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Vous ne trou­verez pas dans les archives de Kedis­tan d’ar­ti­cle sur ces man­i­fes­ta­tions dites de Kobanê, appelées par le mou­ve­ment kurde, mais pas que. Le mag­a­zine en ligne n’a vu le jour que quelques semaines plus tard.

Mais ce temps où en Syrie, les états coal­isés des puis­sances occi­den­tales con­coc­taient leurs bonnes vieilles recettes activées autre­fois en Afghanistan, à savoir utilis­er un enne­mi sec­ondaire con­tre le con­sid­éré comme prin­ci­pal, les “bar­bus” con­tre les “rouges”, n’est incon­nu de per­son­ne. Là, l’en­ne­mi prin­ci­pal désigné était Bachar, l’al­lié d’hi­er, hon­ni depuis par un Print­emps arabe. Les Etats Unis en tête, à peine sor­tis de la com­plète désta­bil­i­sa­tion de la région avec la guerre iraki­enne, là encore en con­for­t­ant un pseu­do pou­voir irakien jouant sur les frac­tures inter religieuses, se lançaient dans l’aide aux groupes anti-Assad, déjà gan­grenés par des fac­tions dji­hadistes, qui con­fisquaient le soulève­ment poli­tique et social de 2011.

Daech procla­mait son Cal­i­fat en juin 2014, alors que cette stratégie poli­tique bat­tait encore son plein, et que la Turquie, mem­bre de l’OTAN, en tirait elle de son côté les béné­fices, et les retours éventuels sur investisse­ment à venir, con­cer­nant les zones syri­ennes, actuelle­ment occupées. Dans ces con­di­tions, l’at­taque de Daech con­tre Kobanê, rece­vait une réponse plus qu’at­ten­tiste de cette Turquie, Turquie légitimée par la stratégie des états occi­den­taux. Kobanê deve­nait pour une pre­mière fois révéla­trice de la fail­lite d’une stratégie poli­tique et mil­i­taire dili­gen­tée de l’ex­térieur, dont les pop­u­la­tions kur­des payaient déjà le prix fort. Cette ville mar­tyre, en 2015 cette fois, devien­dra aux yeux du monde entier le sym­bole d’une résis­tance pos­si­ble, et met­tra fin à cette stratégie des alliances con­tre nature, que la Turquie elle, n’a­ban­don­nera pas, puisqu’elle les pra­tique déjà en interne.

Le fait que le mou­ve­ment kurde en Turquie ait alerté sur ce qui se jouait alors, et pas seule­ment en sou­tien human­i­taire aux pop­u­la­tions, con­cer­nait toute l’op­po­si­tion au régime, tant sa par­tie la plus kémal­iste, que sa plus dynamique et démoc­ra­tique. Il aler­tait en fait sur l’in­stru­men­tal­i­sa­tion des forces dji­hadistes con­tre les avancées démoc­ra­tiques pos­si­bles en Turquie même, et la volon­té de con­solid­er un pou­voir sur une stratégie de guerre. C’est ain­si que le HDP et le mou­ve­ment social d’op­po­si­tion axa sa poli­tique autour de la Paix.

Il est donc utile de voir com­ment, avec ce procès con­tre le HDP, prenant pré­texte de Kobanê, le régime turc, tan­dem AKP/MHP, veut effac­er les preuves de sa totale duplic­ité avec le dji­hadisme, en inver­sant l’ac­cu­sa­tion sur la vio­lence et la guerre, pour incrim­in­er des poli­tiques d’op­po­si­tion et apporter une pierre à la liq­ui­da­tion du HDP.

Au pas­sage, on ne peut que soulign­er égale­ment ce que le mot “Jus­tice” sig­ni­fie encore en Turquie : un théâtre où l’on main­tient une façade, pour ne pas rompre l’éd­i­fice des traités de coopéra­tion, mais où tout se déroule sous les ordres du pouvoir.

 

kobane

Un entre­tien impor­tant réal­isé par Sel­man Güze­lyüz, avec Kazım Bayrak­tar, un des avo­cats de la défense, pour l’agence Mésopotamie (MA) et pub­lié en turc le 28 avril 2021.

Me. Kazım Bayraktar : “Les rapports d’autopsie mèneraient à l’auteur”

Dans la con­ti­nu­ité de l’acharne­ment con­tre la poli­tique kurde en Turquie, et avec la pre­mière audi­ence du “Procès Kobanê”, qui s’est déroulée le 26 avril dernier, l’acharne­ment trou­ve une nou­velle dimen­sion. Le procès durant lequel sont jugés 108 femmes et hommes poli­tiques, dont 28 déjà en déten­tion, se base sur des actions à Kobanê, en réponse aux attaques de Daech. Cette nature réac­tive est une réal­ité con­nue de l’opin­ion publique mondiale.

Kazım Bayrak­tar, un des avo­cats du procès, affirme, en s’ap­puyant sur les doc­u­ments et infor­ma­tions fig­u­rant dans le dossier des atten­tants com­mis par Daech, que le pou­voir s’ef­force d’ob­scur­cir la vérité. Kazım Bayrak­tar, qui est égale­ment l’av­o­cat des vic­times de ces atten­tats, exprime que le Procès Kobanê n’est pas lim­ité à la poli­tique kurde, mais con­cerne toute l’opposition.

Avec Kazım Bayrak­tar, qui a exer­cé son méti­er dans les couloirs des Tri­bunaux de sécu­rité d’E­tat du coup d’E­tat mil­i­taire de 12 sep­tem­bre 1980, et aujour­d’hui des tri­bunaux pénaux de l’ère AKP, nous nous sommes entretenus sur le Procès Kobanê.

• Lors de l’au­di­ence au cours de laque­lle les avo­cats ont quit­té la salle, la procé­dure n’a pas été appliquée, les accusés n’ont pas eu leur mot à dire, et l’acte d’ac­cu­sa­tion a été lu sans présence de la défense. Pourquoi ce procès, qui devait dur­er un mois, est-il retardé d’une semaine?

Nous sommes alléEs à l’au­di­ence, pré­paréEs. La cour a dev­iné nos pré­parat­ifs, et ils sont venus égale­ment pré­parés. En par­lant de pré­pa­ra­tion, je veux dire, “qui aura la supéri­or­ité psy­chologique dans l’af­faire”.

L’au­di­ence a com­mencé par l’en­reg­istrement des procès-ver­baux con­cer­nant les per­son­nes impliquées dans l’af­faire. Nous avons exigé que la parole soit don­née à nos clients Sela­hat­tin Demir­taş et Figen Yük­sek­dağ avant la lec­ture de l’acte d’ac­cu­sa­tion, mais ils ont rompu la procé­dure judi­ci­aire et sont passés directe­ment à la lec­ture de l’acte d’accusation.

Nous avons déposé requête, pour acter le fait que nos amis avo­catEs, qui n’avaient pu entr­er dans la salle d’au­di­ence, con­sti­tu­ait une rup­ture de procé­dure. La sit­u­a­tion de nos con­frères et con­soeurs, qui n’ont pas pu accéder à la salle, a finale­ment été ver­sée au dossier. Mais, cette fois, ce sont les enreg­istrements audio de nos col­lègues et clientEs n’ont pas été ver­sées dans les reg­istres de SEGBIS, le “Sys­tème d’in­for­ma­tion Audio et vidéo” offi­ciel. Face à cela, nous avons quit­té le procès en signe de protes­ta­tion devant la cour.

Au bout d’un moment, le tri­bunal a réal­isé ce qu’il faisait.Quand il a dev­iné où l’af­faire allait, il a reculé. “Vos avo­cats peu­vent venir s’ils le veu­lent”, a‑t-il dit. Au bout d’un moment, lorsque nous sommes retournés dans la salle d’au­di­ence, la police a essayé de nous blo­quer la porte, en la fer­mant. Lorsque les avo­catEs ont for­cé le bar­rage, le prési­dent du tri­bunal a été obligé de dire “lais­sez-les entrer”.

Ensuite, Sela­hat­tin Demir­taş et Figen Yük­sek­dağ désir­aient dépos­er une requête de récu­sa­tion du juge, en argu­men­tant. 1.

Mais, le tri­bunal, qui nor­male­ment devait enreg­istr­er de plein droit cette demande, ne les a pas autorisé à l’ex­primer. Les avo­cats ont voulu eux-mêmes trans­met­tre cette demande de récu­sa­tion, mais elle ne leur a pas été autorisée non plus. Le tri­bunal a con­tin­ué en procé­dant à la lec­ture de l’acte d’ac­cu­sa­tion. Nous avons alors, en protes­tant con­tre ces pra­tiques hors procé­dure, quit­té la salle de nouveau.

Lors de toute cette séquence, le tri­bunal a pra­tiqué l’ob­struc­tion, en coupant le son des enreg­istrements SEGBIS de nos clientEs, lorsque cela l’arrangeait. Le procès s’est donc déroulé comme cela jusqu’au soir.

Finale­ment, le tri­bunal a décidé de rejeter la demande de récu­sa­tion de la part des avo­cats, sans qu’ils-elles puis­sent la déclar­er. Il a cette fois émis qu’il voulait obtenir cette demande de nos clients, mais ils-elles ont déclaré que, n’é­tant pas au courant de ce qui se pas­sait dans l’au­di­ence, ils-elle souhaitaient trans­met­tre la jus­ti­fi­ca­tion du refus par écrit. Le tri­bunal a ajourné l’au­di­ence, ayant été con­traint d’obtenir les motifs de demande de récusation.

• Si on en reve­nait à “la supéri­or­ité psychologique”…

Le tri­bunal n’a pas pu établir l’as­cen­dant psy­chologique qu’il souhaitait. Le nom­bre d’av­o­catEs par­tic­i­pantEs était très impor­tant. Une sérieuse réac­tion a été mon­trée dans la salle avec des protes­ta­tions et applaud­isse­ments. Face à cette réac­tion, le tri­bunal a été con­traint de reporter l’au­di­ence, parce qu’il n’é­tait pas en mesure de dévelop­per une con­tre-offen­sive. Ce que le tri­bunal voulait faire, c’é­tait empêch­er Sela­hat­tin Demir­taş et Figen Yük­sek­dağ d’af­fich­er l’ar­rière plan juridique et poli­tique de cette affaire. Parce que ce pre­mier jour de l’au­di­ence, la parole des deux coprési­dents serait influ­ente pour le pub­lic. Il voulait les en empêch­er. Il l’a fait en fer­mant les enreg­istrements SEGBIS. La pos­si­bil­ité de met­tre fin à l’af­faire dans les délais prévus, fut alors très affaiblie.

• Qu’at­ten­dez-vous de la deux­ième audi­ence de ce procès Kobanê ?

Lun­di prochain sera le dernier jour pour la demande de récu­sa­tion de juge. S’il y a audi­ence, le juge, lors de la présen­ta­tion de la demande, doit l’en­voy­er à une juri­dic­tion supérieure. La délé­ga­tion de juges, devra de nou­veau ajourn­er l’audience.

• Sur la nature de l’af­faire, que pensez-vous pour les audi­ences ultérieures ?

Ce procès est illégitime. De son con­tenu au proces­sus de pré­pa­ra­tion, l’il­lé­gal­ité totale pré­vaut. Sur la base de l’ar­ti­cle 90 de la Con­sti­tu­tion turque, la pour­suite de la déten­tion, face à la déci­sion de la Grande Cham­bre de la Cour européenne des droits humains (CEDH), qui lie pour­tant défini­tive­ment la Turquie, le main­tien des con­cernéEs en prison, n’est plus une déten­tion, mais se trans­forme en empris­on­nement. Envers celles et ceux qui restent en déten­tion, est en train d’être com­mis un crime de “déten­tion illé­gale”, qui peut être motif d’ou­ver­ture de procès. Il est donc ques­tion de juges et de pro­cureurs entrainés vers le crime.

Dans la péri­ode d’al­liance entre l’AKP et Fethul­lah Gülen, il y a eu des juges et des pro­cureurs qui ont fait des choses illé­gales, comme le procès Ergenekon. Les juges, les pro­cureurs, les agents et officiers de police qui ont ain­si oeu­vré à cette époque, sont aujour­d’hui en prison, pour les crimes dans lesquels ils ont été entraînés. Ceux actuels sont égale­ment entraînés vers l’il­lé­gal­ité. Nous essaierons d’ex­primer cela. Nous leur dirons “vous faites quelque chose qui vous fera juger”. Nous adopterons par ailleurs une posi­tion juridique de défense active, voire même de con­tre-attaque. Nous ne serons pas celles et ceux qui sont jugéEs, mais celles et ceux qui accusent. Nous accuserons ceux qui on joué un rôle dans le déroulé des événe­ments, du haut en bas. Eux, dis­ent “Kobanê”, nous dirons “Daech”.

• La délé­ga­tion de juges a obtenu un statut spé­cial avec la nom­i­na­tion d’une deux­ième délé­ga­tion à la 22e Cour pénale lourde d’Ankara et a été placée en mesure de se pencher unique­ment sur l’af­faire Kobanê. Com­ment doit-on éval­uer cette pratique ?

Il y a vio­la­tion du “principe dit de juge naturel” en Droit. Juges et pro­cureurs sont nom­més, selon l’af­faire. Il y a aus­si le fait que cer­tains pro­cureurs soient retirés de l’af­faire en cours, et d’autres nom­més à leur place. En ce qui con­cerne cette affaire, nous avons com­pris, lors du change­ment d’un pro­cureur effec­tué, que le pro­cureur nom­mé était claire­ment iden­ti­fié MHP, Par­ti d’ac­tion nation­al­iste. De telles nom­i­na­tions sont incom­pat­i­bles avec le principe de “juge naturel” pour décider du sort des accuséEs du procès. Et ça, c’est juste une petite par­tie de l’affaire…

Il y a aus­si une grande par­tie, et celle-ci a fut entière­ment con­solidée ces dernières années. De toutes façons, le pou­voir judi­ci­aire en Turquie, de la Cour suprême, au tri­bunaux locaux, est totale­ment mis hors du principe du juge naturel.

En d’autres ter­mes, la jus­tice est paramétrée de façon à ce que toute per­son­ne, jusqu’aux moin­dres greffierEs, puis­sent être retirées en une nuit et rem­placéEs le lende­main. Les lois ont été réfor­mées pour ce faire. Cela a été fait avec la mod­i­fi­ca­tion con­sti­tu­tion­nelle de 2010, et a été recon­duit jusqu’à nos jours. Il n’é­tait pas très dif­fi­cile de faire une telle nom­i­na­tion dans ce cadre, car le pou­voir judi­ci­aire était déjà ren­du com­plète­ment dépen­dant du pouvoir.

La délé­ga­tion de juges qui s’oc­cupe actuelle­ment de cette affaire a d’autres tâch­es à accom­plir. Il y a beau­coup de procès dans cette Cour. Ce comité pour­suiv­ra ses travaux prédéter­minés afin de pou­voir con­tin­uer à exam­in­er cette affaire. Un nou­veau per­son­nel a été nom­mé en ren­fort. Ces juges s’oc­cu­per­ont des autres tâch­es de cette Cour. La délé­ga­tion actuelle pour­suiv­ra ce procès dans le cadre où elle est empris­on­née, et son unique tra­vail sera de traiter de cette affaire. C’est l’une de ces sit­u­a­tions qui vio­le le principe du juge naturel. Dans le Droit, un juge ne peut exercer unique­ment dans une seule affaire.

• Par­lez-vous d’une nou­velle pratique ?

Une nou­velle pra­tique dans qui appa­rait au grand jour. C’est-à-dire qu’une délé­ga­tion de juges est attribuée à une tâche unique. Des pra­tiques sim­i­laires ont été menées au cours de la péri­ode de la Cour de sûreté de l’É­tat (DGM) 2 comme suit : cer­taines affaires étaient trans­mis­es à la Cour de sûreté de l’É­tat. Il n’é­tait pas ques­tion de traiter des procès uniques, mais cer­tains dossiers ne lui étant pas trans­mis, alors ses tâch­es étaient allégées et son tra­vail pou­vait être con­cen­tré vers un procès précis.

Ce types de tac­tiques étaient pra­tiqués à l’époque. Mais main­tenant, lorsqu’il s’ag­it d’une opéra­tion poli­tique impor­tante et prévue, les mag­is­trats qui exer­cent dans la péri­ode où celle-ci sera menée, sont préal­able­ment et spé­ciale­ment paramétrés. Il existe un phénomène de nom­i­na­tion de cer­tains juges et pro­cureurs, des­tinés à rem­plir cer­tains objec­tifs. Cela est devenu mon­naie courante, mais la nom­i­na­tion d’une délé­ga­tion de juges à un procès unique, comme dans ce procès, est un cas pour­tant rare.

• Beau­coup de choses ont été écrites et dites sur l’acte d’ac­cu­sa­tion, et dif­férents noms ont été mis dans l’af­faire en ques­tion. En regar­dant tous ces développe­ments, com­ment nom­mer cette affaire? 

On pour­rait aus­si l’ap­pel­er procès com­plo­tiste, mais cette affaire n’a pas les car­ac­téris­tiques d’être un “procès”, dans le vrai sens du terme. C’est juste un mau­vais procès, tel un instru­ment. Cette affaire  appa­rait comme le pro­duit d’une stratégie de liq­ui­da­tion de la poli­tique kurde, qui s’am­pli­fie. En d’autres ter­mes, ce procès vise à repouss­er, voire à élim­in­er pro­gres­sive­ment les posi­tions où le mou­ve­ment poli­tique kurde était arrivé jusqu’à aujour­d’hui. C’est égale­ment une affaire menée afin  de paral­yser et détru­ire le Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP), dans tous les domaines. Autrement dit, d’un côté, le procès de dis­so­lu­tion du HDP est en cours, mais de l’autre, comme ce procès con­duira à un résul­tat poli­tique dis­tinct, et qu’il n’y a pas encore d’u­nité de pen­sée entre les parte­nar­i­ats de pou­voir sur cette ques­tion, le procès Kobanê est l’af­faire la plus cen­trale menée pour dis­rupter com­plète­ment le HDP.

• Dans le viseur du procès, y a‑t-il alors la liq­ui­da­tion du mou­ve­ment poli­tique kurde ?

Ce procès ne vise pas seule­ment les Kur­des. Il sig­ni­fie égale­ment la volon­té ne pas autoris­er d’op­po­si­tion poli­tique. C’est un procès qui con­tient un mes­sage selon lequel la poli­tique du mou­ve­ment kurde, et d’autres pen­sées de gauche asso­ciées au mou­ve­ment kurde d’une manière ou d’une autre, ne seront plus autorisées à vivre dans ce sys­tème. Bien sûr, lorsque nous exam­inons le con­tenu de l’af­faire, il y a beau­coup d’ac­ro­baties, des fauss­es preuves aux fal­si­fi­ca­tions pour ce faire…

Et quand on regarde sous cet angle, c’est en effet une affaire de com­plot. Parce que le HDP ne se présente pas comme un sim­ple mou­ve­ment kurde. Lors des élec­tions de 7 juin 2015, et des péri­odes ultérieures, il a com­mencé à gag­n­er des voix dans les régions de l’ouest de la Turquie, et par­mi d’autres ten­dances de gauche. Tout le monde, en par­ti­c­uli­er le gou­verne­ment, a vu que le HDP pre­nait de plus en plus d’am­pleur pour devenir un par­ti démoc­ra­tique pour toute la Turquie. Il a égale­ment com­mencé à créer une dynamique visant à assur­er une large unité con­tre le fas­cisme. Afin d’élim­in­er ce dan­ger, le gou­verne­ment crim­i­nalise le HDP et veut le détru­ire, divis­er et purg­er tous ses alliés et celles et ceux qui le sou­ti­en­nent, dans les zones et espaces où ils se trouvent.

Je vais m’ex­primer en me bas­ant sur les années passées. Dans le sens politi­co-économique, il est ques­tion d’une cen­tral­i­sa­tion visant à gér­er toutes les insti­tu­tions de l’É­tat, les pou­voirs judi­ci­aire, exé­cu­tif et lég­is­lat­ifs à par­tir d’un seul cen­tre. Le mou­ve­ment poli­tique kurde, le HDP et d’autres par­ties de la gauche révo­lu­tion­naire, la classe ouvrière, les class­es pop­u­laires et les femmes sont des obsta­cles au proces­sus de cette cen­tral­i­sa­tion. Il est ques­tion donc d’un élan de liq­ui­da­tion de toutes for­ma­tions et organ­i­sa­tions pour­tant légales. Ceci est une forme de dic­tature fas­ciste. En d’autres ter­mes, alors que nous avançons vers 2023, le fas­cisme con­tin­uera pas à pas à con­solid­er davan­tage ce qu’il a fait jusqu’à présent, à cen­tralis­er, à élim­in­er tous les seg­ments d’op­po­si­tion à une dic­tature. Ce procès est de fait l’une de ces étapes.

• Quel est le prob­lème de ceux qui diri­gent la cen­tral­i­sa­tion dont vous par­lez, avec Kobanê ?

L’une des prin­ci­pales raisons est que lorsque le pre­mier mou­ve­ment pop­u­laire a com­mencé en Syrie, les impéri­al­istes occi­den­taux ont dévelop­pé cer­tains plans, et ont ten­té de se ménag­er une posi­tion en Syrie, en armant des gangs salafistes, poli­tique qu’ils avaient précédem­ment déjà util­isée au Moyen-Ori­ent et en Asie. Quant aux parte­naires du pou­voir, ils ont égale­ment agi con­join­te­ment avec l’Oc­ci­dent dans l’u­til­i­sa­tion des gangs, cal­cu­lant leur part poten­tielle. Mais le cal­cul n’a pas cor­re­spon­du au prix du marché. Plus tard, la stratégie occi­den­tale a pro­posé cer­tains arrange­ments, mais l’AKP a gardé dans la main, en par­ti­c­uli­er, les gangs salafistes, l’E­tat islamique, Al-Qaï­da et des gangs sim­i­laires, pour les utilis­er, afin de liq­uider le mou­ve­ment kurde en Syrie. Au même moment où l’EI se déplaçait et mul­ti­pli­ait ses attaques con­tre Kobanê, l’AKP a con­clu une coopéra­tion si étroite avec des gangs appelés l’EI et l’ASL, que seul le mou­ve­ment kurde se tenait debout devant lui dans ce proces­sus. Ils ont été heureuse­ment vain­cus par le mou­ve­ment kurde. Bien sûr, cette défaite devait se pay­er. Ils ont alors util­isé de nom­breuses tac­tiques pour faire pay­er le prix au mou­ve­ment kurde. L’une fut les man­i­fes­ta­tions de Kobanê : Le gou­verne­ment a util­isé lors des protes­ta­tions, des instru­ments légitimes et illégitimes, entraî­nant la mort d’un grand nom­bre de per­son­nes. Le pou­voir est directe­ment respon­s­able de ces morts.

Mais le pou­voir, pour invers­er cette per­cep­tion et autant que pos­si­ble les pertes, a jugé plus appro­prié d’en accuser le mou­ve­ment kurde, les politi­ciens kur­des et le HDP, sur une ques­tion dont il est lui-même coupable. En ce sens, il a util­isé cette affaire comme un instru­ment pour fac­tur­er à la fois la liq­ui­da­tion du HDP et les mas­sacres de Kobanê. L’af­faire Kobanê est util­isée comme une out­il de purge de l’op­po­si­tion. Mais lorsque nous lèverons le voile, se révéleront claire­ment, l’al­liance de l’AKP avec l’E­tat islamique et les gangs salafistes, ain­si que son objec­tif de cou­vrir les mas­sacres qu’il a com­mis en Turquie.

• Vous êtes aus­si avo­cat dans l’af­faire de nom­breux atten­tas per­pétrés par Daech en Turquie. Dites-vous vos con­stats sous la lumière de ces dossiers ?

Les man­i­fes­ta­tions du 6 au 8 octo­bre à Kobanê sont avancées comme pré­texte. Mais il y a un avant et un après. En exam­i­nant les élec­tions du 7 juin et 1er novem­bre 2015, nous voyons que l’AKP et ses parte­naires du pou­voir, ont ouvert à l’E­tat islamique et aux gangs salafistes sim­i­laires, la voie à la struc­tura­tion en Turquie. Lors des procès con­cer­nant l’at­ten­tat de la Gare d’Ankara du 10 octo­bre 2015, l’at­ten­tat de Suruç du 21 juil­let 2015 et l’at­ten­tat de Diyarbakır, le 5 juin 2015 [lors du meet­ing élec­toral du HDP], nous avons ren­con­trés de tels doc­u­ments et dossiers, nous avons vu que le proces­sus con­cer­nant les man­i­fes­ta­tions de Kobanê,  était un proces­sus où l’al­liance du cen­tre de pou­voir en Turquie et de l’E­tat islamique s’é­tait réal­isée factuelle­ment sur le terrain.

• Pou­vez-vous partager un exem­ple par­lant que vous avez ren­con­tré dans les dossiers ?

Le 9 août 2012, les dirigeants des agences de sécu­rité et de ren­seigne­ment d’An­tep sig­nent un doc­u­ment pour suiv­re cer­tains noms liés à al-Qaï­da. Le doc­u­ment stip­ule claire­ment les noms des per­son­nes qui doivent être sur­veil­lées. Ces per­son­nes sont les auteurs qui com­met­tront par la suite les atten­tats. La sur­veil­lance de ces per­son­nes étant donc décidée, un procès-ver­bal est pub­lié. Con­for­mé­ment au pro­to­cole, le dossier d’en­quête N°44540 pour l’an 2012, est en cours de pré­pa­ra­tion. Et la sur­veil­lance est menée jusqu’en 2014, pour ces indi­vidus qui fig­ureront ultérieure­ment dans le dossier d’en­quête comme mem­bres de Daech, provenant d’Al-Qaï­da. En 2014–2015, les poli­tiques du gou­verne­ment n’empêchent pas les per­son­nes sous sur­veil­lance, de créer des asso­ci­a­tions et fon­da­tions, d’ou­vrir des comptes ban­caires… Notons égale­ment que ce tra­vail asso­ci­atif est assumé par ceux qui ont ensuite per­pétré des atten­tats. Le Tri­bunal d’in­stance, a plus de 80 déci­sions de surveillance.

En arrivant aux années 2014–2015, lorsque nous avons exam­iné le dossier, nous avons con­staté que de nom­breuses per­son­nes, com­mençant par par Ilha­mi Bal­lı, étaient sur­veil­lées par le bureau du pro­cureur général d’Ankara. Leurs con­ver­sa­tions sont en principe toutes enreg­istrées. Nor­male­ment il doit y avoir une ordon­nance du tri­bunal pour que leurs con­ver­sa­tions soient enreg­istrées. Mais, en févri­er 2015, le bureau du pro­cureur général d’Ankara, on ne sait pour quelle rai­son, annule la déci­sion d’en­reg­istr­er les con­ver­sa­tions d’Il­ha­mi Bal­lı, et décide la destruc­tion des enreg­istrements effec­tués. Il s’est avéré plus tard, qu’Il­ha­mi Bal­lı avait des con­ver­sa­tions sur l’or­gan­i­sa­tion du par­cours que nous appelons “l’au­toroute dji­hadiste”, per­me­t­tant à ceux qui ont per­pétré les atten­tats, d’aller et venir en Turquie. Il fait cela, en pas­sant con­stam­ment des appels télé­phoniques avec cer­tains mem­bres de Daech présents en Turquie et en étab­lis­sant des lieux de rendez-vous.

Plus tard, les médias ont rap­porté qu’Il­ha­mi Bal­lı avait une liai­son avec les ren­seigne­ments turcs (MIT). Cer­tains événe­ments qui se sont dévelop­pés en arrière plan, le con­fir­ment également.

En regar­dant tout cela, alors que nous nous diri­gions vers les élec­tions de fin 2014 et 2015, il y a eu des man­i­fes­ta­tions à Kobanê, et quand nous regar­dons les dossiers de cette époque, nous voyons qu’il y a une sur­veil­lance des gangs de Daech, mais avec une poli­tique dif­férente. Quelle est cette poli­tique? “Sur­veillez-les, enreg­istrez-les, mais ne les touchez pas”. Ils ne les touchent pas. De temps à autres, ils font des opéra­tions osten­ta­toires et exagérées, mais il n’y a pas d’opéra­tions visant à neu­tralis­er ces per­son­nes. Celles-ci, dès le début de 2015, dévelop­pent des struc­tures cel­lu­laires dans Antep et pré­par­ent des matéri­aux et explosifs. À l’ap­proche des élec­tions du 7 juin, dans la péri­ode de con­flit entre l’op­po­si­tion et le pou­voir, autour de Kobanê, la coopéra­tion du gou­verne­ment [avec ces per­son­nes] ne cesse de s’améliorer.

Nous con­sta­tons dans les dossiers de la péri­ode pré-élec­tions, com­ment la poli­tique d’u­til­i­sa­tion du Daech comme moyen de créer le chaos et la peur en Turquie, s’est exer­cée, étape par étape. Cela a com­mencé avec l’at­ten­tat du 5 juin. Demir­taş est à la tri­bune, le HDP fait son meet­ing et le tueur envoyé par Ilham Bal­lı com­met l’at­ten­tat de Diyarbakır. Ce n’est pas une coïn­ci­dence. Nous pou­vons main­tenant com­pren­dre à par­tir des doc­u­ments du dossiers, que ce tueur nom­mé Orhan Gön­der a per­pétré l’at­ten­tat sous la sur­veil­lance de l’État.

Les tueurs qui ont pré­paré l’at­ten­tat d’Ankara du 10 octo­bre, ont égale­ment été traqués lors de leur achat de nitrate d’am­mo­ni­um. Le bureau du gou­verneur d’Ankara ordonne por­tant la sup­pres­sion des con­trôles à toutes les fron­tières durant la nuit où des “bombes humaines” arrivent à Ankara. Kobanê est bien le proces­sus par lequel la rela­tion entre l’E­tat islamique et les cen­tres de pou­voir en Turquie s’est dévelop­pée très claire­ment. Ces dossiers ne devraient pas être analysés indépen­dam­ment. Le prin­ci­pal objec­tif de l’u­til­i­sa­tion de l’ap­pel­la­tion “Kobanê” pour les enquêtes et arresta­tions visant à élim­in­er l’op­po­si­tion, est de cou­vrir et d’in­vers­er ces crimes.

• Les respon­s­ables poli­tiques du HDP sont tenus coupables de la mort de 37 per­son­nes, mais le dossier ne com­pre­nait même pas de rap­ports du Bureau du médecin légiste con­cer­nant les morts. Les avo­cats ont dit qu’il n’y avait aucun lien avec les accu­sa­tions. Y a‑t-il suff­isam­ment de preuves dans le dossier Kobanê, pour diriger l’ac­cu­sa­tion de “ten­ta­tive de meurtre inten­tion­nel”, qui fait l’ob­jet de lour­des con­damna­tions, vers une per­son­ne ou une institution ?

Dans le cas du procès d’actes tels que meurtres, blessures ou détéri­o­ra­tion de biens, ‑qui, d’une part, peu­vent être de nature judiciaire‑, la rela­tion de causal­ité entre l’au­teur et les preuves doit être établie. Les preuves de cul­pa­bil­ité, les preuves des actes com­mis, doivent être con­crète­ment révélées. Seules de vagues déc­la­ra­tions vari­ables selon les témoins, ‑et n’en par­lons même pas, de “témoins secrets“3, ne sont pas suff­isantes. Dans le cas d’un meurtre, lorsqu’il est ques­tion de deux, trois déc­la­ra­tions de témoins, on ne peut même pas dire: “cette per­son­ne a com­mis ce meurtre”, ou encore “ce meurtre a été com­mis de telle façon”. Le proces­sus juridique ne fonc­tionne pas comme cela. Qui a tué tant de per­son­nes ? L’E­tat n’en­quête pas sur cette ques­tion. Il ne fait que recueil­lir des preuves matérielles de décès, et seules celles qui l’arrangent. Et même cela, il le fait à moitié. Il n’y a aucun rap­port d’au­top­sie. Peut-être que dans ces rap­ports d’au­top­sie, les véhicules qui ont causé les morts pour­raient point­er l’E­tat. Qui sait, peut-être, une balle extraite du corps d’une vic­time, viendrait-elle de l’arme d’un polici­er… Tout cela n’a pas été étudié. Les rap­ports d’au­top­sie mèn­eraient à l’au­teur. Ils essayent d’éviter cette détec­tion. Tout en évi­tant l’i­den­ti­fi­ca­tion de l’au­teur, ils affir­ment: “les respon­s­ables du HDP ont fait un appel, c’est eux qui ont incité à la violence.” 

Dans de tels cas, il y a “crime d’inci­ta­tion”, mais l’in­sti­ga­teur doit faire pass­er l’au­teur à l’ac­tion. Il doit y avoir une rela­tion entre l’in­sti­ga­teur et l’au­teur. Vous devez expos­er cette rela­tion. Demir­taş, la direc­tion du HDP, ou le Comité exé­cu­tif, a pris une déci­sion et appelé à pro­test­er con­tre les attaques de Daech. Vous dites: “Ce sont les insti­ga­teurs”. C’est une accu­sa­tion poli­tique, mais, selon le Droit, vous ne pou­vez pas le faire. Lorsque vous essayez d’établir réelle­ment le lien de causal­ité, vous vous basez sur des preuves. Vous allez jusqu’au min­istère de l’In­térieur, parce que ceux qui sont chargés d’in­stituer la sécu­rité sont le min­istère des Affaires intérieures et les agences de sécu­rité et du renseignement.

Dans quelle posi­tion étaient-ils au cours de ces événe­ments? Lequel fai­sait quoi et où. Cela doit être étudié. C’est juste­ment pour ne pas enquêter sur cela qu’ils ont pré­paré et présen­té un acte d’ac­cu­sa­tion grossier, con­tenant des charges vagues et défor­mées. Cela n’a rien à voir avec un proces­sus judi­ci­aire. Ce sont des fadais­es. Si vous observez de près, 27 des per­son­nes mortes,  sont des mem­bres du HDP. Les mem­bres du HDP se seraient-ils tués entre eux ?

• Il est annon­cé que dans la péri­ode à venir, le procès Kobanê serait mené à par­tir des témoins secrets. Dans l’acte d’ac­cu­sa­tion fig­urent plusieurs déc­la­ra­tions de témoins secrets ou iden­ti­fiés, or sont apparues des con­tra­dic­tions, du con­tenu des déc­la­ra­tions à la façon dont elles ont été prises…

Si nous voulons par­ler d’un procès équitable et démoc­ra­tique, il ne peut être ques­tion d’un con­cept comme “témoin secret”. Si vous pensez que son témoignage peut met­tre une per­son­ne en dan­ger vous la placez sous pro­tec­tion. Avant tout, le témoin doit pou­voir être inter­rogé par les deux par­ties. Deux­ième­ment, lorsque les témoins font leurs déc­la­ra­tions, ils doivent décrire l’événe­ment, en son temps et en son lieu, et non en livr­er leurs com­men­taires, vagues, qui répè­tent les dires des uns et des autres, ce qu’ils ont enten­du, lu.… Si vous observez les dépo­si­tions des témoins de ce dossier, vous ne voyez rien de tel. Les témoins sont absents des lieux et des faits. Ils ne font qu’ac­cuser, de cette façon “Demir­taş est par­ti là, il a reçu des instruc­tions, il est revenu.” Alors nous deman­dons “étiez-vous avec lui ? Où a‑t-il fait cela ? Qui d’autre était présent à ce moment ? Avez-vous une date ou une heure ?”. Rien de tout cela n’existe.

• Avec quoi liez-vous cette méth­ode et pra­tiques de “témoin secret”, en ter­mes d’origine ?

Ce n’est pas une nou­veauté dans l’his­toire de la Turquie. Cette pra­tique a existé déjà dans les Tri­bunaux de sûreté de l’É­tat, pen­dant la péri­ode du coup d’É­tat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980. Le terme de l’époque n’é­tait pas “témoin secret”, mais “témoin de con­fes­sion”, “repen­ti”. Aujour­d’hui, c’est légitimé. La pra­tique est dev­enue telle qu’elle est con­stam­ment util­isée à l’é­gard de celles et ceux qui sont con­tre le pou­voir, y com­pris dans l’af­faire Ergenekon. Dans la série des alliances de l’AKP,  c’est util­isé égale­ment dans les procès con­cer­nant la Con­frérie de Gülen. Ils égale­ment usé de ces méth­odes, les uns con­tre les autres, tel un lan­gage que nous con­sid­érons illégitime et sale. Un témoin secret n’est pas une preuve, il est util­isé dans les procès où il y a con­spir­a­tion et toutes sortes de supercheries. En fait, cela sig­ni­fie : “Je ne trou­ve pas de preuves matérielles, mais je veux vous con­damn­er”. La divul­ga­tion d’ab­sence de preuves con­crètes est la con­fir­ma­tion de l’ab­sence de pos­si­bil­ité d’ac­cu­sa­tions. C’est une indi­ca­tion que les accu­sa­tion ne peu­vent être portées à l’en­con­tre du HDP et des per­son­nes iden­ti­fiées comme accusées.

• Le dossier com­prend de nom­breuses par­ties, du MIT au cab­i­net du Pre­mier min­istre, du min­istère de la Jus­tice au min­istère de l’In­térieur. Pen­dant les protes­ta­tions, Le Pre­mier Min­istre et le min­istre de l’In­térieur de l’époque, sont en con­tact avec le HDP. Demir­taş l’a expliqué devant la 19e Cour pénale, où est jugé. Le député HDP Sır­rı Süreyya Önder l’a exprimé égale­ment dans la déc­la­ra­tion au bureau du pro­cureur. S’il y a un procès dans le cadre de cette enquête, pourquoi les mem­bres du HDP ont-ils été désignés comme “sus­pects” ? S’il y a crime, n’y a‑t-il pas aus­si une respon­s­abil­ité pour ceux qui sont en con­tact avec les “crim­inels” ?

Nul doute qu’il y est. Ceci dit, les efforts de l’AKP pour que les enquêtes et procès con­tre le HDP soient dans sa pro­pre ini­tia­tive, ont une rai­son. En ce qui con­cerne le con­tact du HDP avec Qandil et le PKK durant le proces­sus de réso­lu­tion 4, dont juste­ment Demir­taş est accusé dans ce dossier, selon qui a l’ini­tia­tive, l’AKP procéderait à sa façon, le MHP autrement… A pro­pos ces procès, ils vivent bien sûr, entre eux, des ten­sions d’ini­tia­tive.  Et nous le voyons très claire­ment ceci : en fait, l’ac­cusé secret de ce procès est en réal­ité, Erdoğan. Si des déc­la­ra­tions, des entre­tiens menés durant le proces­sus de réso­lu­tion, sont amenés dans l’acte d’ac­cu­sa­tion en tant que crime, eh bien ils sont fixés avec doc­u­ments. Tout cela s’est déroulé avec l’ap­pro­ba­tion des insti­tu­tions et des autorités déter­minés par le gou­verne­ment. Ils en étaient con­scients. Ces pour­par­lers devaient avoir lieu afin que les tac­tiques qu’ils ont mis­es en place lors du proces­sus de réso­lu­tion puis­sent aller de l’avant.

Les entre­tiens entre Qandil et Demir­taş et les autres députéEs, et man­dataires sont égale­ment en évi­dence. Ils-elles par­tent touTEs avec autori­sa­tion. D’ailleurs, pour que la poli­tique suiv­ie ne con­stitue pas un crime, la loi n°6551 a été pro­mul­guée. Mais quand nous regar­dons aujour­d’hui, les actes d’ac­cu­sa­tion de ces procès, et cer­taines requêtes de lev­ée révo­ca­tion de man­dat pour les éluEs, il y a des types d’ac­cu­sa­tions qui peu­vent causer des fric­tions entre le MHP et l’AKP.

Le procès visant à la dis­so­lu­tion du HDP, ouvert auprès de la Cour con­sti­tu­tion­nelle, par Bekir Şahin, nom­mé comme pro­cureur de la République à la Cour suprême, le 5 Juin 2020, par le Prési­dent, mem­bre de l’AKP, Tayyip Erdoğan lui-même, a été refusé, par les mem­bres du Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel qui sont pour­tant eux aus­si, nom­més par le Prési­dent, avec le motif “la rela­tion n’a pas été établie entre les actions, et le fait que le HDP soit devenu le noy­au des actions”. Cer­taines per­son­nes ont inter­prété cela comme un con­flit AKP-MHP. Selon vous, quel était l’objectif ?

En fait, les deux forces s’ac­cor­dent sur la liq­ui­da­tion de la poli­tique kurde et celle du HDP. Mais, il y a des dif­férences selon cha­cun, en lien avec leurs pro­pres cal­culs d’in­térêts poli­tiques, sur le tim­ing, la façon d’a­gir et jusqu’où… Dans ces derniers mois, Bahçeli, [le prési­dent du MHP] ne cesse de hurler à pro­pos de la dis­so­lu­tion du HDP. Il a trans­for­mé cette demande en une sévère injonc­tion. Par ailleurs l’AKP a besoin du MHP, et vice et ver­sa. Mais il y a un con­flit d’in­térêts dans cette ques­tion de besoin.

Je pense que l’AKP s’est dit “allons pour la dis­so­lu­tion du HDP, faisons le par la voie judi­ci­aire” et a saisi la Cour con­sti­tu­tion­nelle. Mais il y a des tac­tiques dans les tac­tiques… En ouvrant ce procès, l’AKP a voulu refroidir le feu du MHP. Cepen­dant le rap­por­teur de la Cour con­sti­tu­tion­nelle, les autres mem­bres, ont décidé à l’u­na­nim­ité de rejeter l’acte d’ac­cu­sa­tion. Je con­sid­ère cela comme un proces­sus de diver­sion en rai­son de la con­jec­ture poli­tique. D’une part, l’AKP veut se faire bien voir du MHP, mais d’autre part, il dit: “Que voulez-vous que je fasse ? L’acte d’ac­cu­sa­tion a été ren­voyée”. L’AKP cherche donc à faire per­dur­er le proces­sus, quant au MHP, il s’en­tête à l’imposer.

La bous­cu­lade se pour­suit… Mais il y a tout de même un point impor­tant dans les motifs du rejet de l’acte d’ac­cu­sa­tion : le lien de causal­ité est pointé. Comme on en par­lait tout à l’heure, il y a un motif de refus sig­nalant la néces­sité d’établir les liens de causal­ité entre les cas de décès, blessures et d’autres préju­dices et la poli­tique, les déci­sions et les déc­la­ra­tions du HDP, et de les expli­quer. En fait, cette jus­ti­fi­ca­tion est exacte­ment ce que la Grande Cham­bre de la CEDH souligne.

Cette déci­sion est à la fois con­forme avec cela, et devient un pré­texte pour laiss­er le proces­sus aller au ralen­ti. Je pense que c’est assez dif­fi­cile qu’une nou­velle ten­ta­tive puisse se pré­par­er. Parce qu’avec cette jus­ti­fi­ca­tion, on point­erait qu’une déci­sion de dis­so­lu­tion ne peut être prise avec les mêmes motifs.

Mais en fait, en Turquie, la con­jonc­ture poli­tique évolue très vite. Comme il n’est pas pos­si­ble de sup­put­er quelle sera celle-ci dans les péri­odes à venir, ce ne serait pas raisonnable de se prononcer.

Note de Kedistan

La date du prochain audi­ence est annon­cée par le tri­bunal pour le 3 mai 2021.


Dessin: Ercan Altuntaş

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