Vous aviez fait con­nais­sance avec Sedat Peker, youtubeur de la mafia le plus con­nu en Turquie… Eh bien, à la veille des élec­tions une  ver­sion de Diyarbakır, dans le style je bal­ance et je racon­te tout, s’est mon­trée sur les réseaux. Il s’ap­pelle Muhammed Yakut.. Il soulève, lui aus­si, beau­coup de poussières…

Qu’on ne se méprenne pas. Il ne s’ag­it pas de pudi­bon­derie ou de rigueur morale dans cet arti­cle, mais de mise en lumière de ce que peut pro­duire un pou­voir cor­rompu comme “fonds de poubelle”, par des per­son­nes qui par­ticipent elles-mêmes de ces proces­sus de décom­po­si­tion. Cette lumière crue con­traste avec l’ap­parence et les déc­la­ra­tions de façade, elles pudi­bon­des, morales et bigotes.

Ils volent l’E­tat” dit Muhammed Yakut. Il attaque nom­mé­ment de nom­breux hommes d’E­tat, sur leur pat­ri­moine “siphon­né”, révèle par­fois des doc­u­ments… Mais aus­si sur leur vie privée, en appuyant sur le fait que le style de vie qu’ils exposent, et qui se veut moral, religieux, digne, ne cor­re­spond en rien à la réal­ité. Comme il ne fait pas dans la den­telle, il dévoile celles et ceux qui usent et abusent de l’al­cool, encore mieux de drogues dures, leurs aven­tures extra-con­ju­gales, mais aus­si leur rela­tions homo­sex­uelles. Évidem­ment, pour nous au Kedis­tan, et vous serez cer­taine­ment d’ac­cord, la vie privée et gen­rée de chaque per­son­ne lui appar­tient. Mais les révéla­tions de Muhammed Yakut pren­nent une autre enver­gure, et créent d’énormes réac­tions sur les réseaux soci­aux et dans les médias, lorsque les per­son­nes en ques­tion, mènent des poli­tiques totale­ment con­ser­va­tri­ces, dont elles pré­ten­dent être les “mod­èles irréprochables”, et encore, en pleine cam­pagne élec­torale, bâtis­sent toute leur pro­pa­gande sur le ren­force­ment de la famille, et des pro­pos homo­phobes, anti LGBTIQ+, éructent des inep­ties telles que “les électeurs de l’op­po­si­tion sont tous des athées qui pico­lent”. Le 18 avril dernier, Erdoğan annonçait une nième fois “Nous lut­terons effi­cace­ment con­tre les ten­dances déviantes telles que les LGBT qui men­a­cent notre struc­ture famil­iale.” Pour­tant, le même Recep Tayyip Erdoğan, déclarait avant les élec­tions de 2002, sans doute selon les besoins élec­toraux du moment : “les homo­sex­uels devraient être pro­tégés par la loi”.

La vie secrète des plus conservateurs

Muhammed Yakut a révélé il y a quelques semaines, que Melih Gökçek, ancien maire AKP d’Ankara, aurait une rela­tion avec Okşan, une trans bien con­nue d’Ankara. Or Melih Gökçek est pro­fondé­ment homo­phobe, ou se mon­tre ain­si… Juste un exem­ple par­mi d’autres, en avril 2012, lors d’une émis­sion télévisée, Melih Gökçek, alors Maire, dis­crim­i­nait ouverte­ment les per­son­nes LGBTIQ+, en répon­dant à la ques­tion du présen­ta­teur, “quand aurons-nous un maire gay ?”, il répondait : “Bien sûr, nous avons notre pro­pre style de vie, nos cou­tumes et nos tra­di­tions, qui sont bien dif­férentes… J’e­spère qu’il n’y aura pas et qu’il ne devrait pas y avoir de maire homo­sex­uel en Turquie”. Il s’ag­it donc là d’une “con­som­ma­tion sex­uelle” non assumée qui s’ac­com­pa­gne d’un mépris pour “l’ob­jet”, masquée der­rière un par­avent de morale crasse.

Puis s’en­suiv­ent dans les vidéos de Muhammed Yakut, des “révéla­tions” con­cer­nant Erkam, le fils de Binali Yıldırım, déver­sées sur les réseaux soci­aux et décrivant la rela­tion de Erkam Yıldırım avec Ker­im­can Dur­maz, “phénomène” des médias soci­aux, con­nu en Turquie depuis 2015 pour les vidéos qu’il pub­lie en ligne.

Il pour­suit avec le linge sale du gen­dre d’Er­doğan, Berat Albayrak, ayant une liai­son avec Özge Ulu­soy, une man­nequin, top mod­el…  Yakut s’adresse directe­ment à Binali Yıldırım : “Alors que Berat Albayrak et Özge Ulu­soy fai­saient cracrac dans la cham­bre, ton fils leur tenait la chan­delle. Erkam s’en­voy­ait en l’air dans la cham­bre voi­sine, avec Ker­im­can Dur­maz, qui lui est gay.” Dans une autre vidéo de révéla­tion “Binali Yıldırım ! Ton fils sniffe 20 à 30 grammes de cocaïne rose bolivi­enne par jour. Son sur­poids vient de là.”. Encore dans une autre pub­li­ca­tion, il cite d’autres per­son­nes proches du régime, qui utilis­eraient des drogues, et con­seille à leur famille de les amen­er à l’hôpi­tal pour faire des analyses…

Muhammed Yakut : “Famille Canikli, toute une descendance de voleurs”

Une autre per­son­ne com­mence égale­ment à bal­ancer et révéler les cor­rup­tions du régime : Ali Yeşil­dağ. Hane­fi Avcı, un ancien chef de la police s’ex­prime sur les réseaux soci­aux : “D’abord Sedat Peker, puis Muham­met Yakut, et main­tenant Ali Yeşil­dağ par­lent des affaires de cor­rup­tion impli­quant l’ad­min­is­tra­tion de l’AKP et des per­son­nes de niveau min­istériel au sein du gou­verne­ment, chaque jour ils racon­tent un inci­dent auquel ils ont per­son­nelle­ment par­ticipé et dans lequel la haute direc­tion du gou­verne­ment a obtenu des avan­tages en truquant des appels d’of­fres. Ali Yeşil­dağ, n’est pas une per­son­ne ordi­naire. Sa famille a soutenu le prési­dent depuis le début et a agi ensem­ble avant qu’il ne fonde le par­ti. [..] Ce sont des per­son­nes qui agis­sent ensem­ble dans beau­coup de ses affaires.”

En effet Ali Yeşil­dağ, a fait longtemps par­ti du proche entourage d’Er­doğan Il est le frère Zeki Yeşil­dağ, le garde du corps pen­dant les années de prison du Reis, et de Hasan Yeşil­dağ, patron du Turk­ish Media Group, pro­prié­taire des jour­naux Star, Akşam et Güneş, ain­si que des chaînes TV 24 et 360.

Allez savoir suite à la quelle querelle cet homme dénonce aujour­d’hui le régime AKP, alors que durant des années il fut leur com­pagnon de route dans toutes sortes de com­bines, à partager le gâteau…

Peu importe com­ment il en est arrivé là, depuis quelques jours il asperge…  Par exem­ple, il a décrit dans une vidéo pub­liée le 6 mai dernier, en deux par­ties, les mécan­ismes de cor­rup­tion mis en place, et qui con­cer­nent directe­ment le prési­dent Erdoğan.

Dans la pre­mière par­tie, Ali Yeşil­dağ racon­te l’his­toire de l’ap­pel d’of­fres pour l’ex­ploita­tion de l’aéro­port d’An­talya, qui a per­mis à Tayyip Erdoğan de réalis­er un prof­it d’un mil­liard de dol­lars en un coup. Com­ment Çelebi Hold­ing, qui était prêt à faire une offre de 5 mil­liards de dol­lars, a‑t-il été évincé par les hommes préférés d’Er­doğan, Müc­ahid Arslan et Ali Yeşil­dağ lui-même… Com­ment l’ap­pel d’of­fres a‑t-il été attribué à İbrahim Çeçen, qu’Er­doğan a enrichi de 3 mil­liards de dol­lars, alors que l’É­tat a per­du 5 mil­liards de dol­lars de recettes… Com­ment Erdoğan a‑t-il empoché le 1 mil­liard de dol­lars de la différence…

Et dans la deux­ième par­tie titrée : “Com­ment nous avons volé le min­istère avec le min­istre”, Ali Yeşil­dağ explique com­ment les 3,5 mil­liards de dol­lars don­nés par l’U­nion européenne, pour dévelop­per l’a­gri­cul­ture turque et résoudre le prob­lème ali­men­taire, ont été éva­porés par 8 entre­pris­es, dont une appar­tenant à l’an­cien min­istre de l’a­gri­cul­ture Meh­di Eker, qui est égale­ment action­naire à 50 % de toutes les entre­pris­es qui font affaires avec le min­istère de l’agriculture.

Et le 7 mai, Ali Yeşil­dağ résume le mécan­isme de trucage d’ap­pels d’of­fre, en prenant exem­ple sur Binali Yıldırım. Rap­pelons que Binali Yıldırım fut prési­dent de l’AKP (2016–2017), député, plusieurs fois min­istre des Trans­ports, de la Mer et des Com­mu­ni­ca­tions (du 2007 au 2016), Pre­mier min­istre (2016 — 2018) puis prési­dent de la Grande Assem­blée nationale de Turquie (2018–2019).

Yeşil­dağ : “Quelle est la méth­ode de mon frère Binali pour les appels d’of­fres ? Par exem­ple, la pre­mière entre­prise qui par­ticipe à l’ap­pel d’of­fres négo­cie le mètre d’as­phalte pour 500 Livres turques. Elle le donne à une entre­prise sous trai­tante pour 450, qui elle, le passe à la suiv­ante, une autre, pour 400… Ça con­tin­ue jusqu’à ce que les entre­pris­es appar­tenant à frère Binali soient à court. Au final, pour la dernière entre­prise qui fera le boulot, le prix sera de 25 LT.” Ain­si se réalise le ruis­selle­ment vers le haut…

En effet, ce mécan­isme sem­blerait être util­isé dans tous les grands appels d’of­fres. N’ou­blions pas que sous le régime actuel, l’é­conomie turque repose qua­si entière­ment sur le secteur de la con­struc­tion. Par exem­ple, en ce qui con­cerne la com­bine pour l’aéro­port (pre­mière video), il est fort prob­a­ble que des affaires sim­i­laires se soient pro­duites dans près de 20 appels d’of­fres que la même société a récem­ment reçus de l’É­tat, y com­pris le troisième pont du Bospho­re et ses rocades, ain­si que des pro­jets de routes, tun­nels, aéro­ports… Ce n’est pas pour rien que le Reis tient autant à ses pro­jets géants, et dévas­ta­teurs

Bien sûr, tous les appels d’of­fres reçus par la même entre­prise en tant que con­sor­tium pour­raient faire l’ob­jet d’une enquête et les ressources publiques per­dues devraient être récupérées auprès des fonc­tion­naires cor­rom­pus. Mais, évidem­ment, cette enquête n’est pas si facile, car les pro­cureurs dis­ent qu’ils ne peu­vent pas enquêter sur le prési­dent et les min­istres… Selon la Con­sti­tu­tion, le prési­dent et les min­istres peu­vent faire l’ob­jet d’une enquête par une com­mis­sion par­lemen­taire de 15 per­son­nes, qui doit être for­mée avec l’ap­pro­ba­tion de 360 députés au Par­lement, et ne peu­vent être jugés que par la Cour suprême, avec l’ap­pro­ba­tion de 400 députés.

L’élec­tion qui se déroulera le 14 mai, serait une occa­sion impor­tante aus­si pour ouvrir la pos­si­bil­ité d’en­quêter sur ces allé­ga­tions et de récupér­er tant de ressources publiques, des bil­lions de fonds publics, qui ont été irrégulière­ment trans­férés sur les comptes d’in­di­vidus et d’en­tre­pris­es. Si l’op­po­si­tion obtient la majorité lors des élec­tions, tous les appels d’of­fres sim­i­laires de la péri­ode écoulée pour­raient être exam­inés. S’il n’y a pas d’en­quête, ils dis­paraîtront tous, seront dis­simulés. Celles et ceux qui ont volé des mil­liers de mil­liards dans les poches du peu­ple s’en sor­tiront la bouche en coeur… Et il n’est pas dif­fi­cile pour­tant de devin­er que la cor­rup­tion se poursuivra…

Le pays est devenu un asile de fou

Pen­dant que le pays est sec­oué avec ces révéla­tions, ou d’autres d’or­dre privé, dignes de mag­a­zine peo­ple, d’autres “nou­veautés nationales” ornent égale­ment la cam­pagne élec­torale.

Le régime AKP, soutenu tou­jours par ses électeurs sous la devise “ils volent mais ils font des routes, ponts, et aéro­ports”, s’ef­force d’ex­pos­er, de démon­tr­er ses réus­sites. Par exem­ple, ce sera le gaz naturel trou­vé dans la Mer Noire. Même en met­tant les doutes sur la vérac­ité dans un coin, le pub­lic qui jubile pen­dant la céré­monie appelée “mise en cir­cu­la­tion”, oublie que pour voir le “gaz nation­al” sur les gazinières, il fau­dra atten­dre une dizaine d’an­nées, pour que la réserve soit exploitée, le gaz extrait, et que pour l’in­stant la Turquie ne dis­pose pas tout à fait des instal­la­tions néces­saires. La mise en cir­cu­la­tion est donc juste sur papi­er, pour le moment… Mais c’est un argu­ment de campagne.

Par­fois, on est aus­si “fiers” de nos pro­duits nationaux, comme “l’avion de chas­se nation­al KAAN” qui fut majestueuse­ment exposé à un pub­lic bran­dis­sant des dra­peaux. Le hic, Kaan n’a jamais volé, même pas le jour de la céré­monie de lance­ment. Avant que l’avion n’a­vance un peu sur la piste et s’ar­rête gen­ti­ment, Erdoğan, hardi­ment vêtu d’une tenue de pilote, a inau­guré le cock­pit. La cab­ine vit­rée du cock­pit n’é­tant pas faite pour rester en posi­tion ouverte, la star du spec­ta­cle fut pour­tant, la sorte de manche à bal­ais en plas­tique qui fai­sait office de levier…

Avion Kaan et la manche à balai

L’avion de chas­se et la manche à balai

Par­fois, c’est “la voiture nationale et domes­tique” pro­duite par Togg, [acronyme de “Groupe de co-entre­prise auto­mo­bile de Turquie”], con­struc­teur auto­mo­bile turc de véhicules 100 % élec­triques, fondé en 2018 et dévoilé par Erdoğan en 2019. Le pre­mier véhicule Togg est sor­ti des usines le 29 octo­bre 2022. Au début, le pro­jet fut qual­i­fié d’ “instal­la­tion de pro­duc­tion de voitures élec­triques” et la qual­i­fi­ca­tion “nationale et domes­tique” fut rajoutée plus tard, et d’ailleurs, ne reflète même pas la réal­ité, car le design de la voiture est ital­ien, le moteur alle­mand, la bat­terie chi­noise… Le taux de pro­duc­tion “locale” est même inférieur à celui des voitures étrangères. Il s’ag­it donc pure­ment une pro­pa­gande du gou­verne­ment, et même de dés­in­for­ma­tion. Mais cette pro­pa­gande fonc­tionne sur une par­tie du pub­lic, tou­jours les mêmes, on va dire, un pub­lic qui a le sens du sac­ri­fice et de la croy­ance… Ven­dre­di 6 mai, lors d’un “défilé” de Togg, un brave citoyen turc se jetait devant un des véhicules en cri­ant “vas‑y, vas‑y écrase-moi, écrase-moi, allez !”, s’il vous plait, sous les applaudissements…

Dans la vague de folie de “recon­nais­sances” envers Erdoğan, refait sur­face, une autre vidéo, qui elle, date de l’an­née dernière. Voici la tra­duc­tion des pro­pos de la per­son­ne inter­viewée pour un micro trot­toir. Elle pré­cise qu’elle votera : “Bien sûr pour le Reis. Le Reis jusqu’au bout. Il a fait telle­ment de choses, telle­ment de choses. Il y a 25 ans, vous vous ne sou­vien­drez pas, lorsque mon époux tra­vail­lait à l’hôpi­tal pub­lic, je mon­trais [fai­sais aus­cul­ter] mon enfant à la sécu­rité sociale [hôpi­tal pub­lic], l’un [de nous, attendait] dans une queue, l’autre dans une autre. Le médecin m’a engueulée. Il m’a dit, ‘vas‑y, débrouille-toi à [l’hôpi­tal de] la fac­ulté. Nous subis­sions un traite­ment comme cela. Main­tenant, nous tabas­sons les médecins. [se tait avec un regard dédaigneux 00:27 min…] Aujour­d’hui, si nous ne sommes pas sat­is­faits des médecins, nous les tabas­sons. C’est un tel con­fort. Il n’ex­iste pas plus [au sens ‘mieux’] que ça.”

A vrai dire la dame n’a pas tout faux… durant les dernières années, nom­bre de médecins, infirmier.es furent bat­tus ou blessés ou même assas­s­inés… Ter­mi­nons cet arti­cle avec la plume de Kar­ga Kafası. Le fameux cor­beau, per­ché sur un pan­neau “Hôpi­tal”, annonce la couleur : “L’élec­trice de l’AKP qui définit le tabas­sage des médecins, à sa guise, sous un régime, comme ‘un grand con­fort pour les citoyens’  résume la moral­ité des 21 années [sous ce régime].”

Pourquoi vous avoir plongé dans ce bouil­lon d’in­cul­ture d’une cam­pagne élec­torale qui sent la pour­ri­t­ure des grands déballages ?

Sim­ple­ment pour s’in­ter­roger sur cet instant “mag­ique” du vote qui ferait tout bas­culer. Lorsque le cul de la casse­role est à ce point culot­té, on peut douter de la réus­site de la cui­sine élec­torale qui y mijote.

 


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.