Après un hom­mage à Havrin Kha­laf, un sou­tien aux pris­on­niers et pris­on­nières poli­tiques en Turquie, un poème sur la geôle de Diyarbakır, un écho aux œuvres de Zehra Doğan, deux poèmes dédiés à Nûdem Durak, chanteuse kurde, empris­on­née, Del­phine Durand nous fait par­venir ce texte dédié à Roj­da Felat, une femme com­bat­tante du Roja­va. Et quelle femme !

Roj­da Felat vient au monde vers 1980 dans la ville de Qamich­li, actuelle métro­pole du Roja­va, dans une grande famille com­merçante, bien que son père soit un paysan pau­vre. En 2004, elle se joint aux pre­mières émeutes  con­tre le régime syrien, dans sa ville natale.

Etudes de lit­téra­ture arabe à l’u­ni­ver­sité d’Has­saké. Roj­da Felat est étu­di­ante lorsque débute la révo­lu­tion syri­enne en 2011. Avec plusieurs dizaines d’autres étu­di­ants, elle rejoint alors les rangs des YPG,  branche mil­i­taire du PYD. Plusieurs villes dans le nord de la Syrie, en 2012, après le retrait de l’ar­mée syri­enne, passent sous leur contrôle.

En 2013, elle perd son frère cadet, Mezul, com­bat­tant dans les rangs des YPG, qui meurt dans l’ex­plo­sion d’un engin placé sur une route.

Roj­da Felat com­bat au sein des Unités de pro­tec­tion de la femme (YPJ), puis dans les Forces démoc­ra­tiques syri­ennes (FDS) con­tre Daech. En 2014 et 2015, elle par­ticipe à la bataille de Kobanê,  à la tête d’une unité de onze com­bat­tantes, dont cinq trou­vent la mort pen­dant les com­bats et deux autres seront blessées. Roj­da Felat est elle-même touchée. Après Kobanê, elle sera respon­s­able de 300 com­bat­tants. Bataille de Tall Abyad en mai-juin 2015 près de Raqqa, bataille d’Al-Chad­dadeh en févri­er 2016.

Elle com­mande, en 2016, 15 000 com­bat­tants des FDS lors de la pre­mière offen­sive de Raqqa en mai, puis à Man­bij. En novem­bre 2016, à la tête de 45 000 mem­bres des FDS, elle com­man­dera la pre­mière phase de l’of­fen­sive sur Raqqa. En juin 2017  elle rejoin­dra le haut commandement.

Le 18 octo­bre, au lende­main de la prise de Raqqa, c’est elle qui plante sym­bol­ique­ment le dra­peau des Forces démoc­ra­tiques syri­ennes sur le rond-point de la place al-Naïm.

Rod­ja Felat s’af­firme comme fémin­iste et admi­ra­trice de fig­ures comme Rosa Lux­em­burg, Ley­la Qasim (en) ou Sakine Can­sız. Elle prend l’en­gage­ment de ne jamais quit­ter les YPG, ni de se mari­er et d’avoir d’en­fants. Elle se déclare égale­ment musul­mane, croy­ante, mais non pratiquante.


Et la défaite sera pour vous

Le néant commence
En Syrie
A son empire
Tout est jugé

La nuit descendait sur
La nuée rouge
Se refermant
Tu t’es battue
Passe ton chemin
Une femme
Som­bre et augurale
Dressée
Comme l’âcre épi
Transper­cé par la grêle
Au gouf­fre sans fin
De la mis­ère toujours
Recommencer
Il n’y a per­son­ne ici
Dit l’ange
J’ai cru entendre
Le bruit de la neige

Ce n’était que moi
Dit la guerrière
Cette crinière sauvage
De sang et de poussière
Est la loi du troupeau
Tu as tout perdu
Tu regardes pouss­er l’herbe
D’une souffrance
Rongée de solitude
Avec la majesté horrible
De l’amour
Qui n’a plus que les os sur la peau
Passe ton chemin

Où sont nos droits ?

Sous une cendre
Obscure et sans âge
Qui cache la honte
D’un prési­dent fou
La peur est l’héritage
Des forts

Tu appris à hurler
La mort n’attend pas pour entrer
Dans les meilleures blessures
Tout finit par le feu
Les sept dor­mants se lèvent
Dans le fleuve qui tou­jours change

La ter­reur inguérissable
La colère, la pitié
Des miroirs cou­verts d’ulcères
Sont les ver­tiges de cette mère folle
La Syrie

L’innocence de l’enfant
Est un jou­et pour agonisant
Ce qui est aveu­gle fouille dans sa proie
Le cri fait bouil­lir les larmes des pierres
C’est dans la tempête
Qu’on devient fou de vérité
Le pétale des songes se féconde
Par sa seule plaie
Au lieu et l’heure de l’amour
Tu t’éveilles dans la tombe

Tu cherch­es les couteaux dans les mains
De ta mère
Pour résister
Com­bi­en de temps
Devrai-je endurer
Le cri glacé de la colère
J’ai franchi la frontière
De mes vies
Dont le sang coule
Rojda

Le temps n’exauce pas
Les enfants disparus
Dans le flot
Qui nous emporte
Vivre est une furie d’oiseau


Image à la une par Naz Oke, sep­tem­bre 2020

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Delphine Durand
Poétesse
His­to­ri­enne de l’art, mys­tique, poète, lais­sons au pluriel mag­nifique les mots de l’invisible… Del­phine est ontologique­ment présente dans la seule per­durable présence de l’art. Après des études de théolo­gie et de philoso­phie, elle choisit l’histoire de l’art mais son cœur ner­va­lien l’entraine vers des univers fan­tas­ma­tiques et sauvages, et enfin la poésie où nous sommes tous libres.