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Nous lisons dans les médias que Başak Demir­taş vient d’être con­damnée à deux ans et demi de prison, pour une faute de frappe, dans un rap­port médi­cal con­cer­nant une fausse couche !

Başak est enseignante, et com­pagne de route de Sela­hat­tin Demir­taş, le député main­tenu depuis novem­bre 2016 en prison, mal­gré la déci­sion de la Cour européenne des droits humains en faveur de sa libéra­tion immé­di­ate. En effet la CEDH a jugé que la déten­tion de Demir­taş allait à l’en­con­tre “du cœur même du con­cept de société démocratique”.

Sela­hat­tin l’ex-coprési­dent du Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP), a été empris­on­né après que son par­ti ait rem­porté suff­isam­ment de sièges lors des élec­tions générales de 2015 et détru­it par là, la majorité par­lemen­taire d’Er­doğan. Il fait face à plus d’une cen­taine d’ac­cu­sa­tions que les pro­cureurs s’ef­for­cent de lier toutes au “ter­ror­isme”. Cela représente en total­ité des cen­taines d’an­nées de prison. Sela­hat­tin Demir­taş, avec son humour caus­tique habituelle, com­mente ain­si : “Aucun prob­lème, si je peux vivre autant, je les ferai”.

Le HDP, (notons en pas­sant, une nième fois, la qual­i­fi­ca­tion sys­té­ma­tique par la presse inter­na­tionale de “pro-kurde”, terme insup­port­able et réduc­teur, alors qu’il rassem­ble sous son toit divers­es représen­ta­tions des peu­ples minori­taires, mais aus­si des fémin­istes, écol­o­gistes, LGBTIQ+…) est dans le col­li­ma­teur du régime turc. Ses députéEs, révo­qués, immu­nité par­lemen­taire lev­ée, co-maires éluEs par le peu­ple relevés de leur fonc­tions, rem­placés par des admin­is­tra­teurs para­chutés, ses mem­bres, les sym­pa­thisants, jusqu’à l’employé chargé du buf­fet, rem­plis­sent les pris­ons turques. Et, depuis des mois, sont émis­es sur les réseaux soci­aux par des poli­tiques de qua­si toutes ten­dances, unies par le nation­al­isme, des appels pour la fer­me­ture et l’in­ter­dic­tion du HDP. C’est de “l’après fer­me­ture du HDP, que débat­tent à la télé, les uns et les autres, des pseu­do-spé­cial­istes, des poli­tiques de tous bor­ds, excep­tés bien évidem­ment les con­cernéEs, qui, avec con­stance, sont invisibiliséEs…

Tout cela des­sine un tableau d’une per­sé­cu­tion poli­tique effroy­able et kafkaïenne.

L’acharne­ment sur les opposantEs kur­des se pour­suit donc. Tou­jours avec l’ac­cu­sa­tion fourre-tout “tous ter­ror­istes !” Faute de preuves, on va aller donc jusqu’à éplucher… les arrêts maladie !

Le tri­bunal de Diyarbakır a pronon­cé jeu­di dernier, une peine de prison de 30 mois, à l’en­con­tre de Başak Demir­taş, et égale­ment pour son médecin, “pour avoir présen­té un rap­port médi­cal fal­si­fié”.

Başak déclarait récem­ment, que ni elle, ni ses deux enfants n’avaient été autorisées, depuis le début de la pandémie, à ren­dre vis­ite à Sela­hat­tin Demir­taş… Serait-ce donc son tour ?

Les accu­sa­tions dans ce procès ubuesque ont débuté en mars 2018, et se basent sur des admis­sions à l’hôpi­tal, et deux opéra­tions chirur­gi­cales pour une fausse couche, dont Başak Demir­taş a souf­fert en 2015. Selon ses avo­cats, l’en­seignante a été accusée de “fraude” parce qu’une note de médecin pour cinq jours d’ar­rêt de tra­vail a été délivrée lors d’un ren­dez-vous, le 11 décem­bre 2015, mais a été datée par erreur… du 14 décem­bre, soit qua­tre jours plus tard. Başak avait ensuite pris un con­gé sans sol­de pen­dant la sec­onde moitié de l’an­née sco­laire 2015–16, pour se rétablir.

Sur Twit­ter, la déc­la­ra­tion du rap­por­teur du Par­lement européen sur la Turquie, Nacho Sánchez Amor, à pro­pos de la con­damna­tion de Başak Demir­taş : “La con­damna­tion à 2,5 ans de prison pour une sim­ple erreur d’écri­t­ure con­cer­nant un dossier médi­cal est con­ster­nante et sem­ble dépass­er le bon sens. Cela sem­ble telle­ment poli­tique. Cela donne la mesure de l’é­tat inquié­tant du sys­tème judi­ci­aire turc.”

C’est pour­tant devenu un secret de polichinelle. 

Mais, lorsque l’on con­state, qu’alors que dans un pre­mier temps la com­pag­nie aéri­enne du régime AKP a par­ticipé au trans­fert de migrants vers la fron­tière biélorusse, elle devrait échap­per aux sanc­tions, lorsque l’on voit que le non respect des déci­sions de la Cour Européenne con­cer­nant Sela­hat­tin Demir­taş et Osman Kavala ne provo­quent aucune inter­pel­la­tion, que des volets d’une éventuelle dis­cus­sion d’ad­hé­sion à l’UE restent ouverts, et que chaque fois que le régime turc par­le de migrants, la Com­mis­sion s’exé­cute, com­ment s’é­ton­ner encore d’une sim­ple “déc­la­ra­tion”.

Après le procès, les avo­cats de Başak ont déclaré que, bien que le tri­bunal ait décidé que le reg­istre de l’hôpi­tal indi­quant les dates aux­quelles elle s’y était ren­due devaient être présen­tées comme preuves, pour mon­tr­er qu’une erreur avait été com­mise, le tri­bunal a pronon­cé la sen­tence sans les exam­in­er.  “En dépit de cette sit­u­a­tion, nous con­tin­uerons à men­er notre com­bat juridique. Nous croyons tou­jours que le juge­ment sera annulé [par la Cour d’ap­pel] et que la jus­tice sera ren­due.” dis­ent les avocats…

On pour­rait s’at­ten­dre à ce que la famille proche, une prochaine fois, soit inquiétée de toutes les manières que ce soit, après une telle infamie judi­ci­aire. Et surtout, c’est l’ab­sence de réac­tions fortes de ceux qui se pré­ten­dent chefs d’op­po­si­tion” qui inquiète. Dans les proces­sus élec­toraux qui se pro­fileront bien­tôt, le CHP, par exem­ple, n’a vis­i­ble­ment pas encore arrêté sa posi­tion vis-à-vis des Kur­des, et se dan­dine tou­jours face aux nation­al­istes, espérant davan­tage sur une crise et une usure du pou­voir, et de l’at­te­lage AKP/ul­tra-nation­al­istes.

En Turquie comme ailleurs, c’est à droite toute.

Başak Demir­taş est une vic­time de plus de ce pou­voir dis­cré­tion­naire qui se main­tient grâce à l’idéolo­gie anti-kurde, anti-migrants, anti-arméniens et autres minorités, résumée dans le con­cept de turcité. Ces vic­times, poli­tiques, jour­nal­istes, auteurEs, sim­ples opposantEs un peu rad­i­calEs, se comptent tou­jours par mil­liers, traînées devant la par­o­die de jus­tice et incar­cérées. Elles sont à ce point nom­breuses que don­ner des chiffres pré­cis et non par­tiels est qua­si impos­si­ble, bien que des asso­ci­a­tions de société civile s’y attachent encore.

Rap­pelons par exem­ple que le procès d’Aslı Erdoğan, en principe fer­mé, se réou­vre sur d’autres motifs, tous autant dis­cré­tion­naire que l’est ce motif de “fausse date”, pour un arrêt mal­adie, qui peut con­duire en prison, alors que les béné­fi­ci­aires de la cor­rup­tion, tout comme les auteurs de fémini­cides, sont épargnés, pour bonne con­duite ou port de la cravate.

Ordre, sécu­rité, nation, république, haine du migrant et de “l’autre”, ter­ror­isme… Voilà des mots qui jus­ti­fient qu’on s’at­tarde sur une erreur de date et qu’on con­damne à la prison la com­pagne d’un opposant déjà incar­céré. Etrange, ces mêmes mots échap­pés de Turquie tour­nent comme des mouch­es de fond de poubelle dans l’air d’une cam­pagne élec­torale française.


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