Il est des mots à pro­pos de la Turquie qu’il est de bon ton de plac­er en tête de chaque arti­cle, vidéo, analyse, ou doc­u­men­taire : “suite au coup d’é­tat de 2016…”.

Je ne dérogerai donc pas à la règle, et com­mencerai ainsi.


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Suite au coup d’é­tat de 2016 en Turquie…

Par principe, je devrais donc dater le début de la répres­sion d’é­tat qui règne en Turquie, et son cortège d’ar­resta­tions, de procès, d’en­fer­me­ments, de des­ti­tu­tions… et j’en passe à… juil­let 2016.

Prenons quelques “affaires” récentes, jugées ou en cours de procès, et regar­dons les au tra­vers de cette clé tou­jours fournie de façon récurrente.

Le procès Özgür Gündem

Je vous ren­voie pour les détails aux arti­cles nom­breux que Kedis­tan y a con­sacré. Mais prenons juste un exem­ple dans ce procès, le cas d’Aslı Erdoğan, récem­ment acquit­tée. Cas qui résume très bien tout le dossier d’in­struc­tion à charge. L’acte d’ac­cu­sa­tion se référait explicite­ment à des écrits et faits antérieurs à 2016 et, sous l’ap­pel­la­tion de “ter­ror­isme” qui lui était attachée, la référence était celle de “la ques­tion kurde”…

Mon exem­ple peut sem­bler peu opérant là, puisqu’il s’ag­it d’un jour­nal, certes fer­mé en 2016, mais qui était un organe de presse “his­torique” de l’ex­pres­sion kurde.

L’emprisonnement des députéEs kurdes

La lev­ée de l’im­mu­nité par­lemen­taire qui per­mit l’ar­resta­tion et l’emprisonnement de nom­bre de députés du HDP inter­vient en mai 2016. “Coup d’é­tat déguisé”, écrivait-on sur Kedis­tan. Le coup d’é­tat man­qué inter­vient mi juillet.

Le procès Gezi et Osman Kavala

Comme son nom l’indique, les faits incrim­inés remon­tent à Gezi (2013). Osman Kavala fut arrêté en 2017 et accusé d’avoir appelé et encour­agé le “soulève­ment”. L’ar­resta­tion est postérieure au coup d’é­tat mais n’y était pas liée jusqu’alors, même si aujour­d’hui un pro­cureur sem­ble avoir trou­vé un nou­veau chef d’ac­cu­sa­tion con­cer­nant de sup­posés liens avec la con­frérie du prédi­ca­teur Fetul­lah Gülen pour le rep­longer en prison alors qu’il venait d’être enfin libéré.

Les Universitaires emprisonnés, “purgés”

Les “Uni­ver­si­taires pour la Paix” sig­nent l’ap­pel qui les con­duira à un enfer de répres­sion sous toutes formes, en jan­vi­er 2016. De quelle paix par­lent-ils/elles ? La référence est explicite­ment celle des mas­sacres de 2015, à Cizre, Nusay­bin…, des exac­tions, états de siège et destruc­tions, et aux atten­tats comme celui d’Ankara du 10 octo­bre 2015.

Les massacres, exactions, la guerre

Il y a eu certes un bain de sang en juil­let 2016. Mais des exac­tions, destruc­tions et mas­sacres con­tre les pop­u­la­tions kur­des furent com­mis en masse, et con­stituent autant de crimes de guerre, dont cer­tains pour­raient même être iden­ti­fiés juridique­ment comme crimes con­tre l’hu­man­ité, en 2015 — 2016. Et il est de notoriété publique que le com­man­de­ment mil­i­taire qui les a fait per­pétr­er a majori­taire­ment “trem­pé” dans le coup d’é­tat man­qué de juil­let 2016…

Les purges

Là, elles sont explicite­ment liées au coup d’é­tat man­qué. Purges d’u­ni­ver­si­taires, de fonc­tion­naires, de mil­i­taires, et de sim­ples quidams. Sou­vent arresta­tions, procès, empris­on­nement ou ban­nisse­ment. Les décrets se sont en effet suc­cédés, mais ont plongé dans le grand chau­dron de la lutte con­tre la con­frérie Gülen, accusée d’avoir fomen­té et exé­cuté la ten­ta­tive de coup d’é­tat, autant d’op­posants, , sinon plus(une majorité de Kur­des ou d’amis du mou­ve­ment kurde), que de réels ex amis gulénistes d’hier.

J’ar­rête là ces quelques exem­ples et m’in­ter­roge à nou­veau sur les mots “suite au coup d’é­tat de 2016”.
Il devient évi­dent que les faits inter­ro­gent plus la “nature du coup d’é­tat” qu’ils ne datent la répres­sion d’é­tat ou la “dérive autori­taire”, ter­mes qui accom­pa­g­nent sou­vent la soit dis­ant clé d’analyse de la Turquie que serait le mois de juil­let 2016.

Et je me risque à fournir une clé qui ren­tr­erait cette fois dans la ser­rure : l’a­ban­don en 2015 du “proces­sus de paix”, ou “proces­sus de réso­lu­tion” de la ques­tion kurde, moins d’un an après l’élec­tion de Recep Tayyip Erdoğan à la prési­dence en août 2014, et le début de rup­ture de l’al­liance avec la con­frérie Gülen, sur de sor­dides ques­tions finan­cières et de cor­rup­tion.

Ce fameux “coup d’é­tat de 2016″ est donc une clé d’analyse ban­cale de la poli­tique d’Er­doğan, et con­stitue même un moyen de noy­er le pois­son en créant une sorte de roman entre gen­tils démoc­rates et méchants dic­ta­teurs, qui élude la nature nation­al­iste et exclu­ante de la Turquie, dont Erdoğan est devenu un digne représen­tant, puisque désor­mais dans le costume.

Si l’on devait retenir quelque chose de ce coup d’é­tat man­qué, ce serait non pas le plac­er comme  cause ou déclenche­ment de la répres­sion d’é­tat, mais bien comme pré­texte facile et durable de celle-ci. Mais, avant tout, ce coup d’é­tat con­tro­ver­sé mar­que la fin d’une alliance et le ren­force­ment forcené du nation­al­isme turc. Et ce nation­al­isme n’est pas seule­ment l’al­liance avec les loups gris du MHP, mais le révéla­teur que l’op­po­si­tion kemal­iste est capa­ble pour sa survie poli­tique, des pires abdi­ca­tions, quelles que soient les rotomon­tades politi­ci­ennes de ses dirigeants. La répres­sion tous azimuts s’en trou­ve ain­si d’au­tant facil­itée pour les années qui vont suiv­re 2016. C’est la nature même de ce coup d’é­tat man­qué qu’il faut ques­tion­ner, et ce qu’il sig­ni­fie dans la stratégie poli­tique du pouvoir.

Oubli­er que c’est avec la béné­dic­tion de nom­bre d’é­tats européens, et une aide et inté­gra­tion finan­cière de l’UE, que s’est faite l’as­cen­sion vers le pou­voir du prési­dent de la démoc­ra­ture turque, aujour­d’hui plus qu’au­tori­taire et dans l’hys­térie nation­al­iste, c’est ne pas com­pren­dre que le coup d’é­tat man­qué n’est qu’une étape (la rup­ture avec l’al­lié d’hi­er, la mou­vance Gülen). C’est la nature même de ce régime poli­tique qui engen­dre répres­sion, vio­lence, polar­i­sa­tion, dis­crim­i­na­tions et exclu­sion… et en ce sens, le kémal­isme à l’o­rig­ine de la république lui a mon­tré l’exemple.

Je ne pré­tends pas avoir fait le tour de la ques­tion en quelques phras­es. Pour celles et ceux qui voudraient appro­fondir tous les sujets à peine effleurés, le site dis­pose d’un moteur de recherche par mots clés qui devrait sat­is­faire votre curiosité. Et je ne man­querai pas non plus de ren­voy­er à susam-sokak.fr, le site de notre ami Eti­enne Copeaux, his­to­rien de la Turquie, incon­tourn­able, et qui m’a tout appris.

Suite au coup d’é­tat de 2016.…… le reste est cen­suré.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…