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Sur requête de la Cour européenne des droits humains (CEDH), devant lequel une demande d’ex­a­m­en de dossier avait été portée, le gou­verne­ment turc a recon­nu que la pré­somp­tion d’in­no­cence de la jour­nal­iste Zehra Doğan avait été vio­lée, et a infor­mé qu’il verserait pour cela une indem­ni­sa­tion de 1 350€.

L’af­faire, qui avait été amenée devant la CEDH, à la demande des avo­cats de la jour­nal­iste et artiste Zehra Doğan, a été tranchée par une requête, le 17 mars 2022, et la Turquie incitée à vers­er une indem­ni­sa­tion. Il a été admis par l’É­tat turc, pour ce cas, que les per­son­nes con­damnées pour “pro­pa­gande pour une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, n’en pou­vaient être qual­i­fiées pour autant de “ter­ror­istes” ou de “mem­bre d’une organ­i­sa­tion illé­gale”, si le chef d’ac­cu­sa­tion avait été retiré, et que des pra­tiques de l’ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire et du juge d’exé­cu­tion des peines, qui étaient allées dans le sens inverse, con­sti­tu­aient “une vio­la­tion de la pré­somp­tion d’in­no­cence”.

Il s’ag­it d’un argu­ment de droit qui relève de la logique même, et du principe égale­ment de l’in­di­vid­u­al­i­sa­tion des peines.

Il s’ag­it là, d’un prob­lème extrême­ment général­isé dans les pris­ons turcs. Et la majeure par­tie des juge­ments où il est “évo­qué”, sans preuves apportées, l’ap­par­te­nance à “organ­i­sa­tion” et donc le “ter­ror­isme” selon l’E­tat turc, con­duisent à empris­on­nement dans des quartiers de sécu­rité, sans pos­si­bil­ité de béné­fici­er du droit de trans­fert dans une prison plus “ouverte”.

En 2015 ‑2016, Zehra Doğan, une des fon­da­tri­ces et éditrice de l’A­gence de presse fémin­iste JINHA, a cou­vert les événe­ments à Nusay­bin sous cou­vre-feu. L’a­gence fut inter­dite et fer­mée par un décret-loi fin octo­bre 2016. Quant à Zehra, elle fut arrêtée le 23 juil­let 2016, jugée, con­damnée et empris­on­née pour “pro­pa­gande”. Elle fut libérée le 24 févri­er 2019 de la Prison fer­mée pour femmes de Tarse, après avoir ter­miné sa peine de près de 2 ans, 9 mois et 22 jours.

Cepen­dant, pen­dant la péri­ode où Zehra était en prison, ses droits tels que “le trans­fert dans une prison ouverte” furent blo­qués, sous dif­férents pré­textes. On demandait à Zehra, de soumet­tre une let­tre-requête, indi­quant “qu’elle avait quit­té l’or­gan­i­sa­tion illé­gale, et n’en était donc plus mem­bre” et qu’elle “souhaitait quit­ter le quarti­er des pris­on­nières poli­tiques”. Ce qui revient à deman­der à une per­son­ne qui n’est pas mem­bre d’or­gan­i­sa­tion aucune, de “quit­ter l’or­gan­i­sa­tion” dont elle n’est pas mem­bre, pour attein­dre ses droits. C’est sur cette base que son avo­cat Olguner Olgun sol­lici­ta la CEDH, tout en soulig­nant que ces pra­tiques général­isées dans les pris­ons turques, cor­re­spon­dent à des vio­la­tions de la pré­somp­tion d’innocence.

La CEDH a trans­mis la recon­nais­sance de cette vio­la­tion de droits au gou­verne­ment de la République de Turquie. Le gou­verne­ment, en pub­liant une “déc­la­ra­tion uni­latérale” deman­da l’a­ban­don de la requête, tout en annonçant admet­tre la vio­la­tion de la pré­somp­tion d’in­no­cence, et qu’une indem­nité de 1350€ serait ver­sé pour Zehra Doğan. Les avo­cats de la jour­nal­iste, attirèrent l’at­ten­tion sur le faible mon­tant de l’in­dem­ni­sa­tion. Zehra et ses avo­cats soulignèrent égale­ment qu’ “il serait bien plus effi­cace que la Cour prenne une déci­sion pour résoudre les vio­la­tions sys­té­ma­tiques de la Con­ven­tion européenne des droits humains en Turquie”.

La CEDH, en revanche, jugea en una­nim­ité, que le gou­verne­ment turc ayant accep­té de recon­naître la “vio­la­tion”, il n’é­tait pas néces­saire de pour­suiv­re l’ex­a­m­en de la demande, mais il déclara pour­tant, que “l’in­dem­ni­sa­tion offerte par le gou­verne­ment face à la vio­la­tion des droits énon­cés dans la Con­ven­tion n’é­tait pas suff­isante”.

Selon Me Olguner Olgun, bien que le gou­verne­ment empêche la for­ma­tion d’une jurispru­dence con­traig­nante, la déci­sion de la CEDH est un guide pour les admin­is­tra­tions péni­ten­ti­aires et les autorités judi­ci­aires pour des sit­u­a­tions sim­i­laires : “Nous préfére­ri­ons qu’une déci­sion soit prise par la CEDH qui chang­erait fon­da­men­tale­ment les pra­tiques con­traig­nantes et illé­gales de toutes les autorités judi­ci­aires, néces­si­tant peut-être des arrange­ments juridiques”. Il insiste, “Ce cas n’est pas un prob­lème isolé ou sin­guli­er, dans le régime des exé­cu­tions des peines, mais une illé­gal­ité sys­té­ma­tique et struc­turelle, pra­tiquée d’une façon générale dans les pris­ons. Mais, en accep­tant et noti­fi­ant, par une “déc­la­ra­tion uni­latérale”, que la pré­somp­tion d’in­no­cence avait été vio­lée, et avec l’an­nonce d’une indem­ni­sa­tion, le gou­verne­ment a devancé et évité qu’il y ait une une jurispru­dence tech­nique­ment con­traig­nante à l’is­sue d’un juge­ment. Cepen­dant, nous pen­sons tou­jours que la déc­la­ra­tion d’ac­cep­ta­tion du gou­verne­ment et la déci­sion de la CEDH sur cette base seront un guide pour des sit­u­a­tions sim­i­laires, auprès des admin­is­tra­tions péni­ten­ti­aires et les autorités judiciaires .”

Les recours devant la CDEH, dont les juge­ments sont con­traig­nants pour les mem­bres du Con­seil de l’Eu­rope, dont la Turquie est mem­bre, sont en per­ma­nence con­tournés par le régime, qui utilise toutes les arguties juridiques pour ce faire, comme ici, en devançant la final­i­sa­tion du juge­ment, afin d’éviter un effet jurispru­dence. Sur d’autres dossiers, lorsqu’il s’ag­it de deman­des de libéra­tion, la Turquie n’obtem­père pas, en arguant d’autres chefs d’ac­cu­sa­tions en cours, comme pour Sela­hat­tin Demirtaş.

Rétroac­tive­ment par exem­ple, le cas de Zehra Doğan peut s’ap­pli­quer dans le dossier Özgür Gün­dem, tou­jours ouvert, et dont les accusé.e.s ont vu leurs dossiers séparés, regroupés, au fil des instruc­tions et procès, comme pour Aslı Erdoğan. Cela n’a empêché aucun des empris­on­nements dans des geôles à sin­istre réputation.

La façade du Droit est ain­si mise en avant dans les pires auto­craties, qui tien­nent tou­jours à présen­ter un vis­age “démoc­ra­tique”, devant les ruines de son inJus­tice per­ma­nente.


Image à la Une : Une instantanée lors de l’exposition de Zehra Doğan à Angers, janvier 2018.

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