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Roza Metî­na est une écrivaine kurde orig­i­naire de la ville de Derik, dans la province de Mardin. Nous la ren­con­trons à Diyarbakır, dans la café de la rue des Arts, un jour de print­emps où la pluie tombe à torrents.

Com­ment avez-vous com­mencé à écrire ?

J’ai com­mencé la lit­téra­ture très jeune. Mais dans les écoles publiques, nous n’avons pas la chance d’avoir un enseigne­ment dans notre langue mater­nelle, nous avons du suiv­re notre sco­lar­ité en turc. Pour cette rai­son nous n’avons pas eu la pos­si­bil­ité de lire et écrire dans notre langue mater­nelle. Oui, bien sûr lorsque j’ai com­mencé l’é­cole je con­nais­sais ma langue, parce que nous par­lions en kurde dans notre famille. A vrai dire tout le monde n’a pas eu la même chance que moi, la plu­part des Kur­des sont, du fait de l’op­pres­sion de l’É­tat, dans les engrenages de l’as­sim­i­la­tion et ne par­lent pas leur langue mater­nelle à la mai­son. Moi, je par­lais, mais comme l’en­seigne­ment était en turc, mes pre­miers poèmes, mes pre­mières com­po­si­tions étaient en turc. J’ai fini le lycée à Derik, puis j’ai fait mes études uni­ver­si­taires à Amed (Diyarbakır).

A l’époque ici, il y avait des cours de kurde au cen­tre Kur­dî-Der. J’ai com­mencé à les fréquenter, pour l’ap­pren­dre. Par­ler une langue est une chose, la lire et l’écrire c’est dif­férent. Je ne savais pas lire en ma langue mater­nelle, ni écrire… Plus tard, l’as­so­ci­a­tion fut fer­mée par décret, comme beau­coup d’autres ici… La plu­part des struc­tures qui oeu­vraient dans le domaine de la cul­ture, de la langue, furent ain­si fer­mées. J’ai donc com­mencé l’apprentissage au cen­tre Kur­dî-Der, et ensuite j’ai com­mencé à écrire en kurde. Parce que je me suis ren­due compte de ceci : la langue dans laque­lle tu écris, tu t’en sers. Tu rêves dans la langue avec laque­lle tu écris. Durant des années j’ai été écrasée sous la langue turque, durant des années mon iden­tité, mon exis­tence ont été attaquées. Alors, je n’ai pas voulu con­tin­uer à écrire en turc, j’ai voulu faire un nou­veau départ avec le kurde. Parce que dans la lit­téra­ture kurde il y a des noms pré­cieux. Comme Mes­ture Kur­dis­tani… C’est une femme kurde remar­quable dans l’his­toire du Moyen-Ori­ent. Je peux citer Ahmed‑ê Xani, Cigerxwîn, Baba Tahire Uryan… Ces auteurs sont des clas­siques non seule­ment de la lit­téra­ture kurde mais aus­si mon­di­ale. Je me suis beau­coup inspirée d’eux et ma langue suf­fit en vérité à exprimer tout. Je me dis dit “j”ai une langue puis­sante, une lit­téra­ture forte, pourquoi ne servi­rai-je pas ma pro­pre littérature ?”


Tu rêves dans la langue avec laquelle tu écris.

 

De nom­breuses recherch­es mon­trent que les pre­mières formes lit­téraires trou­vent leur sources dans ces ter­res. Ici, c’est une région très riche, où com­mence l’His­toire. Lorsqu’on l’ob­serve sous cet angle, nous pou­vons dire que la lit­téra­ture kurde con­stitue en quelque sorte un des fonde­ments de la lit­téra­ture mon­di­ale. Mais nous regret­tons tou­jours une chose : “Pourquoi la lit­téra­ture mon­di­ale ne s’ap­pro­prie pas la lit­téra­ture kurde ? Pourquoi l’ig­nore-t-elle, et ferme-t-elle les yeux sur les oppres­sions qu’elles subit ?” Par exem­ple Hasankeyf… Du point de vue de l’His­toire, c’est un lieu très pré­cieux. Et mal­gré le fait que le vil­lage ait été sous la pro­tec­tion de l’UNESCO, toute cette par­tie de l’His­toire est aujour­d’hui sous les eaux. Je pense qu’en réal­ité, là, ce n’est pas seule­ment l’His­toire kurde qui est inondée, mais l’His­toire du monde. Nous regar­dons le monde. Nous voyons qu’ils dis­ent “nous con­damnons, nous dénonçons”, mais rien n’est fait dans la pra­tique. Vrai­ment, pour que la lit­téra­ture kurde, et par con­séquent la lit­téra­ture mon­di­ale puis­sent être pro­tégée, des mesures doivent être prises.

Roza Metina Segose çargose

Sur quoi écrivez-vous ?

Lorsque j’ai com­mencé à écrire dans ma langue mater­nelle, ça a été d’abord de la poésie. J’ai trois livres de poésie en kurde. Mes poèmes par­lent aus­si bien sur l’amour que sur la lutte des kur­des, ou encore autour de la femme… Et un con­te, que j’ai écrit pour les enfants. “Sêgoşe û Çar­goşe” (“Le tri­an­gle et le car­ré”). cette his­toire con­cerne le développe­ment des enfants, et leur par­le des couleurs, d’ami­tié, mais aus­si d’hy­giène… En quelque sorte une his­toire éducative.

Je n’ai pas écrit de romans, mais par ailleurs, j’ai reçu qua­tre prix pour mes nou­velles. Celles-ci par­lent de femmes qui ont per­du leur vie, dans la lutte pour la lib­erté. Par exem­ple, j’ai écrit sur Mère Tay­bet. Le corps de cette femme est resté dans la pous­sière de la rue à Cizre, durant sept jours. Pou­vez-vous l’imag­in­er ? Une femme meurt, sa dépouille reste au sol, et ses enfants ne peu­vent faire autre chose que de la sur­veiller de loin, avec la peur que les chiens vien­nent manger le corps… J’ai écrit sur Cemile. Encore enfant, Cemile a été tuée devant la porte de sa mai­son, alors qu’elle allait chercher du pain. Sa mère a du met­tre sa dépouille dans le con­géla­teur pour qu’elle ne pour­risse pas durant la péri­ode du cou­vre feu. J’ai écrit sur Sevê, Pak­ize et Fat­ma, trois femmes poli­tiques tuées à Silopi, tout comme les trois femmes kur­des assas­s­inées en France. En réal­ité, le fait que trois femmes soient visées ain­si n’est pas anodin. Ce type d’at­taque vise la lutte des femmes dans le monde entier. Imag­inez un pays, où les voleurs se promè­nent mais les poli­tiques sont arrêté.e.s, assassiné.e.s. Il n’est pas dif­fi­cile de devin­er ce qui peut se pass­er. Tout cela est poli­tique. Ce sont des mesures qui visent la lutte de libéra­tion kurde.

Votre écri­t­ure est donc ancrée dans le présent…

Ecrire sur l’his­toire et écrire le présent sont des choses dif­férentes. Je pense écrire le présent bien mieux. Pourquoi ? Parce que je le vis. Il s’ag­it de choses que j’ai vues de mes pro­pres yeux. J’au­rais pu aller plus en arrière, écrire par exem­ple sur le mas­sacre de Der­sim en 1938. Mais j’ai voulu écrire sur des choses dont je suis un témoin vivant.

Nous, les Kur­des, lorsque nous écrivons, nous le faisons aus­si pour lut­ter con­tre l’ou­bli. Par exem­ple je voulais écrire sur ces femmes, pour que leurs assas­si­nats ne soient pas oubliés. Il est impor­tant égale­ment de refléter les réal­ités telles qu’elles sont. Nous regar­dons vers le passé, mais les faits ne sont pas tou­jours trans­mis du bon point de vue, et sou­vent ils sont relatés de manière erronée. Cha­cun les a inter­prétés selon sa pen­sée. Mais aujour­d’hui, nous trans­met­tons ce dont nous sommes témoins, dans sa plus grande nudité. Pour que ce ne soit pas oublié, que notre tra­vail trou­ve sa place dans les archives. Nous ser­vons en même temps la lit­téra­ture kurde, parce que nous écrivons en kurde.

Nous, les Kurdes, lorsque nous écrivons,
nous le faisons aussi pour lutter contre l’oubli.

 

Pour vous, y a‑t-il un lan­gage des femmes kur­des dans la lit­téra­ture kurde ?

A notre époque où, les femmes kur­des écrivent par­ti­c­ulière­ment de la poésie. Les thé­ma­tiques qu’elles abor­dent sont très divers­es. Il y des femmes qui écrivent des nou­velles, mais peu sont romancières.

Pourquoi ?

Lorsqu’elles com­men­cent à écrire, elles doivent faire face aux pres­sions de la société et du sys­tème. Elle n’ar­rivent pas à trou­ver la pos­si­bil­ité de s’ex­primer dans les dif­férentes formes de la lit­téra­ture. C’est lié aus­si à l’ab­sence d’é­d­u­ca­tion en langue mater­nelle dans ce pays.

De façon plus générale un des prob­lèmes dans ce pays, c’est que la pop­u­la­tion ne lit pas beau­coup. Les dirigeants et les médias por­tent une respon­s­abil­ité impor­tante dans ce con­stat. Parce que dans les médias, il n’y a qua­si rien pour inciter à la lec­ture, intéress­er les gens à la lit­téra­ture. Le sys­tème est struc­turé autour d’une idée d’in­di­vis­i­bil­ité de la nation, et il est plutôt con­ser­va­teur. Il veut empris­on­ner les femmes à l’in­térieur du foy­er. Vous pou­vez observ­er cela par exem­ple avec la sor­tie de la Turquie de la Con­ven­tion d’Is­tan­bul

Roza Metina Heviyen Dilazad

 

Quelles sont vos activ­ités aujourd’hui ?

Actuelle­ment je vis à Amed (Diyarbakır). Je suis à la fois jour­nal­iste et écrivaine. J’ai tra­vail­lé comme enseignante dans les crèch­es de la mairie, où on pra­ti­quait le mul­ti­lin­guisme ; anglais, kur­mancî, zaza­kî… Suite aux affec­ta­tions d’ad­min­is­tra­teurs (kayyum), ces crèch­es ont été fer­mées. Ces insti­tu­tions fondées pour l’en­seigne­ment de la langue kurde ont été par­ti­c­ulière­ment ciblées. Et de nom­breux enseignantEs ont été licen­ciéEs, par­ti­c­ulière­ment le 21 févri­er, “la journée mon­di­ale des langues mater­nelles” ! Je fus licen­ciée moi aus­si, à cette époque. Ensuite j’ai com­mencé à tra­vailler comme journaliste.

Je suis égale­ment mem­bre du PEN kurde et je fais par­tie de l’ad­min­is­tra­tion de l’As­so­ci­a­tion des lit­téraires kur­des (Kürt Ede­biy­atçılar Derneği), que nous avons fondée. Par­al­lèle­ment je présente une émis­sion lit­téraire sur la chaine des femmes, Jin TV. Je tra­vaille donc active­ment dans les domaines du jour­nal­isme et de la littérature.

Quel lien faites-vous entre l’écri­t­ure lit­téraire et le journalisme ?

Les métiers d’écrivaine et de jour­nal­iste se nour­ris­sent mutuelle­ment. Lorsque je com­pare mon tra­vail précé­dent en crèche et celui de jour­nal­iste, je peux dire que je suis plus heureuse avec ce dernier, parce qu’il me nour­rit, il nour­rit la lit­téra­ture. Le jour­nal­isme nous donne des réflex­es, des mécaniques de lec­ture, d’ob­ser­va­tion, de réflex­ion. Il nous apprend à regarder la lit­téra­ture avec les yeux d’un inves­ti­ga­teur. Dans la lit­téra­ture, la lec­ture et la recherche sont des élé­ments très impor­tants. Pour cette rai­son, je pense que le méti­er de jour­nal­isme a un effet posi­tif sur les métiers littéraires.

Dans votre tra­vail de jour­nal­isme, vous pensez littérature ?

Oui, par exem­ple, nous avons notre agence d’in­for­ma­tion Jin News, et là, il y a une rubrique “plume de femmes”. Lorsqu’on tra­vaille au sein de Jin News, on écrit aus­si pour con­tribuer à cette plume.. Lors qu’il faut relay­er une infor­ma­tion, on peut y met­tre nos pro­pres ressen­tis, tiss­er le texte selon notre libre volon­té. Ce sont des choses qui, en vérité, ren­for­cent notre pro­pre plume. Et pour bien écrire de la lit­téra­ture, il faut pos­séder une plume puissante.

Vous pra­tiquez un jour­nal­isme plutôt lit­téraire ou un jour­nal­isme d’in­for­ma­tion générale ?

L’a­gence a dif­férents départe­ments, cul­ture, lit­téra­ture, plume de femmes, reportages…
Par exem­ple, comme l’a­gence a comme principe de faire du jour­nal­isme “cen­tré sur la femme”, nous inter­viewons plutôt des écrivaines femmes. Tu décou­vres alors son regard sur la lit­téra­ture, com­ment elle écrit, sur quels sujets, com­ment elle nour­rit la lit­téra­ture, et tu gardes tout ça dans un coin de ta tête. Je pense que tout cela enri­chit aus­si ta pro­pre écri­t­ure et donne de la force à ta plume. Plus tu lis, plus tu ren­con­tres des écrivains, plus tu décou­vres dif­férentes approches et écri­t­ures. Cela se reflète, non pas seule­ment dans la lit­téra­ture que tu pro­duis, mais dans ta vie entière.

Roza Metina Bilindahiyen xwedawendQuel est l’é­tat de la lit­téra­ture kurde pour vous ?

Chez nous, il existe une cul­ture des deng­bêj. Et celle-ci est une richesse qui intéresse non seule­ment les Kur­des mais aus­si d’autres per­son­nes. Il s’ag­it d’une lit­téra­ture orale. Dans le temps, rien n’é­tait écrit. Les his­toires étaient trans­mis­es de bouche à oreille, et en stran donc en chan­son. Bien sûr il n’y avait pas la tech­nolo­gie avancée d’aujourd’hui. Je me sou­viens très bien encore, lorsque j’é­tais petite, dans le vil­lage, nous nous asseyions et mon grand-père venait con­ter. Il réc­i­tait des his­toires, chan­tait des strans, à la façon deng­bêj. L’art des deng­bêj est un des fonde­ments de la lit­téra­ture kurde. Si cet art n’ex­is­tait pas, notre cul­ture aurait pu être aujour­d’hui, du fait des oppres­sions, une cul­ture en voie de dis­pari­tion. La langue kurde aurait pu disparaitre.

Je pense que mal­gré les pres­sions et les inter­dic­tions, la lit­téra­ture kurde est en bonne san­té. Si les Kur­des avaient pu par­ler leur langue en toute lib­erté, sans aucune inter­dic­tion, accéder à l’é­d­u­ca­tion dans leur langue mater­nelle, la lit­téra­ture kurde serait aujour­d’hui dans une meilleure con­di­tion. Imag­inez par exem­ple, il existe un jour­nal en kurde, Xwe­bûn, qui est inter­dit dans les pris­ons. Les prisonnier.es kur­des veu­lent lire un jour­nal dans leur langue mater­nelle, mais ce n’est pas per­mis. La plu­part du temps les livres en kurde sont refusés, ren­voyés. Azadiya Welât, un autre jour­nal en kurde, a été fer­mé, son per­son­nel condamné.

Mal­gré toutes les dif­fi­cultés, les Kur­des, les femmes kur­des mènent une lutte impor­tante dans le domaine lit­téraire. Mais cette lutte pour la survie néces­site bien sûr de pay­er un lourd trib­ut. En tant que PEN kurde, nous avons fait des études autour des écrivain.e.s en prison. Actuelle­ment, en Turquie, 77 écrivain.e.s et près de 95 jour­nal­istes sont en prison. La total­ité de ces écrivain.e.s emprisonné.e.s sont kur­des. Et encore, ce sont des chiffres que nous avons pu obtenir avec nos pro­pres moyens, il est pos­si­ble qu’ils soient en dessous de la réalité.

Com­ment voyez-vous l’avenir de la lit­téra­ture kurde ?

Je lie, non pas seule­ment la lit­téra­ture, mais les développe­ments dans les domaines cul­turels et soci­aux, à la poli­tique au Moyen-Ori­ent. Si dans un lieu existe une ten­sion poli­tique, elle se reflète aus­si dans d’autres domaines. Mal­gré cela, je suis con­va­in­cue que l’avenir de la lit­téra­ture kurde sera beau. Car il existe des écrivain.e.s, des poètes et poét­esses kur­des qui pro­duisent des œuvres remar­quables. Ce sont ces œuvres, et tous les travaux menés aujour­d’hui, qui éclaireront le futur. Mais si dans l’avenir la guerre ne cesse pas, la lit­téra­ture restera encore dans l’om­bre de celle-ci.

Et les écrivaines femmes ?

Partout dans le monde monde, les écrivaines femmes subis­sent des oppres­sions, mais au Moyen-Ori­ent, c’est encore plus pronon­cé. Notam­ment parce que la reli­gion est util­isée comme une arme con­tre elles. Les femmes ont bâti les fonde­ments de la lit­téra­ture, mais les hommes ont tou­jours été sur le devant de la scène, et elles der­rière le rideau. Tous ces réc­its, les strans étaient tis­sés en vérité par la langue des femmes. Mais les couleurs des femmes n’ont pas pu être peintes à cause des pres­sions sociales et morales.

Aujour­d’hui oui, il y a des écrivaines kur­des qui lut­tent pour la lit­téra­ture. Par rap­port à avant, elles peu­vent pub­li­er davan­tage de livres, par­ticiper aux travaux dans le champ lit­téraire. Mais mal­gré tout, ce sont encore les auteurs mas­culins qui se trou­vent mis en avant. Partout dans le monde règne la même dom­i­na­tion, celle de l’homme. Dans la lit­téra­ture mon­di­ale, de nom­breuses écrivaines ont été oblig­ées de pub­li­er sous des pseu­dos mas­culins. Il existe des femmes qui ont arpen­té le monde, en se déguisant en hommes.

La men­tal­ité machiste dom­i­nante est la même partout, mais plus forte encore au Moyen-Ori­ent. Je lie ce con­stat aux pris­es de posi­tions inter­na­tionales. Car au niveau inter­na­tion­al, les États veu­lent tou­jours, pour leur prof­it, que le Moyen-Ori­ent soit une mer de sang et de guer­res. Parce que la plu­part des États négo­cient les ventes de leurs arme­ments sur le dos du Moyen-Ori­ent. Sou­venez-vous, comme le nom­bre d’en­fants tués a été impor­tant, lors des attaques sur le Roja­va. Ce sont avec les armes de ces États que ces enfants furent mas­sacrés. Je pense qu’il existe des forces impéri­ales qui ne veu­lent pas que la guerre cesse au Moyen-Orient.

La guerre est en quelque sorte la rai­son du fait que les femmes n’ar­rivent pas pro­gress­er, aus­si bien dans le domaine social, que lit­téraire au Moyen-Ori­ent, qui est con­tin­uelle­ment un lieu de chaos et de guer­res. Dans un endroit en guerre, on ne peut pas avancer. Parce que chacun.e essaye de sur­vivre. Que cela soit la lit­téra­ture, la cul­ture, l’art, tout reste sous l’om­bre de la guerre. Je pense que c’est le cas au Moyen-Ori­ent. De plus, dans les lieux de guerre, les pre­mières cibles sont l’His­toire, la lit­téra­ture. Parce que la lit­téra­ture est un lien très puis­sant. Et dans un con­flit ce sont les choses puis­santes qui sont ciblées. Voilà pourquoi je lie le fait que les femmes kur­des ne soient pas dans une posi­tion bien plus favor­able dans la lit­téra­ture, aux oppres­sions, aux guer­res et aux pris­es de posi­tion des États à l’international.

Roza Metina Tiliya Qerequcke

Est-il dif­fi­cile de trou­ver des maisons d’édition ?

Oui, c’est un autre prob­lème. Ici les maisons d’édi­tion aus­si sont sous pres­sion. Pour les œuvres qui parais­sent en turc, il y a des aides de l’E­tat. Lorsqu’il s’ag­it des livres en kurde, les aides sont inex­is­tantes. Les maisons d’édi­tion kur­des ont alors des dif­fi­cultés. Par exem­ple dernière­ment le pro­prié­taire des Edi­tions J&J, Azad Zal, a été arrêté…

Comme les maisons d’édi­tions kur­des ont des moyens très lim­ités, elles se trou­vent oblig­ées d’im­primer les livres d’une façon “payante”, [ndlr : c’est-à-dire financée par son auteur.e]. Selon moi, ce n’est pas très éthique. En tant qu’auteur.e, tu mets ta sueur dans l’écri­t­ure, et en plus tu dois vers­er de l’ar­gent pour imprimer ce livre… Si les Kur­des avaient un État aujour­d’hui, celui-ci dis­tribuerait des aides et des sub­ven­tions pour les maisons d’édi­tions et auteur.es kur­des. Mais comme ces moyens n’ex­is­tent pas aujour­d’hui, aus­si bien les auteur.es que les maisons d’édi­tions sont en difficulté.

Etes-vous pub­liée dans les revues lit­téraires kurdes ?

Mes textes et poèmes sont pub­liés dans dif­férents jour­naux et revues kur­des. Par exem­ple actuelle­ment, il existe un jour­nal de femmes pub­lié en Europe, Newaya Jin, qui pub­lie mes écrits chaque mois. Par ailleurs, mes poèmes sont pub­liés sur les sites inter­net Bername, Asoya Helbestê. Lorsque le jour­nal Azadiya Welat exis­tait, quelques uns de mes écrits y ont été publiés.

Y‑a-t il une audi­ence pour la lit­téra­ture kurde ?

Ce n’est pas un pub­lic très large, par­ti­c­ulière­ment pour la poésie. Mais il s’ag­it d’un pub­lic atten­tif et excel­lent lecteur. En kurde, ce sont plutôt les romans qui sont lus. Ce con­stat ne con­cerne pas seule­ment la lit­téra­ture kurde. D’une manière générale en Turquie, le nom­bre des lecteurs et lec­tri­ces est faible. Le lec­torat kurde se tient dans une posi­tion médi­ane… Car, l’en­seigne­ment en langue mater­nelle étant absent, la plu­part des Kur­des ne savent pas écrire et lire leur langue.

Ce serait si bien, si il y avait un meilleur lec­torat… Vrai­ment, ce qui définit l’avenir d’un pays, qui l’amène vers la prospérité, c’est le fait qu’il pos­sède une société qui lit. Mal­heureuse­ment la plu­part des dirigeants du Moyen-Ori­ent ne souhait­ent pas une société éclairée… Ils veu­lent des pop­u­la­tions serviles qui acceptent d’être util­isées pour leurs pro­pres intérêts, un trou­peau de mou­tons… Parce que celles et ceux qui ques­tion­nent sont aus­si des rebelles. Ceux et celles qui lisent se tien­nent debout. Et hélas, les sys­tèmes ne veu­lent pas en face d’eux des sociétés éclairées et fortes. C’est pour cela qu’ils pren­nent avant tout les femmes comme cibles et les empris­on­nent entre qua­tre murs, par­ti­c­ulière­ment en instru­men­tal­isant les religions.

Entre­tien réal­isé par Loez, en avril 2021
Pro­pos traduits par Naz Oke


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Loez
Pho­to-jour­nal­iste indépendant
Loez s’in­téresse depuis plusieurs années aux con­séquences des États-nations sur le peu­ple kurde, et aux luttes de celui-ci.