Le Premier Ministre Yıldırım a lu dans son intervention des poèmes de Nazım Hikmet [poète turc, communiste révolutionnaire emprisonné, exilé…], Ahmet Arif, [poète turco-kurde de gauche, emprisonné, torturé…], Ahmed Cevad [poète azéri, exécuté par Staline lors des Grandes Purges] et Necip Fazıl [poète et philosophe turc, islamiste et antisémite]
Pour ce faire, il a soigneusement ignoré le caractère militant, totalement étranger à cette “cérémonie nationale” de certains de ces auteurs, les mélangeant allègrement dans un “oecuménisme” censé à la fois de symboliser “l’union nationaliste” et le côté “lettré” désormais de ses représentants “éclairés”.
Dans ce beau mélange, l’ironie est que les participants du meeting ont perçu Ahmed Arif comme Mehmet Akif Ersoy, poète turc, père de l’hymne national turc…
Voici donc la majeure partie (sans les répétitions) de ce discours d’un premier ministre et président du parti présidentiel, l’AKP. Les références constantes à l’histoire de la “guerre d’indépendance” et l’insistance à faire entrer le 15 juillet comme une date dans cette continuité, derrière des phrases dithyrambiques, visent à s’approprier kémalisme et nation, jusqu’alors majoritairement propriété “idéologique” de l’armée et du CHP historique.
Ainsi se fonde devant le “peuple” réuni, l’idée d’une continuité dans la Turquie moderne, entre le fondateur de la République et Erdogan, sa nouvelle figure incarnée… C’est du moins la mythologie que veut dessiner ce discours, en même temps que remplacer l’ennemi d’hier par un autre “agent de l’étranger” et diviseur de la “Nation”… qui, avec des mots à peine voilés pourrait se réincarner dans le “terrorisme” entre les Turcs et les Kurdes, et justifier une nouvelle croisade…
Istanbul écrit donc encore une fois l’Histoire. Tu es autant ému aujourd’hui, que le Sultan Fatih Mehmet l’était en entrant dans Istanbul le 29 mai 1453. Notre Nation est autant pleine d’espoir que Mustafa Kemal l’était en quittant Istanbul dans le vapur Bandırma le 16 mai 1919. Notre Nation est autant courageuse que lorsqu’elle contestait l’ennemi occupant Izmir, sur la Place de Sultanahmet le 30 mai 1919. La Nation turque est aussi enthousiaste qu’elle l’était le 6 octobre 1923, après que l’ennemi soit ‘parti comme il est venu’. Istanbul, tu es belle, autant que tu l’était en élisant un vaillant amoureux de la Turquie, habitant de Kasımpaşa [Erdoğan]. Je te salue de tout cœur Ô ma Nation sacrée. Je salue de tout cœur, chaque quartier, chaque rue, chacun des foyers. Je salue de tout cœur tous les martyrs, mais surtout les martyrs de la démocratie du 15 juillet, pour lesquels nous nous sommes réunis ici. Je salue de tout cœur les familles des martyrs héroïques, qui sont parmi nous aujourd’hui. Je salue les ghazi [blessés] héroïques dont certains sont à l’hôpital, d’autres chez eux, ou parmi nous.
Mon respectable Président de République, je vous salue et je vous remercie pour avoir pris les devant de cette Nation, pour votre posture debout, pour avoir sauvé cette Nation du plus grand danger de ces 100 dernières années.
Je salue de tout cœur, le Président du CHP et tous les membres du CHP, pour avoir pris position, dès les premières heures, contre le coup d’état, et s’être montrés clairement du côté de la volonté nationale [slogan de l’AKP, dernières élections présidentielles]. Je salue le valeureux Président du MHP et tous mes frères ülkücü [‘idéalistes’ — appellation pour les Loups Gris ultranationalistes], pour avoir été, dès les premiers moments, auprès de notre gouvernement, auprès de notre Président de République, en tant que défenseurs inébranlables de la démocratie. Mes frères de l’AKP, mes frères du CHP et MHP, mes concitoyens de différentes opinions politiques, tellement nombreuses que je ne peux toutes les citer, mes concitoyens respectables de tous milieux, je vous remercie tous, pour nous avoir fait venir ici, et fait vivre ce tableau de fraternité magnifique d’aujourd’hui. Je vous remercie pour ma Nation.
Yıldırım a rappelé ensuite qu’il y a 97 ans, le 19 mai 1919, suite à l’occupation d’Izmir, des centaines de milliers de personnes s’étaient déjà rassemblées sur la place de Sultanahmet :
Les prières s’élevaient des minarets, les avions ennemis volaient sur les foules. Mais personne n’a baissé sa tête, personne n’a eu peur de la mort. Halide Edip [femme de lettres turque, femme politique et féministe] est montée sur la tribune et a dit à cette foule magnifique ‘Nous nous allongerons sous la terre, plutôt que de vivre sur la terre, sans honneur’. Voilà, cette Nation sacrée, vit aujourd’hui avec honneur, grâce à ceux qui sont allongés sous la terre avec honneur.
Des avions ont volé sur nous, des chars ont occupé les rues, les terroristes habillés en militaires, de leur armes, ont vomi du sang sur la Nation. Notre Président de la République, notre Commandant suprême, a invité la Nation sur les places. Encore une fois, les prières et les ezan [appel à la prière] ont résonné dans tout le pays, d’un bout à l’autre. Voilà, cette Nation sacrée, à Istanbul, à Ankara, à Izmir, dans les 81 villes a dit la même chose : ‘Nous nous allongerons sous la terre, plutôt que de vivre sur la terre, sans honneur. Nous serons des martyrs, des ghazi.’ Cette Nation qui a écrit l’Histoire à Çanakkale lors de la Guerre de l’Indépendance, a écrit avec le même esprit, l’épopée du 15 juillet. Le 15 juillet est la deuxième Guerre de l’Indépendance. Merci à Allah, grâce à nos martyrs allongés sous la terre avec honneur, nous vivons sur ces terres, avec notre honneur, notre indépendance, et unis avec fraternité, ensemble. Ils allaient soit disant occuper nos terres, déguisés en militaires turcs… Ils allaient soit disant voler la volonté de cette Nation. Allah transforme le mal en bien, et chaque coup d’état qui ne nous tue pas, nous rend plus fort. Comme cela se passe ici.
Nous allons renforcer la réconciliation, la complicité. Nous allons porter la Turquie, avec notre Nation, nos partis politiques, notre société civile et notre leadership. Ce sont ces traitres qui s’immiscaient entre les Turcs et les Kurdes. Nous allons nettoyer ces microbes entre Kurdes et Turcs. Nous allons faire progresser encore plus Inch’Allah, l’entente, la fraternité, la solidarité entre les Turcs, les Kurdes, les Alevis, les sunnites. Nous allons sortir de là, l’organisation séparatiste terroriste qui s’est immiscée entre nous. Nous n’allons jamais donner l’occasion à ceux qui essayent de nous dresser les uns contre les autres, quels que soient leur nature, leur obédience.
Si nous sommes ensemble, il n’existera pas d’embûches que nous ne pourrons pas traverser. Si nous sommes ensemble, si nous sommes la Turquie, ensemble, il n’existera pas de problème que nous ne pouvons pas résoudre. Nous allons protéger comme nos prunelles de nos yeux, cette union historique visible ici, aujourd’hui. Nous allons demander des comptes pour nos martyrs et ghazi, aux membres de cette organisation terroriste. Nous n’allons pas faire des concessions sur la démocratie, nous allons élargir les libertés, nous allons grossir notre économie, nous allons réduire nos ennemis et augmenter nos amis. Le 15 juillet est le jour où la Turquie s’est assainie de ses microbes. Aujourd’hui la Turquie fait du nettoyage. Nous éliminons un par un, tous les éléments qui bloquent l’Etat, engorgent l’économie, et dérangent la Nation.
Que tout le monde le sache, le leader de l’organisation terroriste FETÖ qui a empoisonné la soirée du 15 juillet de notre Nation, reviendra en Turquie et rendra des comptes. Ne vous inquiétez pas, nous serons un, nous seront grand, nous serons vaillants.
Notre Rabia [signe de la main avec 4 doigts, représentant les 4 fondements] est Etat unique, Nation unique, Patrie unique, drapeau unique. Notre drapeau avec croissant et étoile, nous suffit à nous tous.
Dossier spécial : 7 août 2016
Ce dossier nous a semblé nécessaire pour à la fois avoir les éléments factuels et des supports d’analyses, et donner nos parti pris, qui ne sont que les nôtres, afin d’amorcer un débat. En effet, tant dans la diaspora kurde et turque en Europe ou ailleurs que dans les gauches européennes et le mouvement libertaire dont nous sommes proches, ce débat internationaliste est indispensable, puisqu’il rejoint tous les autres sur l’avenir des luttes et la défense des utopies qui nous feront avancer.
Chapitres
- Yenikapı, un pont dans l’histoire de Turquie Décryptages et analyses…
- Le grand meeting de Yenikapı sous la loupe
- Discours de Devlet Bahçeli, Président du MHP
- Discours de Kemal Kılıçdaroğlu, Président du CHP
- Discours de Binali Yıldırım, Premier Ministre
- Discours de Recep Tayyip Erdoğan, President de la République
- Yenikapı : la réponse de Selahattin Demirtaş
Annexes
et bien d’autres…
Notamment sur Susam Sokak pour ses analyses, le blog d’Etienne Copeaux….
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