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Rap­pelons que la déf­i­ni­tion lex­i­cale et juridique du mot “tor­ture” est sim­ple : “souf­frances physiques et/ou morales infligées volon­taire­ment à quelqu’un.e”. Par exten­sion, “pour en obtenir un con­sen­te­ment ou des aveux”.

La sit­u­a­tion dans les pris­ons turques se com­plique de plus en plus. Il  n’y a pas un jour où des plaintes pour mal­trai­tances, vio­la­tion des droits, ne nous parvi­en­nent. Des cas graves comme celui de Garibe Gez­er, poussée au sui­cide en prison, ou encore de prisonnier.e.s malades, qui sont main­tenus en incar­céra­tion mal­gré les rap­ports médi­caux attes­tant que ces per­son­nes ne doivent pas rester dans les con­di­tions dif­fi­ciles de la prison, comme pour  Aysel Tuğluk, Mehmet Emin Özkan, ou encore Ziya Ata­man, pour ne citer que quelques un.e.s. Ils, elles sont des cen­taines, et nom­bre de pris­on­niers malades quit­tent la prison dans un cercueil…

Des plaintes pour mal­trai­tances, tor­tures, vio­ls, sont régulière­ment déposées par des prisonnier.e.s, et n’aboutis­sent sou­vent pas, leurs let­tres de requête se “per­dent”… De temps à autre le nom de cer­taines pris­ons revient dans l’ac­tu­al­ité, avec des pra­tiques sordides.

Le 2 févri­er, nous avons été prévenus du témoignage d’un pris­on­nier poli­tique, incar­céré à la prison de type T de Diyarbakır. Un ami jour­nal­iste, Arat Barış, nous trans­met­tait le peu de détails qu’il avait pu obtenir de la famille du pris­on­nier Abdülaz­iz Tektaş.

Par l’in­ter­mé­di­aire d’un proche avec lequel il a par­lé lors d’un appel télé­phonique, un droit heb­do­madaire, Abdülaz­iz Tek­taş affir­mait que le 31 jan­vi­er, leur quarti­er avait subi une fouille par les gar­di­ens. Les pris­on­niers, avaient été menot­tés au dos, amenés dans un lieu hors des caméras de sur­veil­lance, et avaient subi des sévices.

Voici un témoignage.

Selon Abdülaz­iz, le 31 jan­vi­er, dans l’après-midi, un pris­on­nier était sur le point d’être trans­féré dans une autre prison.

Il se trou­ve que le pris­on­nier dont le trans­fert se pré­pare, est incar­céré avec son frère. Celui-ci, voy­ant son frère ainé en train d’être trans­féré, se ren­seigne sur la des­ti­na­tion. Mais le gar­di­en ne donne aucune infor­ma­tion, il évite de répondre.

Rap­pelons que la pra­tique de trans­ferts imposés, autrement dit “dépor­ta­tions” dans le lan­gage des pris­on­niers, sou­vent vers des pris­ons très éloignées des familles, est un moyen d’isole­ment et de répres­sion, et que cette tech­nique d’op­pres­sion est large­ment util­isée en Turquie.

Le proche d’Ab­dülaz­iz pour­suit “Mon cousin et les autres détenus con­tes­tent. Un chahut éclate. Les pris­on­niers sont menot­tés au dos, par les gar­di­ens, et amenés dans un autre lieu, hors de la vision des caméras de sur­veil­lance. Ils les torturent. 

Les détenus sont allés à l’hôpi­tal, ils pos­sè­dent des rap­ports médi­caux con­statant les coups. Mon cousin Abdülaz­iz Tek­taş est blessé sur la tête et au dos. Il a, lui aus­si, un rap­port médi­cal. Il nous a appelé le mar­di 1er févri­er, pour nous prévenir. 

Mon cousin et ses cama­rades ont déposé des let­tres de requêtes, ils deman­dent les numéros d’en­reg­istrement de celles-ci, mais l’ad­min­is­tra­tion de la prison ne les com­mu­nique pas.

Je ne con­nais seule­ment les prénoms que de deux des gar­di­ens, Cihan et Uğur.”

Par ailleurs, Arat Barış, informe que, au moment de l’in­ci­dent, un autre détenu de prénom Serğe­bun, qui était en train de par­ler au télé­phone avec sa famille, a dit : “Maman, des cris nous parvi­en­nent encore, en ce moment même on tor­ture des gens, l’en­tends-tu ?”.

Mal­gré les efforts des jour­nal­istes et défenseurEs de droits humains, il a été qua­si impos­si­ble d’obtenir plus d’in­for­ma­tion. Sur ce, Gülüs­tan Kılıç Koçy­iğit, députée du Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP) a porté le sujet devant le Par­lement, le 4 févri­er 2022.

Elle a posé les ques­tions suiv­antes à Bekir Boz­dağ, nom­mé Min­istre de Jus­tice récem­ment (29 jan­vi­er 2022).

  • Votre min­istère fera-t-il une déc­la­ra­tion sur les pra­tiques arbi­traires, illé­gales et non régle­men­taires des gar­di­ens de la prison type T de Diyarbakır ?
  • Existe-t-il une enquête ouverte sur les tor­tures pra­tiquées dans la prison type T de Diyarbakır ?
  • Au sujet de l’in­ci­dent de tor­ture qui a eu lieu dans la prison de type T de Diyarbakır le 31 jan­vi­er, les enreg­istrements de caméra et la liste des employés ont-ils été déter­minés ? Les réc­its des pris­on­niers et des témoins ocu­laires ont-ils été util­isés ? Les agents péni­ten­ti­aires en rela­tion avec l’in­ci­dent ont-ils été identifiés ?
  • Il est indiqué que les pris­on­niers ont déposé une requête après l’in­ci­dent de tor­ture, mais qu’ils n’en ont pas été infor­més des suites. Y a‑t-il une enquête ouverte par votre min­istère con­cer­nant l’empêchement des droits de requête des prisonniers ?
  • Quel est le nom­bre de requêtes, de deman­des et d’ac­tiv­ités lég­isla­tives qui sont par­v­enues à votre min­istère au sujet des vio­la­tions des droits péni­ten­ti­aires qui se sont pro­duites fréquem­ment ces derniers temps?
  • Y a‑t-il une enquête ouverte sur les atti­tudes arbi­traires du per­son­nel exerçant des activ­ités sous votre min­istère ? Quels types de sanc­tions ont été appliquées à la suite de ces enquêtes ?
  • Un pro­gramme de for­ma­tion sur les droits et lib­ertés humains liés au traite­ment des détenus a‑t-il été dis­pen­sé au per­son­nel rel­e­vant de votre min­istère jusqu’à présent ?
  • Quelles sont les sta­tis­tiques des détenus de la prison de type T de Diyarbakır en ter­mes de genre, d’âge, de pro­fes­sion, de statut économique et de qual­i­fi­ca­tion pénale ?

Evidem­ment, aucune de ces ques­tions ne trou­vera une quel­conque réponse…

Même si le Par­lement turc est devenu qua­si inutile, le HDP, seul par­ti pro­gres­siste digne d’une vraie oppo­si­tion est muselé, sous men­ace d’in­ter­dic­tion, nom­bre de ses élu.e.s et respon­s­ables sont d’ailleurs en prison ou en exil… Ses député.e.s, actuelle­ment sur leur sièges éjecta­bles au Par­lement, essayent de faire tout ce qu’ils, elles, peuvent…

Il est peut être utile de résumer à quel genre de min­istre la députée Gülüs­tan Kılıç Koçy­iğit s’adressait.

Le min­istre de la jus­tice, Bekir Boz­dağ, n’est pas un débu­tant. Il a déjà occupé ce poste de 2014 à 2018. Durant son man­dat, plus de 1200 juges et pro­cureurs furent limogés par décret, pour “appar­te­nance” à la “Con­frérie de Fetul­lah Gülen”, prêcheur ancien ami, et actuel enne­mi n°1, d’Er­doğan. Le nou­veau min­istre fut égale­ment sus­pec­té dans l’af­faire des livraisons illé­gales d’armes à al-Qaï­da et a fait l’ob­jet d’une enquête par les pro­cureurs antiter­ror­istes en 2014 “pour avoir aidé et encour­agé” cette organisation.

L’af­fec­ta­tion de Bekir Boz­dağ a en effet rap­porté ses casseroles dans l’ac­tu­al­ité, notam­ment ses pro­pos igno­bles con­cer­nant un cas de viol sur fille mineur, “La petite était con­sen­tante, la famille était d’ac­cord”.

Il existe tout de même une mémoire col­lec­tive l’opin­ion publique n’ou­blie pas.

Les jour­nal­istes et défenseurEs de droits humains qui ont, nom­breux, relayé ce cas, notam­ment sur Twit­ter avec le hash­tag #Diyarbakır­daİşkenceV­ar se sont vuEs immé­di­ate­ment agressés par les trolls du régime. En voici un exem­ple avec un des tweets de Dilek Aykan, mem­bre de la Rédac­tion du Kedis­tan :

La prison de Diyarbakır a une sin­istre répu­ta­tion qui ne date pas d’au­jour­d’hui. Même si la geôle d’Amed, la prison N°5, a subi amé­nage­ment et change­ment d’ap­pel­la­tion dans l’al­pha­bet, ses murs ont réson­né des cris de tor­tures, durant des décen­nies, sous les régimes kémal­istes et nation­al­istes précédents.

Que des gar­di­ens, encour­agés par une admin­is­tra­tion péni­ten­ti­aire et un Etat aux pra­tiques fas­cisantes, renouent avec des méth­odes de tor­ture, ne peut éton­ner, d’au­tant que les geôles regor­gent de pris­on­niers poli­tiques con­sid­érés comme “enne­mis de l’E­tat”. Le dénon­cer en per­ma­nence reste hélas d’ac­tu­al­ité en Turquie.


Pho­to à la une : Une scène du film “Kan­lı Postal” (Bottes ensanglan­tées). L’histoire de ce film réal­isé par Muham­met A.B. Arslan, sor­ti le 11 sep­tem­bre 2015, se passe lors du coup d’Etat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980, à la prison de Diyarbakır.

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