Français | English
Pour les autres articles > DOSSIER SPECIAL UKRAINE

Com­mencer une chronique sur ce qui se déroule à l’Est, par­ler de l’Ukraine, après avoir vu et enten­du sur un écran plat un auto­crate russe, dont on ne mesure pas exacte­ment la san­té men­tale, annon­cer qu’il met­tait en état d’alerte ses forces de dis­sua­sion nucléaire, me paraît presque tâche sans fin.

Et pour­tant, la vie con­tin­ue, les images défi­lent, les militant.es mènent cam­pagne élec­torale, les sanc­tions pleu­vent, et par endroits, il neige en Ukraine.

Voilà plus d’une semaine que d’aucun.es comme moi ont l’oeil rivé sur cette men­ace à l’Est, qui, via les réseaux soci­aux, qui, via des médias divers, ou bat­tant le pavé. Le pas­sage récent de la pandémie aux dis­cours racistes de cam­pagne avait déjà été dif­fi­cile. Le réveil des mémoires sur une guerre de fron­tières sur le con­ti­nent européen, en Ukraine, est lui, tout aus­si brutal.

Des fron­tières, encore elles, qui agis­sent comme révéla­teur de ce que la finan­cia­ri­sa­tion cap­i­tal­iste avait lais­sé de côté, au début des années 1990, quand le mur était tombé, au prof­it d’une exten­sion de la mon­di­al­i­sa­tion et de la finan­cia­ri­sa­tion sur le con­ti­nent européen. Vite, vite, l’ex­ploita­tion des dif­féren­tiels de coût de main d’oeu­vre, vite la con­quête de marchés jusqu’alors glacés. L’a­gen­da de l’U­nion Européenne, dom­inée alors par des forces poli­tiques “sociales démoc­rates”, était tourné vers la mon­naie et le com­merce. Celui de ces pays jusqu’alors corsetés par la férule stal­in­i­enne et ses descen­dants, où des peu­ples mal­menés n’avaient pu même panser les plaies de leur his­toire récente bal­afrée par le nazisme et l’holo­causte voy­ait des nation­al­ismes renaître, des appétits se renforcer.

Je suis de ceux qui, dans ces années 1990, con­sid­érèrent que l’ex­plo­sion de l’Ex-Yougoslavie aler­tait sur la volon­té de peu­ples à dis­pos­er d’eux-mêmes face aux Etats-nations, non pour en créer d’autres, mais pour redéfinir les espaces de vie com­mune en Europe, dans le respect de l’his­toire longue et com­plexe de cha­cun de ces peu­ples. L’U­nion Européenne pro­po­sait alors, déguisé der­rière un pseu­do pro­jet fédéral à appro­fondir, une exten­sion d’un grand marché, et l’in­stau­ra­tion de sa mon­naie, pourvue d’une banque indépen­dante. Les peu­ples d’ex-Yougoslavie en firent les frais.

Un con­flit armé entre nation­al­ismes croates et serbes, qui s’al­lièrent ensuite con­tre une Bosnie où la mix­ité avait com­mencé à forg­er l’idée d’une pos­si­ble coex­is­tence d’avenir, ne pou­vait qu’être vu que comme un fer­ment de divi­sion dans l’ex­ten­sion du Marché. L’his­toire même de la Bosnie, qui fut par­tie de l’ex-empire ottoman, intro­dui­sait égale­ment une dimen­sion qui fut vite présen­tée comme religieuse. Il n’est pas dans mon inten­tion de refaire l’his­torique et l’analyse de cette guerre ici.

Je voudrais sim­ple­ment soulign­er que déjà, l’om­bre portée de la Russie, alors encore dans le chaos de la déstal­in­i­sa­tion, planait sur la région. La fin, on la con­naît, comme pour toute guerre, les puis­sants ont tranché. Et la Bosnie fut dépecée qua­si eth­nique­ment, avec la mise en place sous tutelle inter­na­tionale d’une prési­dence tour­nante, cen­sée don­ner la forme insti­tu­tion­nelle d’une fédéra­tion de Bosnie Herzé­govine. Si vous êtes curieux, ren­seignez-vous sur ce qui s’y déroule en ce moment, et la façon dont les nation­al­istes serbes se pro­posent de faire à nou­veau séces­sion, con­tre ce qu’il faut bien appel­er le ren­force­ment d’un “nation­al­isme musul­man” propul­sé par les accords en lieu et place d’une solu­tion bosni­enne. Bref, cette guerre fut réglée à la manière des empires d’an­tan, à la règle et en fonc­tion des zones con­quis­es. La ques­tion du Koso­vo elle, fit l’ob­jet d’une atten­tion spé­ciale de l’OTAN ensuite.

La sociale démoc­ra­tie européenne de l’époque alla même au début jusqu’à boud­er la volon­té d’une réu­ni­fi­ca­tion alle­mande, par la voix d’un cer­tain François Mit­ter­rand qui, per­son­ne ne s’en sou­vient, par­lait encore lors du siège de Sara­je­vo de “nos amis les Serbes”, alors qu’un Milo­se­vic tru­cidait à l’envie.

C’est dire si à ce moment, en Europe, la pri­or­ité était de redéfinir des règles com­munes d’après guerre froide. Dans ces trente dernières années, chaque peu­ple brico­la donc son his­toire, au rythme de l’in­té­gra­tion ou non dans le grand marché ouvert à tous vents.

Dans les ex Pays de l’Est, où les anciens pou­voirs poli­tiques furent écartés des respon­s­abil­ités, ce sont ceux qui avaient accu­mulés des richess­es et les leviers économiques qui accédèrent aux com­man­des, alliés aux forces répres­sives du régime ancien, après certes des cir­con­vo­lu­tions sou­vent. Les “oli­gar­ques”, dont on nous abreuve sont ceux là, pour faire court. Et si par­fois, ailleurs qu’en Russie, on les désigne comme “maffieux offi­ciels” ou “cor­rom­pus”, la garantie d’o­rig­ine est la même, cachée der­rière une démoc­ra­tie grotesque.

Bien sûr, com­par­er le pou­voir en Roumanie, par exem­ple, et en Russie, serait hasardeux. Mais com­parez les pro­jets poli­tiques des élites de ces pays serait aisé, et ils se situent tout autant dans le giron cap­i­tal­iste, même si les sys­tèmes de pou­voir vari­ent. Et la fameuse “charte européenne” est de plus en plus sou­vent un chif­fon de papi­er pour cer­tains régimes dits aujour­d’hui “mem­bres de l’U­nion”.

En 1973, alors que les blocs s’af­frontaient dans la guerre froide, vit le jour une ten­ta­tive de définir des règles pour la paix et la sécu­rité en Europe. A Helsin­ki fut signé alors ce qui s’ap­pela “l’acte final” de la con­férence. De nom­breux opposants con­nus à l’Est prirent appui sur ces textes pour lut­ter con­tre le glacis stalinien.

Le 21 novem­bre 1990, dans le pro­longe­ment d’Helsin­ki, et après la chute des murs, 34 pays signèrent une charte à Paris, qui débu­tait ainsi :

Nous, chefs d’État ou de gou­verne­ment des États, par­tic­i­pant à la Con­férence sur la sécu­rité et la coopéra­tion en Europe, sommes réu­nis à Paris à une époque de pro­fonds change­ments et d’e­spérances his­toriques. L’ère de la con­fronta­tion et de la divi­sion en Europe est révolue. Nous déclarons que nos rela­tions seront fondées désor­mais sur le respect et la coopération.”

S’en suit une liste de points où il est ques­tion de libre cir­cu­la­tion des hommes, des biens et marchan­dis­es, de développe­ment en coopéra­tion, de droits de l’homme et de paix, de préven­tion des con­flits. Le tout con­fié à l’ob­ser­va­tion de ce qui s’ap­pelle désor­mais l’OSCE.

Tout cela forme un ensem­ble cohérent avec le Con­seil de l’Eu­rope, créé en 1949, où ne siè­gent toute­fois aucun des pays d’Amérique du Nord, présents autour d’Helsin­ki par con­tre et dans l’OTAN.

Mais cet arse­nal de traités (en lien avec la Cour Européenne des Droits Humains) et qui con­stituent cepen­dant un sub­strat juridique impor­tant, ne redéfinit pas pour autant tous les prés car­rés qui se sont con­sti­tués en Etats Nations au fil de l’his­toire chao­tique du XXe siè­cle et de ses génocides.

Le pro­jet cap­i­tal­iste européen qui se pro­pose d’u­ni­fi­er une par­tie du con­ti­nent autour de sa finan­cia­ri­sa­tion et des bien­faits du prof­it, qui plus est ouvert totale­ment à la mon­di­al­i­sa­tion et à la divi­sion du tra­vail, met­tant en coupe rase les ressources, s’oc­cupe de for­mer des con­som­ma­teurs indif­féren­ciés et des pro­lé­taires aliénés. Que renais­sent ensuite dans ce marché des volon­tés impéri­al­istes qui pro­fessent des nos­tal­gies comme en Turquie et en Russie n’é­ton­nera pas. Les dif­féren­tiels de coût de main d’oeu­vre ayant été exploités, et ayant pro­duit à leur tour des marchés et des con­som­ma­teurs au pou­voir d’achat aug­men­té, ressur­gis­sent alors des con­flits de ter­ri­toire, de ressources, et de zones d’in­flu­ence, surtout dans un con­texte où la bataille autour d’én­er­gies fos­siles, qui a rav­agé le Moyen-Ori­ent, s’avère une impasse mondiale.

Ha oui, je ne par­le pas vrai­ment de l’OTAN. Je garde ce dia­ble pour la fin ?
Cet épou­van­tail, est pra­tique aujour­d’hui pour choisir son camp impéri­al­iste, ou y rejeter l’ad­ver­saire dans un débat. “Etre ou ne pas être dedans. That is the ques­tion ?”. Je reviendrai sur le “camp­isme” à gauche.

Je vous rap­pelle que mon pro­pos “en atten­dant la bombe” con­cerne l’Ukraine, et que j’en suis encore loin, d’au­tant que ma réflex­ion passera sans doute aus­si par le Rojava.

Et, pour m’éviter par con­tre bien des retours sur des “légen­des urbaines”, je vous con­seille cet arti­cle incon­tourn­able, qui net­toie un peu les yeux et les oreilles, surtout à gauche et à gogoche, con­cer­nant les “nazis ukrainiens” chers à Poutine.

… arti­cle suivant

Pour les autres articles > DOSSIER SPECIAL UKRAINE

Soutenez Kedis­tan, FAITES UN DON.

Nous entretenons “l’outil Kedistan” autant que ses archives. Nous tenons farouchement à sa gratuité totale, son absence de liens publicitaires, et au confort de consultation des lectrices et lecteurs, même si cela a un coût financier, jusque là couvert par les contributions financières et humain (toutes les autrices et auteurs sont toujours bénévoles).
Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Daniel Fleury on FacebookDaniel Fleury on Twitter
Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…