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Nous sommes le 13 août. La Turquie sort-elle de la Convention d’Istanbul ? ou pas ? La décision annoncée est attendue.
En voyant ces femmes de tous âges, de tous milieux remplir les rues et places pour protester, la police s’acharner sur cette masse agglomérée de toutes ses forces, hurlant de toutes ses voix, frapper, trainer par les cheveux, arrêter, en lisant et écoutant les mises en garde des unEs, les déclarations, discours imbuvables, dégoulinant de sexisme et mépris des autres, je passe de la colère au rire, de l’enthousiasme au désespoir.
En gros les femmes disent, “il ne faut plus que nous soyons violentées et tuées”, les autres répondent “si siii !”.
J’adore aussi ; d’un côté on montre du doigt la Pologne pour x raisons, qui, avec ses dirigeants fachos et réacs ont d’ailleurs quitté la même convention, et de l’autre côté on avance son cas comme un exemple a suivre… “vous voyez, même la Pologne, l’a fait. Un pays européen pourtant”.
Il y a quand même un truc historique ! J’ai comme une impression que notre Reis a fait une grosse erreur de carrière. Cédant aux pressions des “confréries” religieuses sectaires les plus bigotes et intégristes, non seulement il a généré des divisions dans son camp, mais aussi il a poussé les femmes de tous bords à se rassembler dans ce dénominateur commun. Dire que je me retrouverais un jour, dans les mêmes rangs que les femmes qui se regroupent autour de Reis et qui, en temps normal soutiennent et répandent son idéologie de femme dont l’objectif premier doit être la maternité… Je ne l’aurais jamais pensé !
Et vous avez des fous furieux politiques ou qui se revendiquent journalistes, analystes, spécialistes, qui vont jusqu’à qualifier joyeusement les femmes qui luttent de “prostituées”. Mélangeant incompréhension et mauvaise foi, ils contestent le principe selon lequel “la déclaration de la femme doit toujours être retenue comme primordiale”, comme si par ce principe, tombant de la bouche d’une femme, cela condamnerait sans procès l’homme qu’elle accuse. Or, ce principe est utile plutôt lors des prises en charge des plaintes des femmes, et contraint à les enregistrer. Très utile même, lors qu’on sait que concrètement le peu de femmes qui osent solliciter les autorités de sécurité et les instances juridiques se trouvent souvent devant des conseils “bienveillants”, qui leur suggèrent de “rentrer chez-elles”, de “s’arranger avec les familles”, et, sans doute influencés par ce qu’ils vivent dans leur propre foyer, précisent que “le mari peut aussi bien frapper que caresser”…
Avec ce principe, les hommes seraient lésés. On s’inquiète alors pour ceux qui sont frappés par leur femme. Je me demande combien de cas de ce type existent, dans cette ère de féminicides et de violence édifiante. On s’inquiète pour les hommes en Turquie contre lesquels des femmes qui, par jalousie, volonté de nuire, feraient de fausses déclarations. La femme serait le diable incarné ! On parle des hommes démunis, car condamnés à des indemnités à vie. Or, la convention n’en parle même pas. Bref, on s’inquiète beaucoup pour les hommes. Le monde à l’envers.
Ces hommes hirsutes s’indignent également sur le paragraphe f de l’article 3 de la convention, qui dit “le terme ‘femme’ inclut les filles de moins de 18 ans”. Ce serait contre notre culture ! Les mêmes déclarent pourtant, avec prêches et fatwas, et même par la bouche du Diyanet, (“affaires religieuses” digne d’un ministère), que les filles peuvent être mariées à partir de 9 ans ! Il faut savoir. Franchement, on dirait qu’ils sont fait de téflon, rien ne leur colle dessus, un jour c’est blanc, le lendemain c’est noir, je retourne la veste du costard en écossais, vas‑y comme ça arrange.
Cette convention n’a bien évidemment pas l’objectif, comme avancé par ses opposants, de “nuire à l’intégrité de la famille”. En parlant de la “famille”, qui serait “sacrée”, je vous demande, de quelle sanctification peut-il s’agir concernant une famille qui contient de la violence en son sein ? Est-il possible de maintenir “l’intégrité de la famille”, en gardant cette violence à l’état tabou, en la laissant s’agrandir et s’étendre encore plus, et abandonner les victimes dans un système patriarcal et machiste, l’autel de la violence physique, sexuelle, psychologique, économique ?
Et bien évidemment, c’est de la responsabilité et le devoir de l’Etat, d’empêcher les violences, de protéger ses victimes quel que soit leur genre, et de punir ses auteurs.
Le fait que la Convention d’Istanbul, pour la protection des femmes, supprime l’obligation de mariage et se base sur le “partage du même foyer”, est interprété comme “en dehors de nos traditions et culture”. Que les pro Reis s’opposent ainsi est compréhensible, vu leur vision sociale et bigote… Le texte qui accentue à plusieurs reprises l’égalité homme-femme, et particulièrement parle du genre social, première fois en Turquie, en énerve plus d’unE qui ne considèrent pas les femmes comme des personnes, encore moins les différents genres. D’où la peur bleue : “ils vont transformer notre Nation en pédés et trans”. Comme si la Turquie respectait à la lettre tous les traités dont elle est signataire, et que celui-ci imposerait l’homosexualité aux hétéros, parce que leur Etat l’a ratifié. Allons bon !
Il y a ceux qui disent “La majorité de la Turquie ne veut pas de cette convention”. Pourtant, une enquête réalisée en août 2020, révèle que 63,6 de la société souhaite que la Turquie y préserve sa place. Ceux qui disent “les hommes sont condamnés injustement”. Non, ce sont les hommes qui pensent posséder le droit de pratiquer la violence, qui pensent qu’ils sont injustement punis. Ce n’est pas la même chose… Ah, il y a aussi ceux qui hurlent “cette convention fut préparée par les forces extérieures ennemies”. Ah ! Ces ennemis de l’extérieur qui reviennent à tout bout de champ ! Pourtant, la Convention d’Istanbul est un traité provenant du Conseil de l”Europe, dont la Turquie est membre fondatrice. Et elle est l’initiatrice et première signataire de ce texte-ci, et le texte fut préparé en coopération avec de toutes les organisations de société civile oeuvrant sur les droits des femmes en Turquie, et suivi par Mevlüt Çavuşoğlu en personne, membre fondateur de l’AKP, député et ministre pendant la période de sa préparation.… Bon, c’est vrai, on nous vantait l’entrée en Europe, autrefois.
Déjà, la Convention d’Istanbul ne fait que donner un cadre juridique pour que les Etats signataires mettent en place des dispositifs adéquats. Donc, à elle toute seule, elle ne règle pas les problèmes de violences. Bien évidemment les mesures et dispositifs sont largement insuffisants en Turquie. Le retrait de cette convention influencerait fortement les dynamiques sociales, et provoquerait la désagrégation totale des équilibres qui sont déjà mal en point, avec dans la balance le renforcement d’une certaine majorité conservatrice… qui vote.
Voici pourquoi les femmes ont gagné les places en courant ces derniers jours, dans de nombreuses villes de la Turquie, pour dire “Nous n’avons pas peur. Nous ne nous tairons pas. Nous protégerons nos acquis”.
Mise à jour du 13 août, en soirée…
Le Reis a signalé dans un discours le 13 août, l’intention du gouvernement de se retirer de la Convention d’Istanbul. Il dit : “une compréhension, une réglementation ou une idéologie qui place une dynamite sur le fondement de la famille n’est pas légitime”, puis ajoute, “La Turquie doit rédiger elle-même de tels traités, plutôt que d’utiliser des ‘textes traduits’”.
Bon, je n’ai plus de salive…
Il n’a pas manqué de critiquer le chroniqueur islamiste pro-gouvernement Abdurrahman Dilipak ‑sans pour autant mentionner son nom‑, sur son article intitulé “Les marguerites de l’AKP” publié en fin juillet dans Yeni Akit, dans lequel l’auteur qualifie les femmes qui luttent pour leurs droits, de “prostituées”.
Nous voilà rassérénées.
Notre Reis offensé, précise que “l’AKP ne restera jamais silencieux face à une telle ‘irrévérence’ visant les femmes du parti” et clame “Au nom de toutes mes (mes?) branches féminines et de toutes les femmes, je condamne ces chroniqueurs qui utilisent une injure que je m’abstiens de dire et qui décrivent les femmes de l’AKP comme des ‘marguerites’…”
Pourtant un ministre de l’AKP, avait bien dit pire que ‘marguerite’, “La femme turque est la déco de sa maison”.
Ankara, hier…
Izmir, il y a quelques jours…
Photo à la Une : MA