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Voilà déjà presqu’un an que Kedistan s’est associé à la campagne de solidarité “Free Nûdem Durak”. Il n’y avait rien de plus logique que de rejoindre cette relance de solidarité pour les prisonnièrEs politiques de Turquie.
Le nom “Nûdem Durak” était apparu sous nos yeux alors que nous entreprenions la traduction d’un journal clandestin, réalisé et conçu entre co-détenues à l’intérieur de la prison de Mardin, en 2016. Notre amie Zehra Doğan y était alors détenue, et fut en pointe dans la réalisation de ce “Özgür Gündem — Geôle”. Nûdem Durak y livra quelques articles.
Imaginez quelle fut notre émotion quand ce numéro manuscrit, réalisé sur papier kraft, arriva entre nos mains. Les deux numéros originaux sont désormais souvent présentés au public, lorsque Zehra expose. Ce sera encore le cas à Berlin, à partir du 26 février, au théâtre Maxime Gorki.
Notre première rencontre avec Nûdem Durak date donc de ce moment où nous nous sommes attelés avec d’autres à traduire ces pages, témoignages de la résistance de femmes emprisonnées en Turquie.
Mais avions nous vraiment besoin de justifier à nouveau cet engagement ?
Comme l’écrivent si bien Joseph Andras et Kaoutar Harchi dans un récent article sur Regards “(..) Nûdem Durak n’est qu’une captive parmi tant d’autres. Il faudrait dès lors parler de chacun, de chacune, épeler les noms un à un, conter les moindres récits, décrire l’entier des familles ; il faudrait ne condamner aucun condamné à l’ombre qui l’étreint déjà. Seulement voilà : il arrive qu’un individu, soudain mis en lumière, donne à saisir l’ensemble qu’il a fait sien. Les gros chiffres nous glissent dessus : les listes révèlent la dictature mais peinent à agripper les cœurs. Donc à dresser les corps. Alors disons Nûdem Durak pour dire d’un même élan tous les détenus : l’écrivain Ahmet Altan, le journaliste Nedim Türfent, l’ancienne élue Leyla Güven, les militants du HDP, les étudiants homosexuels ou encore les dirigeants politiques Selahattin Demirtaş et Abdullah Öcalan (..)”.
Après la campagne de solidarité autour du nom d’Aslı Erdoğan, l’autrice, de celui de Zehra Doğan, l’artiste et journaliste, la chanteuse et musicienne Nûdem Durak, une troisième femme, s’imposait.
Condamnée à 19 années de prison, elle est incarcérée depuis 6 ans déjà. Bien sûr, durant les 5 premières années, ici et là, des artistes, musiciennEs, ont entrepris de la soutenir en chantant pour elle, en lui dédiant des concerts. Quelques télévisions lui consacrèrent un “sujet”.
En 2020, après quelques articles qui parlèrent de Nûdem dans la presse française, un petit collectif de personnalités a pris le relai, autour de l’écrivaine Carmen Castillo, qui accepta de le marrainer. De proche en proche, et internationalement, s’y joignirent des noms connus et moins connus, des auteurs/trices, des artistes, des cinéastes, apportant sous diverses formes un message de soutien.
Vous trouverez ces messages et ces noms sur les deux outils que constituent les comptes “Free Nûdem Durak”, sur Facebook, Twitter, Instagram, et YouTube… (Allez donc de suite renforcer les abonnéEs, pour celleux qui pratiquent).
Ainsi s’est constitué en une année un halo de soutien autour de Nûdem.
C’est en soi déjà une garantie qui la protège un peu. TouTEs les ex-détenuEs témoignent de l’importance de ce halo, et des correspondances qu’il induit, pour la personne et les co-détenuEs. Des associations comme Amnesty et d’autres en ont fait leur pratique. Lors de l’emprisonnement de Zehra Doğan, nous avions nous même impulsé ces envois de courriers et de cartes, qui perdurent d’ailleurs au-delà de sa libération, avec les ex-co détenues.
Cela peut paraître dérisoire face à un Etat totalitaire. Mais c’est une arme qui permet d’informer, de relier, de réconforter, les détenuEs et leurs familles et proches. Il en est de même pour ces “noms” qui jouent un rôle de parapluie.
Aussi ne suffit-il pas de vitupérer contre la répression d’Erdoğan, ou de se faire plus Kurde que Kurde une fois par mois, pour Nûdem et les autres, encore faut-il entretenir ces liens, garder la flamme de la solidarité. Un grand merci à celleux qui l’ont fait depuis un an.
C’est donc ce qu’ont fait les quelques volontaires de “Free Nûdem Durak”, durant cette année où la pandémie a réduit considérablement rassemblements, concerts possibles, rencontres et déplacements.
S’ajoutent à ces difficultés le durcissement tangible, si cela était encore possible, du régime en Turquie, et la continuité de sa politique de criminalisation des Kurdes. Obtenir une libération dans ces conditions relèverait de l’exploit, d’autant que beaucoup de démarches et de “recours” légaux, devant une justice aux ordres, s’épuisent. Même devant des décisions pourtant “contraignantes” de la Cour de Justice Européenne, le régime turc fait la sourde oreille, ou trouve des subterfuges. C’est le cas pour deux prisonniers “otages” emblématiques : Osman Kavala et Selahattin Demirtaş. Un assaut du pouvoir contre le mouvement kurde et ses représentations politiques d’opposition est en cours pour les faire interdire.
Alors Nûdem, affublée du mot “terroriste” parce qu’ayant chanté en langue kurde, n’est qu’un dossier parmi tant d’autres dizaines de milliers.
Et c’est justement pour ne pas oublier ce dossier dans la pile, tout en désignant et dénonçant l’importance de cette pile, que cette campagne de soutien doit perdurer et s’amplifier. Pour soutenir Nûdem, mais aussi décrire cette situation totalitaire, et soutenir touTEs les autres.
Nous nous adressons à celleux parmi nos lecteurs/trices, qui sont aussi auteurs/trices, journalistes, artistes, poètes, pour qu’ils/elles ajoutent leur contribution, à leur manière, selon l’endroit d’où ils/elles parlent, chantent, écrivent, créent… Toutes les idées sont bienvenues. Faites les parvenir à la petite équipe qui existe, via le compte Twitter ou la page Facebook “Free Nûdem Durak” ou, si vous êtes allergiques aux réseaux sociaux, à nous, magazine Kedistan, associé à cette campagne de soutien. Nous transmettrons, et réaffirmerons par la même occasion le premier engagement d’il y a un an, de toute l’équipe de Kedistan.
Et si, par cette voie, nous permettions de faire comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de redonner une voix libre à Nûdem, mais de prendre conscience du fait que la politique répressive et belligérante du pouvoir en Turquie a, et aura, des répercussions en Europe, de facto, que ce soit par les déstabilisations géopolitiques qu’elle entraîne, ou directement par les ingérences de ses groupes affidés, ce serait aussi un pas en avant.
Car c’est d’un certain fascisme dont il s’agit. Celui qui est et celui qui peut venir, l’un cultivant l’autre. Et si pour contrer cette pandémie politique les remèdes sont difficiles à mettre en place, l’humanisme serait un bon début.
International campaign “Free Nûdem Durak”
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Image de Une : Mahn Kloix, Photo juillet 2020