J’ai voulu vous éviter la lec­ture fas­ti­dieuse des éti­quettes sur les paque­ts au ray­on cro­quettes, par économie. Alors je m’y suis col­lé moi même. Désolé si par­fois c’est écrit en petites lettres.
Cinq arti­cles sur le site du min­istère de l’é­conomie et des finances plus loin, deux autres dans la tri­bune, quelques uns que j’ai déjà oublié et une analyse résumée sur RFI, j’y vois déjà un peu plus clair.

Quelle est donc dans les très grandes lignes le pro­fil économique actuel de la Turquie, et les inci­dences que cela a ou peut avoir à court terme sur la poli­tique intérieure et extérieure ?

Comme il n’est pas dans mes inten­tions de racheter Ak Saray ou d’in­ve­stir dans un coin de nature côté Mer Noire à détru­ire, je me suis intéressé plus aux grands traits qu’aux détails de la poli­tique financière.

Turquie--Economie

Il y a une chose que tout le monde sait.
La Turquie voit sa « crois­sance » dimin­uer depuis 2011. Des 5 à 6 % annuels, jusqu’aux 9,2 % en 2010, on s’ori­ente vers les 4%, et même pour le 1er trimestre 2015, un 2,3% en ten­dance annuelle.
Vous allez me dire qu’on con­naît bien des mem­bres de l’UE qui se con­tenteraient aisé­ment de ces taux là. Vous avez bien rai­son, parce qu’en fait ils ne veu­lent pas dire grand chose, si on ne sait pas d’où ils viennent.

Les « spé­cial­istes » prévi­en­nent déjà qu’en dessous de 4%, la Turquie ne parvient pas à absorber son marché de l’emploi.
Pour par­ler Lol­landais, on dira à « invers­er la courbe du chômage ».
Car le tra­vailleur en Turquie est jeune (30% soit 6 mil­lions). Si on asso­cie à cela les con­cen­tra­tions dans les métrop­o­les urbaines, les gains de « pro­duc­tiv­ité » dans les indus­tries, et l’emploi tou­jours crois­sant d’une main d’oeu­vre « réfugiée » à bas coût, on a une petite idée de la créa­tion d’emplois néces­saire pour éviter un chô­mage qui deviendrait endémique. La dis­pari­tion égale­ment de tout un mail­lage tra­di­tion­nel, de petits métiers de prox­im­ité, de ser­vices, détru­it égale­ment des emplois famil­i­aux en masse, même si se recrée une micro économie par­al­lèle de survie, faite de petits ser­vices de main à main.
Les derniers chiffres de la crois­sance, indiquent égale­ment que le com­merce extérieur s’est inver­sé depuis quelques années et que la con­som­ma­tion de biens importés a pris le pas sur des expor­ta­tions qui tiraient la Turquie. Les noisettes, les abri­cots secs et autres raisins de nos sur­faces de cha­lan­dise cachaient l’élec­tro ménag­er devenu les années passées très présent dans nos Darboulanrama.

La Chine et la Russie passe désor­mais devant l’Alle­magne et la France.

Ces mêmes chiffres indiquent égale­ment que cette crois­sance est tirée par la « con­som­ma­tion intérieure », tou­jours forte, plus que par les secteurs pro­duc­tifs. Con­som­ma­tion d’importation.
Les “grands travaux” dont les investisse­ments se taris­sent peu à peu, après avoir aus­si gon­flé les chiffres, prédis­ent des baiss­es à très court terme, et des pertes d’emplois dans un secteur qui fut en pointe.
La Turquie avait fait des ponts d’or à de nom­breux groupes internationaux,de l’in­dus­trie auto­mo­bile aux com­merces de grandes sur­faces, en pas­sant par le tex­tile, grandes ou petites enseignes, pour leurs pro­duc­tions délo­cal­isées. La Finance et l’as­sur­ance se tail­laient aus­si leur part. Ces derniers secteurs ont par con­tre coup, fait subir la crise de 2008 à l’é­conomie turque, qui s’en était alors sor­tie en puisant sur le marché des fonds spécu­lat­ifs à court terme, liés au Golfe ou au Qatar entre autres. C’est ain­si que sur la liste des « investis­seurs » en Turquie, ces sources n’ap­pa­rais­sent pas en ter­mes de « pays» investis­seurs, mais en « hot found ». C’est cette poli­tique qui ame­na cepen­dant à une déval­u­a­tion de la « nou­velle livre turque » qui fut dure­ment ressen­tie par les class­es moyennes dis­posant de quelques économies.

Sur un plan glob­al, l’é­conomie turque ne se porte pour­tant pas trop mal con­jonc­turelle­ment d’un point de vue stricte­ment capitaliste.

ampoule turque spirale

Les « experts », qui par­lent encore de pays « émer­gent », soulig­nent pour­tant que les investisse­ments intérieurs sont en chute libre, que les investisse­ments étrangers, devenus très impor­tants, se posent la ques­tion d’une « éva­po­ra­tion » hors de l’é­conomie réelle, due à une cor­rup­tion forte. Cela néces­sit­erait une « réforme de l’E­tat », dis­ent-ils, non comme ici en détru­isant des pro­tec­tions sociales qua­si inex­is­tantes en Turquie, mais pour réduire le chemin financier qui va de l’in­vestisse­ment à la réal­i­sa­tion et le tra­jet retour. Bref, la cor­rup­tion et les boîtes à chaus­sures sont aus­si cause de dis­fonc­tion­nements et de crise potentielle.
Quelques chiffres quand même, bien que dépassés :
L’Europe, grâce à sa prox­im­ité géo­graphique et à l’étroitesse de ses liens com­mer­ci­aux, est le pre­mier investis­seur direct en Turquie : 79% du stock d’investissement (142 Mds USD) sont ain­si réal­isés par les pays européens.
La France occu­pait, fin 2010 , le 6ème rang des investis­seurs étrangers en Turquie avec 10,3 Mds USD, der­rière les Pays-Bas (38,2 Mds USD), l’Allemagne (17,4 Mds USD), les Etats-Unis (15,2 Mds USD), le Roy­aume-Uni (14,5 Mds USD) et le Lux­em­bourg (12,6 Mds USD). Elle est repassée au 7e rang depuis.
Près de 400 entre­pris­es français­es, dont plus de la moitié des entre­pris­es du CAC 40, sont présentes en Turquie et emploient 100.000 per­son­nes. Ces investisse­ments, très var­iés (banque, assur­ance, grande dis­tri­b­u­tion, trans­ports, énergie…), sont le plus sou­vent des investisse­ments de pro­duc­tion, voire de haute tech­nolo­gie (Alstom à Gebze, Renault à Bur­sa…). La présence française est très sig­ni­fica­tive dans le domaine des ser­vices ban­caires et financiers avec notam­ment Axa qui est la pre­mière com­pag­nie d’assurances turque avec aus­si Groupa­ma, BNP Paribas… Les entre­pris­es français­es sont aus­si présentes dans le secteur énergé­tique : GDF Suez, EDF Ener­gies Nou­velles qui a pris une par­tic­i­pa­tion de 50% dans le cap­i­tal de la société Polat Ener­ji, l’un des prin­ci­paux développeurs éoliens en Turquie. Bien sûr, la France est aus­si en com­péti­tion sur le nucléaire avec la Russie.
La pour­suite de l’important pro­gramme de pri­vati­sa­tion par les autorités turques se pour­suit : autoroutes, ponts sur le Bospho­re, port d’Izmir, cen­trales élec­triques , part de l’Etat dans Turk­ish Air­lines, dans Türk Telekom…

C’est donc bel et bien une poli­tique néo libérale, par­faite­ment euro com­pat­i­ble, qui se pour­suit en Turquie, même avec un prési­dent à faux nez islamo con­ser­va­teur. Et cette poli­tique économique a « dévelop­pé » le Pays, à la manière cap­i­tal­iste et ultra libérale, créant destruc­tions d’en­vi­ron­nements, destruc­tions de secteurs et d’emplois non renta­bles, écarts de richess­es, appro­pri­a­tions de cap­i­tal.… Tout ce que nous con­nais­sons par cœur. De la belle crois­sance pré­da­trice comme on aime.

Pour­tant il y a un coup d’ar­rêt remar­qué des investissements.
Cette crise de l’in­vestisse­ment intérieur, qui se dou­ble depuis peu d’une crise d’in­vestisse­ments tout court, (les ren­de­ments financiers n’é­tant plus les mêmes, et la Turquie faisant les frais en pre­mier de la volatil­ité des cap­i­taux à court terme), asso­ciée à un déficit crois­sant du com­merce extérieur et une demande intérieure arti­fi­cielle, ne peut qu’aboutir à de graves dif­fi­cultés de moyen terme.
Les class­es moyennes en fer­ont les frais les pre­mières, le pro­lé­tari­at turque n’ayant déjà que les miettes et voy­ant les salaires s’ef­fon­dr­er face aux prix des ser­vices, du loge­ment, qui augmentent.

Bon, j’au­rai pu dire ça plus sim­ple­ment en dis­ant que la qual­ité des cro­quettes allait forte­ment dimin­uer, et qu’elles man­queraient aux chats errants en premier.

akp

Et c’est pour­tant cette trouille de per­dre en “qual­ité de vie” qui a aus­si amené à ce vote AKP de novembre.
Car lorsqu’on regarde de près, la ques­tion de la Paix n’a pas été perçue de la même façon, selon qu’on soit directe­ment sous le joug polici­er ou mil­i­taire, ou selon qu’on soit dans cette par­tie « pro­tégée », couch­es moyennes urbaines, béné­fi­ci­aires de la cor­rup­tion, nou­veaux rich­es ou pro­los ayant béné­fi­cié un temps de l’as­censeur social des dernières années.…
Pour majeure par­tie, la guerre, la divi­sion du Pays, a sig­nifié insta­bil­ité,  remise en cause de statuts soci­aux et économiques con­sid­érés comme « moder­nité récem­ment acquise ». Ne la subis­sant pas directe­ment, en ayant un écho poli­tique défor­mé, le dis­cours d’Er­do­gan sur la « mod­erni­sa­tion du pays », asso­cié à la « paix con­tre le ter­ror­isme destruc­teur » a eu sur ces « têtes d’am­poule », un effet réel. Pour d’autres, la remise en cause égale­ment de statuts envi­ables, les a aus­si poussé au vote utile, pour le CHP cette fois.
Dans cette affaire, la dynamique de lutte des class­es qui ne dis­ait pas son nom, der­rière le HDP, asso­ciée à une remise en cause du kémal­isme con­ser­va­teur, ne pou­vait que trou­ver en face un front con­tre nature des opposants soucieux de leurs priv­ilèges ou de leur moder­nité con­sumériste, alliés du coup sin­gulière­ment avec le main­tien et le ren­force­ment d’un pou­voir autori­taire garant de stabilité.
De la même façon que les soci­aux libéraux européens  sou­ti­en­nent con­tra­dic­toire­ment Erdo­gan, une par­tie non nég­lige­able de la société turque pour­tant laïque ne peut se résoudre à soutenir l’op­po­si­tion démocratique.

L’ar­gu­ment de la paix civile, ne pou­vait donc dans ces con­di­tions unir, puisqu’il était inter­prété de façon rad­i­cale­ment dif­férente, à trois voix. Et l’at­ten­tat d’Ankara ayant stop­pé ce mou­ve­ment de société civile, mal­gré la grève générale des quelques jours qui suivirent,  le con­ser­vatisme et la préser­va­tion de sup­posés acquits l’a donc emporté , de l’AKP au CHP.

J’avais besoin de cette pseu­do intro­duc­tion économique pour soulign­er deux choses contradictoires. 

Une majorité de Turcs ont soutenu une paix, pour eux équiv­a­lente à la con­ser­va­tion de leur « quo­ti­di­en mod­erne », qu’il soit vécu  d’un bal­con de Palais à la porte d’une échoppe, en pas­sant par les cours­es au « Car­refour ». Et pour­tant cette majorité sera  vic­time à court terme d’une autre guerre, économique celle là, et n’échap­pera pas à une crise sys­témique se profile.

Erdo­gan sait donc que la manip­u­la­tion big­ote ne suf­fi­ra pas à éviter les frac­tures. Il sait que les dif­fi­cultés sont devant et qu’un pou­voir absolu per­me­t­tra d’y faire face plus facile­ment. Il sait qu’en plus d’une guerre civile à l’Est, il va avoir une guerre économique à men­er, dont sa base va souffrir.
L’u­nité nationale qu’il vante tant pour­rait se faire avec les libéraux kémal­istes sur des « réformes économiques », un nou­v­el élan « européen », s’il manœu­vre adroite­ment, sans guerre ouverte.
Aus­si con­tin­ue-t-il ses purges con­tre son « enne­mi » fan­tas­mé Fetul­lah, allant jusqu’à pro­pos­er une remise en cause du statut de fonc­tion­naire d’E­tat, sous pré­texte d’éradi­quer les « infil­trés » dans tous les ser­vices, jusque dans l’ar­mée et la jus­tice.…. Il pré­pare un état obéis­sant entière­ment à sa botte.  Ain­si pour­rait-il remet­tre sur le tapis égale­ment la « prési­den­tial­i­sa­tion », sa réforme con­sti­tu­tion­nelle fétiche, en faisant des con­ces­sions éventuelles sur un bi par­tisme, ou du moins des règles con­sti­tu­tion­nelles qui mod­i­fieraient les scruti­ns élec­toraux, sachant qu’il a la main.
Con­cer­nant la « coloni­sa­tion » du kur­dis­tan turc, les direc­tions du par­ti kémal­iste, dès lors où cela s’ap­pelle « lutte con­tre les ter­ror­istes du PKK », ne lui fer­ont sans doute pas plus obsta­cle que ces mois écoulés.

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Et pourquoi pas un référen­dum sur « l’u­nité nationale », à la fois plébiscite et sem­blant de con­sol­i­da­tion de la « république », et de fait con­tre l’au­tonomie kurde devant tout le Pays, dont il sait d’a­vance qu’il sor­ti­rait vain­queur , dans des alliances improbables.…

N’im­porte quoi ?.… Je ne suis pour­tant pas le tweet­er masqué d’Erdogan.

A suiv­re.…

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…