Français | English | Türkçe
Zehra DoÄźan nous parÂle de ces femmes, ses amies codĂ©tenues, en grève de la faim, dans la prison de TarÂsus. Un artiÂcle pubÂliĂ© en turc, sur JINNEWS, le 13 avril 2019.
“Sur ces terÂres, Ă chaque secÂonde, vous ĂŞtes tĂ©moins de l’Histoire. Chaque secÂonde est une lutte pour l’existence. Et, Ă cerÂtains moments parÂtiÂcÂuliers, vous vous dites “j’y suis”. Cette action en est un. Faisons Ă©cho Ă la voix de ces belles perÂsonÂnes qui aiment tant la vie.”
Les prisÂonÂnières se rĂ©veilÂlent avec la clartĂ© du petit matin. Un petit vent famÂiÂliÂer lèche encore les barÂreaux. Les bruits des bottes noirs remÂplisÂsent d’un coup, le quartiÂer. PourÂtant perÂsonÂne ne se lève, ne se met en rang pour l’appel, ni se retourne pour regarder. Ils vienÂnent avec leurs bruits de bottes, ils comptent, ils s’en vont. Ils veuÂlent avant tout, faire senÂtir leur oppression.
L’établissement pĂ©niÂtenÂtiÂaire de TarÂsus, dont la conÂstrucÂtion a dĂ©butĂ© le 11 juilÂlet 2013, est une des plus grandes prisÂons de Turquie. Dans cette prison, qui a fait entenÂdre son nom depuis son pasÂsage Ă l’activitĂ© en 2017, avec les mauÂvais traiteÂments et torÂtures, la rĂ©sisÂtance menĂ©e par les prisÂonÂnières poliÂtiques conÂtre le compÂtage milÂiÂtaire, en rang debout, conÂtre les fouilles Ă nue et les malÂtraiÂtances s’est proÂlongĂ©e durant des mois. Les prisÂonÂnières femmes ont Ă©larÂgi leur rĂ©sisÂtance conÂtre les agresÂsions, les chamÂbres Ă caoutchouc [isoleÂment senÂsoriel], et les lourÂdes torÂtures physiques, et ont ainÂsi rĂ©usÂsi Ă faire cessÂer ces praÂtiques, malÂgrĂ© les sancÂtions de celÂlule d’isolement, et nouÂveaux procès qu’elles ont subis.
Ces prisÂonÂnières, ces femmes dont on a entenÂdu les noms souÂvent avec cette rĂ©sisÂtance, ont ensuite rejoint la grève de la faim iniÂtiĂ© par LeyÂla GĂĽven, dĂ©putĂ©e du HDP pour Hakkari, et co-prĂ©siÂdente du DTK1.
Depuis le 5 janÂviÂer 2019, Menal Temel, NurĹźen Tekin, HatÂice KayÂmak, Dilan Yıldırım, LeyÂla TeyÂmur, DılÂbırin Turgut sont en grève de la faim, et le 3 mars dernier, et des dizaines d’autres femmes les ont rejoint. Je voudrais vous parÂler de quelques unes de ces femmes grĂ©vistes de la faim, grèves menĂ©es dans les geĂ´les oĂą cette rĂ©sisÂtance s’est Ă©largie, qui se comptent en milliers.
Menal Temel
Avec ses cheveux bouclĂ©s bruns, c’est une rĂ©voÂluÂtionÂnaire, toute fine et toute jeune. Elle a rejoint la lutte dès ses 15 ans. Menal est de KızılÂteÂpe, disÂtrict de Mardin. Elle est du mĂŞme pays que UÄźur KayÂmaz, assasÂsÂinĂ© Ă 12 ans par 13 balles de la police. Les enfants granÂdisÂsent tĂ´t, sur ces terÂres oĂą ils sont abatÂtus comme “terÂrorÂistes”. Menal ausÂsi, en est une. Depuis les annĂ©es de l’école priÂmaire, elle a lutÂtĂ©. Elle a fait des fugues pour parÂticiper Ă des protesÂtaÂtions. Elle s’est souÂvent arrĂŞtĂ©e devant la sculpÂture de UÄźur KayÂmaz, plongĂ©e dans ses penÂsĂ©es, et elle a quesÂtionÂnĂ© la vie.
La pĂ©riÂode oĂą Menal s’est faite arrĂŞter par la police Ă Diyarbakır, n’était pas une pĂ©riÂode ordiÂnaire. Quand elle fut placĂ©e en garde-Ă -vue, dans sa rĂ©gion, des bombes exploÂsaient. A Sur, Ă NusayÂbin, Ă Cizre, Dargeçit, Ä°dil, YĂĽkÂsekoÂva et Ă Derik. Peu de temps après son arrestaÂtion, Menal fut conÂdamnĂ©e Ă 7 ans et demie de prison, pour “apparÂteÂnance Ă une organÂiÂsaÂtion illĂ©Âgale”. Au moment de l’annonce de sa conÂdamnaÂtion, la voix de Menal qui protesÂtait devant le triÂbunal, rĂ©sonÂnait dans les couloirs du palais de jusÂtice “L’oppression ne nous intimidera pas !”. Menal a subi des torÂtures des milÂiÂtaires. Elle fut incarÂcĂ©rĂ©e Ă la prison d’Amed [Diyarbakır], puis transÂfĂ©rĂ©e de force Ă la prison de Tarsus.
Elle a une telle voix, Menal… Elle fait naĂ®tre des vents dans le coeur de toutes les prisÂonÂnières qui l’écoutent. Elle attrape chaÂcune, les emporte sur leurs terÂres dĂ©truÂites, brĂ»lĂ©es, pour y semer, avec ses mĂ©lodies, ensemÂble, les grains de la libÂertĂ©. Ce n’est pas pour rien que chaque fois que Menal chante, une enquĂŞte de disÂciÂpline est entamĂ©e.
Aujourd’hui Menal est en grève de la faim. Elle fond de jour en jour. Elle fait ruisÂselÂer, de son cĹ“ur qui bat encore dans son corps affaibÂli, des chanÂsons rĂ©voÂluÂtionÂnaire. Les entendez-vous ?
Dilan Yıldırım
Menal et Dilan sont les grĂ©vistes d’un mĂŞme quartiÂer. Dans chaque quartiÂer deux amies sont souÂvent des meneuses. Dilan est une jeune femme de MuĹź. Quand Menal se met Ă chanter, elle l’accompagne de temps Ă autre. Elle parÂticipe la pluÂpart de temps aux disÂcusÂsions poliÂtiques. Toutes les amies du quartiÂer la taquine, avec son foulard Ĺźutik, entourant sa fine taille. Dilan a l’alÂlure d’une vraie rĂ©voÂluÂtionÂnaire. Elle parÂticipe, en souriÂant, aux chanÂsons que les mères ont comÂposĂ©es pour les grĂ©vistes. Et penÂdant la grève, elle a appris Ă faire des bracelets. Tous les jours elle conÂfecÂtionne ces bracelets en fils colÂorĂ©s, et les offre Ă ses amies comme “cadeau de grĂ©viste”. Ses camaÂrades de quartiÂer garÂdent ces bracelets porÂteurs des soins de ses doigts, de l’éclat de ses yeux, dans leur besace comme souÂvenir, jusqu’à ce que la grève atteigne son but.
Les conÂverÂsaÂtions ordiÂnaires quoÂtiÂdiÂennes sont sur le poids. Matin et soir, lorsqu’elles reviÂenÂnent de l’infirmerie après pesage, leur visÂage se ferme. “Pourquoi donc, je perds si peu ? Ils vont penser que nous manÂgeons…”. Celles qui se chaÂgriÂnent comme ça, Dilan, Menal, HatÂice, NurĹźen, DılÂbırin et LeyÂla, sont les femmes les plus minces de la prison de TarÂsus. Si vous les rĂ©uÂnissiez toutes ensemÂble aujourd’hui, elles ne feraient mĂŞme pas 100 kilos. Avant la grève de la faim, Menal pesait 45 kilos, HatÂice 39, DılÂbırin 43, Dilan 45, et NurĹźen 40 kilos…
Hatice Kaymak
Elle se lève tous les matins très tĂ´t, et fait ses cent pas dans la promÂeÂnade, HatÂice, notre XecĂŞ. Une de celles qui apporÂtent de la couleur au quartiÂer, avec son Ă©tat d’être bourÂdonÂnant, qui ne tient pas en place, et ses ardentes disÂcusÂsions poliÂtiques. Dès que vous la croisez dans la promÂeÂnade, ou sur un lit superÂposĂ©, elle vous attire comme un aimant, avec ses grands yeux. Et elle comÂmence tout de suite Ă parÂler du passĂ© et de l’avenir, de la domÂiÂnaÂtion patriÂarÂcale milÂlĂ©Ânaire Ă l’enÂconÂtre des femmes.
Cette jeune femme qui est en grève de la faim depuis des jours, ne conÂnait pas la fatigue. Tous les jours, du rĂ©veil Ă 7 heures, au soir minuÂit, elle mène des disÂcusÂsions poliÂtiques. ParÂfois, ses amies de quartiÂer la taquinent, et des blagues sur Amed volent dans l’air. XecĂŞ, nĂ©e dans le disÂtrict Dicle de Diyarbakır, a 23 ans. Elle est entrĂ©e dans la lutte penÂdant ses Ă©tudes uniÂverÂsiÂtaires. Et, depuis ce jours elle n’arrĂŞte pas. Pour qu’elle “s’arrĂŞte” ils l’ont emprisÂonÂnĂ©e. Mais comme elle dit, elle est plus active en prison qu’à l’extĂ©rieur. Ils ont conÂdamnĂ©e XecĂŞ pour “apparÂteÂnance” Ă 9 ans de prison. Et l’administration de la prison ouvre souÂvent Ă son enconÂtre des enquĂŞtes disÂciÂplinaires. Pour quelles raisons ? Pour nous, les raisons sont les grands yeux de XecĂŞ. Son regard… Comme on dit Ă Amed, “ne baxisen ma bi meseÂle vardır”, “Si tu regardes comme ça, c’est qu’il y a un problème”.
NurĹźen Tekin
NurĹźen embaume la fleur innoÂcente du Mont SĂĽmÂbĂĽl. Elle est de Hakkari. En prison depuis 11 ans, elle a Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©e Ă 18 ans, conÂdamnĂ© Ă la vitesse de l’éÂclair, pour “apparÂteÂnance et haute responÂsÂabilÂité”. On n’arrive plus Ă compter les dossiers ouverts Ă son enconÂtre. Comme elle a granÂdi sur les flancs du Mont SĂĽmÂbĂĽl, elle s’en souÂvient mieux que tout le monde. Elle garde l’accent de Hakkari mieux que tout le monde. Elle ressent les parÂfums des fleurs mieux que tout le monde. “Je ressens heval“2dit-elle, “je ressens !”. NurĹźen ressent. Elle ressent la vie, elle perçoit la vie qui s’écoule, chaque moment, jusqu’aux plus petites parÂticÂules. Elle sait peut-ĂŞtre mieux que les milÂlions de gens dehors, comme vivre est beau. Cette femme qui Ă allongĂ© son corps dans la faim, aime le Mont SĂĽmÂbĂĽl et ses fleurs de toutes les couleurs, plus que nous toutes. Si vous tenÂdez l’oreille, vous entenÂdrez sĂ»reÂment NurĹźen murÂmurÂer cerÂtaines nuits devant la fenĂŞtre Ă barÂreaux de fer, GulfıroĹź, Le marcÂhand de rose, le poème de Cegerxwin. (Voir la vidĂ©o ci dessous)
Leyla Teymur
LeyÂla est une des preÂmières grĂ©vistes du quartiÂer C‑4. Elle est touÂjours en face de vous, avec son visÂage rond et souriÂant. Que quelqu’une sorte une blague, et LeyÂla rigole. C’est l’amie qui aime rire le plus. Va savoir pourquoi, rire va si bien Ă Leyla.
Comme toutes les amies grĂ©vistes de la faim, LeyÂla est toute jeune. Elle n’a que 22 ans. Elle a Ă©tĂ© mise en garde-Ă -vue Ă Urfa et incarÂcĂ©rĂ©e. Son verÂdict Ă elle ausÂsi, a Ă©tĂ© renÂdu Ă vitesse grand V ; “apparÂteÂnance Ă l’organisation”. Ensuite, elle a Ă©tĂ© dĂ©portĂ©e Ă la prison de Tarsus.
LeyÂla apporte sa joie partout oĂą elle va, et dans la vie, elle n’offre pas de place Ă l’impossible. Elle est conÂvaÂinÂcue de tout cĹ“ur que tout peut ĂŞtre gagÂnĂ© par la lutte, et que l’espoir, la conÂvicÂtion Ă la lutte, est dĂ©jĂ la moitiĂ© de la conÂquĂŞte. Cette femme rĂ©voÂluÂtionÂnaire, qui enlace la vie de toutes ses forces, rĂ©usÂsit Ă ressenÂtir du bonÂheur Ă la moinÂdre brise de la vie. Sa joie de vivre traÂverse les murs en bĂ©ton, et se mĂŞle au soleil du printÂemps qui comÂmence Ă rĂ©chaufÂfer ces terres.
Dılbırîn Turgut
Notre amie jourÂnalÂiste en grève de la faim. Une belle femme qui se fait remarÂquer, ressenÂtir et aimer, par ses proÂpos et actions. Notre comÂpagne de route, toute fine, dĂ©liÂcate et pure. DılÂbırĂ®n, notre camaÂrade tĂŞtue, qui a insistĂ© durant des jours, mĂŞme des semaines, pour parÂticiper Ă la grève de la faim “Moi ausÂsi, j’y suis”.
Elle a un cĹ“ur si beau. Au preÂmier instant oĂą vous faites sa conÂnaisÂsance, avec affecÂtion, vous la prenÂdriez dans votre cĹ“ur, vous rĂ©chaufÂferiez ses mains frĂŞles dans vos paumes.
DılÂbırĂ®n, qui est nĂ©e Ă KerboÂran (Dargeçit), disÂtrict de Mardin, a, malÂgrĂ© son jeune âge, une longue vie de lutte. Elle a appris ce qu’est la lutte, dès le petit âge, par celles et ceux qui rĂ©sisÂtaient aux poliÂtiques de terÂreur annonÂcĂ©es par les bruits de bottes rĂ©sonÂnant dans les rues. FinaleÂment, en granÂdisÂsant, en tant que femme, elle a pris place dans la rĂ©sisÂtance. Après la mort de son père qui Ă©tait muhtar [prĂ©ÂposĂ© du vilÂlage], elle proÂposa sa canÂdiÂdaÂture, et elle fut Ă©lue muhtar. Dès qu’elle pris son serÂvice, elle devint une cible. Suite aux affronÂteÂments qui se dĂ©roulèrent près de son vilÂlage, elle et sa mère furent misÂes en garde-Ă -vue pour “aide et souÂtien Ă l’organisation”. Quelques annĂ©es plus tard, les deux femmes furent conÂdamnĂ©es. DilÂbirĂ®n resÂta en clanÂdesÂtinitĂ© penÂdant 5 ans, puis elle fut capÂturĂ©e et arrĂŞtĂ©e. MainÂtenant, elle ausÂsi, est dans la prison de TarÂsus, en grève de la faim.
Des nouÂvelles rĂ©centes disÂaient que DılÂbırĂ®n vomÂisÂsait du sang. Notre amie jourÂnalÂiste n’est plus que peau et les os.
N’oublions pas que DılÂbırĂ®n, et des milÂliers de prisÂonÂniers et prisÂonÂnières poliÂtiques dĂ©clarÂent que les revenÂdiÂcaÂtions de LeyÂla GĂĽven sont les leurs. Faisons nous l’éÂcho de la voix de ces belles perÂsonÂnes, de ces femmes qui aiment tant la vie.
Zehra DoÄźan
Vous pouÂvez soutenir ces femmes et leurs amies par vos letÂtres et cartes. Vous conÂnaisÂsez leur noms, vous conÂnaisÂsez leur visÂage, voici leur adresse :
TarÂsus Kadın Kapalı CÄ°K
AliÂfakı MahalleÂsi AliÂfakı sokak
TarÂsus – MERSÄ°N
TURQUIE
Et en cadeau, le poème de Cegerxwin, “Gulfıroş” :
Le marchand de rose
En me réveillant de mon sommeil, j’ai vu un marchand de rose,
J’étais très heureux, il échangeait la roses avec le cœur.
Il échangeait la roses avec le cœur.
En nous, il y avait un cĹ“ur remÂpli de douleurs et de blessures
Donc je n’y ai pas cru qu’il Ă©changeait la rosÂes avec le cĹ“ur.
Qu’il Ă©changeait la rosÂes avec le cĹ“ur.
Je me suis vu marchanÂder, [il dit] je ne fais pas d’échange
Celui qui adore la rose, donne sa vie et son cœur.
Donne sa vie et son cœur
Je dis : qui echange sa vie et son cœur avec la rose
Il dit : ceci est du marchandage, ton cœur n’est que douleur
Ton cœur n’est que douleur
J’ai donÂnĂ© mon cĹ“ur et ma vie, mon cĹ“ur cria
Il dit, Ă” CigerxwĂ®n, tu Ă©changeas ton cĹ“ur conÂtre la rose
Tu Ă©changeas ton cĹ“ur conÂtre la rose.
• Vous pouÂvez utilisÂer, partager les artiÂcles et les traÂducÂtions de KedisÂtan en prĂ©Âcisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le traÂvail des auteur(e)s et traductrices/teurs. MerÂci. • Kedistan’ın tĂĽm yayınÂlarını, yazar ve çevirÂmenÂlerin emeÄźine saygı gösterÂerek, kayÂnak ve link verÂerek payÂlaĹźaÂbilirsiniz. TeĹźekkĂĽrÂler. • Ji kereÂma xwere dema hun nivĂ®sĂŞn KedisÂtanĂŞ parve dikin, ji bo rĂŞzÂgirtiÂna maf Ă» keda nivĂ®skar Ă» wergĂŞr, lĂ®nk Ă» navĂŞ malperĂŞ wek çavkanĂ® diyar bikin. Spas. • You may use and share Kedistan’s artiÂcles and transÂlaÂtions, specÂiÂfyÂing the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you. • Por respeto hacia la labor de las autoras y traÂducÂtoras, puedes utiÂlizar y comÂparÂtir los artĂcuÂlos y las traÂducÂciones de KedisÂtan citanÂdo la fuente y añaÂdiÂenÂdo el enlace. Gracias.