Tra­duc­tion d’un arti­cle paru le 23 mai en ver­sion anglaise sur Komun Acad­e­my for Demo­c­ra­t­ic Moder­ni­ty. Entre­tien avec le réal­isa­teur du film “Ji bo Azadiyê”.


Ji bo Azadiyê : Critique du silence sur la guerre au Kurdistan

 

Ji bo Azadiyê” (For Free­dom, titre anglais: The End Will Be Spec­tac­u­lar) abor­de la résis­tance des YPS (Yekîneyên Parasti­na Sivîl), les unités de défense civile, con­tre le siège des mil­i­taires turcs dans le dis­trict de Sur à Amed (Diyarbakır) de décem­bre 2015 à mars 2016.

Le film a été tourné dans la ville de Kobanê, dans le nord de la Syrie. “Ji bo Azadiyê” a con­nu sa pre­mière au 25e Fes­ti­val inter­na­tion­al du film de Cal­cut­ta, en Inde. Les pro­jec­tions du film auraient dû débuter dans de nom­breuses villes, mais elles ont été reportées en rai­son de la sit­u­a­tion de pandémie. Dans une inter­view, Ersin Çelik explique com­ment le film a émergé, pourquoi, et avec qui il a été tourné.

• Pou­vez-vous nous par­ler de, “Komî­na fîlm a Roja­va”, la com­mune ciné­matographique du Roja­va et de son rôle dans la pro­duc­tion du film “Ji bo Azadiyê”?

Komî­na fîlm à Roja­va” a pro­duit le film. La com­mune a été fondée en 2015, au Roja­va. Elle a pro­duit à ce jour de nom­breux films, doc­u­men­taires et clips. La com­mune a égale­ment organ­isé un fes­ti­val du film. Dans le cadre de son “ciné­ma mobile”, elle a égale­ment organ­isé des pro­jec­tions de films dans les vil­lages du nord de la Syrie spé­ciale­ment pour les enfants.

Le film “Ji bo Azadiyê” n’a pas été créé par la seule Com­mune du Film. Des dizaines d’in­sti­tu­tions du Roja­va et des cen­taines de per­son­nes ont par­ticipé à la pro­duc­tion. Jusqu’à 100 volon­taires ont tra­vail­lé sur les scènes, qui ont duré près de six mois. Par exem­ple, le sou­tien des con­seils de quarti­er de Kobanê, des com­munes des femmes et des jeunes et des unités d’au­todéfense a été cru­cial pour le tour­nage du film.

jibo azadiye

• Com­ment avez-vous trans­for­mé l’his­toire en film et établi le con­tact avec les per­son­nes qui ont survécu à la guerre à Sur ?

Au cours du proces­sus d’élab­o­ra­tion du scé­nario, nous avons pu con­tac­ter qua­tre per­son­nes qui avaient survécu. Nous avions entamé des dis­cus­sions avec eux. L’une des prin­ci­pales raisons du choix de ce sujet était la doc­u­men­ta­tion écrite sur le quarti­er Sur. De plus, le meurtre de cen­taines de per­son­nes incendiées dans les caves de Cizre été retrans­mis en direct à la télévi­sion. Plus de 300 per­son­nes ont été brûlées vives dans ces caves. A Sur, une his­toire a été effacée.

Quand tout cela s’est pro­duit, le monde regar­dait pour­tant, sans réa­gir. Dans la même région, des mas­sacres et des attaques con­tre les pop­u­la­tions ont eu lieu égale­ment. Il y a eu une vague mas­sive de réfugiés. Ce film est une cri­tique de ce silence qui regar­dait sans voir.

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• Est-il dif­fi­cile de tra­vailler avec des per­son­nes qui ne sont pas des acteurs professionnels ?

Il est tou­jours dif­fi­cile de tra­vailler avec des per­son­nes qui n’ont pas reçu de for­ma­tion adéquate pour cette activ­ité. Mais il aurait peut-être été plus dif­fi­cile de faire ce film avec des acteurs pro­fes­sion­nels. Deux per­son­nes impliquées dans la résis­tance à Sur, Haki et Kor­san Şer­van, ont joué leur rôle. Et les autres acteurs étaient pour la plu­part des jeunes qui ont par­ticipé à la lutte con­tre l’EI ou qui ont gran­di pen­dant la guerre. Donc, ils n’é­taient pas des acteurs, mais avaient de vrais sen­ti­ments et expéri­ences.

C’est pourquoi je ne voulais pas que les acteurs “agis­sent”. J’ai essayé de m’as­sur­er qu’ils étaient eux-mêmes, qu’ils se com­por­taient comme d’habi­tude. Je pense que si nous avions fait ce film avec des acteurs pro­fes­sion­nels, il n’au­rait pas atteint son véri­ta­ble succès.

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• Dans quelle mesure les événe­ments du film sont-ils proches de la réal­ité ? Quelle est la sit­u­a­tion aujour­d’hui à Sur ?

Le film, l’his­toire, sont basés sur des faits réels. Tout repose prin­ci­pale­ment sur de vraies his­toires et issues du jour­nal tenu par les com­bat­tantEs pen­dant la résis­tance de Sur. Le film a été tourné dans un quarti­er de Kobanê, qui a été en grande par­tie détru­it pen­dant la résis­tance de la ville, comme cela s’est pro­duit avec Sur. Le cou­vre-feu est tou­jours en place dans une par­tie de Sur. 

Une grande destruc­tion a frap­pé le Sur his­torique, depuis la fin de la guerre. Ils se sont vengés de la ville. Ce géno­cide à long terme ne vise pas seule­ment la société mais aus­si son his­toire et son avenir. Tout comme le Hes­kîf (Hasankeyf) his­torique, par exem­ple, est inondé, le Sur his­torique a été rasé.

• Pen­dant le tour­nage du film, la guerre con­tre l’EI s’est pour­suiv­ie à Raqqa. La Turquie a égale­ment com­mencé à bom­barder Afrin. À quel point ces tirs étaient-ils dan­gereux pour vous ?

Oui, comme aujour­d’hui, il y avait, d’une part, la résis­tance, et de l’autre, l’in­ter­ven­tion, et le bom­barde­ment d’Afrin par la Turquie avait égale­ment com­mencé. Nous avons tourné le film dans la ville de Kobanê, qui avait retenu l’at­ten­tion inter­na­tionale en tant qu’­ex­péri­ence démoc­ra­tique. Là où il y a de la vie, un film peut aus­si y être tourné.

Oui, il y avait beau­coup de risques, mais c’est notre mai­son. Tout comme toutes les per­son­nes qui vivent en dan­ger, nous étions égale­ment en dan­ger. Notre ensem­ble aurait pu être bom­bardé. Moi et tous les mem­bres de l’équipe de tour­nage étions prêts à tout. Nous voulions faire ce film en toutes circonstances.

Le ciné­ma fait par­tie de cette résis­tance démoc­ra­tique. C’est aus­si risqué que la poli­tique et aus­si dan­gereux que la guerre elle-même.

 

• Quelle est la sit­u­a­tion actuelle du ciné­ma kurde ?

La sit­u­a­tion du ciné­ma kurde est comme la ques­tion kurde. Des films sont faits, mais dans le pays même où le fas­cisme et la guerre font rage. Il est dif­fi­cile de faire un film et de le rap­procher de la société. De plus, il y a la société kurde dans la dias­po­ra et ses films. Le ciné­ma kurde pro­duira des résul­tats impor­tants dans le cadre de l’op­po­si­tion cul­turelle et sociale des Kur­des, car, sur nos ter­res, il y a des dic­tatures d’une part et une résis­tance démoc­ra­tique ori­en­tée vers la libéra­tion des femmes, de l’autre. Le ciné­ma kurde doit être ori­en­té vers ce dernier.

Il y a aus­si la réal­ité des his­toires de réfugiéEs, mais je pense aus­si que le retour de nom­breux réfugiés kur­des est une ques­tion encore plus impor­tante. Le ciné­ma kurde peut égale­ment illus­tr­er le rôle de pio­nnier des femmes dans les domaines poli­tique, mil­i­taire et culturel.


Pour plus d’informations :

www.theendwillbespectacular.com | Facebook @filmjiboazadiye  | Twitter @jiboazadiyefilm

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