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Il y a une dizaine de jours, à Istan­bul, lors d’opéra­tions visant des entre­pôts de papiers à recy­cler, les baraque­ments dans le quarti­er Ataşe­hir furent détru­its, et le matériel con­fisqué. Dans le quarti­er Ümraniye, des entre­pôts furent scel­lés, le matériel présent con­fisqué égale­ment. Le peu de médias d’op­po­si­tion qui reste en Turquie a relayé “l’ar­resta­tion de près de 200 ouvri­ers ramasseurs, placés en garde-à-vue, et les ouvri­ers migrants, envoyés vers les cen­tres de réten­tion, afin d’être expul­sés”.

Mehmet Aytar qui tra­vaille dans le secteur de papi­er à recy­cler à Ümraniye, et Salman Yıldırım, mem­bre de con­seil d’ad­min­is­tra­tion d’une asso­ci­a­tion de recy­clage, s’é­taient entretenus avec Haber Sol, quelques jours plus tard des opéra­tions et les dif­fi­cultés vécus par les ramasseurs.

Mehmet Aytar dis­ait alors : “La pré­fec­ture d’Is­tan­bul aurait pris une déci­sion : tous les entre­pre­neurs doivent sup­primer les char­i­ots. Istan­bul a 39 dis­tricts, et s’y activent 1350 entre­pôts dédiés seule­ment aux papiers à recy­cler. Il existe aus­si 260 grandes firmes pos­sé­dant des licences. Ceux qui n’ont pas de licences appor­tent leur récoltes à ces firmes. Je tra­vaille dans Ümraniye Esenkent. Il y a 85 entre­pôts, et cinq ou six grandes entreprises. 

Il y a quelques jours, la police munic­i­pale, les équipes de police spé­ciale sont venues, sans aucun aver­tisse­ment préal­able, à 10h du matin, avec des blind­és, et des pel­leteuses. Ils ont con­fisqué les déchets stock­és. Trois cent, qua­tre cent per­son­nes s’y trou­vaient. On a demandé une ou deux heures de délai pour qu’on puisse ramass­er notre matériel se trou­vant dans les entre­pôts. La réponse de la police fut “vous ne prenez que votre sac, vous sortez”. Et lorsque les gens ont dit “com­ment voulez-vous qu’on quitte les lieux, com­ment pou­vez-vous con­fis­quer nos biens ? Don­nez nous un peu de temps”, ils nous ont gazés et ils sont inter­venus avec usage de balles en caoutchouc. Finale­ment ils ont scel­lé tous les entre­pôts, et placé nos cama­rades en garde-à-vue. Ils font ce type d’opéra­tions l’une après l’autre. Après Ümraniye, c’é­tait le tour d’Ataşehir.

Beau­coup de per­son­nes ont été lésées. Il y a des gens qui ont qua­tre, cinq enfants, des enfants sco­lar­isés. Des mil­liers de per­son­nes gag­nent mis­érable­ment leur pain ici. Com­ment une préféc­ture peut-elle leur enlever le pain ain­si ? Actuelle­ment, per­son­ne ne peut tra­vailler ici. Tout le monde a peur. De toutes façon ils ont con­fisqué la majorité du matériel et scel­lé les entrepôts.”

Mehmet Aytar, soulig­nait que quelques députés et jour­nal­istes avaient soutenu les tra­vailleurs du papi­er à recy­cler, et il ajoutait, “nous pen­sons qu’il faut trou­ver une solu­tion à ce prob­lème. Cela ne peut con­tin­uer ain­si. Il est ques­tion du gagne pain de mil­liers de personnes.”


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Mehmet Aytar se ques­tion­nait déjà lors de cet entre­tien du début du mois d’oc­to­bre : “Ils auraient crée une instal­la­tion à Gebze, cer­taine­ment liée avec le “Pro­jet Zéro Déchet” dirigé par Emine Erdoğan. On dit que ce matériel pris ira à la mairie, à l’E­tat. Mais de toutes façons il va à l’E­tat… Pour le pro­jet de l’épouse du Prési­dent de la République, ils con­fisquent la sueur de mil­liers de per­son­nes. Celles-ci ne seraient-elles pas des citoyennes de la République de la Turquie ? Avant les élec­tions, ils frap­pent les portes de nos locaux pour deman­der des votes. Et main­tenant ? Seules les per­son­nes lésées sou­ti­en­nent les autres lésées. Les rich­es ont dis­parus de la circulation.”

Quant à Salman Yıldırım, mem­bre de con­seil d’ad­min­is­tra­tion de l’as­so­ci­a­tion de recy­clage Geri Dönüşüme Katkı Derneği, il dénonce :

La pré­fec­ture pra­tique des fer­me­tures sous ce pré­texte ‘les tra­vailleurs de recy­clage, les ramasseurs à char­i­ot dérangent l’habi­tant, salis­sent’. La munic­i­pal­ité du quarti­er où je tra­vaille, avait envoyé sa police, de la même façon. Ils nous ont assail­lis en nous accu­sant de tra­vail irréguli­er ou nous deman­dant des licences de lieu de tra­vail, dans un endroit où il n’y a pas de zon­age. Nous nous sommes rassem­blés avec nos cama­rades ouvri­ers du papi­er à recy­cler de Avcılar Yeşilkent, nous nous sommes organ­isés pour traiter nos dif­fi­cultés. Nous avons créé une asso­ci­a­tion et ain­si la munic­i­pal­ité nous a pris enfin comme inter­locu­teur. Nous avons résolu nos problèmes. 

Par con­tre à Ümraniye et Ataşe­hir, la pré­fec­ture prend des déci­sions directes, sous pré­texte que les tra­vailleurs ‘pol­lueraient l’en­vi­ron­nement’. Ces gens tri­ent les déchets, les trans­for­ment en matière recy­clable. Ils les appor­tent aux entre­pôts dédiés. Et là, il y a de l’ar­gent. Il y a une réelle pos­si­bil­ité de prof­it. C’est pour cette rai­son et dans le cadre du “Pro­jet Zéro Déchet”, que la pré­fec­ture essaye de marchan­dis­er l’af­faire pour des entre­pris­es alliées. Prof­i­tant du pro­jet d’Em­ine Erdoğan, ils essayent de for­mer leur pro­pre  réseau. Alors la pré­fec­ture s’ef­force de fer­mer les entre­pris­es exis­tantes, les gens résis­tent. Les tra­vailleurs ne don­nent aucun gêne à l’en­vi­ron­nement aux habi­tants. C’est juste une façon d’ou­vrir un secteur aux alliés [du régime]. Les munic­i­pal­ités se basent sur la déci­sion prise par la pré­fec­ture. Elles ouvrent des appels d’of­fre, dix per­son­nes y par­ticipent, mais l’af­faire est cédée à un mem­bre de con­seil de la munic­i­pal­ité de l’AKP, ain­si le secteur est monopolisé.”

Vous vous demandiez pourquoi les ramasseurs ont été attaqués subite­ment ? Voilà, en quelques phras­es, le paysage est dess­iné. Décidé­ment, même le déchet du pays n’est pas pour le miséreux…

Mashal­lah, la famille Erdoğan est très active. Avec des “sen­si­bil­ités” dif­férentes, envi­ron­nement, édu­ca­tion, femmes, par la main de cha­cunE de ses mem­bres, elle détient des fon­da­tions qui agis­sent dans plusieurs secteurs d’action.

La fille Esra Erdoğan Albayrak est dans le Con­seil d’ad­min­is­tra­tion de TÜRGEV, “Fon­da­tion turque pour les ser­vices à la jeunesse et à l’é­d­u­ca­tion”, qui se présente comme “une organ­i­sa­tion à but non lucratif, et qui four­nit des dor­toirs et des ser­vices édu­cat­ifs aux filles”. Le jeune fils Bilal Erdoğan: mem­bre hyper­ac­t­if du Con­seil d’ad­min­is­tra­tion  de la “Fon­da­tion Turque pour la jeunesse” TÜGVA, qui s’oc­cupe des jeunes et  étu­di­ants. Sümeyye, la fille futée d’Er­doğan est la vice-prési­dente du KADEM une organ­i­sa­tion de société civile qui se présente comme “engagée dans la défense de la dig­nité humaine des femmes”. L’épouse Emine Erdoğan dirige “Pro­jet Zéro Déchet”, dont la fon­da­tion TEMA (la Fon­da­tion turque pour la lutte con­tre l’éro­sion des sols) et le TRT (Radio-télévi­sion de Turquie) sont des parte­naires, et qui est rat­taché directe­ment au Min­istère de l’en­vi­ron­nement et de l’urbanisme…

Voilà com­ment s’in­stal­lent les petites “entre­pris­es” famil­iales partagées avec les alliés. De toutes façons ils ne man­queront jamais de ramasseurs esclaves bon marché qui met­tront la main dans les déchets, pour les trans­former à leur profit…

Recy­cler peut rap­porter gros, et il sem­ble dom­mage pour cer­tains de laiss­er cela aux “chif­fon­niers et ramasseurs”. Les utilis­er alors comme main d’oeu­vre bon marché, et corvéable à mer­ci, eux qui con­nais­sent l’ac­tiv­ité depuis bien avant le “zéro déchet”, appa­raî­tra comme une “mod­erni­sa­tion” du secteur, mais ne sera ni plus ni moins qu’une rentabil­i­sa­tion cap­i­tal­iste de plus, qui pré­caris­era encore davan­tage celles et ceux déjà dans la misère.

*

Un des forçats du papi­er répond à sa façon, avec un poème d’Ahmed Arif. Vous trou­verez la tra­duc­tion en dessous de la vidéo.

ANATOLIE
J’ai donné des berceaux à Noé,
Des balançoires, des hamacs,
Ta mère Eve, elle n’est qu’un enfant d’hier,
Je suis Anatolie, moi,
Me connais-tu ?
J’ai honte,
Honte de la pauvreté,
Nue devant l’étranger, au grand jour…
Mes bourgeons ont froid,
Mon aire crie famine.
Dans le monde de fraternité, de travail,
Dans le monde de solidarité,
Dans un monde où s’ouvrent les pétales d’atome,
Dans un monde de poètes, de savants,
Je suis resté toute seule,
Toute seule et loin.
Le sais-tu ?
Ils m’ont trait pendant des années.
Avec leurs chevaliers, ils m’ont brisé
Les sommeils délicats du matin,
Des souverains, des assassins, des brigands,
M’ont fait payer tribut.
Je m’en fiche d’Alexandre,
Du shah et du sultan.
Ils ont disparu sans ombre !
J’ai salué mon ami
Et j’ai tenu tête…
Le vois-tu ?
Si tu savais, combien j’aime
Köroğlu,
Karayılan,
Le soldat inconnu…
Et puis Pir Sultan et Bedrettin.
Et puis il y a tant d’amour
Que la plume n’en peut écrire…
Si tu savais,
Combien ils m’aimaient eux aussi.
Si tu savait celui qui tirait des balles à Urfa,
Du minaret, de la barricade,
De la branche de cyprès,
Comme il souriait à la mort.
Je veux absolument que tu le saches,
M’entends-tu ?
Ne te détruis pas comme ça,
Si triste, si étrange,
Où que tu sois,
Dedans, dehors, en classe, à ton pupitre,
Marche sus,
Crache au visage du bourreau,
De l’opportuniste, du corrupteur, du traître.
Tiens bon le livre,
Tiens bon le travail.
De tout tous tes ongles, de toutes tes dents,
De tout ton espoir, de tout ton amour, de tout ton rêve,
Tiens bon, ne me fais pas honte.
Traduit par Güzine Dino, Tahsin Saraç

Image à la Une : Sinan, ramasseur de papiers. Pho­to Evrensel

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