Français | English Révolution Feministe

Qui d’en­tre vous n’a pas vu , lec­tri­ces et lecteurs, soit sur une pan­car­te, soit sur un cal­i­cot, ces por­traits de femmes, lors d’une man­i­fes­ta­tion. Tous les militant(e)s kur­des con­nais­sent l’his­toire de ces femmes, et plus par­ti­c­ulière­ment pour l’une d’en­tre elles, Sakine Cansız.

Et comme on est jamais mieux infor­més que par celles et ceux qui parta­gent cette his­toire des com­bats poli­tiques et fémin­istes, nous leur cédons la parole volon­tiers, pour une meilleure compréhension.


Le double combat de Sakine Cansız :
Abolition du patriarcat & Autonomie du Kurdistan

Sakine Cansız

Sakine Can­sız est une com­bat­tante fémin­iste laïque kurde con­nue pour son charisme, son courage, sa com­bat­iv­ité, sa con­stance et son aura au sein de la com­mu­nauté kurde. Son apport à la cause poli­tique de l’autonomie du Kur­dis­tan force le respect et lui ont valu d’être tour à tour empris­on­née, tor­turée, exilée puis assas­s­inée en France par les ser­vices secrets turcs (MIT) dont l’implication ne fait nul doute. « Sara » est son nom de guerre car elle fut une fig­ure emblé­ma­tique de la résis­tance kurde con­tre la répres­sion turque : elle avait un rôle de pre­mier plan dans la lutte armée que lui con­férait le statut de co-fon­da­trice à part entière du Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK). Le Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK) qui a été créé en 1978 par Sakine Can­sız et Abdul­lah Öcalan est une organ­i­sa­tion assim­ilée à un mou­ve­ment de « guéril­la » ou de « rebelles » revendi­quant l’indépendance des ter­ri­toires de la pop­u­la­tion kurde répar­tis entre la Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak.

Le com­bat de Sakine Can­sız fut dou­ble, en l’occurrence celui de la lutte fémin­iste pour l’abolition du patri­ar­cat et l’émergence d’une société égal­i­taire sans dis­tinc­tion de genre et respectueuse des droits humains ain­si que celui du mou­ve­ment séparatiste pour l’autonomie du Kur­dis­tan récla­mant une place dans le con­cert des nations. Sakine Can­sız est une fig­ure de proue pour les femmes kur­des mais aus­si pour tout un peu­ple. Elle a donc com­bat­tu toute sa vie durant, con­tre une dou­ble oppres­sion – celle du sys­tème patri­ar­cal ain­si que celle des états de la région refu­sant le droit à l’autodétermination aux kurdes.

Sakine Cansız

Sakine Can­sız et Abdul­lah Öcalan

Dès sa jeunesse, elle s’est engagée dans la lutte armée pour la cause kurde sans jamais renon­cer à son engage­ment pour l’émancipation des femmes et des filles que cela soit au sein de la famille, des insti­tu­tions, de la société civile ou dans l’exercice du pou­voir. En effet, Sakine Can­sız a très tôt com­pris qu’il ne fal­lait surtout pas céder à la hiérar­chi­sa­tion des luttes et encore moins oubli­er de se bat­tre pour sa pro­pre survie dans ce sys­tème oppresseur qu’est le patri­ar­cat, c’est pourquoi elle a pris le com­man­de­ment de plusieurs unités mil­i­taires de défense fémi­nine et de batail­lons mixtes. Les femmes sont une classe de sexe qui doit se bat­tre pour sa sécu­rité au sein même de sociétés patri­ar­cales subis­sant par ailleurs l’autoritarisme de tel ou tel Etat.

« Toute ma vie a été une lutte »

Sakine Can­sız est née 1958 dans la province de Tunceli située à l’Est de la Turquie, où la pop­u­la­tion est majori­taire­ment kurde et alévie. Elle fut arrêtée par la police turque en 1979 pour avoir implan­té le PKK (Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan) dans la province d’Elazığ puis con­damnée à 24 années de détention.

Elle fut incar­cérée dans la prison de Diyarbakır située dans le sud-est ana­tolien pour y être tor­turée par les autorités turques – un sort sys­té­ma­tique­ment réservé aux pris­on­nier-ère‑s poli­tiques. Sakine Can­sız était une com­bat­tante fémin­iste qui fai­sait déjà par­tie de l’inconscient col­lec­tif du peu­ple kurde à cause de sa bravoure lors des com­bats mil­i­taires menés dans les mon­tagnes, de sa résis­tance héroïque face à la tor­ture, n’hésitant pas à cracher au vis­age de ses tor­tion­naires ou à leur tenir tête. Son frère, Metin Can­sız a égale­ment été fait pris­on­nier dans les geôles de Diyarbakır. En 1984, le PKK avait décidé d’opter pour la lutte armée con­tre Ankara, ce qui se sol­da par plus 40 000 morts essen­tielle­ment par­mi les frac­tions rebelles. L’insurrection du PKK avait donc débuté en août 1984 dans la Région de l’Anatolie du sud-est de la Turquie (avec la procla­ma­tion d’un état d’urgence élar­gi à plusieurs provinces envi­ron­nantes) et finit dans un bain de sang mais le con­flit reprit en 2015. Sakine Can­sız fut la pre­mière mem­bre du PKK à pronon­cer une plaidoirie poli­tique lors des « procès » organ­isés par le régime ayant per­pétré un coup d’Etat mil­i­taire en Turquie. En 1988, lors d’un de ses sim­u­lacres de procès, elle fut con­damnée à 76 années d’emprisonnement pour avoir eu l’audace de par­ler kurde dans l’enceinte du tri­bunal, ce qui était vécu comme un véri­ta­ble affront aux yeux du pou­voir turc qui du coup tripla sa peine de prison.

Prison de Diyarbakır (Turquie)

« Sara » : cheffe de file féministe de la cause kurde

Sakine CansızTout d’abord, le fémin­isme de Sakine Can­sız fut en cor­réla­tion avec le rejet de l’oppression envers les femmes kur­des qu’elle perce­vait bien enten­du comme une classe de sexe et par le fait qu’elle béné­fi­ci­ait d’une con­sci­en­ti­sa­tion poli­tique par le biais du marx­isme. Ensuite, Sakine Can­sız met­tait un point d’honneur à ren­dre la voix des femmes audi­bles et à leur don­ner plus de vis­i­bil­ité, plus d’autonomie et plus de poids poli­tique n’hésitant pas à mon­ter au créneau si cela était néces­saire et ceci mal­gré le fait qu’elle fut un temps la seule femme présente devant une assem­blée exclu­sive­ment mas­cu­line. Sakine Can­sız a entretenu très tôt des liens avec les milieux révo­lu­tion­naires, dès les années 70 con­tre l’avis de sa famille et avant de par­tir s’installer à Ankara. Ain­si, elle s’engagea dès son plus jeune âge dans la lutte pour l’autonomie du Kur­dis­tan et par­tic­i­pa active­ment à la créa­tion du PKK (Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan) en novem­bre 1978 à l’aube de ses vingt ans, à Lice non loin de sa ville natale. Par ailleurs, ce fut dans la cap­i­tale turque qu’elle entra en con­tact avec Abdul­lah Öcalan et que ces derniers eurent plus tard l’idée de fonder con­join­te­ment le Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK). Abdal­lah Öcalan con­vo­qua alors une ving­taine de mil­i­tants à Lice, dans le sud-est de la Turquie majori­taire­ment kurde, pour co-fonder le PKK avec Sakine Can­sız. « Sara » devint alors le nom de guerre de Sakine Can­sız à sa sor­tie de prison et elle con­tin­ua à avoir un rôle de pre­mier plan dans la cause kurde.

Sakine Cansız« Sara » dans sa réflex­ion fémin­iste sut mon­tr­er sa déter­mi­na­tion au sein de l’appareil très mas­culin du par­ti et faire avancer la cause des droits et lib­ertés des femmes : il s’agit d’une véri­ta­ble révo­lu­tion. Suite à d’importantes pertes humaines mas­cu­lines et à une volon­té des femmes de s’engager dans la lutte armée, la for­ma­tion idéologique des mil­i­tant-e‑s devint alors une pri­or­ité. Le camp d’entraînement libanais fut recon­ver­ti en académie mil­i­taire et en 1988 la libéra­tion des femmes s’inscrivait claire­ment comme la préoc­cu­pa­tion pre­mière du mou­ve­ment. Le PKK sous l’impulsion de sa cofon­da­trice a mis en place des ate­liers de « jinéolo­gie » con­sis­tant à jeter les bases d’une « Sci­ence des femmes » pluridis­ci­plinaire qui analyse de manière con­crète le vécu des femmes vic­times de vio­lences machistes étant cen­trée sur leur pro­pre expéri­ence per­son­nelle. L’objectif est de réfléchir à l’élaboration de con­cepts philosophiques fémin­istes en dehors des insti­tu­tions via des asso­ci­a­tions et des cen­tres édu­cat­ifs non-mixtes par exem­ple afin de créer une dynamique éman­ci­patrice pour les femmes et pour trans­met­tre le savoir de cette sci­ence des femmes. A l’origine le PKK était issu des milieux uni­ver­si­taires avec des intel­lectuel-les de ten­dance marx­iste, mais dans les années 80 l’arrivée de nom­breux mil­i­tants anal­phabètes ou peu éduqués orig­i­naires de dif­férentes régions rurales ou des vil­lages rasés par l’Etat turc avait fait sur­gir l’urgence de faire enten­dre les voix des femmes pour un Kur­dis­tan (vrai­ment) « libre » sans opprimer la moitié de sa population.

RojavaLe mou­ve­ment de libéra­tion des femmes kur­des soutenu par « Sara » a pour objec­tif de défendre un pro­jet d’émancipation des femmes pour que l’égalité femmes/hommes soit une norme tant dans la société civile que sur le champ de bataille. « Sara » fut tuée à un moment où les kur­des com­mencèrent à retran­scrire leur vision poli­tique à Roja­va (Kur­dis­tan syrien) con­sis­tant à met­tre en place une démoc­ra­tie directe ou par­tic­i­pa­tive et évidem­ment laïque dans le respect d’une égal­ité de traite­ment entre les citoyen-nes peu importe leur genre, leur reli­gion, leur eth­nie, leur ori­en­ta­tion sex­uelle avec le souci de la préser­va­tion de l’environnement et d’installer un sys­tème d’auto-gestion (ant­i­cap­i­tal­iste) et d’auto-défense de la zone. A Roja­va, les femmes kur­des ont obtenu des garanties impor­tantes telles que la présence de femmes à au moins 40% au sein des com­mis­sions et que toutes les organ­i­sa­tions de la société civile et poli­tique soient co-présidées de manière par­i­taire. Les femmes ont con­tribué à cette « autonomie démoc­ra­tique » et en furent même un pili­er ; leur pou­voir de déci­sion n’était donc pas remis en cause dans les dif­férentes instances de l’administration, con­traire­ment à la con­fig­u­ra­tion des régimes poli­tiques de la région du Moyen-Ori­ent. Les femmes kur­des ont à plusieurs repris­es affir­mé que les avancées con­statées furent le fruit d’une trentaine d’années de lutte révo­lu­tion­naire pour le peu­ple kurde et de com­bat fémin­iste au sein du mou­ve­ment de libéra­tion. Les fémin­istes kur­des ont mis en exer­gue l’importance d’organisations non-mixtes tout au long de ce processus.

Sakine CansızLe fait d’avoir une fémin­iste con­va­in­cue telle que Sakine Can­sız au sein même de la Direc­tion du PKK a per­mis aux femmes kur­des ne plus être réduites au silence, d’obtenir d’un statut poli­tique digne de ce nom mais ceci fut le résul­tat d’une lutte per­ma­nente car les droits et lib­ertés des femmes n’ont jamais été don­nés mais tou­jours arrachés au patri­ar­cat. Les femmes kur­des sont con­fron­tées à des oppres­sions de types addi­tion­nelles dans des sociétés patri­ar­cales et imprégnées de la mou­vance islamiste tout en étant mem­bres d’une nation sans Etat ce qui les a tout par­ti­c­ulière­ment sen­si­bil­isées à la notion de la Lib­erté, qu’elles sont déter­minées à attein­dre et non pas seule­ment dans le sens abstrait ou empirique du terme. En 1987, les femmes kur­des d’Europe avaient égale­ment ini­tié un mou­ve­ment fémin­iste depuis l’étranger avec la créa­tion de l’Association des Femmes Kur­des Patri­otes du Kur­dis­tan qui joua un rôle impor­tant dans la lutte con­tre les vio­lences mas­cu­lines. Cepen­dant, les poli­tiques colo­nial­istes d’assimilation niant leur cul­ture ont été un fac­teur de mobil­i­sa­tion des femmes kur­des sur le ter­rain de la poli­tique et de la prise de con­science du car­ac­tère sys­témique des vio­lences qu’elles subis­saient – et de leur refus d’établir une fron­tière entre le « pub­lic » et le « privé ». Les femmes du mou­ve­ment de libéra­tion organ­i­saient des ren­con­tres d’éducation pop­u­laire fémin­iste des­tinées aux hommes afin de les sen­si­bilis­er sur les rap­ports soci­aux de sexe iné­gal­i­taires étab­lis par le patri­ar­cat et de faire un tra­vail de ter­rain con­tre le con­di­tion­nement social.

« Sara » fut une fig­ure de proue de la lutte des droits et lib­ertés des femmes kur­des au Kur­dis­tan et au sein de la dias­po­ra puis elle lança au milieu des années 90 les pre­mières organ­i­sa­tions non-mixtes kur­des avant de s’exiler en Europe. Ain­si, « Sara » en tant que fémin­iste lut­ta tout naturelle­ment con­tre la dom­i­na­tion mas­cu­line y com­pris dans les instances de son pro­pre par­ti. En 1995, Sakine Can­sız fut égale­ment la cofon­da­trice de l’Union des Femmes Libres du Kur­dis­tan. Le mou­ve­ment des femmes déci­da de se con­stituer en par­ti poli­tique en 1999 : le Par­ti des Femmes Tra­vailleuses du Kur­dis­tan, qui par la suite devien­dra le Par­ti de la Libéra­tion des Femmes Kur­des car les femmes kur­des ont vrai­ment l’ambition d’offrir un nou­veau con­trat social axé sur leur éman­ci­pa­tion et leur sécu­rité et pour une société plus human­iste. Leur but est d’éradiquer les vio­lences con­ju­gales ou les fémini­cides dans une société sécu­lar­isée afin de chang­er les men­tal­ités et de se préserv­er des dan­gers du fon­da­men­tal­isme religieux.

Sakine Cansız« Sara » par­tic­i­pait aux com­bats mil­i­taires dans le milieu hos­tile des mon­tagnes et appelait les kur­des à se révolter. Le PKK arri­va ain­si à infliger de sérieux revers à l’armée turque. « Sara » avait un par­cours mil­i­taire plus qu’exemplaire et elle se déplaçait dans les dif­férentes régions kur­des de Turquie, de Syrie, d’Irak et d’Iran. En 1997, les Etats-Unis puis d’autres pays de l’Union Européenne placèrent le PKK (Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan) dans la liste des organ­i­sa­tions ter­ror­istes en rai­son de son ambi­tion de créer un Kur­dis­tan indépen­dant par la lutte armée. Etant don­né que la plu­part des pays occi­den­taux accep­tèrent d’étiqueter le PKK comme mou­ve­ment ter­ror­iste, celui-ci se sub­di­visa alors en qua­tre entités : le PRD pour la Turquie, le PYD pour la Syrie, le PÇDK pour le Kur­dis­tan irakien et le PJAK pour l’Iran (ain­si que d’autres entités) afin de brouiller les pistes. En out­re, le PKK fut aus­si soupçon­né de traf­ic de stupé­fi­ants par les Etats-Unis pour pou­voir financer leur « guéril­la » con­tre la Turquie.

« Sara » obtint en 1998 l’asile poli­tique en France où elle y résidera plusieurs années. Cepen­dant, le 19 mars 2007 elle fut arrêtée à Ham­bourg par la police alle­mande car Ankara avait émis un man­dat d’arrêt inter­na­tion­al à son encon­tre, mais elle fut relâchée le 25 avril suiv­ant après avoir passé un peu plus d’un mois en prison. Dans une note des autorités améri­caines, les Etats-Unis iden­ti­fièrent le rôle majeur de « Sara » dans la col­lecte de fonds du PKK en Europe et pro­jetèrent alors son arresta­tion. En févri­er 1999, ce fut au tour d’Abdullah Öcalan d’être cap­turé mais cette fois au Kenya lors d’une opéra­tion con­join­te­ment menée par les ser­vices secrets turcs et améri­cains – les ser­vices secrets israéliens (Mossad) auraient fourni une aide sub­stantielle à la Turquie. Le cofon­da­teur du PKK a tout d’abord été con­damné à la peine de mort pour trahi­son et ten­ta­tive de divi­sion de la Turquie puis la sen­tence de « Apo » fut com­muée en une peine de prison à vie (suite à l’abolition de la peine de mort en 2002 dans la per­spec­tive d’une adhé­sion à l’Union Européenne). Il purge tou­jours sa peine d’emprisonnement à vie dans la prison de l’île d’Imrali, située en mer de Mar­mara (Turquie) où il subit des pres­sions psy­chologiques quo­ti­di­ennes. Le 1er sep­tem­bre 1999, depuis sa cel­lule de prison, « Apo » ordon­na l’abandon de la lutte armée mais ce cessez-le-feu n’était décrété que de manière uni­latérale ce qui sera ultérieure­ment con­testé par le PKK avec l’organisation d’attentats-suicides.

manif avec apo« Sara » qui résidait donc en France par la suite, était incon­testable­ment une cadre impor­tante du mou­ve­ment en Europe, du fait de son engage­ment, de son par­cours et de son activ­ité de lob­by­ing poli­tique en faveur du Kur­dis­tan et de la cause des droits des femmes. Mais elle tra­vail­lait aus­si en étroite col­lab­o­ra­tion avec le com­man­de­ment mil­i­taire du PKK présent dans les zones de com­bats. « Sara » s’occupait aus­si de trans­met­tre des infor­ma­tions sur les dif­férentes exac­tions con­statées en Turquie en dénonçant par exem­ple les arresta­tions arbi­traires ou les « meurtres non élu­cidés » de kur­des. En 2012, un mou­ve­ment de con­tes­ta­tion à l’endroit du gou­verne­ment turc naquit en France au sein de la com­mu­nauté kurde de Stras­bourg qui récla­mait une amélio­ra­tion des con­di­tions de déten­tion d’Abdullah Öcalan. En effet, ce dernier était à l’isolement sans avoir la pos­si­bil­ité de par­ler à un avo­cat – ces man­i­fes­ta­tions avaient rassem­blées plus de 40 000 per­son­nes selon les autorités. Après plus d’une trentaine d’années de mil­i­tan­tisme acharné et de lutte armée, « Sara » occu­pa une posi­tion poli­tique stratégique tout en ayant un rôle clé dans la ges­tion du finance­ment de la cause kurde en Europe. Elle avait déjà eu la charge de la défense des intérêts du PKK à l’étranger, notam­ment en Alle­magne auprès de la dias­po­ra et en col­lab­o­ra­tion avec Abdul­lah Öcalan alors lui-même exilé en Syrie.

Sakine CansızDans la nuit du 9 au 10 jan­vi­er 2013, Sakine Can­sız et deux autres mil­i­tantes furent assas­s­inées à Paris, non loin de la gare du Nord, par un agent des ser­vices secrets turcs (MIT) bien qu’elles étaient sous sur­veil­lance poli­cière. Sakine Can­sız fut inhumée à Tunceli (« Der­sim » en kur­mand­ji), sa ville natale située dans le Kur­dis­tan turc ayant une his­toire san­guinaire avec l’Etat turc. En effet, suite au mas­sacre de la pop­u­la­tion kurde per­pétré en 1937 par l’armée turque et à l’initiative de Mustafa Kemal Atatürk dans le cadre d’une « mis­sion de civil­i­sa­tion », la ville de Der­sim fut renom­mée Tunceli, ce qui sig­ni­fie « main de bronze ». L’Etat turc avait donc opté pour une mesure de type « puni­tif » envers les kur­des à la fois pour s’être révolté-e‑s et pour avoir apporté une pro­tec­tion à de nom­breux arménien-nes pen­dant le géno­cide. Par ailleurs, la ville de Der­sim où Sakine Can­sız repose est un haut lieu de la cul­ture alévie, proche de la nature et human­iste où les hommes et les femmes seraient de fac­to égaux.

« Armée des femmes »

Sakine CansızSakine Can­sız fut égale­ment à l’origine de la créa­tion de l’« armée des femmes » à sa sor­tie de prison, chose qu’ Abdul­lah Öcalan approu­va en évo­quant d’ailleurs une adéqua­tion avec l’idée de l’« émer­gence d’une femme forte libérée du féo­dal­isme mas­culin » qu’il approu­vait. Sakine Can­sız fut libérée en 1991, soit après avoir purgé 12 années d’emprisonnement et de tor­tures qui n’avaient pas entamé sa déter­mi­na­tion. Ensuite, elle recom­mença à militer clan­des­tine­ment et reprit les armes pour com­bat­tre la répres­sion turque qui rasait des vil­lages et arrê­tait des kur­des de manière arbi­traire. Dans le sud-est de la Turquie, elle appor­ta son appui à la lutte armée dans les rangs du PKK et par­tic­i­pa égale­ment à une con­férence ini­tiée par Abdul­lah Öcalan, dans un camp d’entraînement local­isé au Liban dans la plaine de la Bekaa.

Sakine Can­sız, aidée par son aura et son charisme, con­tin­ua sans relâche à inciter les kur­des à se rebeller ain­si qu’ à œuvr­er à la créa­tion de stratégiques unités de défense féminines puisque la par­tic­i­pa­tion des femmes dans la lutte armée était de grande enver­gure. A not­er qu’Abdullah Öcalan (cofon­da­teur du PKK) avait publique­ment recon­nu les qual­ités incon­testa­bles de leadeuse de Sakine Can­sız au sein de l’organisation marx­iste ain­si que son rôle prépondérant dans le mou­ve­ment de libéra­tion du Kur­dis­tan. Lors d’une réu­nion offi­cielle, ce dernier la présen­ta comme une per­son­ne « plus courageuse et même plus ambitieuse » que lui. Abdul­lah Öcalan partageait la réflex­ion fémin­iste de Sakine Can­sız et affir­mait que « le principe fon­da­men­tal du social­isme est de tuer l’homme dom­i­nant ». Le mou­ve­ment armé kurde a été créé en 1992, soit une année après la remise en lib­erté de Sakine Can­sız qui con­tin­ua à con­tribuer à la réso­lu­tion de la ques­tion kurde ain­si qu’à lut­ter pour la libéra­tion des femmes kur­des en Europe, en étant notam­ment mem­bre du Con­grès Nation­al du Kur­dis­tan (KNK) à Bruxelles.

Sakine Can­sız a soutenu l’apport idéologique et fémin­iste fourni aux femmes kur­des dans les années 90 accom­pa­g­né d’un change­ment en pro­fondeur de l’organisation de la lutte armée : les femmes étaient en pre­mière ligne lors des insur­rec­tions et des man­i­fes­ta­tions con­tre les opéra­tions mil­i­taires de l’Etat turc. De plus, les sol­dates kur­des ont assuré à plusieurs repris­es des opéra­tions d’aide aux réfugié-es d’ordre édu­catif, san­i­taire, médi­cal, psy­chologique logis­tique et de défense de zones mil­i­taires. Les com­bat­tantes kur­des ont joué un rôle décisif dans la résis­tance armée mais pas seule­ment, elles inter­ve­naient égale­ment sur les aspects relat­ifs à la « guerre de l’information » en rédi­geant des com­mu­niqués de presse mul­ti­lingues, en accor­dant des inter­views, en étab­lis­sant des sol­i­dar­ités inter­na­tionales, en main­tenant un lob­by­ing poli­tique et des syn­er­gies avec la dias­po­ra. Abdul­lah Öcalan esti­mait à juste titre que « la paix des kur­des passe par les femmes ».

sakine cansiz 12L’« armée des femmes » per­mit aux femmes d’avoir leur pro­pre état-major en 1999 et donc d’être déci­sion­naires au sein du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire du fait de la par­tic­i­pa­tion impor­tante des femmes au com­bat jugée comme essen­tielle. Sakine Can­sız a créé des unités de défense féminines ayant leur com­man­de­ment attitré. Gül­naz Karataş Beri­tan fut l’une des pre­mières com­man­dantes d’unités non-mixtes qui mena une lutte acharnée con­tre l’ennemi jusqu’à sa dernière muni­tion et qui brisa sa kalach­nikov (afin qu’elle soit hors d’usage pour le camp adverse) avant de se jeter d’une falaise car elle refu­sait l’éventualité d’être pris­on­nière. Par con­séquent, les autorités kur­des s’illustraient alors dans le fait qu’elles étaient les seules à s’être dotées d’un corps d’armée exclu­sive­ment féminin qui a dernière­ment rem­porté des suc­cès mil­i­taires con­tre Daech et ceci sans aucune aide inter­na­tionale, du moins dans les pre­miers temps. De plus, la com­man­dante Nass­rine Abdal­lah ayant libérée Kobanê affir­mait que ses unités féminines avaient un « ascen­dant psy­chologique » sur les islamistes car ces derniers auraient une crainte sup­plé­men­taire au com­bat à savoir celle de ne pas aller au « par­adis » s’ils étaient tués par une femme – perçue comme impure ou comme un être inférieur. Les femmes kur­des ont refusé de rester à la mai­son et ont choisi l’engagement dans l’ « armée des femmes » depuis plus d’une ving­taine d’années mais il y avait des antécé­dents de com­man­de­ment mil­i­taire de ce type par le passé.

saine cansiz 13Les sol­dates de l’« armée des femmes » ont com­bat­tu au front aux côtés de leurs homo­logues mas­culins sans dis­tinc­tion et leur capac­ité numérique pour­rait représen­ter jusqu’à 50% des forces armées en frac­tion selon les zones de con­flits. En Syrie, elles ont notam­ment inté­gré les Unités de défense du peu­ple (YPG) qui encadraient les forces armées kur­des – refu­sant tout régime spé­cial par rap­port à leur cama­rades mas­culins dont elles assur­aient égale­ment la pro­tec­tion. Les revers mil­i­taires que les com­man­dantes kur­des ont infligées à Daech, comme par exem­ple à Kobanê ou avec la mise e place d’une « autonomie démoc­ra­tique » à Roja­va ali­mentent ce regain d’intérêt pour la ques­tion kurde, de même que le fait qu’elles soient por­teuses d’un nou­veau con­trat social. Elles incar­nent juste­ment tout ce que le fon­da­men­tal­isme religieux hait : l’émancipation des femmes, la lib­erté, l’égalité, la laïc­ité ou la recon­nais­sance de l’homosexualité. Des « Unités de pro­tec­tion des femmes » appelées Yekîneyên Parasti­na Jinê (YPJ) lut­tent con­tre les vio­lences patri­ar­cales telles que les fémini­cides, les « mariages » for­cés, la polyg­a­mie, les vio­ls ou les muti­la­tions sex­uelles entre autres et pra­tiquent la dénon­ci­a­tion publique des vio­lences con­ju­gales chez les com­bat­tants kur­des ; la bataille n’est pas seule­ment mil­i­taire mais aus­si idéologique. Les com­bat­tantes affir­ment s’opposer à tout ce qui représente une men­ace con­tre « leurs droits en tant que femmes » et con­tre « leurs droits en tant que peu­ple kurde ». Elles sont donc des pesh­mer­gas à part entière car elles « affron­tent la mort » au sens lit­téral du terme.

jineoloji logoLa for­ma­tion mil­i­taire des sol­dates kur­des de l’ « armée des femmes » inclu­ait l’apprentissage de la « jinéolo­gie », cette sci­ence ini­tiée par les femmes et pour les femmes con­sis­tant à partager un savoir sur ce qui con­cerne les rap­ports de dom­i­na­tion du sys­tème patri­ar­cal : « une méth­ode de recherche qui ne prendrait pas en compte la réal­ité des femmes, qui ne met­trait pas la femme au cen­tre de ses préoc­cu­pa­tions ne per­me­t­tra jamais de dévelop­per une véri­ta­ble lutte pour la lib­erté et l’égalité ». Le pré­fixe kurde « jin » sig­ni­fie femme, en grec « jiyan » veut dire vie et « logos » fait référence à la sci­ence en lien avec la parole, la rai­son ; les femmes écrivent leur pro­pre his­toire en dehors du patri­ar­cat. Cette « sci­ence » con­sis­tait à don­ner la parole aux femmes et à créer un espace de dia­logue et d’analyse des vio­lences mas­cu­lines dans des struc­tures non-mixtes indépen­dantes des insti­tu­tions, de l’Etat turc et des bailleurs de fonds. Ain­si, les « Académies des femmes » qui s’organisaient dans un mode de fonc­tion­nement d’auto-gestion servirent de sup­port à la trans­mis­sion de l’enseignement de cette sci­ence et à la mise en place de pro­jets col­lec­tifs dans une optique de partage de con­nais­sances. Elles avaient donc l’occasion de lire et de réfléchir sur des textes fémin­istes provenant d’horizons divers mais elles tenaient à dévelop­per leur pro­pre vision poli­tique et ant­i­cap­i­tal­iste des rap­ports femmes/hommes et expri­maient une hos­til­ité envers une cer­taine forme d’hégémonie occi­den­tale qui pou­vait, selon elles, con­sid­ér­er les femmes du Moyen-Ori­ent comme « arriérées » ou inca­pables de con­stru­ire une con­science poli­tique. Les sol­dates kur­des devaient savoir manier les armes mais pas seule­ment, elles devaient aus­si être en mesure de se forg­er leur pro­pre pen­sée poli­tique de manière autonome. Abdul­lah Ocalan a précédem­ment rap­pelé une évi­dence, à savoir qu’« une société ne peut être libre que si la femme y est libre ».

Sakine CansızSakine Can­sız avait égale­ment le com­man­de­ment d’unités de défense mixtes et les hommes étaient triés sur le volet avec l’obligation d’adresser une sorte de pro­fes­sion de foi, d’expliquer et de con­va­in­cre la direc­tion sur leur moti­va­tion s’ils voulaient béné­fici­er d’une for­ma­tion idéologique fémin­iste et uni­ver­sal­iste. La médi­ati­sa­tion de ces femmes courageuses en armes a pu occul­ter l’existence d’un ambitieux pro­jet d’émancipation des femmes et le fait qu’elles inci­taient toutes les femmes à s’organiser, se réu­nir, s’entraider et à s’unir pour créer une dynamique con­tre le sys­tème patri­ar­cal, le cap­i­tal­isme, le despo­tisme des Etats, sans faire de dis­tinc­tion entre le « privé » et le « poli­tique » : une révo­lu­tion féministe !

Assassinat de Sakine Cansız : une affaire d’Etat franco-turque

logo drapeau kurdeSakine Can­sız s’est courageuse­ment battue sur tous les fronts pour que le peu­ple kurde puisse obtenir son indépen­dance, puisque les kur­des rem­plis­sent tous les critères leur per­me­t­tant de pré­ten­dre à l’autonomie du Kur­dis­tan : con­ti­nu­ité ter­ri­to­ri­ale, his­toire, langue, cul­ture. Le Kur­dis­tan est une sorte ter­ri­toire sans fron­tières et le fruit d’une His­toire com­plexe faite d’insurrections, de mas­sacres et de trahisons poli­tiques tant de la part des pays occi­den­taux au lende­main de la pre­mière guerre mon­di­ale par exem­ple que sous l’Empire Ottoman. Les Kur­des sont dis­per­sées sur qua­tre pays entre la Turquie (40%), l’Irak (15%), l’Iran (25%) et la Syrie (5 à 10%) – à not­er que ces pays ne sont pas spé­ciale­ment con­nus pour leur respect des droits humains ou des minorités. Les kur­des sont par­fois présen­tés comme un « peu­ple frag­men­té » mais qui compte dans la région du Moyen-Ori­ent tant d’un point de vue démo­graphique (35 mil­lions), géopoli­tique (local­i­sa­tion), économique (pét­role, eau) que socio-cul­turel (ara­bi­sa­tion) sur une super­fi­cie équiv­a­lente à celle de la France, sans oubli­er l’existence d’une dias­po­ra. Dans le con­texte de la guerre en Syrie con­tre le ter­ror­isme, le fait que les kur­des com­bat­tent vail­lam­ment l’obscurantisme de Daech leur a per­mis de béné­fici­er d’un coup de pro­jecteur sur la scène médi­a­tique internationale.

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Ley­la Söyle­mez, Sakine Can­sız, Fidan Doğan

Sakine Can­sız en tant que cofon­da­trice du Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK), Fidan Doğan représen­tante du Con­grès Nation­al du Kur­dis­tan (KNK) et l’activiste Ley­la Söyle­mez furent donc froide­ment exé­cutées d’une balle dans la nuque – par les ser­vices secrets turcs (MTI) – au siège du Bureau d’Information kurde situé dans le Xe arrondisse­ment de Paris. Il est évi­dent que Sakine Can­sız était une cible de choix pour les autorités turques : elle fut donc assas­s­inée pour ses idées car elle défendait ardem­ment l’autonomie du Kur­dis­tan tout en étant l’initiatrice d’un mou­ve­ment laïque de libéra­tion des femmes qui n’était pas du goût ni de la Turquie ni des fon­da­men­tal­istes religieux de la région du Moyen-Ori­ent. Ces trois femmes auraient eu le tort de se bat­tre pour la recon­nais­sance des droits fon­da­men­taux du peu­ple kurde et leurs activ­ités poli­tiques et/ou asso­cia­tives respec­tives con­sis­taient prin­ci­pale­ment à dénon­cer les vio­la­tions des droits humains per­pétrées en Turquie con­tre la pop­u­la­tion kurde. Néan­moins, elles mil­i­taient pour la paix et pour une réso­lu­tion paci­fique de la ques­tion kurde en sou­tenant notam­ment les pour­par­lers entre le gou­verne­ment turc et le PKK. Sakine Can­sız (cadre de la direc­tion du PKK), Fidan Doğan (lob­by­iste du par­ti) et Ley­la Söyle­mez (représen­tante de la sec­tion jeunesse du mou­ve­ment) furent abattues le mer­cre­di 9 jan­vi­er 2013, soit quelques jours après l’annonce de l’ouverture de négo­ci­a­tions entre Ankara et Abdul­lah Öcalan — qui est tou­jours empris­on­né à île d’İmralı dont il serait le seul rési­dent. Le con­texte priv­ilégie for­cé­ment la piste de l’ « assas­si­nat poli­tique » à un moment où des négo­ci­a­tions avaient lieu en Turquie. L’objectif de ces négo­ci­a­tions entre Ankara et le PKK était de trou­ver une solu­tion poli­tique au con­flit kurde dans le but de met­tre fin à une lutte armée d’une trentaine d’années ayant fait plus de 40 000 morts, des cen­taines de mil­liers de déplacé-e‑s et des pri­sion­nier-ère‑s poli­tiques dans les geôles turques.

logo loup grisLe fémini­cide des trois mil­i­tantes kur­des a fait naître une véri­ta­ble « affaire d’Etat » puisqu’il a eu lieu sur le sol français et à un moment où la Turquie avait repris (depuis fin 2012) le dia­logue avec le PKK, par le biais de négo­ci­a­tions directes avec Abdul­lah Öcalan, dans le but d’obtenir son désarme­ment ce qui est un enjeu de taille pour la Turquie. Ces assas­si­nats poli­tiques sont évidem­ment une manière de tor­piller les négo­ci­a­tions avec Ankara par un nou­v­el usage de la force de façon à faire pencher la bal­ance du côté turc ou à désta­bilis­er les kur­des. Pour­tant, les ser­vices secrets turcs ont offi­cielle­ment démen­ti toute impli­ca­tion dans cette « affaire » en jan­vi­er 2014 après que des médias turcs aient dif­fusé l’enregistrement sonore relatif à des cibles poten­tielles de la guéril­la kurde. Il s’agissait d’une con­ver­sa­tion entre deux agents du MIT et un homme iden­ti­fié comme Ömer Güney qui est le seul « sus­pect » dans cette affaire d’Etat. Ömer Güney avait facile­ment réus­si à infil­tr­er le PKK via une stratégie d’entrisme, en s’impliquant dans le milieu asso­ci­atif de la com­mu­nauté kurde et en offrant ses ser­vices d’interprète en langue alle­mande et française – jusqu’à se voir con­fi­er l’accompagnement de Sakine Can­sız. Il a rapi­de­ment été arrêté et mis en exa­m­en pour le motif d’avoir per­pétré des « assas­si­nats en rela­tion avec une entre­prise ter­ror­iste ». L’enquête révèle que le meur­tri­er est bien Ömer Güney, chauf­feur de Sakine Can­sız, et qu’il a des liens avec une organ­i­sa­tion poli­tique d’extrême droite turque ultra­na­tion­al­iste et hos­tile aux kur­des nom­mée les « Loups Gris » – étant ini­tiale­ment l’emblème de la sec­tion jeunesse du Par­ti d’action nation­al­iste (MHP en turc). Les « Loups Gris » dis­posent d’une sorte de signe de ral­liement au moyen d’un geste de la main cen­sé représen­ter la tête d’un loup et sont con­nus pour les vio­lentes offen­sives envers les communistes.

La thèse de l’implication des ser­vices secrets turcs dans ces assas­si­nats poli­tiques est étayée par l’existence de plusieurs « élé­ments » à charge tels qu’un enreg­istrement sonore, la présence de résidus de poudre dans une sacoche trou­vée dans le véhicule d’Ömer Güney (sem­blable à celle des images de vidéo­sur­veil­lance), les relevés télé­phoniques du « sus­pect » faisant état de con­tacts réguliers avec le MIT, la pub­li­ca­tion sur Inter­net d’un doc­u­ment offi­ciel une année après les assas­si­nats men­tion­nant claire­ment que le meur­tri­er a agi sur ordre du MIT (ser­vices secrets turcs) via un « ordre de mis­sion ». Dans cette affaire, le réquisi­toire du par­quet indique que « de nom­breux élé­ments de la procé­dure per­me­t­tent de sus­pecter l’implication du MIT dans l’instigation et la pré­pa­ra­tion des assas­si­nats ». Le manque de volon­tarisme des autorités turques et français­es pour faire la lumière sur le meurtre de ces trois mil­i­tantes kur­des crève les yeux.

couverure economist erdoganDans la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan qui se voit en nou­veau « sul­tan », une enquête a été ouverte et mal­gré une com­mis­sion roga­toire inter­na­tionale, aucune infor­ma­tion n’a été partagée avec la jus­tice française. En France, le gou­verne­ment a refusé de lever le secret-défense sur les ren­seigne­ments qui auraient pu per­me­t­tre l’avancement de l’enquête judi­ci­aire. Les juges chargés de l’instruction du dossier sont par con­séquent con­traint-e‑s de clore leur réquisi­toire défini­tif – sans avoir pu offi­cielle­ment remon­ter jusqu’aux com­man­di­taires qui sont pour­tant iden­ti­fiés. En revanche, l’ancien min­istre de l’Intérieur, Claude Guéant, lors d’une inter­view à iTélé s’est éton­nam­ment dit être « à peu près cer­tain que les ser­vices turcs ne sont pour rien dans cette affaire ». En 2011, Claude Guéant avait signé avec le gou­verne­ment turc un accord de coopéra­tion dans la lutte con­tre le ter­ror­isme (échange d’informations avec la police turque), chose que Jean-Marc Ayrault, ancien pre­mier min­istre (pre­mier gou­verne­ment de François Hol­lande) a main­tenu en y con­sacrant même un pro­jet de loi. Mais, faut-il rap­pel­er que pour les autorités turques toute per­son­ne kurde serait un‑e « ter­ror­iste » en puissance ?

erdogan coranLe Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP) dirigé par Recep Tayyip Erdoğan est un par­ti poli­tique que nous pou­vons qual­i­fi­er d’islamo-conservateur lib­er­ti­cide gan­grené par la cor­rup­tion – ouverte­ment réac­tion­naire, antifémin­iste, LGBT­phobe, anti­sémite et opposé à la laïc­ité kémal­iste tout en faisant la pro­mo­tion du port du voile sous cou­vert de « lib­erté religieuse ». Cepen­dant, pour ten­ter de récuser les accu­sa­tions d’islamisme, Recep Tayyip Erdoğan, qui a le sens de la for­mule, s’est déclaré « démoc­rate con­ser­va­teur » ou « démoc­rate musul­man ». L’année suiv­ant la prise de pou­voir du Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP), Reporters sans fron­tières (RSF) a qual­i­fié la Turquie de « pre­mière prison au monde pour les jour­nal­istes » et les ONGs ont con­fir­mé ce dur­cisse­ment du gou­verne­ment turc. Les asso­ci­a­tions fémin­istes l’accusent même d’encourager les fémini­cides et/ou de banalis­er le fléau des vio­lences con­ju­gales. Dans le dis­cours du prési­dent turc du 12 août 2005 à Diyarbakır, Recep Tayyip Erdoğan promet­tait d’aborder la ques­tion kurde d’une manière qui serait plus « démoc­ra­tique » ou tout sim­ple­ment plus respectueuse du droit inter­na­tion­al : « le prob­lème kurde n’est pas le prob­lème d’une par­tie de notre peu­ple, mais le prob­lème de tous. C’est donc aus­si le mien. Nous allons régler chaque prob­lème avec encore plus de démoc­ra­tie, plus de droits civils et plus de prospérité, dans le respect de l’ordre con­sti­tu­tion­nel, du principe répub­li­cain et des principes fon­da­men­taux que nous ont légués les pères fon­da­teurs de notre pays ». La Turquie a mal­gré tout l’ambition d’intégrer l’Union Européenne et fait mine de s’engager dans un proces­sus de « démoc­ra­ti­sa­tion » avec des islamistes aux manettes.

Les Kur­des jouent un rôle déter­mi­nant dans la lutte con­tre Daesh ce qui n’est vis­i­ble­ment pas le cas de la Turquie compte tenu des pris­es de posi­tions du prési­dent turc élu depuis 2014 (après avoir été Pre­mier min­istre de 2003 à 2014). Recep Tayyip Erdoğan lors de son man­dat de Pre­mier min­istre, n’a pas hésité à priv­ilégi­er publique­ment la piste d’un règle­ment de compte interne au PKK ou d’une quel­conque « ten­ta­tive de sab­o­tage » des pour­par­lers pour ce qui con­cerne les assas­si­nats des trois mil­i­tantes kur­des, optant donc pour la vic­tim­i­sa­tion. En effet, le Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP en turc) aurait cer­taine­ment appré­cié d’obtenir le désarme­ment de la rébel­lion kurde avant l’échéance des élec­tions prési­den­tielles. Dans un com­mu­niqué dif­fusé sur le site inter­net du mou­ve­ment séparatiste, le Cen­tre d’Information du Kur­dis­tan de Paris, écar­tait caté­gorique­ment cette éven­tu­al­ité en affir­mant qu’il s’agissait d’« un assas­si­nat poli­tique exé­cuté d’une façon très pro­fes­sion­nelle » et rendait égale­ment un vibrant hom­mage à Sakine Can­sız pour avoir mar­qué l’ « armée des femmes » de son empreinte.

hollande sakine cansiz

« Venez inve­stir en France ! » par François Hol­lande, Prési­dent français

Le prési­dent français François Hol­lande garde un silence coupable et cède à la realpoli­tik en main­tenant d’étroites rela­tions diplo­ma­tiques avec la Turquie alors que ces assas­si­nats poli­tiques ont été per­pétrés sur son ter­ri­toire. Son intérêt man­i­feste pour le néo-libéral­isme le con­duit tout naturelle­ment à préfér­er la sig­na­ture de juteux con­trats com­mer­ci­aux (12 mil­liards d’€ pour Air­bus et 15 mil­liards d’€ pour GDF Suez) et ceci à peine trois mois après le meurtre des trois mil­i­tantes kur­des à Paris alors que la jus­tice française pointe les « accoin­tances » du sus­pect avec les ser­vices secrets turcs. La France reste murée dans son silence et fait pass­er le mes­sage que les droits humains ne valent vis­i­ble­ment pas grand chose face aux trans­ac­tions finan­cières que représen­tent la vente d’une cen­taine d’avions ou d’une poignée de cen­trales nucléaires. La France ne sem­ble pas non plus faire preuve d’enthousiasme à l’idée de deman­der (juste­ment) des comptes à la Turquie pour ces crimes com­mis dans sa cap­i­tale, qui ont été ressen­tis comme un véri­ta­ble élec­tro­choc par la com­mu­nauté kurde. Il sem­ble que les familles des vic­times n’aient même pas été reçues par François Hol­lande et les asso­ci­a­tions kur­des ne se privent pas d’ironiser sur la pas­siv­ité et les « déc­la­ra­tions poli­tiques ambiguës » du prési­dent français.

« Sara » mena un dou­ble com­bat, celui con­tre l’oppression du patri­ar­cat et pour l’égalité de droit entre les femmes et les hommes tout en lut­tant active­ment con­tre la répres­sion turque (entre autres) afin que le peu­ple kurde puisse avoir accès à une « autonomie démoc­ra­tique ». Les fémin­istes kur­des nous con­fir­ment la néces­sité d’avoir des instances poli­tiques, mil­i­taires et asso­cia­tives indépen­dantes ain­si que non-mixtes pour faire val­oir les droits et lib­ertés des femmes de manière plus effi­cace. Les com­bat­tantes kur­des rap­pel­lent que « glo­ri­fi­er » les sol­dates unique­ment comme des enne­mies de Daech demeure con­tre-pro­duc­tif si la dimen­sion poli­tique et fémin­iste n’est pas prise en compte dans l’analyse de leur lutte qui a béné­fi­cié d’une cul­ture de la résis­tance tout au long de son His­toire. La « jinéolo­gie » com­prend une vision fémin­iste mais pas seule­ment, cela englobe aus­si une retran­scrip­tion et une étude de l’évolution du statut des femmes au sein de dif­férentes cul­tures. Les femmes kur­des ont su pass­er à la pra­tique en met­tant en place un sys­tème démoc­ra­tique et écologique basé sur la co-gérance femmes/hommes avec le « con­fédéral­isme » comme mod­èle poli­tique à Rojava.

La dis­pari­tion de Sakine Can­sız est com­mé­morée chaque année par des mil­liers de kur­des venus de toute l’Europe pour dépos­er une gerbe sur les lieux du crime.

Samint
Col­lec­tif Révo­lu­tion Féministe


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SOURCES :
« Sakine Cansız, une icône du PKK tuée à Paris » NouvelObs
« Des espions turcs visés par la justice française » Le Point
« Fin de l’enquête sur l’assassinat des militantes kurdes » Libération
« Turquie : la conquête du centre par le Loup gris » Cairn Info
« Le vrai discours des Loups gris turcs » Le vif
« L’extrême droite turque : les nationalistes du MHP, 3ème force politique du pays » (Loups Gris ) Euronews
« Ces femmes kurdes qui ont libéré Kobanê » TV5 Info
« Femmes kurdes, révolution au féminin ? » (Parité) Kedistan
« La lutte des femmes au Kurdistan » Solidarité femmes Kobanê
« L’autonomie démocratique à Rojava » Ecologie Sociale
« Un aperçu de l’Histoire des Kurdes » Institut kurde
« Les Kurdes, peuple écartelé au Proche-Orient » L’Express
Erdogan : « La femme ne peut naturellement pas être l’égale de l’homme » Le Point
« En Turquie, Recep Tayyip Erdogan en croisade contre la contraception » TV5 info
« Turquie: polémique sur un projet de prison gay » Le Figaro
« Turquie. Recep Tayyip Erdogan, l’islamo-conservateur qui veut être sultan » L’Humanité
« Democrat or sultan ? » Economist
« Dérapages antisémites en Turquie » Le Monde
« La Turquie, première prison au monde pour les journalistes » RSF
« Entrée de la Turquie dans l’Union : prudent, Hollande promet un référendum aux Français » SudOuest
« François Hollande à l’attaque pour reconquérir les investissements turcs » Usine nouvelle
« Turkish Airlines : Signature du contrat géant avec Airbus » 20 minutes
« Nucléaire : contrat historique en vue en Turquie pour la France » Le Figaro
« France : gigantesque manifestation kurde à Strasbourg pour la libération d’Abdullah Öcalan » RFI
« 3 ans après les assassinats de Sakine, Fidan et Leyla à Paris » 50/50 Magazine
« Conférence Jinéologie » Kedistan
LIENS UTILES :
> Documentaire « Trois femmes à abattre » (Vidéo)
> Documentaire « Sara » (Vidéo)
> Documentaire « Kurdistan, la guerre des filles » (Vidéo)
> Emission « Kurdistan, Nouvel État au Moyen-Orient » (Vidéo)
> Campagne « Reconstruire Kobanê = Démolir le patriarcat » Kedistan

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