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L’A­cadémie de Ciné­ma du Moyen-Ori­ent est une asso­ci­a­tion fondée en 2012 à Diyarbakır pour répon­dre aux besoins des cinéastes kurdes.

Metin Ewr, ancien respon­s­able, ain­si que Zinar Karabaş et Rojhe­lat Aksoy, actuelle­ment en charge de la direc­tion, ont accep­té de répon­dre à nos questions.

Voudriez-vous vous présenter ?

Metin Ewr : J’ai com­mencé le ciné­ma à tra­vers les séries TV en 2009, en arrivant à Amed. J’écris des scé­nar­ios. Avant, j’écrivais des textes de théâtre, dans la com­pag­nie de théâtre du Cen­tre cul­turel Mésopotamie à Adana. Je menais des travaux d’écri­t­ure de scé­nario, de réal­i­sa­tion, et de comé­di­en, en même temps. Lorsque je suis venu ici, la série Ax û Jiyan allait être tournée. Le Kur­dis­tan a subi un géno­cide cul­turel. Dans les films, les Kur­des étaient mon­trés en arrière-plan et présen­tés de manière néga­tive. Nous avons alors pris une déci­sion, “s’il faut réalis­er un film, une série, c’est nous qui con­nais­sons le mieux notre réal­ité, faisons le donc nous-mêmes”. Ce fut une réal­i­sa­tion totale­ment kurde, de l’équipe de régie, aux comédien.nes, pour la pre­mière fois. Les per­son­nages, l’his­toire, tout était kurde. Nous avons réal­isé 52 épisodes. Ensuite, nous nous sommes organ­isés pour que l’équipe rassem­blée ne se dis­perse pas et nous avons fondé l’As­so­ci­a­tion de Ciné­ma du Moyen-Ori­ent. A par­tir de là nous avons mené nos activ­ités ciné­matographiques au sein de celle-ci. Notre objec­tif était de dévelop­per simul­tané­ment le ciné­ma alter­natif et le ciné­ma kurde. Parce qu’en Turquie la sit­u­a­tion est telle, que celles et ceux qui veu­lent faire du ciné­ma ne sont pas soutenu.es par l’État, voire sont empêché.es. Nous avons voulu être une porte ouverte pour remédi­er à cela. Nous soutenons des pro­jets qui pro­posent un ciné­ma qui n’hu­m­i­lie pas les femmes, les enfants, la nature, mais qui les respecte.

Zinar Karabaş : Je tra­vaille dans l’A­cadémie de Ciné­ma du Moyen-Ori­ent depuis 2015. Je me suis inté­grée à un sys­tème déjà en place. Je suis arrivée à une époque où les pas les plus grands étaient en train d’être faits, en plein milieu d’un grand pro­jet de pro­duc­tion. Au début, le fait de tra­vailler dans une ambiance qui appor­tait une vis­i­bil­ité au ciné­ma kurde, à notre ciné­ma, m’a sur­prise, ain­si que les dif­fi­cultés que cela a pu créer, aux­quelles je ne m’at­tendais pas. Arriv­er dans une sit­u­a­tion de créa­tion lourde de sens a créé au début chez moi, beau­coup de con­fu­sion. J’y ai pris part et j’ai dévelop­pé la con­science de ce qu’on pour­rait apporter au ciné­ma kurde, ultérieure­ment, en étant dedans. En entrant dans un pro­jet si sérieux, je me suis ren­due compte que c’é­tait une démarche dif­fi­cile. Tu as gran­di avec le ciné­ma turc, le ciné­ma du monde. Avec tout cela tu développes une con­science en ton for intérieur, et ensuite, tu tra­vailles dans le ciné­ma kurde. Ain­si tu finis par entr­er en con­flit avec toi même : c’est un choc mais qui per­met la com­préhen­sion de cer­taines choses… Tout cela s’améliore avec le temps. Le but de l’A­cadémie est peut être de pro­duire ce choc chez les gens, de les pouss­er à faire un voy­age qui fera pro­gress­er leur pro­pre con­science. Au Bakur, nous sommes une des quelques asso­ci­a­tions de ciné­ma alter­natif. Comme les gens vien­nent et vont, nous essayons de sauve­g­arder la mémoire du tra­vail fait. Com­pren­dre ce que nous faisons et con­stituer cette mémoire, sont aus­si dans les objec­tifs de l’A­cadémie. En essayant de faire vivre l’A­cadémie, nous avons la pos­si­bil­ité, à tra­vers ce que nous y faisons, de for­mer les gens qui la fréquentent. Par ailleurs, tu te trou­ves dans une posi­tion où tu te formes tous les jours, continuellement.

Rojhi­lat Aksoy : Moi, j’ai gran­di à Istan­bul. Tout a com­mencé par la ren­con­tre des ami.es d’i­ci, après l’u­ni­ver­sité, à l’époque de la réal­i­sa­tion de la série Ax û Jiyan. La réal­i­sa­tion de cette série, en kurde, m’a impres­sion­née. Les ami.es m’ont demandé si je voulais rester et tra­vailler ici. Mais à cette époque, j’avais tou­jours dans ma tête, des pro­jets d’é­tudes, de plans de tra­vail et de car­rière… J’é­tais peu pré­parée à cette idée de faire quelque chose pour notre cause, même si ma famille a tou­jours été dans une lutte pour la sauve­g­arde de l’i­den­tité à Istan­bul. Mais je me suis dit, “pourquoi pas ?”. Au lieu de retourn­er à Istan­bul et tra­vailler quelque part… L’idée de cette réal­i­sa­tion ciné­matographique kurde m’a touchée. Avec cette série, j’ai vu comme c’é­tait effi­cace de racon­ter ses pro­pres histoires.

Nous tra­vail­lons depuis 8 ans. Des fes­ti­vals, des longs et courts métrages, des doc­u­men­taires… L’as­so­ci­a­tion ne réalise pas que ses pro­pres pro­jets. Elle est ouverte à tous les peu­ples vivant en Turquie. Les fes­ti­vals don­nent la pos­si­bil­ité de se rap­procher d’autres cinéastes. Avant notre asso­ci­a­tion, d’autres ini­tia­tives exis­taient, par exem­ple, Aram Tigran, au sein de la Mairie Metro­pole de Diyarbakır, Cigerxwin à Kara­pı­nar qui offraient un enseigne­ment supérieur. L’as­so­ci­a­tion est née après. A Istan­bul il y avait le Col­lec­tif de Mésopotamie, Yapım 13. Au Kur­dis­tan, l’A­cadémie de ciné­ma est dev­enue active comme asso­ci­a­tion en 2012 et s’est trans­for­mée en un espace où les cinéastes kur­des se réu­nis­sent et lut­tent pour créer leur pro­pre cinéma.

Tour­nage d’un nou­veau court-métrage par l’équipe de l’as­so­ci­a­tion. (Loez)

Actuelle­ment sur quoi travaillez-vous ?

Rojhi­lat : Avec la sit­u­a­tion actuelle nos travaux sont un peu restreints. L’as­so­ci­a­tion a donc fini de réalis­er la série Ax û Jiyan, ensuite Ref, une série dra­ma, avec 13 épisodes. Ensuite un sit-com, Mari­na. C’é­tait encore une série dont les réal­isa­teurs, technicien.nes, comédien.nes sont kur­des. Après cette série, un film, 14 Tem­muz (14 Juil­let) a été réal­isé sous la direc­tion de Haşim Aydemir. C’é­tait notre pre­mier long métrage, suivi d’un deux­ième Böğürtlen Zamanı (Le temps des mûres). Pour ce film, la dis­tri­b­u­tion, les par­tic­i­pa­tions aux fes­ti­vals seront fait cer­taine­ment cette année. Ensuite, des courts métrages, des doc­u­men­taires ont été réal­isés. C’é­tait plutôt des plus petits pro­jets, car avec l’af­fec­ta­tion d’ad­min­is­tra­teurs (kayyım) dans les mairies 1, cer­taines choses ont changé.

Quoi par exemple ?

Rojhi­lat : Nous organ­i­sions avec les mairies des fes­ti­vals, comme le fes­ti­val inter­na­tion­al du film d’Amed, le fes­ti­val du film doc­u­men­taire d’Amed, le fes­ti­val de film Axdama­ra à Van, le fes­ti­va Yıl­maz Güney, à Bat­man… Ces fes­ti­vals étaient des espaces où les cinéastes pou­vaient se retrou­ver, le ciné­ma kurde pou­vait gag­n­er en vis­i­bil­ité, le ciné­ma d’op­po­si­tion pou­vait être pro­jeté. Avec l’ar­rivée des admin­is­tra­teurs, nos moyens financiers ont dimin­ué. Main­tenant en obtenant des aides et des fonds de l’é­tranger, nous organ­isons des ate­liers, nous avons aus­si réus­si à organ­is­er la 7ème édi­tion du fes­ti­val du film d’Amed en récoltant des fonds à droite et à gauche. Dernière­ment, nous avions pré­paré le fes­ti­val du film Yıl­maz Güney qui devait se dérouler à Bat­man mais finale­ment, un admin­is­tra­teur a été nom­mé à la mairie, là aus­si. Nos travaux se sont arrêtés. Parce qu’en pré­parant le con­tenu, nos choix vont plutôt vers un ciné­ma alter­natif, plutôt opposant, dont la langue est le kurde, la langue des “autres”, et le fait de met­tre en place ce type d’ini­tia­tive avec une mairie dans laque­lle un admin­is­tra­teur est affec­té, devient difficile.

Actuelle­ment, nous avons un sou­tien venu de Cat­a­logne. Nous allons men­er durant un an, des activ­ités d’ate­lier de for­ma­tion dans les domaines du ciné­ma, musique, théâtre, pein­ture, avec des enfants, des jeunes et des femmes. Nous avons réal­isé récem­ment un court métrage dirigé par Ilhan Bakır et un autre par Metin Ewr, il nous reste les étapes post-pro­duc­tion à finaliser.

Com­ment vous organisez-vous ?

Metin : Nous sommes un groupe de bénév­oles. Ici, tout est fait col­lec­tive­ment. Du con­seil d’ad­min­is­tra­tion aux tâch­es pra­tiques, nous sommes dans une démarche col­lec­tive. Nous voyons cet endroit, à la fois comme un lieu de for­ma­tion et un espace où nous essayons de dévelop­per le ciné­ma. Lorsque nous déb­u­tons un pro­jet, nous le faisons ensem­ble, nous dis­tribuons les tâch­es. Certain.es d’en­tre nous ont des spé­cial­i­sa­tions, par exem­ple moi, je m’oc­cupe plus générale­ment de l’écri­t­ure de scé­nario, d’autres ami.es s’oc­cu­pent de l’ad­min­is­tra­tion, ou d’autres de la caméra. Mais, lorsque c’est néces­saire, le réal­isa­teur, la réal­isatrice peut devenir technicien.ne de lumière, ou du son, les scé­nar­istes peu­vent faire le ménage des locaux. Les rôles sont partagés, et dès qu’un vide appa­raît, nous le comblons. En fait, nous n’avons pas la men­tal­ité qui ferait que chacun.e s’oc­cupe d’une chose pré­cise. Tout est fait ensemble.

Pou­vez-vous partager quelques expéri­ences de tournage ?

Zinar : Le plus dif­fi­cile est de créer un envi­ron­nement de plateau col­lec­tif, créer son lan­gage, nous dif­férenci­er du secteur clas­sique du ciné­ma… Ça ressem­ble un peu à du ciné­ma de guéril­la, chacun.e prend par un bout, on s’en­traide. Le dernier court métrage fut dif­fi­cile. C’est notre deux­ième tour­nage en péri­ode de pandémie, dans laque­lle il y a des règles, des men­tal­ités et des sit­u­a­tions qui changent. Tout peut vite devenir con­fus. Peut être que le ciné­ma com­mer­cial s’est adap­té très vite, ou comme il a une approche cen­trée sur le tra­vail, le fait qu’une per­son­ne tombe malade, ne l’in­téresse pas trop, car il peut la rem­plac­er et con­tin­uer son affaire. Chez-nous, c’est dif­férent, plus sen­si­ble. Si une per­son­ne tombe malade à cause de nous, à cause de quelque chose que nous voulons créer, si il arrive quelque chose à quelqu’un… la fatigue par­fois, surtout intel­lectuelle­ment. Le fait de tourn­er un film à Sur2 te tient sans cesse sous pres­sion. C’est lié au thème que nous fil­mons… Oui, nous avons les autori­sa­tions, mais là-bas, il y a une force qui te sur­veille, qui peut inter­venir à tout moment. Là-bas, même avec des autori­sa­tions offi­cielles tu n’es pas for­cé­ment protégé.e. Il y a aus­si la pres­sion de la créa­tion artistique.

cinéma kurde

(Loez)

Filmer en Kurde, est-ce une chose impor­tante pour vous ?

Ils rient et dis­ent tous “oui” en même temps.

Metin : Bien sûr. Parce que tu as con­nu l’as­sim­i­la­tion, l’érad­i­ca­tion de ta cul­ture, tu es renié. Au Bakur, jusqu’en 1995 il n’y avait pas du tout d’édi­tion en kurde. C’é­tait inter­dit. Tu ne pou­vais pas par­ler en kurde à l’é­cole. Dans un vil­lage reculé du Kur­dis­tan, un.e instit’ qui ne par­le pas un seul mot en kurde, y est affecté.e. Les enfants sont tous Kur­des, ne par­lent pas turc. Mais l’in­stit’, qui est dans l’é­cole, représente l’État, l’as­sim­i­la­tion. Ielle éla­bore un sys­tème de puni­tion pour les élèves qui par­lent kurde. Tu vas à la banque, tu ne peux pas, dans les admin­is­tra­tions, tu ne peux pas, ton inter­locu­teur ne te répondrait pas. Même au sein de la famille, tu ressens une oppres­sion. Ton iden­tité, ta cul­ture, ta langue sont reniés. Tu ressens tout cela et tu arrives jusqu’à aujour­d’hui en payant ce prix…

En 1995, Turgut Özal, le Prési­dent de la République à l’époque, a déclaré lors d’une inter­view, “et alors, ma grand mère par­le aus­si kurde”. C’est à la suite de ces paroles, qui ne sont même pas une déc­la­ra­tion offi­cielle, qu’un jour­nal kurde a vu le jour. Pour nous exprimer, nous devons utilis­er notre langue. Même aujour­d’hui, en par­lant le turc, j’ai des dif­fi­cultés. Mais le kurde, ce n’est pas pareil. Ce que je ressens, je le ressens dans ma langue, alors je peux l’ex­primer mieux dans celle-ci.

Donc, à par­tir de 1995, des ouvrages en kurde ont com­mencé à être pub­liés. Et la créa­tion artis­tique kurde a pro­gressé en lien avec cela. Avec l’ou­ver­ture du Cen­tre cul­turel de Mésopotamie (MKM) des activ­ités artis­tiques et cul­turelles en langue mater­nelle ont com­mencé. Quand vous nous posez la ques­tion aujour­d’hui… c’est un peu comme pren­dre des médica­ments selon le mal dont vous souf­frez : vous créez selon ce que vous ressen­tez. Ton pays est occupé, tu as subi un géno­cide cul­turel, ta lib­erté est con­fisquée, tu vas for­cé­ment exprimer tout cela à tra­vers ton art. Tu vas exprimer ce qui te préoc­cupe. Même si tu m’empêches, même si tu me renies, je vais le faire… Notre dernier court-métrage, sur la presse kurde, par­lait de ça aus­si. Parce qu’il existe une presse qui est inter­dite, une langue qui est inter­dite, un peu­ple inter­dit. C’est l’his­toire d’un organe de presse qui met à la lumière du jour la réal­ité de notre peu­ple et qui en a payé lour­de­ment le prix, des dizaines de ses jour­nal­istes, cor­re­spon­dants, dis­trib­u­teurs ont été assas­s­inés. Il faut que nous en pre­nions con­science, il faut que nous étab­lis­sions une mémoire. Ces choses ne sont pas oubliées, tu les ressens, tu les crois­es sans cesse. Aujourd’hui, alors que la tech­nolo­gie est si avancée, que le monde entier est au courant de tout, les écoles qui enseignent en kurde, les insti­tu­tions qui don­nent des cours de kurde sont fer­mées, les jour­naux kur­des sont fer­més, encore… Cette assim­i­la­tion se pour­suit encore aujour­d’hui devant les yeux du monde. Alors nous continuerons.

Le pre­mier film kurde, c’é­tait quand pour vous ?

Metin : La sec­tion ciné­ma est ouverte au sein du MKM à Istan­bul, dans les années 90. Notre ciné­ma com­mence quelque part par là… Nous avançons doucement.

Rojhi­lat : Dans le ciné­ma de Turquie, avant nous, il y a eu des réal­i­sa­tions ciné­matographiques tournées vers les Kur­des comme Mem û Zin, Siyabend û Haxe… Pour Yıl­maz Güney, lorsqu’il a réal­isé Yol, Sürü, il s’agis­sait aus­si des his­toires des Kur­des, mais la langue orig­i­nale du film n’est pas le Kurde. Parce que dans le cas où le film est en kurde, il peut y avoir des prob­lèmes avec les autorités turques. A Istan­bul, Yapım 13 fut un peu éclaireur, tou­jours dans les années 90, avec les films Bahus, Afla et d’autres.

Yıl­maz Güney est un réal­isa­teur kurde, mais ses films sont en turc…

Rojil­hat : Oui, mais les his­toires sont kurdes.

Metin : La langue est le turc. Mais si on regarde le thème, les caractères…

Rojhi­lat : La géographie…

Metin : A cette époque, la langue kurde était inter­dite. Et Yıl­maz Güney fut un des pre­miers à filmer au Bakur… Lorsqu’on observe le con­tenu, ce sont des films kur­des. C’est juste la langue qui manque. C’est un réal­isa­teur qui a une pop­u­lar­ité, une notoriété, alors les Turcs dis­ent qu’il appar­tient au ciné­ma turc. Mais dans ses entre­tiens, déc­la­ra­tions, il exprime qui il est et ce qu’il veut faire. Lorsqu’il a réal­isé cer­tains films il était en prison. Il dirigeait ses films depuis la prison. Les séquences tournées lui étaient apportées, et ain­si il pou­vait don­ner ses directives.

Rojhi­lat : Yıl­maz Güney dit qu’il est kurde, mais il ajoute qu’il fait du ciné­ma… de Turquie. Peut être que cela vient du fait de l’ab­sence d’un État, on ne peut pas par­ler d’un ciné­ma kurde, un ciné­ma “nation­al”. Peut être que Yıl­maz Güney aurait pu réalis­er ses films en kurde. Mais ils auraient été inter­dits, ils n’au­raient pas été dif­fusés partout dans monde, il ne serait peut être pas si célèbre en Turquie. Il tra­vail­lait aus­si comme comé­di­en à Yeşilçam 3. Il dis­ait dans les reportages que c’é­tait un tra­vail lucratif, pour se faire con­naître, s’in­staller dans le ciné­ma et devenir pro­duc­teur afin de réalis­er des films sur le Kur­dis­tan. Par exem­ple, il me sem­ble que c’é­tait dans Yol… on voy­ait un moment un pan­neau “Kur­dis­tan”, et ce film a été inter­dit, et pen­dant longtemps. C’est un dan­ger pour les réal­isa­teurs… Quand sont menées des poli­tiques d’as­sim­i­la­tion, il est très dif­fi­cile de tra­vailler dans sa langue mater­nelle. L’État utilise les Kur­des men­er ses poli­tiques, mais il n’ex­iste aucune recon­nais­sance offi­cielle. Les Kur­des lut­tent juste­ment pour cela. Lorsque Halil Dağ réal­i­sait Berî­tan 4 il a réus­si à créer son pro­pre ciné­ma et sa pro­pre expres­sion ciné­matographique, avec “le ciné­ma de résis­tance”, loin de ces craintes, dans une atmo­sphère libre, sur des ter­res libres. Par exem­ple com­ment la dis­tri­b­u­tion de ce film s’est-elle déroulée en Turquie ? J’é­tais petite, mais je me sou­viens, le film arrivait avec les respon­s­ables du par­ti kurde de l’époque, qui venaient en déplace­ment, et il était pro­jeté en cachette. Il était alors impos­si­ble de faire entr­er un film en kurde dans une salle de cinéma.

Nous avons réal­isé en 2017 14 Juil­let 5. Comme c’est un film sur les pris­ons, il y a aus­si bien la langue kurde que turque. Mais il a été impos­si­ble, via le min­istère de cul­ture, de le pro­jeter dans une salle de ciné­ma, de le dis­tribuer. Au Kur­dis­tan du Sud [Irak], le film a pu accéder à une salle de ciné­ma, mais les autorités au pou­voir l’ont inter­dit, et empêché la pro­jec­tion. Même si c’est une fédéra­tion autonome kurde, la pro­jec­tion est empêchée du fait de l’in­flu­ence de la Turquie là-bas.

La réal­i­sa­tion de films en langue mater­nelle en Turquie, est encore très dif­fi­cile. Par exem­ple récem­ment nous avons réal­isé un court métrage. Nous avons effec­tué les démarch­es admin­is­tra­tives de ce film, en turc. Si nous les avions faites en kurde, nous n’au­ri­ons pas obtenu les autori­sa­tions néces­saires. Dans l’élan du “ciné­ma de résis­tance”, nous cher­chons des moyens. Nous étab­lis­sons des dossiers pour des films en langue turque, ou encore nous soumet­tons le pro­jet d’un autre film. Parce que même si le film est en turc, comme le thème est poli­tique, pour les forces de sécu­rité, c’est un film à inter­dire. Nous cher­chons des méth­odes et moyens alter­nat­ifs pour faire aboutir les pro­jets. Mais lorsque nous soumet­tons un pro­jet et tournons un autre film, c’est une pres­sion sup­plé­men­taire sur nous. Car, même si tu as obtenu les autori­sa­tions, tu filmes en secret…

Durant la “péri­ode de réso­lu­tion” 6, de nom­breux films ont été réal­isés comme Kla­ma Dayî­ka Min (La chan­son de ma mère), Dengê Bavê Min (La voix de mon père), mais ceux-là sont égale­ment moitié en turc, moitié en kurde. Les réal­isa­teurs et pro­duc­teurs kur­des s’ef­for­cent de réalis­er leur films de façon à ne pas avoir de prob­lèmes avec le min­istère de la cul­ture, et ne pas “déranger” poli­tique­ment l’État. C’est-à-dire qu’ils ne se dis­ent pas,“c’est inter­dit, alors on arrête”. Ils se bat­tent, ils ren­con­trent des dif­fi­cultés… Par exem­ple récem­ment encore, Kazım Öz a réal­isé son film Zer pour lequel il a même obtenu le sou­tien du min­istère de la cul­ture turc. Il s’agis­sait de l’his­toire d’un per­son­nage en quête d’i­den­tité, et le film racon­tait son expéri­ence à Der­sim. Dans une scène, le per­son­nage y ren­con­trait un groupe de la guéril­la. Le min­istère de la cul­ture a inter­dit cette scène, et cen­suré le film. Alors Kazım Öz, qui est un réal­isa­teur kurde ayant une prise de posi­tion opposante, et qui pour­suit aus­si une lutte, a rem­placé cette séquence par un écran noir, indi­quant que celle-ci était cen­surée. C’é­tait une façon de pro­test­er con­tre la censure.


Voir les films de Kazım Öz avec des sous titrages en français, dans le ciné­math­èque de Bre­tagne & Diversité


(Loez)

Y‑a-t-il un pub­lic pour le ciné­ma kurde ?

Rojhi­lat : Bien sûr. Les films kur­des réal­isés récem­ment étaient dif­fusés en salle, avant l’ar­rivée des admin­is­tra­teurs dans les mairies. Les fes­ti­vals que nous organ­isons depuis 8 ans, sont égale­ment suiv­is avec beau­coup d’intérêt et attirent un pub­lic impor­tant, plutôt jeune.

Metin : Ce point mon­tre l’im­por­tance de notre asso­ci­a­tion… Par exem­ple, tu fais un film, mais tu ne peux pas le mon­tr­er au pub­lic. Pas seule­ment pour les films kur­des, c’est val­able aus­si pour tout le ciné­ma alter­natif et opposant. Il existe des salles disponibles, mais les dis­trib­u­teurs, par peur d’une descente de police, d’un prob­lème, ne veu­lent pas pro­jeter les films. Avec les fes­ti­vals que nous avons organ­isé via notre asso­ci­a­tion, nous avons pu franchir cette bar­rière. Car pour­tant, le pub­lic existe, et avec un grand poten­tiel. Un pub­lic qui a soif de ciné­ma kurde, parce qu’il y trou­ve quelque chose de lui même. Les séances sont tou­jours combles, que la pro­jec­tion se passe en salle, ou dans des lieux alter­nat­ifs comme des parcs, des jardins. Pen­dant une péri­ode nous avons même eu une salle de ciné­ma où nous pro­je­tions des films alternatifs.

Réfléchissez-vous à ren­dre le ciné­ma acces­si­ble à un large pub­lic au Kurdistan ?

Rojhi­lat : Nous faisons un effort par­ti­c­uli­er pour porter les films au pub­lic qui ne peut pas venir dans les salles. Nous pen­sons que le ciné­ma doit aus­si sor­tir des qua­tre murs, par con­séquent, nous essayons d’élargir les espaces. Par exem­ple, comme les salles qui pro­jet­tent des films kur­des sont peu nom­breuses, lorsque nous organ­isons des fes­ti­vals, ce sont plutôt les gens des grandes villes qui vien­nent. Mais une maman, un jeune au vil­lage ne peut pas en prof­iter. Alors, pour chaque fes­ti­val, nous avons organ­isé en plus des séances de plein-air dans des vil­lages. Le manque de moyens économiques empêche une par­tie de la pop­u­la­tion d’ac­céder au ciné­ma. Si elle ne peut pas venir, c’est toi qui dois aller vers elle. Pour les fes­ti­vals, nous nous sommes mis cette oblig­a­tion. Mais depuis deux ans, nous ne pou­vons plus le faire en rai­son de la poli­tique menée par les admin­is­tra­teurs d’é­tat dans les mairies, qui ne nous finan­cent plus. Ça nous étouffe…

Com­ment l’État vous met-il des bâtons dans les roues ?

Rojhi­lat : Il y a eu des con­damna­tions pour le film Bakur 7. Des salles de ciné­ma ont reçu des amendes pour avoir pro­jeté le film Nû jîn (Nou­velle Vie) 8. Les films kur­des sont disponibles, mais pour les mon­tr­er dans les salles il faut pren­dre des risques, y com­pris celui d’être empris­on­né. Le ciné­ma d’op­po­si­tion en Turquie, les films qui par­lent des Arméniens, des Syr­i­aques, des Yézidis, subis­sent exacte­ment les mêmes dif­fi­cultés. Notre asso­ci­a­tion a mon­tré peut être un peu plus de courage. Sa notoriété vient un peu de cela aus­si. Par­fois les réal­isa­teurs nous con­tactent et nous deman­dent “pour­riez-vous pro­jeter ce film, au moins vous ?…”. Par exem­ple Ban­ga Roj (Call of the day), un doc­u­men­taire 9 qui par­le de retour des com­bat­tantEs de la guéril­la à l’époque de la péri­ode de réso­lu­tion. Il n’a eu aucune pro­jec­tion en dehors de nos fes­ti­vals. Bakur a été pro­jeté lors des fes­ti­vals con­ven­tion­nels à Istan­bul, à Ankara, sa présence a créé d’énormes ten­sions au seins des équipes organ­isatri­ces. Il a été sup­primé des programmes…


Voir le film Bakur avec des sous titrages en anglais dans le ciné­math­èque de Bre­tagne & Diversité


Même chose pour le doc­u­men­taire de Selim Yıldız, Bîra Mı’têtın (Je m’en sou­viens), qui par­le du mas­sacre de Robos­ki, il a été sup­primé du pro­gramme des fes­ti­vals. Lors d’un fes­ti­val que nous avions organ­isé à Van, la police est arrivé, et a inter­dit des films en pré­tex­tant l’ab­sence de visa d’ex­ploita­tion… Ils ont établi un procès ver­bal à notre encon­tre, nous avons été con­vo­qués devant le tri­bunal… Nous avons finale­ment reçu un doc­u­ment qui inter­di­s­ait la moitié des films pro­gram­més. Mais mal­gré tout nous avons pro­jeté ces films. Bien sûr, sous une énorme pression.

Com­ment échap­per à cette répression ?

Rojhi­lat : Au Kur­dis­tan, si tu as une activ­ité opposante, tu dois créer ton pro­pre espace d’expression. Avec l’ar­rivée des admin­is­tra­teurs dans les mairies, de nom­breuses asso­ci­a­tions cul­turelles ont été fer­mées, mais aus­si des organes de presse, maisons d’édi­tion, espaces de lit­téra­ture… Mais, comme les Kur­des ont appris à lut­ter con­tin­uelle­ment con­tre les fer­me­tures, restric­tions, inter­dic­tions, chaque fer­me­ture est suiv­ie d’une nou­velle créa­tion qui rem­place la précé­dente. Le but est la résis­tance. Peut être qu’à cette époque de fer­me­tures, les ami.es qui s’oc­cu­paient des asso­ci­a­tions, des struc­tures ont été arrêté.es, mais d’autres per­son­nes ont pris le relais, dans de nou­velles struc­tures. Pen­dant une péri­ode, comme celle de la réso­lu­tion10, tu souf­fles un peu et tu peux tra­vailler un peu plus libre­ment, ensuite, selon les poli­tiques de l’État, les choses changent, et arrive encore une péri­ode de chaos, les arresta­tions, les inter­dic­tions… Aujour­d’hui nous sommes sous sur­veil­lance. Si notre asso­ci­a­tion fer­mait, nous crée­ri­ons une autre struc­ture. Nous sommes obligé.es de le faire, parce que nous exis­tons et nous pro­duisons. Nous ne sommes pas du genre à renon­cer. Et même si nous renonçons, celles et ceux qui nous suiv­ent con­tin­ueront le tra­vail. Ain­si nous avons appris avec la guerre, avec les inter­dits. Ils nous ont don­né la pos­si­bil­ité d’éla­bor­er une pen­sée, une logique qui nous per­me­t­tra tou­jours de trou­ver des alternatives.

cinéma kurde

(Loez)

Que peut faire le ciné­ma, pour la lutte kurde ?

Metin : Le ciné­ma per­met la dif­fu­sion d’une pen­sée, d’une langue, d’un peu­ple. C’est la trans­mis­sion visu­al­isée de ce que tu veux exprimer dans ce sens. Si on veut faire le ciné­ma d’un peu­ple, il faut met­tre en avant la réal­ité de celui-ci.

Zinar : Les autres cinéastes nous cri­tiquent beau­coup. “Allez au delà des films de pro­pa­gande pure, au delà d’un film poli­tique, vous ne vous élar­gis­sez pas, vous vous exprimez tou­jours dans ce cadre” dis­ent-ils. Oui, le ciné­ma est un espace d’ex­pres­sion très large, mais notre focus se trou­ve là. Des films poli­tiques, ou des films qui trait­ent des sujets qui s’in­spirent des dif­férentes expéri­ences de la vie, de la nature, des femmes… et qui ren­voient cela au spectateur.

Metin : L’artiste n’est-il pas le miroir de la société ? Il doit met­tre en avant ce dont elle a besoin. Là, tu es dans une lutte com­plète. Tu ne peux pas traiter tes sujets indépen­dam­ment de cela.

Les Kur­des sont mas­sacrés, reniés sans cesse. Tu n’as pas d’i­den­tité. Jusqu’aux années 70, dans les métrop­o­les, ils nous appelaient les “Kur­des à queue”. Mon père me racon­tait, il était par­ti en Ana­tolie cen­trale pour tra­vailler. Il dis­ait “Je vois quelqu’un qui me tourne autour. Je lui demande ce qu’il fait. Il me demande ‘elle est où ta queue ?’ Ils nous con­nais­saient comme ça”. On est dans les années 20 et nous sommes encore sous oppres­sion, on essaye de con­fis­quer notre lib­erté. Ton iden­tité, ta langue sont encore reniés. Tes insti­tu­tions sont fer­mées. Si tu vis tout cela, tu vas lut­ter con­tre, aus­si bien dans ton ciné­ma, ton théâtre, ta musique, ta pein­ture, ta sculp­ture… Si l’artiste est con­scient, s’il est le miroir du peu­ple, c’est ce qu’il doit exprimer. Parce que c’est la réal­ité et tu dois la met­tre devant les yeux. C’est un besoin. Comme la faim. C’est ce que le peu­ple te demande…

Rojhi­lat : Com­ment apporter quelque chose à la lutte, nous avons nous-mêmes des ques­tion­nements sur ce sujet. Par exem­ple se sont déroulés ici, à Sur, à Cizre etc, des soulève­ments pour l’au­to­ges­tion. Tu voudrais mon­tr­er cette lutte à tra­vers ta caméra. Il y a eu des doc­u­men­taires, des courts et longs métrages. L’artiste, le cinéaste kurde, influ­encés par la lutte, font les choses naturellement.

Par exem­ple la révo­lu­tion du Roja­va. Beau­coup de films ont été réal­isés sur ce sujet. Les filles du soleil, Les sœurs d’armes, des films français. Sans doute impres­sion­nés par la révo­lu­tion, l’at­ten­tion de ces cinéastes s’est soudaine­ment retournée vers le Roja­va. Alors que cette révo­lu­tion fait par­ler d’elle dans le monde entier, les cinéastes kur­des ne peu­vent bien sûr pas rester indif­férents. Mais quelles sont leurs pos­si­bil­ités ? Un cinéaste au Roja­va, a‑t-il les moyens tech­niques de tra­vailler ? Peut-il tourn­er lui-même ses pro­pres his­toires ? Ou bien est-il dépen­dant de l’ex­térieur ? Une pro­duc­tion étrangère vient réalis­er sur place un film qui prend la révo­lu­tion comme sujet, et quand nous, les Kur­des, regar­dons ce film, nous ressen­tons une gêne ; le fait que le style du film soit hol­ly­woo­d­i­en, le fait qu’en par­lant de nous, ou d’un héros, il le fasse en l’in­té­grant dans ce style… Cela te fait ques­tion­ner sur le degré de con­nais­sance, ou de mécon­nais­sance, sur le mou­ve­ment de libéra­tion kurde, et le film nous dérange. Style : Hol­ly­wood, sujet : les Kur­des, réal­i­sa­tion française, pro­duc­tion française… Mal­gré tout, nous l’in­té­grons dans le ciné­ma kurde. Comme nous n’avons pas de critère de nation, ni d’État, nous prenons en compte tous les films qui trait­ent des Kur­des, réal­isés partout dans le monde. Mais à quel degré les Kur­des sont-ils maîtres de leur pro­pre ciné­ma ? Com­ment les Kur­des par­lent-il d’eux-mêmes ? Les Kur­des sont-ils sat­is­faits du fait d’être nar­rés par les autres ? Non, nous ne le sommes pas. Peut être que ces films ont une cer­taine impor­tance pour attir­er l’at­ten­tion mon­di­ale sur la révo­lu­tion du Roja­va, pour une sen­si­bil­i­sa­tion, telle une pub­lic­ité, mais au niveau du con­tenu, et de la façon de par­ler des révo­lu­tion­naires, du mou­ve­ment, nous les trou­vons prob­lé­ma­tiques. En tant que cinéaste kurde, ces sujets attirent aus­si mon atten­tion, lorsqu’un cinéaste d’ailleurs quel­conque vient et réalise un film sur ce sujet, il appa­raît une expres­sion qui nous dérange. Pour cette rai­son, les cinéastes kur­des doivent men­er leur pro­pre lutte, dévelop­per leur pro­pre ciné­ma. Un cinéaste, un révo­lu­tion­naire au Roja­va, exprimera mieux sa révolution.

Au Roja­va il existe un col­lec­tif de ciné­ma, qui organ­ise un fes­ti­val, et réalise des films. Il ont réal­isé Ji Bo Azadiyê, qui racon­te la résis­tance de Sur 11. En fait, c’est un suivi des luttes. Les qua­tre par­ties du Kur­dis­tan, même si elles subis­sent des oppres­sions, s’ob­ser­vent. Une his­toire ici, dans cette par­tie, peut être prise comme sujet dans une autre par­tie. Actuelle­ment un film sur Kobanê est en train d’être tourné. Les cinéastes se sont dit “c’est tou­jours d’autres réal­isa­teurs qui ont par­lé de nous. Nous devons par­ler de nous, nous-mêmes”. Au niveau des moyens, de la tech­nique il peut y avoir des dif­fi­cultés, mais au niveau du con­tenu, le cinéaste kurde peut nous pro­pos­er quelque chose de plus authen­tique, et voir cette guerre, cette révo­lu­tion, à tra­vers les yeux de cet artiste, sera cer­taine­ment autre chose. Nous voulons que les Kur­des don­nent une ori­en­ta­tion à leur pro­pre art, leur pro­pre cinéma.

Dans les films de Yıl­maz Güney, la langue n’é­tait pas le kurde. Il y avait de temps à autre, de toutes petites choses. Des prénoms par exem­ple. Ils ont petit à petit fait entr­er la langue kurde dans le ciné­ma, même si c’é­tait dif­fi­cile. Pen­dant longtemps nous avons été gênés par le fait que les cinéastes turcs utilisent, pour les Kur­des, l’im­age de “gens de l’Est, qui par­lent une langue turque écorchée”. Ce n’est même pas la langue kurde… Peut être qu’il est dif­fi­cile d’at­ten­dre d’un.e turc.que, qu’il nous incar­ne avec notre langue, mais… Nous étions pour eux, des gens de l’Est, et ils nous ont dépeint dans leur films, dans leurs séries avec notre “turc écorché”. Ielles ont représen­té nos his­toires comme prob­lé­ma­tiques. Elles étaient nar­rées sur un fond féo­dal, à tra­vers des tribus. Ça nous a dérangé. C’est pour cela que nous avons com­mencé à nous organ­is­er. Lorsque nous voulons racon­ter une his­toire d’amour kurde, nous voulons le faire avec le ressen­ti et la langue kurde. Alors que la révo­lu­tion du Roja­va se déroule, nous voulons la voir et l’en­ten­dre à tra­vers les yeux et la langue d’un cinéaste kurde. Les Kur­des doivent pou­voir créer avec leur ressen­ti, leur esprit com­bat­if. Avec l’ex­péri­ence, aus­si bien le con­tenu, la nar­ra­tion que la tech­nique seront dévelop­pées et réus­siront. Et le ciné­ma kurde gag­n­era encore plus en visibilité.


 Voir tous les films kur­des avec des sous titrages en français, pro­posés par Bre­tagne & Diver­sité : Peu­ple Kurde


Le ciné­ma du point de vue des femmes…

Zinar : Le traite­ment des femmes dans le ciné­ma kurde est sou­vent lim­ité à la mort, au meurtre… Dans beau­coup de pro­duc­tion, le sujet est abor­dé bru­tale­ment, avec une dimen­sion morale : les assas­si­nats d’hon­neur, le fait que la femme soit con­damnée à rester à la mai­son, ou à être assas­s­inée, qu’elle ait une con­science lim­itée… Pour soutenir le ciné­ma kurde, nous faisons beau­coup d’ef­forts, mais au niveau du con­tenu, les mêmes erreurs se répè­tent. Pourquoi est-ce tou­jours la femme qui est tuée ? Ces sujets devi­en­nent presque un genre en soi : “Recherche comé­di­enne pour per­son­nage de femme assas­s­inée”. Il faudrait sor­tir de cela. En fait, le lan­gage de la caméra est mas­culin et cela reste lim­ité. L’esthé­tique et la forme des films sont mod­elés selon ce lan­gage et quelque part cela lim­ite la présence de la femme sur le ter­rain. Il faudrait nous ouvrir un espace plus grand, élargir l’imaginaire…

Par exem­ple, nous avons organ­isé une ini­tia­tive itinérante, “les jours de films de femmes”. Nous nous dépla­cions d’un vil­lage à l’autre. Nous avions pro­jeté le film Sibel. Dans celui-ci qui se passe dans la région de la Mer Noire, Sibel, mal­gré qu’elle soit muette, est une femme forte. Elle com­mu­nique en sif­flant, tel un lan­gage, par­ti­c­ulière­ment avec son père et sa sœur. C’est une femme intè­gre avec la nature, qui com­prend sa langue, qui se bat con­tre la men­tal­ité machiste, qui sait ce qu’elle veut, qui peut aimer, embrass­er ou ne pas embrass­er. Cette dimen­sion est sou­vent oubliée dans les films qui par­lent des femmes… Lors de nos pro­jec­tions itinérantes, nous avons ren­con­tré cer­tains prob­lèmes. Dans une scène de bain, on voit le dos de Sibel. Le pub­lic a pu réa­gir assez vio­lem­ment à cette scène, ne sup­por­t­ant pas la vue de cette image d’un point de vue moral. On pou­vait analyser les réac­tions, par­ti­c­ulière­ment chez les enfants. Ils réagis­saient spon­tané­ment et vite, et alors, il était pos­si­ble de devin­er à peu près, les sujets abor­dés, ou tabous dans leur famille, à la mai­son. Un bras, un dos nu, les femmes tour­naient leur vis­age avec gêne… Nous en avons alors con­clu, que si nous ne por­tions pas à la pop­u­la­tion ce genre de films qui pren­nent comme sujet l’être humain, si nous ne les ren­dons pas acces­si­bles, les gens se fer­ment. Ce qui est nor­mal, devient anor­mal. Pour­tant des scènes comme des bagar­res ou des bravades sont nor­males pour le pub­lic, car faisant par­tie de la men­tal­ité mas­cu­line et de la cul­ture patri­ar­cale dom­i­nante. Lorsque tu quittes les salles, et que tu te déplaces avec ton écran et ton pro­jecteur, il y a une inter­ac­tion très forte. Tu ren­con­tres un pub­lic plus spon­tané. Ce n’est pas du tout le même pub­lic que celui des salles.

Pensez-vous à une réal­i­sa­tion sans homme ?

Zinar : Seule­ment avec des femmes ? Oui. Nous y réfléchissons depuis longtemps, et essayons d’en bâtir l’in­fra­struc­ture. Il faudrait penser à cela : nous les femmes, sur les plateaux ou ailleurs, nous sommes un peu en arrière sur le plan tech­nique. Nous sommes plus présentes dans les domaines pra­tiques et organ­i­sa­tion­nels, artis­tiques, dans la pro­duc­tion, la régie, le maquil­lage, nous restons sou­vent dans ces lim­ites. Comme d’ailleurs dans beau­coup d’autres secteurs, le domaine tech­nique reste entre les mains des hommes. On con­tin­ue aus­si, encore, à mon­tr­er cer­taines tâch­es tech­niques, comme néces­si­tant une force physique. Ce serait intéres­sant de faire un film, seules avec des femmes. Je suis curieuse de voir ce plateau. Je pense que si nous pou­vons réalis­er cela, nous serons plus à l’aise pour nous exprimer.

Rojhi­lat : Dans cette péri­ode nous essayons de men­er des activ­ités plus mod­estes. Peut être que les choses chang­eront. Peut être que lors des élec­tions dans quelques années, les mairies seront gag­nées à nou­veaux… Et on recom­mencera à faire et pro­pos­er plus de films, organ­is­er des ini­tia­tives. Une con­quête, à nou­veau… Peut être que les jeunes peu­vent con­tin­uer aujourd’hui à être des spec­ta­teurs, via inter­net. Mais que regar­dent-ils ? Le ciné­ma kurde ? Les séries ? Lesquelles ? Les poli­tiques menées imposent aux jeunes les pro­duc­tions turques, large­ment regardées. Notre objec­tif est faire regarder aux jeunes du ciné­ma dans leur langue mater­nelle, leur mon­tr­er que leur langue existe dans le monde de l’art.

cinéma kurde

Meryem Yavuz, Rojhi­lat Aksoy, Zinar Karabaş, Lisa Çalan/ (Loez)

Metin : Au Kur­dis­tan, sur ces ter­res où nous vivons, rien n’est sans lien avec la poli­tique, et on ne peut rien réalis­er sans lutter.

Notre leader (Apo) le dit aus­si, “au Kur­dis­tan, sans poli­tique, même une feuille ne peut bouger”. Tu gagnes seule­ment en lut­tant. Et tout ce com­bat, ces efforts sont pour gag­n­er. Si aujour­d’hui nous par­lons d’un ciné­ma kurde, c’est le résul­tat des efforts, des luttes de Yıl­maz Güney, de Halil Dağ…

Entre­tien réal­isé par Loez
Pro­pos traduits par Naz Oke


Pour con­tac­ter L’A­cadémie de Ciné­ma du Moyen-Ori­ent : sineakademi@gmail.com



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Loez
Pho­to-jour­nal­iste indépendant
Loez s’in­téresse depuis plusieurs années aux con­séquences des États-nations sur le peu­ple kurde, et aux luttes de celui-ci.