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Arrêtée en juil­let 2016, j’ai passé exacte­ment 141 jours dans la prison de Mardin, en attente de juge­ment. La même année, en Août, un jour­nal de tra­di­tion kurde Özgür Gün­dem, auquel nous tenions toutes et tous, a été fer­mé par décret, à la suite d’une perquisition.

Le jour­nal sur­vivait déjà tant bien que mal à la cen­sure et la répres­sion, et des auteurs, des jour­nal­istes, une écrivaine comme Aslı Erdoğan, s’é­taient portés sou­tien. Rien n’y avait fait, et le régime avait ordon­né fer­me­ture et arresta­tions. Il y a eu depuis des con­damna­tions pour “pro­pa­gande”.

Nous avions appris cela en prison, dans ce quarti­er de Mardin. Cela nous a mis­es en colère. Et ain­si est né “Özgür Gün­dem — Geole” , avec l’idée : “puisque les jour­nal­istes sont en prison, faisons les jour­naux en prison”. 

Ce n’est pas la pre­mière fois que les pris­on­nierEs réalisent des jour­naux de prison. Il y a de nom­breux exem­ples dans les années de répres­sion des 1980 à 2000.

Là, à Mardin, il se fait que j’avais, con­traire­ment à mes années d’emprisonnement qui ont suivi, l’ac­cès à du matériel de dessin, et notam­ment de grandes feuilles de papi­er kraft.

Quelques co-détenues volon­taires, des crayons, des idées et des tal­ents, mis en partage, plus tard, et nous avions cray­on­né le pre­mier numéro. Tout à la main. Atten­tion, pas une page, mais huit, pour notre pre­mier numéro dont nous étions très fières.

Ce sen­ti­ment d’avoir tra­vail­lé ensem­ble, avec la sen­sa­tion de dépass­er un inter­dit nous avait presque libéré, et surtout redonné le moral. L’une avait écrit les nou­velles, l’autre des arti­cles de réflex­ion, des poèmes, une autre encore des recettes, des con­seils… Cha­cune avec ses com­pé­tences. Pour ma part, en plus, j’ai illus­tré le numéro. Il y en eu un deuxième.

Ces jour­naux sont aujour­d’hui exposés dans dif­férents pays, en tant que pièces uniques, illus­trant la résis­tance dans les pris­ons en Turquie.

opzgur gundem nudem durak zehra dogan

Mais, si je vous raconte cela, ce n’est pas pour vous parler de moi.

Une pris­on­nière, à ce moment là détenue à Mardin, et tou­jours incar­cérée aujour­d’hui, mais à la prison de Bay­burt, a aus­si par­ticipé à ce jour­nal, qui était un pied de nez fait à l’ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire. Et je sais qu’en France, on se mobilise pour elle.

Cette pris­on­nière s’ap­pelle Nûdem Durak. C’est une artiste, con­damnée pour avoir chan­té et fait chanter en Kurde, comme moi j’al­lais être con­damnée… pour avoir dessiné.

J’avais écrit égale­ment un arti­cle qui par­le de son his­toire, pour le Özgür Gün­dem — Geôle.

Nûdem Durak a été con­damnée en avril 2015, à dix ans et demi de prison. Comme la police a dit ensuite l’avoir recher­chée depuis 2014, sa peine a été portée à 19 ans en 2016, sans autre forme de procès.

Ce petit témoignage pour Nûdem, et l’ex­pres­sion totale de mon sou­tien, que je joins à toutes les voix qui par­lent pour sa libéra­tion aujour­d’hui, et pour celles de tous les autres otages poli­tiques en Turquie, pour­rait sem­bler inutile à cer­tains. Mais, croyez moi, le fait de ne pas se sen­tir oubliéE, recevoir des sou­tiens, du cour­ri­er, savoir que dehors d’autres pensent fort à vous, aide con­sid­érable­ment à résis­ter à l’intérieur.

Pussy Riot Nadedja Tolokonnikova Nudem Durak

Dans ces temps de coro­n­avirus, bien sûr, l’ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire en prof­ite pour isol­er encore davan­tage les pris­on­nierEs et ne donne pas le cour­ri­er. Gardez-le donc pour des jours meilleurs, pour éviter qu’ils ne le jette, mais notez l’adresse. Con­finéEs, vous avez le temps d’écrire.

Je sais que n’est pas la pre­mière cam­pagne de sou­tien pour Nûdem.

Par exem­ple, la Pussy Riot Nad­ed­ja Tolokon­niko­va, qui a elle-même passé deux ans dans un camp de travaux for­cés pour avoir chan­té une chan­son, l’avait défendue, et des chanteurs et chanteuses avaient chan­té pour elle.

Qu’une nou­velle cam­pagne reprenne, alors que du fait du Covid-19, des dis­cus­sions en Turquie avaient lieu sur une éventuelle libéra­tion de pris­on­nierEs était important.

Même si la dis­cus­sion s’est close en exclu­ant la libéra­tion de tout pris­on­nier poli­tique et que seuls les mafieux et les vio­leurs sont mis dehors, il ne faut pas per­dre courage, et juste­ment durant cette péri­ode d’isolement.

Mer­ci à tous et à toutes.


Vous pou­vez soutenir Nûdem Durak

Pétition Free Nûdem Durak • Facebook  Free Nûdem Durak • Twitter @NudemDurak •  Youtube Free Nûdem Durak • Ecrivez à Nûdem et à ses camarades de cellule : Nudem Durak M Tipi Kapalı Cezaevi Bayburt — TURQUIE

 

Voici donc le texte de l’ar­ti­cle que j’avais écrit, à pro­pos de Nûdem pour Özgür Gün­dem — Geole.

Le prix pour chanter en Kurde ; 19 ans de prison

2016 — Prison de Mardin, Zehra Doğan, Özgür Gündem — Geole

 

Avec les opéra­tions géno­cidaires que le gou­verne­ment de l’AKP mène con­tre les pop­u­la­tions kur­des, le nom­bre de pris­on­nierEs poli­tiques a atteint les 9 milles. Des jour­nal­istes aux uni­ver­si­taires, des artistes aux employéEs de san­té, des per­son­nes âgées aux enfants, des per­son­nes de toutes les strates de la société sont enfer­mées dans les pris­ons. La jeune chanteuse du groupe Koma Sorxwin, Nûdem Durak, est une de ceux et celles qui ont reçu leur part des opéra­tions de géno­cide poli­tique menées.

Nûdem qui se dévoue à la musique et qui exprime dans ses mélodies, les souf­frances et les per­sé­cu­tions que le peu­ple kurde subit, fut arrêtée pour avoir chan­té sur scène, en kurde, et elle est en prison. Nûdem, incar­cérée depuis près de deux ans, a été jugée  dans deux procès dif­férents, pour le même chef d’ac­cu­sa­tion et elle est con­damnée a 19 ans de prison.

Elle a réalisé ses rêves

Nûdem, née dans une famille de deng­bêj* [barde], a gran­di dans Dêngül, dis­trict de Şırnex (Şır­nak en langue kurde). Dans cette famille, tous les mem­bres se vouent à la musique. Son intérêt porté à la musique apparu dès son jeune âge, et devint avec le temps, une vraie pas­sion. Enfant, sa pre­mière pra­tique artis­tique, fut de jouer de l’in­stru­ment qu’elle avait con­fec­tion­né, en attachant un manche en bois à une boîte de hal­va, l’ensem­ble étant doté d’une corde. Nûdem, pas­sa son enfance dans l’at­tente d’un jour où elle serait sur les planch­es. Elle réal­isa son rêve, en prenant la scène avec son père, lors d’un con­cert à Amed (Diyarbakır en langue kurde).

Elle achète une guitare en vendant l’alliance de sa mère

En 2009, elle com­mence à tra­vailler au cen­tre cul­turel Mem û Zin. Le rêve ultime de Nûdem est avoir une vraie gui­tare. Sa famille ayant des moyens très pré­caires, elle vend alors l’al­liance que sa mère lui donne, et… achète une gui­tare. Ain­si, elle réalise aus­si son rêve, pro­gresse dans la musique et entre­prend bien­tôt la for­ma­tion d’un groupe.

Ses rêves d’arts emprisonnés

Le pre­mier groupe qu’elle fonde se dis­perse. Mais Nûdem con­tin­ue à don­ner des con­certs dans des ini­tia­tives telles que les 8 mars, avec un nou­veau groupe qu’elle fonde, nom­mé Koma Sorxwin. L’op­pres­sion à son encon­tre et les men­aces vont crois­sant. Maintes enquêtes sont ouvertes à son encon­tre, pour avoir chan­té et s’être exprimée en kurde. Nûdem est placée en garde-à-vue près de dix fois, et arrêtée à trois repris­es. Avec les trois arresta­tions, elle passe en prison un total d’un an et demi. Puis elle est libérée [sous con­trôle judi­ci­aire] pen­dant que ses procès se pour­suiv­ent. Ses peines, au terme des deux procès ouverts avec l’ac­cu­sa­tion d’ ”appar­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, sont ensuite con­fir­mées par la Cour de cas­sa­tion. Elle est con­damnée à 10 et 9 ans de prison, soit 19 ans au total.

Le prix pour chanter en kurde est de 19 années de prison

Nûdem, qui con­tin­ue pour­tant à chanter, même si ce n’est pas sur une scène, s’ac­com­pa­g­nant d’un saz, qu’elle a trou­vé entre des murs, dit que sa pas­sion pour la musique est intariss­able. “Même si je suis lim­itée par ces murs, je con­tin­uerai tou­jours mon tra­vail”, dit-elle, et elle ajoute “je fus arrêtée seule­ment parce que je chan­tais en kurde. Je fus jugée injuste­ment. Le prix pour chanter en kurde, fut, pour moi 19 ans. J’ai chan­té tous mes strans [chan­son en kurde] sur la Paix. Et je vais con­tin­uer ain­si. Ce peu­ple a vrai­ment besoin de paix et de sérénité.”

(*) Dengbêj : En kurde “deng” veut dire “son”  et “bêj ” est le verbe “dire”. Le dengbêj est donc celui qui dit des mots avec harmonie, celui qui donne de la vie aux sons. Traditionnellement le dengbêj qui vit en se déplaçant d’un village à l’autre, est un précieux véhicule de la littérature orale kurde. Il “dit” des épopées, des histoires, des “kılam” (parole, prose, poème…) et chante des “stran” (chanson). La plus grande partie des dengbêj utilisent la voix nue, peu d’entre eux accompagnent leur voix par le son des instruments comme « erbane » (daf) ou « bılur » (un sorte de, kawala ou flûte). Le dengbêj aborde un éventail de thématiques très large, de l’héroïsme à l’injustice, de la beauté du printemps aux bonheurs, amour et plaisir, mais aussi aux souffrances.


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Zehra Doğan
Auteure, mem­bre d’hon­neur de Kedistan
Jour­nal­iste, artiste. Jour­nal­ist, artist. Gazete­ci, sanatçı.