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Gülşen Koçuk, journaliste de l’agence JinNews à Diyarbakır, a accepté de répondre à nos questions sur le travail au sein de ce média qui veut porter la voix des femmes et de l’opposition dans un paysage médiatique dominé par des journaux au service du pouvoir turc. Journaliste expérimentée, elle a commencé à travailler en 2012 pour l’agence JinHa, prédécesseuse de JinNews, pendant ses études de sociologie. Elle a rejoint JinNews en 2019.
NOTE : La traduction en français des expressions contenant le mot “kadın” pourrait être faite en utilisant parfois le terme “féminin” parfois “féministes”. Nous avons choisi ici la plupart du temps de traduire en utilisant “des femmes”, notamment : “le journalisme des Femmes” veut dire le journalisme fait par les femmes, du point de vue des femmes. Ni féministe ni féminin ne semblaient recouvrir complètement le sens l’expression.
• JinNews, qu’est-ce que c’est ?
JinNews est une agence qui a été fondée par un groupe de femmes kurdes, après la fermeture par décret 1 du journal web Şûjin, qui lui même avait été créé après la fermeture de l’agence JinHa.
JinNews a endossé la mission d’être le média où les mouvements de femmes peuvent se faire entendre. Lorsque des droits sont violés, elle le met en lumière, lorsqu’une une lutte est menée, elle la raconte, elle prête sa plume aux femmes qui veulent s’exprimer. C’est une agence qui fait de l’information centrée sur les femmes, les enfants, l’écologie.
• Comment fonctionne JinNews ?
L’agence offre un espace où les femmes peuvent s’exprimer et travailler. C’est à dire que de la correspondante locale à la camérawoman, du service technique à l’édition, de la comptabilité jusqu’aux conseillères juridiques, toutes les équipes sont constituées de femmes. JinNews est le fruit d’un travail collectif, y compris dans la production de ses informations. Elle mène ses activités à travers ses antennes dans différentes régions. Pas seulement dans les régions kurdes, ni en Turquie, car JinNews est une agence qui se donne le devoir de faire entendre la voix des femmes partout dans le monde. Son objectif principal est de constituer un discours et un langage des femmes dans le champ médiatique. Même si la lutte des femmes existe depuis l’apparition des inégalités entre femmes et hommes, le journalisme pratiqué par des femmes n’est pas si ancien. Sa littérature propre est constituée notamment d’échanges et de discussions entre femmes. C’est une façon de faire avancer les exemples dont nous avons hérité. Ainsi, JinNews, par le journalisme, essaie de contribuer au langage et à l’expression des femmes.
• Donnez-vous la possibilité d’une formation aux journalistes nouvelles arrivantes ?
Bien sûr. Il existe à la fois des formations dispensées au sein de notre propre agence, et une période de stage. Lors de celui-ci les amies qui nous rejoignent apprennent comment faire du journalisme. En Turquie il existe des facultés de journalisme et de communication. Lorsque vous êtes diplôméEs de ces écoles, vous n’êtes pas en réalité, tout à fait des journalistes. Nous avons eu de nombreuses amies-collègues qui nous ont rejoint après ces études, et qui ont apprit ici la pratique du journalisme. Moi aussi je suis passée par là. Ce n’est pas un métier qu’on peut maîtriser pleinement juste avec des études en école, pour devenir journaliste, il faut aller sur le terrain.
Lorsque de nouvelles collègues nous rejoignent, tout en se formant sur les aspects techniques, elle doivent aussi apprendre comment angler un sujet du point de vue des femmes. Sinon nous ne serions pas différentes des médias qui informent avec une langue, un point de vue patriarcal.
Par ailleurs, dans notre région il existe l’Association de journalistes Dicle-Fırat. Par période, des ateliers y sont organisés auxquels nous contribuons et qui forment également sur les langages journalistiques, dans différents champs de l’information, par exemple sur les sujets concernant les femmes, les enfants. Le processus de formation devrait se poursuivre jusqu’à ce que la journaliste dise “ça y est pour moi”. Mais à vrai dire, ce moment n’arrive jamais. Le journalisme est un chemin sans fin. Peut être qu’à l’instant où vous dites “ça y est je suis journaliste”, le journalisme se termine là. Pour cette raison vous devez rester continuellement ouverte aux progrès, à la formation. Ici, nous essayons aussi de transmettre cette méthode. Aucune de nous n’a été formée de façon professionnelle parfaite, mais nous avons appris le journalisme, des personnes qui le pratiquent. Nous nous transmettons nos savoirs faire les unes aux autres, nous sommes chacune à la fois formatrice et apprentie. Il ne s’agit pas de transmettre des pratiques sorties d’un moule, en disant “voilà, le journalisme c’est ça”. C’est même un contre-sens. Le journalisme doit être en dehors des cadres.
• Si je comprends bien, dans votre agence il n’y a pas de “spécialisation” ?
Oui. Bien sûr il y a le partage des tâches, les caméras, les éditrices, c’est une nécessité liée à la nature de ce travail. La correspondante peut écrire l’information, mais ne peut pas tout faire. Il y a donc un partage du travail. Mais il n’est pas question d’un partage qui fonctionne hiérarchiquement, du haut vers le bas, avec des ordres. Les journalistes produisent leurs sujets, tout en discutant avec leur responsable d’édition, puis elles l’envoient aux éditrices, qui l’envoient à la responsable de rédaction, ensuite le service technique publie. Cette chaîne existe certes, mais vous ne pouvez pas dire “je suis éditrice, c’est ma parole qui prévaut en dernier”, ce serait un comportement qui irait à l’encontre de l’approche du journalisme des femmes. Nous essayons de fonctionner comme ça.
• Des journalistes femmes avec l’expérience d’autres médias intègrent-elles votre agence ?
J’ai eu moi même une expérience au sein de JinHa, mais j’ai ensuite travaillé chez Özgür Gündem, puis Özgürlükçü Demokrasi. Les deux ont été fermés… L’expérience de JinHa m’a permis de travailler dans d’autres agences. Et aujourd’hui je suis ici, je partage mon expérience et j’adopte les principes de JinNews. Nos collègues éditrices sont toutes des journalistes expérimentées. Mais il ne s’agit pas de s’imposer par l’autorité en disant “J’ai de l’expérience, je vais venir vous apprendre des choses”. Ici, il est question de transmission des expériences. De plus, même s’il y a des journalistes freelances qui nous fournissent des articles, nous avons des travailleuses salariées.
• Quelle angle adopte le journalisme des femmes ? Quelle est différence avec les autres médias ?
Nous voyons les femmes apparaître dans les médias mainstream, soit comme victimes de la violence du patriarcat, soit comme la femme trompée, ou la femme qui trompe… Ou encore des manchettes comme “la femme qui a causé un accident de voiture”…comme si ça n’arrivait pas aux hommes. Nous sommes face à des médias qui donnent aux femmes une certaine place. L’objectif de JinHa, à sa naissance, c’était justement de changer cela. Les médias qui ont été créés après poursuivent aussi cet objectif, dans la lignée du journalisme des femmes. Les noms peuvent être différents, l’objectif est le même.
Quelle était notre devise à la création de JinNews ? “Sur les traces de la vérité, avec la plume des femmes”. Éclairer la réalité, mais avec le regard des femmes. Même si vous avez une identité démocratique, cela ne veut pas dire que vous possédez aussi le regard des femmes. Il est différent. Il s’agit de remettre en question l’homme en nous, mettre fin à la mentalité machiste et dominatrice. Même dans des médias d’opposition, nous pouvons observer de temps à autre, des approches ou propos machistes. Ce que JinNews veut changer, c’est exactement ça. Les femmes ne sont pas présentes seulement dans un rôle de victime, elles sont dans tous les domaines de la vie, santé, économie, Droit, justice… Les femmes sont des activistes, des politiques… Pourquoi par exemple lorsque les médias abordent un sujet scientifique, ou encore le coronavirus, les premiers qu’on interroge sont des hommes ? Pourquoi voyons-nous sans cesse des scientifiques hommes, des économistes hommes ? C’est un des points que nous questionnons et contestons. Il ne s’agit pas de domaines masculins, mais la perception sociétale fonctionne avec ces codes. Lorsqu’on dit “politique”, l’image qui apparaît devant nos yeux, c’est un homme qui fait les gros yeux…
En résumé, il s’agit de regarder partout où les femmes sont présentes, avec leur regard.
• Vous avez un statut officiel de journaliste ?
Ça dépend de ce que vous voulez-dire. Avant il existait des cartes de presse, appelées “cartes jaunes” qui étaient attribuées par le Centre de Communication du Premier Ministre. Aujourd’hui, elles sont devenues “turquoises” et c’est le Centre de Communication Présidentiel qui les attribue. Si vous parlez de ces cartes, non. Vous pouvez l’obtenir seulement si vous travaillez dans les médias mainstream. Pour les journalistes opposantEs c’est impossible. Nous n’en avons pas, mais ce ne sont pas elles qui font de nous des journalistes. D’ailleurs, notre objectif n’est pas d’avoir ce type de cartes, mais au contraire, de contester des pratiques qui différencient, discriminent les journalistes et qui les empêchent d’exercer leur métier. Nous, les journalistes femmes, nous sommes contre cette pratique de la carte qui a pour objectif de favoriser le journalisme mainstream, et d’affaiblir la crédibilité des autres journalistes. Nombreux-ses sont les journalistes qui sont poursuiviEs, placéEs en garde-à-vue, emprisonnéEs, criminaliséEs. Mais, une autre partie des journalistes, comme si ielles étaient “validéEs” sont dotéEs de cette carte turquoise, sésame qui ouvre toutes les portes. Pour nous, la seule clé est d’écrire la vérité, et de le faire avec la plume des femmes.
• L’État met-il une pression sur vous à cause de votre travail ?
Parmi les personnes qui vivent, qui travaillent en Turquie et qui racontent ce qui s’y passe, vous n’en trouverez aucune qui ne soit pas sujette à des pressions. Lorsque vous dévoilez une affaire, soit on interdit l’accès à cette information, on essaye de l’étouffer, soit on vous place en garde-à-vue, soit on ferme le média pour lequel vous travaillez… Récemment, nous avons écrit au sujet d’une allégation de viol sur une enfant de 15 ans à Gerçüş (région de Batman) par 27 hommes policiers, militaires et gardiens de village 2. Notre article a été interdit d’accès. Normalement, dans un pays de Droit, dans un système démocratique, il devrait y avoir une enquête. Mais en Turquie, c’est notre article qui révélait les faits qui a été interdit. Nous faisons du journalisme dans un tel système. Comment voulez-vous ne pas subir d’oppression ?
Lorsque vous travaillez sur le terrain, être entravé par la police est également une oppression. Dernièrement à Ankara, cette pression subie systématiquement par nos collègues est arrivée à un tel point que la Commission des Femmes et LGBTQI du Syndicat des Journalistes de Turquie (TGS) a porté plainte. On ne veut pas que vous informiez… Vous êtes empêchéEs, empêchéEs arbitrairement. Normalement la presse a une immunité. Je suis journaliste et je suis ici pour couvrir l’événement, pour exercer mon métier. Quelle est la raison de l’entrave que vous pratiquez ? Y a‑t-il des choses que vous ne voulez pas rendre visibles ? (elle rit) Parce que là, il y a de la violence. Il y a violence envers les femmes. Il y a violence envers les gens qui revendiquent leurs droits. Il y a violence envers les travailleurs-ses. Il y a violence envers toutes et tous. Bien sûr, de cette violence, les journalistes en reçoivent leur part… Chaque fois qu’il y a une opération policière de répression politique vous voyez, dans les personnes arrêtées, au moins unE journaliste. Récemment nos collègues ont été placées en garde-à-vue dans des conditions similaires. Mais que s’est-il passé ? Ils n’ont rien trouvé à leur encontre et elles ont été relâchées. Leur souci est de criminaliser les journalistes. Au moment où vous êtes placéE en garde-à-vue, l’affaire est bouclée, c’est-à-dire, aux yeux de l’opinion votre qualité de journaliste est remise en question… Dans les régions kurdes, c’est un peu différent. Pour les journalistes arrêtéEs, les gens se disent plutôt, “ille a du écrire quelque chose de juste”. Mais ce n’est pas pareil partout en Turquie. Par exemple si vous feuilletez les médias et chaînes mainstream, vous vous trouverez devant un tout autre tableau… Si moi-même j’étais fervente adepte de ce type de médias, je pourrais penser différemment. Mais la vérité n’est pas celle qu’ils décrivent, ça, je peux l’affirmer.
• Quatre journalistes, Adnan Bilen et Cemil Uğur de l’agence Mésopotamie (MA) Şehriban Abi et Nazan Sala, vos collègues de JinNews sont arrêtéEs pour avoir informé sur les civils jetés d’un hélicoptère de l’armée. Où en est ce dossier ?
Nos amiEs sont incarcéréEs depuis octobre. Avant cela, il y avait déjà eu des agressions policières qui les visaient. Quand une des deux personnes jetées de l’hélicoptère est décédée, nos amis ont été empêchéEs de travailler lorsqu’illes sont allées aux funérailles. Et les gardes-à-vues se sont produites aussitôt après. Ce n’est pas surprenant car l’État ne voulait pas que cet événement surgisse dans l’actualité des médias mainstream. L’information est produite sur ordre, il ne fallait pas parler de ce sujet. Ces amiEs ont écrit des choses, écouté celles et ceux qui ne pouvait pas se faire entendre parce que personne ne leur tendait le microphone. Et c’est pour cela qu’illes ont été arrêtéEs. Illes sont toujours incarcéréEs en préventive. Leur audience se déroulera en avril. Mais leur dossier d’accusation n’a été préparé que très récemment. Les requêtes des avocats contestant leur incarcération, [ndlr : ainsi que les demandes de libération des organisations, notamment internationales comme le FIJ et FEJ pour demander leur libération] ont été refusées. Vous ne pouvez certainement voir nulle part ailleurs le fait de jeter deux personnes, deux citoyens, d’un hélicoptère. C’est arrivé en Turquie, dans cette région, parce qu’ils étaient kurdes. Si ces journalistes n’avaient pas informé sur ce qui s’est passé, ils allaient peut être dire, j’extrapole, “deux membres du PKK ont été neutralisés”. Pourtant les deux hommes étaient de simples villageois.
De toutes façons tant que vous informez sur ce type de choses, vous êtes une cible… D’autres collègues se sont fait arrêter. Le mois dernier encore… Ils arrêtent, ils libèrent, ils arrêtent, ils libèrent… Les peines qu’ils prononcent ne représentent rien à nos yeux. Le journalisme ne disparaît pas avec leurs condamnations. Personne ne dit que celles et ceux emprisonnéEs “ne sont pas des journalistes”, au contraire ils renforcent la solidarité. UnE est emprisonnéE, dix prennent leur place… Le combat pour la vérité, n’est pas une lutte qui se limite à trois ou quatre personnes. Si je n’étais pas ici aujourd’hui, il y aurait une autre femme à ma place. JinHa a été fermée, que s’est-il passé ? Nous continuons à écrire. Şûjin fermée, nous continuons. Le quotidien Özgür Gündem fermé, Özgürlükçü Demokrasi s’est ouvert, il est fermé, ainsi de suite. Il y a toujours des journalistes qui reprennent le flambeau. Ce n’est pas un mouvement qui peut s’arrêter, il avance parallèlement à l’atmosphère politique. Vous avez certainement entendu parler du “processus de résolution” 3, pendant cette période la répression s’est arrêtée. En réalité pas complètement, mais cela se reflétait sur le quotidien. Par exemple pour les journalistes… dans la région, vous n’étiez pas empêchés de travailler, vous ne subissiez pas de violence. Mais en coulisse nous avons vu que ce n’était pas aussi simple. Tout ne tenait qu’à un fil ténu, qui a fini par céder. Les mortEs, l’oppression ont recommencé de plus belle, en s’intensifiant. Il n’y a pas de dichotomie. Chaque fois que le pouvoir intensifie son hostilité envers les milieux opposants, la presse en reçoit sa part. Le pouvoir ne doit pas laisser de place aux journalistes pour écrire. Il attaque d’abord les journalistes, il les met en garde-à-vue, puis il ferme les médias… Nous ne savons pas combien de temps encore notre média restera ouvert. Nous ne savons pas si nous n’allons pas être arrêtées demain matin. Tout est incertain, parce que nous vivons dans les conditions actuelles de la Turquie. Un matin à 4, 5 heures on vous place en garde-à-vue, puis vous êtes envoyée en prison… Une agence de femmes est fermée. Mais ça ne veut pas dire que tout s’arrête là. Le plus important est poursuivre cette lutte. Et moi, je suis convaincue que même s’il ne reste qu’une seule personne, la lutte continuera.
• Quelles solidarités possibles de la part des médias indépendants à travers le monde avec les médias kurdes ?
Le fait que des personnes qui ont un regard extérieur parlent est important car ce n’est pas la même chose que nous. Il y a deux options [ndlr : pour le régime turc]. Soit vous êtes pro-régime, soit vous êtes dans l’opposition. Dans ce dernier cas toutes les portes se ferment devant vous. Mais, lorsque vous venez ici en tant que journaliste indépendant, votre intention est très importante. Si vous allez raconter vos observations, vos expériences, telles qu’elles sont, le travail est difficile pour vous aussi. Mais, pas autant qu’unE journaliste qui travaille ici. Par exemple, pourquoi les journalistes extérieurEs ne demandent pas aux médias mainstream “comment sont vos conditions de travail ?” Parce qu’il n’est peut être même pas question de difficultés de travail pour eux… Tous les journalistes ont certaines difficultés peut être, mais si vous êtes opposantEs, votre travail de terrain devient très compliqué. Avant tout, l’information à laquelle vous avez accès est limitée. Mais le fait qu’une journaliste écrive ses observations est très important pour l’objectivité apportée, et aussi pour les relayer vers des publics plus larges.
Certaines organisations de presse viennent, montrent de la solidarité de temps à autre. Mais est-ce suffisant ? Non. C’est ponctuel. Par exemple, ils viennent pour la “Journée des journalistes actifs” [le 10 janvier], mais les procès de nos collègues restent ignorés et ne sont pas relayés. Pourtant c’est le journalisme qui est jugé là. On a de la visite pour le 8 mars… C’est déjà bien. Mais il ne faudrait pas avoir un regard orientaliste non plus… Parce qu’ici, il y a une lutte menée par les femmes, par les Kurdes et par les populations opprimées, et elle est précieuse. En écrivant tout cela, les journalistes ne doivent pas avoir une approche détachée, totalement indépendante d’eux-mêmes, d’elles-mêmes… Je ne trouve pas la situation actuelle satisfaisante. Il s’agit d’une approche journalistique qui ne doit pas être réduite à des journées particulières. Il y a tellement de choses qu’il est nécessaire d’écrire au Kurdistan… Il y a des détails qui échappent même à nos yeux. C’est pour ça que la mission des journalistes indépendantEs est très précieux. Au sujet de l’adjectif “indépendantE, il y a une phrase, qu’on entend pendant des périodes d’affrontements par exemple. “Une délégation indépendante est arrivée sur place afin de faire des observations”. Les journalistes indépendantEs s’inscrivent dans cette ligne. Leur travail est précieux pour celleux qui travaillent ici. Et les journalistes qui viennent ici ont la possibilité de rentrer avec beaucoup de choses à écrire. C’est un endroit où on se retrouve vite face à face avec la réalité. Ici ce n’est pas juste un terrain pour les médias, un lieu d’affrontements politiques, mais un endroit où les gens vivent, et ressentent la souffrance de la guerre. C’est pour cela que nous seulEs, ne sommes pas suffisantEs.
Il est nécessaire que tout le monde se sente concerné. Comme les ouvrierEs mortEs brûléEs aux États-Unis à New York, sont aussi mon problème, en tant que journaliste et en tant que femme, ce qui se passe ici devrait être le problème d’une femme qui est en Europe, ou en Amérique… La solidarité entre femmes nécessite cela, la solidarité entre journalistes aussi. Ne pas reconnaître les frontières.
• Quel est le rôle de JinNews dans la société kurde ?
JinNews est certes en kurde, mais c’est plutôt un hommage à la lutte des femmes. Et comme il s’agit d’une agence fondée à l’initiative des femmes kurdes, elle porte le nom “Jin” [femme]. Vous connaissez certainement le slogan : “Jin jiyan azadi” [la femme, la vie, la liberté], symbole de la lutte des femmes kurdes, devenu aujourd’hui universel. Pour nous, le mot “Jin” est une notion qui, au delà des femmes kurdes, englobe toutes les femmes du monde. JinNews n’informe pas seulement sur les femmes kurdes, et nous n’avons pas une mission spécifique dans ce sens. La mission que JinNews se donne est de rendre la lutte des femmes visible. Il s’agit là, à la fois de la lutte des femmes kurdes, mais aussi de la lutte des mouvements de femmes en Turquie, et de partout dans le monde. C’est l’agence de toutes les femmes.
Entretien réalisé par Loez
Propos traduits par Naz Oke