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Les étu­di­ants et enseignants de l’U­ni­ver­sité de Boğaz­içi dénon­cent des décrets signés “de nuit” (référence faite à la nom­i­na­tion du nou­veau prési­dent de leur uni­ver­sité dans la nuit du 1er jan­vi­er 2021) qui annon­cent la créa­tion de deux nou­velles fac­ultés, de droit et de com­mu­ni­ca­tion, à l’u­ni­ver­sité Boğaz­içi même, et de 16 fac­ultés dans 13 autres uni­ver­sités du pays.

Une “let­tre ouverte au 12ème prési­dent de la République” a com­mencé à cir­culer same­di dernier, en plusieurs langues. En voici une tra­duc­tion francophone.

Lettre ouverte
au 12ème Président de la Turquie

Le poème satirique que nous avions adressé à Melih Bulu1 avait pour titre “Essais poé­tiques sur un provo­ca­teur”. Il est heureux que, réal­isant que vous étiez le prin­ci­pal pro­tag­o­niste de cette affaire, vous nous ayez répondu.

Jusqu’à aujour­d’hui, vous aviez demandé à nous ren­con­tr­er en sous-main par l’in­ter­mé­di­aire de la Fon­da­tion du ser­vice turc pour la jeunesse et l’é­d­u­ca­tion (TÜRGEV). Main­tenant, vous essayez de dis­cuter à tra­vers les médias. Nous n’ai­mons pas les inter­mé­di­aires, nous préférons par­ler directe­ment et à la vue de tous. Nous souhaitons que vous procédiez de la même manière.

Tout d’abord, per­me­t­tez-nous de vous rap­pel­er les raisons de nos protes­ta­tions et nos revendications :

Vous avez nom­mé un recteur à la tête de notre uni­ver­sité au mépris des étudiant.es et du corps enseignant. Est-ce légal ? Oui, comme vous aimez le men­tion­ner à chaque fois que vous en avez l’oc­ca­sion, mais ce n’est pas légitime. Cette nom­i­na­tion est un acte qui poussera à l’indignation et à la révolte quiconque pos­sède ne serait-ce qu’une miette de jus­tice en lui.elle.

Pour couron­ner le tout, dans une ten­ta­tive d’intimidation de l’ensemble de l’in­sti­tu­tion, ses étudiant.es, ses enseignant.es et son per­son­nel, vous décidez un ven­dre­di à minu­it de l’ouverture de nou­velles fac­ultés et de la nom­i­na­tion de nou­veaux doyens. Vos ten­ta­tives de peu­pler notre uni­ver­sité de vos par­ti­sans sont la preuve de la crise poli­tique dans laque­lle vous vous trouvez.

Les vic­times de votre crise sont plus nom­breuses chaque jour !

Nous faisons usage de nos droits con­sti­tu­tion­nels pour que l’ensemble de la société prenne con­science de l’injustice dont nous sommes vic­times. Voilà nos revendications :

Tous nos ami.es arrêté.es ou mis.es en déten­tion pen­dant cette péri­ode doivent être libéré.es immédiatement !

Toutes les cam­pagnes visant à dif­famer et à priv­er de leurs droits nos ami.es LGBTI+ et tous les autres groupes ciblés doivent cesser !

Tous les admin­is­tra­teurs nom­més, à com­mencer par Melih Bulu, qui sont à l’origine de ces gardes-à-vue, de ces déten­tions et de ces accu­sa­tions haineuses, doivent démissionner !

Dans les uni­ver­sités, il faut organ­is­er l’élection démoc­ra­tique du recteur par l’ensemble du corps universitaire !

Il paraît que vous auriez pronon­cé une phrase com­mençant par “S’ils.elles en ont le courage…”. Est-ce un droit con­sti­tu­tion­nel de deman­der la démis­sion du prési­dent ? OUI ! Depuis quand l’u­til­i­sa­tion d’un droit con­sti­tu­tion­nel est-elle une ques­tion de courage ?

Ne nous con­fondez pas avec ceux.celles qui vous obéis­sent de façon incon­di­tion­nelle. Vous n’êtes pas un sul­tan, et nous ne sommes pas vos sujets.

Mais, puisque vous avez par­lé de “courage”, nous allons égale­ment répon­dre briève­ment sur ce point.

Nous n’avons pas d’im­mu­nité juridique ! Alors que vous, bien à l’abri sous votre immu­nité juridique et poli­tique, vous tem­pêtez sans retenue depuis 19 ans.

Le min­istre de l’in­térieur répand des men­songes pour aigu­il­lon­ner la sen­si­bil­ité religieuse. Nous dis­ons que nous ne pra­ti­querons pas l’autocensure.

Vous traitez nos ami.es LGBTI+ de déviant.es, nous dis­ons que les droits LGBTI+ sont des droits humains.

Les mem­bres de votre par­ti ont bat­tu des ouvri­ers des mines de Soma. Nous avons soutenu les tra­vailleurs des mines en action et nous con­tin­uerons à le faire.

Vous main­tenez illé­gale­ment en prison les ancien.nes coprésident.es [Sela­hat­tin Demir­taş & Figen Yük­sek­dağ] du Par­ti démoc­ra­tique du peu­ple (HDP). Et aus­si des jour­nal­istes, des syn­di­cal­istes… Mais nous déclarons que nous sommes sol­idaires de ceux.celles qui n’ont pas peur de dire la vérité et que nous sommes con­tre tous les admin­is­tra­teurs nom­més par le gouvernement.

Dans les meet­ings de votre par­ti, vous poussez l’audience à huer la mère de Berkin Elvan2 . Nous déclarons que nous soutenons Berkin Elvan.

Vous visez et attaquez Ayşe Buğra sans même men­tion­ner son nom. Vous dites : “La femme d’Os­man Kavala fait par­tie de ces provo­ca­teurs”. Vous réaf­firmez ain­si grossière­ment l’er­reur sex­iste et vide de sens selon laque­lle la seule car­ac­téris­tique sig­ni­fica­tive d’une femme serait son mari. Nous affir­mons qu’“Ayşe Buğra est une pro­fesseure de grande valeur et une sci­en­tifique”. Nous ajou­tons que : “Nous pren­drons toute accu­sa­tion portée con­tre elle comme une offense con­tre nous”.

Nous savons que vous pour­rez inten­ter des dizaines de procès à par­tir de cette let­tre, au motif qu’elle fait l’éloge du crime et des coupables, ou qu’elle insulte le prési­dent, mais nous savons aus­si que nous ne renon­cerons jamais à dire la vérité !

N’ayant pas réelle­ment le pou­voir de main­tenir en poste le recteur que vous avez nom­mé, vous cherchez à le soutenir par la créa­tion de nou­velles fac­ultés et de cadres fan­toches. Voilà une atti­tude peu courageuse.

Pour toutes ces raisons, nous ne prenons pas au sérieux ce que vous dites du courage.

Nous sommes bien conscient.es que l’U­ni­ver­sité du Bospho­re n’est pas l’in­sti­tu­tion la plus impor­tante de Turquie et que la nom­i­na­tion de Melih Bulu n’est pas le prob­lème le plus impor­tant de la Turquie.

Quant à deman­der votre démis­sion, nous ne deman­dons pas votre démis­sion en rai­son de cette affaire.

POURQUOI ?

Si vous aviez l’intention de démissionner,

Vous auriez démis­sion­né quand Hrant Dink a été abattu !

Vous auriez démis­sion­né quand 34 Kur­des ont été tués à Robos­ki.

Vous auriez démis­sion­né quand 301 mineurs ont été mas­sacrés à Soma !

Vous auriez démis­sion­né après le déraille­ment du train de Çorlu !

Vous auriez démis­sion­né face aux mil­liers de per­son­nes que vous avez con­damnées au chô­mage, en com­mençant par les vic­times des purges au nom des décrets-lois !

Plutôt que de sac­ri­fi­er votre gen­dre,3vous auriez pris vos respon­s­abil­ités face au peu­ple réduit à la mis­ère par vos poli­tiques économiques.

Nous pour­rions énumér­er de nom­breux exem­ples, mais vous n’avez jamais démissionné.

Plutôt que d’être courageux, pour repren­dre vos pro­pres ter­mes, vous avez préféré vous présen­ter comme celui qui aurait été trompé.

Pourquoi vous deman­de­ri­ons-nous aujourd’hui de démissionner ?

Tant que Melih Bulu restera en poste, nous con­tin­uerons notre lutte avec déter­mi­na­tion et nous le fer­ons grandir avec ceux.celles qui résistent.

Faire ce qui doit être fait ou ne pas le faire, c’est votre choix.

Nous, nous prenons par­ti pour ceux.celles dont les droits et lib­ertés démoc­ra­tiques sont violées !

Dans l’e­spoir que vous réalis­erez que sur ces ter­res vous ne pou­vez pas faire taire les opprimé.es par les cris et les men­aces que vous poussez depuis les places et les podiums.

Boğaz­içi — Let­tre ouverte — Same­di 6 févri­er 2021

(Merci aux traducteurs-trices)

Les sou­tiens aux résis­tantEs de Boğaz­içi con­tin­u­ent à se mul­ti­pli­er : étu­di­antEs et enseignantEs d’autres uni­ver­sités en Turquie, mais aus­si d’autres pays, organ­i­sa­tions de société civile, groupes cor­po­rat­ifs, hommes et femmes politiques…

Aujour­d’hui 8 févri­er, un autre texte de sou­tien est partagé.

Cette sol­i­dar­ité pour Boğaz­içi est signée par 147 écrivainEs, dont celles et ceux que vous croisez de temps à autre sur Kedis­tan ; Aslı Erdoğan, Murathan Mungan, Murat Özyaşar, Nur­can BaysalVec­di Erbay

Nous ne baisserons pas les yeux

Nous obser­vons avec regret et réac­tion, les illé­gal­ités et injus­tices subis par les enseignantEs, les étu­di­antEs et le per­son­nel qui utilisent leur droit démoc­ra­tique d’ob­jec­tion en ver­tu de la con­sti­tu­tion, con­tre le recteur admin­is­tra­teur nom­mé à l’U­ni­ver­sité de Boğaziçi.

L’or­dre de “baiss­er les yeux” don­né par la police aux étu­di­ants qui utilisent leurs droits démoc­ra­tiques, révèle claire­ment com­ment le gou­verne­ment qui n’a à la bouche que les mots “volon­té de la Nation”, veut diriger le pays, et com­ment il com­prend la citoyenneté.

Le dis­cours de haine util­isé par les plus hautes autorités publiques, l’é­ti­que­tage des étu­di­ants comme ter­ror­istes, les déten­tions illé­gales et la vio­lence poli­cière sont de nou­velles preuves que notre pays s’est depuis longtemps éloigné de l’E­tat de droit constitutionnel.

Depuis des jours, nous voyons que celles et ceux qui résis­tent, enlèvent le fardeau des mots morts, font revivre la langue, effacent la rouille de la dom­i­na­tion, ouvrent des routes pleines de pos­si­bil­ités devant le pays. En tant que lit­téraires, nous par­ticipons avec ent­hou­si­asme à cette fête.

Nous sommes aux côtés de la résis­tance à L’U­ni­ver­sité de Boğaziçi.

Nous ne nous inclinerons pas devant l’op­pres­sion et la per­sé­cu­tion. Nous ne bais­serons pas les yeux.

Signataires — A. Ömer Türkeş, Abdullah Yılmaz, Adnan Gerger, Ahmet Telli, Ahmet Tulgar, Ahmet Ümit, Akif Kurtuluş, Alper Akçam, Alper Beşe, Altay Öktem, Anıl Mert Özsoy, Aslı Erdoğan, Aslı Ilgın Kopuz, Ataol Behramoğlu, Atilla Dorsay, Attila Aşut, Aydın Şimşek, Ayfer Tunç, Ayhan Geçgin, Ayşe Sarısayın, Ayşegül Devecioğlu, Ayşen Işık, Barbaros Altuğ, Barış Bıçakçı, Belma Fırat, Betül Dündar, Burak Acar, Burhan Sönmez, C. Hakkı Zariç, Can Dündar, Celal Çimen, Cem Erdeveciler, Ceren Cevahir Gündoğan, Ceren Olpak, Çetin Yiğenoğlu, Çiler İlhan, Cuma Boynukara, Cüneyt Ayral, Deniz Durukan, Doğuş Sarpkaya, Ece Temelkuran, Elçin Poyrazlar, Elif Durdu, Elif Şafak, Emel İrten, Emel Kayalı, Emirali Yağan, Erdoğan Kahyaoğlu, Eren Aysan, Erendiz Atasü, Eylem Ata Güleç, Fadıl Öztürk, Ferhan Şensoy, Gaye Boralıoğlu, Gökçer Tahincioğlu, Gonca Özmen, Gülce Başer, Gün Zileli, Güray Öz, Hakan Bıçakcı, Hasan Özkılıç, Hasan Öztoprak, Hatice Meryem, Haydar Ergülen, Hayri K. Yetik, Hicri İzgören, Hidayet Karakuş, Hülya Deniz Ünal, Hüseyin Bul, Hüseyin Şahin, İbrahim Baştuğ, İhsan Oktay Anar, İlhami Algör, İnci Asena, Irmak Zileli, İsa İnan, Jaklin Çelik, Kemal Gökhan Gürses, M. Mahzun Doğan, Mahir Ünsal Eriş, Mahmut Temizyürek, Mehmet Yaşın , Mehtap Ceyran, Mesut Kimsesiz, Mesut Varlık, Metin Cengiz, Müge İplikçi, Mukaddes Erdoğdu, Murat Özyaşar, Murat Uyurkulak, Murathan Mungan, Mustafa Köz, Namık Kuyumcu, Nazmi Bayrı, Necmiye Alpay, Nermin Yıldırım, Neşe Yaşın, Nesimi Aday, Nevzat Çelik, Niyazi Zorlu, Nurcan Baysal, Nurdan Arca, Olcay Özmen, Onur Orhan, Orhan Alkaya, Orhan Pamuk, Oya Baydar, Oylum Yılmaz, Ömer Faruk Ciravoğlu, Önder Kızılkaya, Öner Yağcı, Özge Doğar, Özlem Doğan Kasırga, Pınar Öğünç, Rahmi Emeç, Sedat Yurttaş, Sema Aslan, Sema Kaygusuz, Semih Çelenk, Semih Gümüş, Semrin Şahin, Seray Şahiner, Sevim Korkmaz Dinç, Sezen Ünlüönen, Sezgin Kaymaz, Sibel Oral, Şaban Ol, Şebnem İşigüzel, Taçlı Yazıcıoğlu, Tarık Günersel, Tuğrul Keskin, Tülin Dursun, Turan Parlak, Turgay Fişekçi, Ümit Kıvanç, Ünal Ersözlü, Vecdi Erbay, Yaprak Zihnioğlu, Yaşar Seyman, Yekta Kopan, Yeşim Dinçer, Yiğit Bener, Yücelay Sal, Zeynep Altıok, Zeynep Oral, Zülfü Livaneli

Quant à Melih Bulu, le recteur pis­ton­né pour Boğaz­içi,  un sou­tien est arrivé pour lui pas plus tard qu’hi­er, de Alaat­tin Çakıcı, un leader d’or­gan­i­sa­tion du crime organ­isé, fraiche­ment libéré, par une let­tre de sou­tien pub­liée sur son compte Twit­ter. Il prie Bulu de rester en poste : “S’il vous plait, ne démis­sion­nez surtout pas…”. Rien d’é­ton­nant dans une Turquie où on observe un phénomène de car­tel [oli­go­p­o­le] qui atteint des dimen­sions hégé­moniques, comme l’ex­plique Hamit Bozarslan dans un dernier entre­tien

 


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