­pos de paru­tions en France, Alle­magne, et Ital­ie, qui nous touchent de près, et con­stituent d’ex­cel­lentes séances de rat­tra­page pour qui n’a qu’une idée très loin­taine de la Turquie, d’Er­doğan et de la “ques­tion kurde”.

Cette chronique, rédigée avant les assas­si­nats ter­ror­istes à Paris, n’en prend que plus d’im­por­tance. Et nous revien­drons avec le recul néces­saire, sur le con­texte de cet acte ter­ror­iste, et autant sur ce qui endeuille la com­mu­nauté kurde que sur sa colère légitime quand, dans un con­texte où nation­al­isme et  racisme cul­mi­nent en France, on con­tin­ue à pro­téger davan­tage les rela­tions diplo­ma­tiques entre la France et la Turquie que pro­téger celles et ceux qui subis­sent men­aces et assas­si­nats commandités.

Vous avez prob­a­ble­ment enten­du par­ler de Can Dündar.
Comme l’indique Mon­sieur Wikipedia, “c’est un jour­nal­iste, chroniqueur et doc­u­men­tariste turc. Rédac­teur en chef du jour­nal de cen­tre-gauche Cumhuriyet jusqu’en août 2016, il a été arrêté en novem­bre 2015 après que son jour­nal ait pub­lié des images mon­trant le MİT des ren­seigne­ments d’É­tat envoy­ant des armes à des com­bat­tants islamistes syriens…

Bon, déjà définir le jour­nal “Cumhuriyet” comme de “cen­tre gauche”, demande une petite mise au point. Il s’ag­it bien d’un jour­nal d’op­po­si­tion, mais on le qual­i­fierait plutôt de “libéral répub­li­cain” baig­nant dans une tra­di­tion nation­al­iste kémal­iste anci­enne, qui s’ac­corde bien avec la turcité. Mais, on le sait, ce qui reste d’ex­pres­sion jour­nal­is­tique d’op­po­si­tion au régime actuel ne doit pas être boudé, et s’y réfugient d’ailleurs celles et ceux qui peu­vent encore obtenir des cartes de jour­nal­istes, en dehors des médias de la voix de son maître.

Can Dün­dar fut donc une plume dis­si­dente en Turquie, et réside aujour­d’hui en Alle­magne, terre d’ex­il de beau­coup, la France, on le sait, n’é­tant “terre d’asile” que de papier.

Il se fait que notre amie et rédac­trice d’hon­neur de Kedis­tan, Zehra Doğan , dont le Wikipedia lui est à jour, nous y veil­lons, est égale­ment en rési­dence for­cée à Berlin, puisque Kurde per­sé­cutée en Turquie.

Voilà donc com­ment les deux ont eu l’oc­ca­sion de tra­vailler ensem­ble, lui, le jour­nal­iste sou­vent qual­i­fié de “Turc blanc” et elle, l’élec­tron libre kurde, artiste et jour­nal­iste également.

Can Dün­dar ne pou­vait rester en Alle­magne sans exercer ce qu’il sait faire : son méti­er de jour­nal­iste. Il ne pou­vait rester indif­férent au sort des jour­nal­istes per­sé­cutés et empris­on­nés en Turquie, lui qui en avait échap­pé in extrémis, essuyant même une ten­ta­tive d’as­sas­si­nat. Il a donc créé une chaîne d’in­for­ma­tions, un média, Özgürüz (“nous sommes libres” en turc) et mil­ité pour faire con­naître le sort des opposant.es en Turquie… Celui de tout.es les opposant.es au régime. Qu’illes soient jour­nal­istes ou non. Et bien sûr, con­tourn­er la ques­tion kurde ne pou­vait être une option, puisqu’elle est con­sub­stantielle de l’his­toire de la Turquie et de celle de son “oppo­si­tion politique”.

Faire un pas de côté à pro­pos du kémal­isme répub­li­cain dont on est imprégné amène de fait à des évo­lu­tions poli­tiques majeures, surtout lorsqu’en exil la dias­po­ra turque en Alle­magne est majori­taire­ment nation­al­iste et sou­tien du Reïs turc d’une part, et que l’autre par­tie est issue des exils kur­des des années 1980, 90, et des répres­sions de 2015 à aujour­d’hui. Nous n’ig­norons pas non plus que pour Can Dün­dar, son fils, activiste des droits humains, a beau­coup con­tribué à tous les rapprochements.

Can Dün­dar n’a donc de “Turc blanc” que l’é­ti­quette que lui don­nent des ultra-nation­al­istes, ou des Kur­des sec­taires égarés, il en existe mal­heureuse­ment, nous en savons quelque chose à Kedis­tan. Après, les diver­gences d’analy­ses de sit­u­a­tion qui exis­tent, notam­ment pour les élec­tions prési­den­tielles qui s’an­non­cent en 2023 en Turquie, sont poli­tiques et se débattent.

C’est donc avec intérêt que nous avions appris la paru­tion chez Del­court, en langue française, d’un dit “roman graphique”, “Erdoğan, le nou­veau sul­tan”, ini­tiale­ment pub­lié en turc et alle­mand aux Edi­tions #Özgürüz­Press.

Voici donc le pre­mier objet de cet arti­cle, dont la qua­trième de cou­ver­ture dit : “Ce livre offre un éclairage inédit sur la poli­tique turque con­tem­po­raine, éton­nant, fasci­nant, glaçant”.

A not­er que le trait est de Jbr Anwar, dessi­na­teur exilé lui aus­si à Berlin, jour­nal­iste et car­i­ca­tur­iste, chas­sé d’Egypte.

  • Erdogan BD Turquie

Il y a quelques jours Can Dün­dar nous fai­sait savoir que les livres en turc imprimés à l’é­tranger, achetés par cor­re­spon­dance, sont sys­té­ma­tique­ment refusés par les ser­vices douaniers turcs. Il a alors mis à dis­po­si­tion un lien pour le télécharg­er gra­tu­ite­ment dans la ver­sion turque.

Vous n’au­rez pour le français et l’alle­mand aucune dif­fi­culté à vous pro­cur­er le livre auprès de votre libraire préféré.e ou en ligne ici.

Pour les deux autres ouvrages pour lesquels ja voulais rafraîchir les mémoires, il s’ag­it respec­tive­ment de l’al­bum graphique “Pris­ons No 5″ et du recueil de let­tres de prison qui en est le pen­dant “Nous aurons aus­si de beaux jours”.

Ces deux ouvrages de Zehra Doğan exis­tent aus­si en ver­sion ital­i­enne et alle­mande, pour le sec­ond, et pour le moment alle­mande pour le premier.

Pour celles et ceux qui décou­vri­rait Kedis­tan par cet arti­cle, pour faire davan­tage con­nais­sance avec Zehra, c’est par ici.

Ces deux livres qui se com­plè­tent vous per­me­t­tront de pren­dre pied directe­ment dans l’his­toire passée et récente du mou­ve­ment kurde, non par le dis­cours, mais au tra­vers du par­cours de répres­sion vécue par Zehra, et dont elle a fait une arme, grâce à son art et son tal­ent, qu’elle retourne con­tre l’op­presseur. C’est aus­si une oeu­vre pro­fondé­ment féministe.

Bien sûr, il se trou­vera tou­jours des “limitant.es chagrin.es”, par­ti­c­ulière­ment en France, pour trou­ver que tout cela manque de jar­gon, mais je suis sûr qu’une fois les livres en main, vous oublierez très vite cette cri­tique par­ti­c­ulière­ment déplacée venant de certain.es pour qui poli­tique ne peut rimer avec réal­ité vécue et se doit de dérouler dis­cours idéologique et tech­nique du portrait.

Bonne lec­ture !


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…