Français | English

Le sort du mot “sol­i­dar­ité” ressem­ble aujour­d’hui à celui qu’on a fait subir à la “laïc­ité”.

Arguant d’un uni­ver­sal­isme dont on ne retiendrait que la volon­té colonisatrice du bien con­tre le malin, valeurs de l’in­qui­si­tion supré­maciste, le non-blanc devient objet de soupçons, syn­onyme d’intrus, d’envahisseur.
Bref, le racisme de fait est “excusé” au nom des “valeurs com­munes”.

Ain­si, quand l’ex­ode de mil­lions d’Ukrainiens est déclenché par l’a­gres­sion bru­tale et sans scrupules du régime au pou­voir en Russie, la “sol­i­dar­ité” qui s’ex­prime, peut-elle être “naturelle­ment” détournée par la forte influ­ence de cette idéolo­gie supré­maciste en Europe et ailleurs. Le “tri” con­tin­uera à se faire aux fron­tières et, en allant jusqu’au bout, ces “nou­veaux migrants” “qui nous ressem­blent tant”, rem­placeront les anciens, dans les cen­tres d’accueil.

L’im­mense sol­i­dar­ité qui se fait jour ne va pas jusqu’à pul­véris­er l’idéolo­gie raciste et xéno­phobe qui dicte aux dirigeants de l’Eu­rope la fer­me­ture des fron­tières aux migrants “venus d’ailleurs” depuis des années. Aucun de ces dirigeants n’ex­pli­quera pourquoi dans la bal­ance, une vic­time de guerre là, pèse moins qu’une autre au Moyen-Ori­ent ou en Afghanistan, pire, qu’une autre, con­séquence des pil­lages colo­ni­aux et des change­ments cli­ma­tiques… On invo­quera “l’ur­gence” et la “prox­im­ité”.

Pour la prox­im­ité, l’in­stru­men­tal­i­sa­tion récente de migrants à la fron­tière biélorusse, et la réac­tion alors de totale fer­me­ture de l’UE, et le début de con­struc­tion de murs, invalide l’ar­gu­ment, sauf à le déplac­er sur le ter­rain de “l’o­rig­ine”. Pour l’ur­gence, en déplaçant le curseur en Méditer­ranée, on ver­ra de suite com­ment on retarde, incrim­ine, empêche tou­jours le sauve­tage en mer effec­tué par les ONG.

Saluer la “sol­i­dar­ité” exer­cée par des col­lec­tiv­ités locales, des asso­ci­a­tions, des par­ti­c­uliers, et même des admin­is­tra­tions, n’empêche pas d’ou­vrir les yeux sur le “deux poids deux mesures”, qui change tout, même si la volon­té human­iste de départ est sans arrières pen­sées pour majorité.

Voir se pré­cip­iter au devant des médias, à Calais, quelqu’une qui pra­tique juste­ment le dou­ble dis­cours, suf­fit à faire com­pren­dre celui-ci. Et si demain, parce que cette agres­sion de l’Ukraine dur­era, des réfugié.e.s ukrainiens en plus grand nom­bre veu­lent venir ten­ter leur chance parce qu’an­glo­phones, va-t-on lacér­er leurs tentes ? Qui procèdera au tri ? Et sur quels critères ? Parce que la Grande Bre­tagne con­tin­ue sa pra­tique de visas.

Mi mars, un “statut spé­cial”, une direc­tive de “pro­tec­tion tem­po­raire”, a été mise en place en urgence, et à juste rai­son, s’ap­puyant sur des accords déjà exis­tants entre mem­bres, datant de 2001, et pour­tant non activés lors du pic d’ex­ode des vic­times de la guerre en Syrie. Ce statut leur donne droit au séjour dans tout pays de l’UE ain­si qu’un accès au marché du tra­vail, à des soins et à la sco­lar­i­sa­tion. Il est renou­ve­lable 3 ans. Les deman­deurs doivent jus­ti­fi­er d’une “citoyen­neté ukrainienne”.

Une immense par­tie de ces réfugié.e.s sont des femmes, des enfants. La sco­lar­i­sa­tion des enfants va de soi. Leur mise à l’abri immé­di­ate sous un toit aus­si. Per­me­t­tre d’ac­céder à un tra­vail pour vivre est un min­i­mum. Mais pourquoi cela n’est-il pas une règle pour tous les migrants ? Pourquoi le droit à la libre instal­la­tion pour toute per­son­ne vic­time de guerre, de per­sé­cu­tions, de pau­vreté et dénue­ment due aux change­ments cli­ma­tiques et aux pil­lages de ressources est-il devenu un gros mot alors qu’on devise gen­ti­ment sur des plateaux du “grand remplacement” ?

Faire en sorte que l’é­mo­tion forte et spon­tanée face aux meurtres et exac­tions d’une armée d’oc­cu­pa­tion, envoyée par le régime russe, fasse éclater cette hypocrisie, est à portée de toutes celles et ceux qui se revendiquent de la défense des droits humains, dans une réelle uni­ver­sal­ité, aux antipodes de l’ori­en­tal­isme, des “valeurs chré­ti­ennes occi­den­tales communes”…

En langue française, le mot “sol­i­dar­ité” est défi­ni comme suit : “rela­tion entre per­son­nes qui entraîne une oblig­a­tion morale d’as­sis­tance mutuelle”.

Dans la loi et dans les faits ce principe est totale­ment bafoué, tant sous la pres­sion des idéolo­gies racistes et xéno­phobes, que celle d’in­térêts économiques par­ti­c­uliers, liés au capitalisme.

Des réfugiées ukraini­ennes d’au­jour­d’hui peu­vent devenir demain les “rem­plaçantes” de déjà tra­vailleuses méprisées et sous payées du secteur social, racisées, et avec “orig­ines”.
Cette société de class­es a de tout temps inté­gré par­mi les couch­es sociales les plus pau­vres les “migra­tions”. L’ef­fon­drement du mod­èle colo­nial a fourni de la main d’oeu­vre aux puis­sances. Les guer­res ont com­plété. Cer­tains supré­macistes con­sid­èrent qu’un “point de rup­ture serait atteint”. Ce dis­cours a cours depuis un demi siè­cle et a pénétré à nou­veau forte­ment les sociétés occi­den­tales, au point de ressur­gir comme une “évi­dence” dans la bouche des élites forgées par ce sys­tème capitaliste.

Lut­ter con­tre cela ne sem­ble pour­tant même plus une néces­sité, à en juger les joutes poli­tiques pleines de “oui mais…”

Et, lorsque même sur un autre ter­rain de “sol­i­dar­ité”, au nom d’une cer­taine con­cep­tion de la “paix”, on dénie même le droit à la résis­tance du peu­ple ukrainien à réclamer des armes, pour se défendre, nous sommes en droit de nous deman­der, si demain, on ergotera pas tout autant sur les “réfugié.e.s”, joutes terminées.

Alors ne tombons pas dans ces pièges qui opposent les réfugié.e.s et migrant.e.s entre eux/elles, comme on opposerait des mis­ères et des dénue­ments entre eux, pour en exonér­er les causes.

Aucun.e de ces migrant.e.s ne pèse son poids de vic­time plus lourd que l’autre. La couleur ou l’o­rig­ine n’y fait rien. La nature de l’a­gresseur non plus, tout comme les prox­im­ités cul­turelles et religieuses.

Cette guerre impéri­ale de Pou­tine ne lais­sera per­son­ne indemne, cet exode mas­sif de pop­u­la­tions aura des réper­cus­sions pro­fondes sur les années à venir. Les Etats-nation tou­jours prompts à “assim­i­l­er” ne pour­ront pas se con­tenter de leurs romans nationaux au nom des ancêtres.

Cette sol­i­dar­ité élé­men­taire avec les Ukrainien.ne.s devrait être une oppor­tu­nité plus que jamais pour pren­dre à bras le corps le débat sur les migra­tions humaines, leurs caus­es, leur dura­bil­ité, et tous les efforts qu’elles deman­dent et demanderont.
La mon­di­al­i­sa­tion cap­i­tal­iste a su organ­is­er à son prof­it un démé­nage­ment du monde, en terme de cir­cu­la­tion de marchan­dis­es et de divi­sion du tra­vail favor­ables au prof­it. Il ne faut pour­tant pas compter sur elle pour résoudre les con­séquences de ses crises et de ses guerres.

A min­i­ma, en exerçant la sol­i­dar­ité avec les déplacé.e.s de guerre, con­crète­ment, il est pos­si­ble de faire pres­sion sur les poli­tiques, même sur ceux qui se dis­ent “de gauche”, “verts” ou “pro­gres­sistes”, pour cass­er le pla­fond de verre imposé jusqu’i­ci à pro­pos de tous les migrants.

Enfin, pour en revenir à un sor­dide débat élec­toral fran­co français, et sachant qu’y pos­er ce débat n’est pas source de béné­fices élec­toral­istes, sauf à aller dans le sens de l’idéolo­gie dom­i­nante du moment, pou­voir croire ne serait-ce qu’un peu, qu’il serait néan­moins posé en ces ter­mes, dans un deux­ième tour qui ver­rait l’ex­trême droite écartée, serait peut être un plus, faute de mieux.


Soutenez Kedis­tan, FAITES UN DON.

Nous entretenons “l’outil Kedistan” autant que ses archives. Nous tenons farouchement à sa gratuité totale, son absence de liens publicitaires, et au confort de consultation des lectrices et lecteurs, même si cela a un coût financier, jusque là couvert par les contributions financières et humain (toutes les autrices et auteurs sont toujours bénévoles).
Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Daniel Fleury on FacebookDaniel Fleury on Twitter
Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…