Les tra­vailleurs de Renault se sont mobil­isés en milieu de semaine dernière, pour revendi­quer une aug­men­ta­tion générale des salaires égale à celle effec­tuée sur le salaire min­i­mum. Cette reval­ori­sa­tion récente avait mis les salaires des débu­tants au même niveau que les ouvri­ers qui ont de l’ancienneté.

Voici les déci­sions pris­es sur la plate­forme reven­dica­tive lors de la réu­nion des portes paroles de l’UET (Unités Elé­men­taires de Tra­vail) et sur la suite du mouvement :

  1. Les con­séquences néga­tives des accords de 3 ans signé entre le syn­di­cat Türk-Met­al et le MESS (syn­di­cat patronal) con­tin­u­ent. S’ajoute par dessus le déséquili­bre salar­i­al provo­qué par l’augmentation du salaire min­i­mum. Attente d’un pas posi­tif de la direction.
  2. Le refus d’ef­fectuer des heures sup­plé­men­taires est main­tenu. Des march­es seront organ­isées les lundis et jeu­di à la sor­tie de chaque équipe de tra­vail. Si une approche pos­i­tive de la direc­tion est con­statée, cette déci­sion sera reconsidérée.
  3. Les élec­tions des représen­tants des ouvri­ers telles que con­v­enues dans le cadre de l’accord signé en juin, sont tou­jours atten­dues en urgence.
  4. L’organisation de réu­nions régulières et le ren­force­ment de la com­mu­ni­ca­tion entre les portes paroles des départements.
  5. La con­ti­nu­ité péri­odique des réu­nions de portes paroles des UET, lors desquelles les déci­sions seront prises.

Spé­cial­isée dans la car­rosserie et l’assem­blage de voitures telles que la Clio et la Flu­ence, l’u­sine Renault de Bur­sa est l’une des plus impor­tantes de Turquie et affiche une capac­ité de pro­duc­tion de 360 000 véhicules par an. En réal­ité, il s’ag­it de Oyak-Renault, une coen­tre­prise fondée par Renault, en alliance avec un fonds de pen­sion de l’ar­mée turque.

Les salariés de l’u­sine Renault de Bur­sa (nord-ouest de la Turquie) avaient  repris le tra­vail après deux semaines de grève en mai 2015, suiv­ies d’une hausse de salaire et de “promess­es”. Il s’ag­it là, de la suite logique de ces mouvements.

La Turquie n’échappe pas aux “mouvements sociaux”

La sit­u­a­tion économique, après les “embel­lies” de la pre­mière décen­nie des années 2000, subit aus­si dans cer­tains secteurs les con­tre­coups du frein mis aux ambi­tions d’Er­do­gan dans la région, des rap­ports ten­dus avec la Russie, client et investis­seur, et en général des ten­sions poli­tiques internes fortes. Si la Turquie rendrait envieux encore beau­coup de gou­verne­ments européens, avec sa “crois­sance”, l’élan n’est pour­tant plus le même, et le chô­mage croît, tout comme la con­cur­rence avec les “réfugiés” dans les emplois non qual­i­fiés, qui ne man­queront pas de tir­er les salaires vers le bas, hors des secteurs dits “loco­mo­tives”.

La sit­u­a­tion poli­tique délétère, la divi­sion entretenue, la sit­u­a­tion de guerre réelle à l’Est, lourde de frac­tures entre caté­gories sociales, ne trou­ve aucun écho dans les mou­ve­ments reven­di­cat­ifs caté­goriels. Les grèves se mènent con­tre les “employeurs”, et même lorsque ceux-ci sont directe­ment liés, comme dans les mines de Soma, à des proches du pou­voir, la con­tes­ta­tion poli­tique est vite déviée de son objec­tif, par le pop­ulisme et le pater­nal­isme big­ot de l’AKP, une fois les secteurs les plus rad­i­caux mis au pas.

Ce sont sur des ques­tions envi­ron­nemen­tales, touchant directe­ment des pop­u­la­tions locales, en lien avec des pro­jets visant le prof­it plus que l’u­til­ité, que des mou­ve­ments s’ori­en­tent davan­tage vers une oppo­si­tion plus politique.

On peut s’é­ton­ner du fos­sé exis­tant entre les mobil­i­sa­tions très mas­sives, forte­ment poli­tisées des tra­di­tion­nels 1er mai turcs et la poli­ti­sa­tion très faible des mou­ve­ments soci­aux. On retrou­vera là, deux ques­tions de fond, une big­ote pour par­tie, et surtout l’in­flu­ence du par­ti kémal­iste répub­li­cain, le CHP, tou­jours perçu comme “social démoc­rate”, et à ce jour encore mem­bre de “l’in­ter­na­tionale social­iste”. Le par­lemen­tarisme de ce par­ti et son jeu très fluc­tu­ant dans l’op­po­si­tion à Erdo­gan ne facilite en rien la rad­i­cal­i­sa­tion des mou­ve­ments soci­aux, et leur jonc­tion dans l’op­po­si­tion avec d’autres secteurs de la société civile turque, aujour­d’hui en lutte ouverte avec Erdogan.

Rap­pelons aus­si que le “mou­ve­ment ouvri­er” turc, a subi de plein fou­et la répres­sion à la fin du siè­cle dernier, et après une péri­ode de grandes divi­sions poli­tiques, a payé un très lourd trib­ut humain à gauche. Cette péri­ode explique en par­tie à la fois la faib­lesse, mais aus­si la résur­gence sous d’autres formes (con­grès, plate­formes…) d’une gauche d’op­po­si­tion démoc­ra­tique indépen­dante du bipar­tisme de fait.

Dif­fi­cile donc, de crier à “l’ir­rup­tion ouvrière” dans la sit­u­a­tion poli­tique turque.

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