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Le terme “migra­tion intérieure” est venu s’in­staller sur ma langue. Il en est ain­si depuis mes voy­ages sur la route d’Is­tan­bul vers Amed (Diyarbakır).

A ce moment, je suis à la gare routière de Bercy, à Paris, comme pour un voy­age sim­i­laire. Bien évidem­ment, le ter­mi­nus ne sera Amed, mais une petite ville du Sud Ouest de la France. Je voy­age ain­si vers des ter­res, nom­mées par les Basques “Euskal Her­ria”, par les français “Pays Basque”, et que nous, les Kur­des, appelons “Welatê Bask”.

Alors que je m’af­fairais pour pré­par­er ce voy­age, je me ques­tion­nais. On se ressource tou­jours de l’his­toire des gens, de celles qu’ils/elles nous racon­tent. S’in­téress­er à un peu­ple, c’est juste­ment en écouter les réc­its.  

Je laisse der­rière moi le brouha­ha qui emplit Paris, qua­tre saisons sur qua­tre. Avec Hasan, doté de sa caméra et de son appareil pho­to, nous avons entamé un long voy­age dans ce bus, qui dur­era toute une nuit.

Nous sommes par­venus à Bay­onne aux pre­mières heures du jour. La ville était envelop­pée par la brume. Le petit pont ancien, tout en pier­res, qui lie la gare de trains au cen­tre ville, appelé “Petite Bay­onne”, était qua­si invis­i­ble. Mais ce brouil­lard n’ap­pelait nulle­ment à la morosité. Au con­traire, loin de Paris, il appa­rais­sait comme une pos­si­bil­ité de grande respiration.

Dans cette ville, posée sur les rives de l’océan Atlan­tique, avec sa longue plage enlacée par les forêts, la pre­mière invi­ta­tion au voy­age, nez en l’air, c’est sa mag­nifique archi­tec­ture. Qu’on le veuille ou non, on ne peut pas quit­ter les yeux des bâtiss­es qui ont cha­cune un réc­it à offrir, une his­toire, une âme. L’ar­chi­tec­ture d’une région par­le de celles et ceux qui l’on faite, au fil des ans, et qui l’habitent encore aujour­d’hui. Dans les rues bor­dées d’im­meubles cen­te­naires, il est impos­si­ble d’éviter de marcher sur les pieds des pas­sants, tan­dis que vos regards glis­sent sur les étages, avant d’at­tein­dre le ciel… Ces anci­ennes bâtiss­es changent de couleurs d’une ville à l’autre. Mais ce rouge va si bien à Bayonne.

Après une pause, au bord de la riv­ière qui tra­verse la ville, dans un café, où le matin pose son pre­mier bon­jour, nous avons repris nos places dans la dernière rangée de sièges d’un autre bus, en par­tance pour un beau tra­jet de deux heures.

Nous quit­tons ain­si Bay­onne, direc­tion Mauléon-Licharre.

On dit ici que les vach­es regar­dent les trains pass­er, mais là, ce sont nous qui les voyons défil­er. Il y a aus­si des mou­tons, des chevaux, qui broutent avec plaisir dans les collines et les mon­tagnes d’un vert soutenu, cha­cune comme dans un tableau. La nos­tal­gie me rat­trape encore une fois.

Dans le Pays Basque, comme un air de Kurdistan :  Leader Öcalan, Arîn Mîrxan et drapeau YPJ

Arrivés à Mauléon-Licharre, nous mar­chons un moment pour nous ren­dre sur le lieu du fes­ti­val, pour lequel nous avions entre­pris le voy­age jusqu’i­ci. Il est pro­gram­mé sur qua­tre jours, du 7 au 10 octo­bre. Lucile, qui fait par­tie de l’or­gan­i­sa­tion de l’ini­tia­tive, m’avait déjà racon­té à dis­tance, com­ment une anci­enne usine avait été ici trans­for­mée en cen­tre cul­turel. Ce fes­ti­val m’a don­né enfin l’oc­ca­sion de vis­iter les lieux.

Nous dépas­sons le coin de la mairie, où nous avons croisé “Lulu”, Mon­sieur le Maire, et nous nous diri­geons vers le cen­tre culturel.

Le com­plexe est con­sti­tué de trois bâti­ments de pierre et de bois, alignés côte à côte. J’y retrou­ve Lucile et ses col­lègues qui s’af­fairent avec ent­hou­si­asme. Nous sommes accueil­lis par des dra­peaux du YPJ, accrochés des deux côtés de la grande porte en bois, et des pho­togra­phies imprimées sur des car­tons à taille humaine, du leader Öcalan et d’Arîn Mîrx­an, une femme kurde révolutionnaire.

Sur la façade du cen­tre cul­turel, s’af­fiche une expo­si­tion de plein air, avec des pan­neaux expli­cat­ifs en castel­lan et basque. Des pho­togra­phies du Roja­va, par­ti­c­ulière­ment de l’A­cadémie de femmes et de jinéolo­gie. Dès ces pre­miers pas, on peut trou­ver les traces d’un voy­age ancien, déjà réal­isé par des femmes et hommes basques, sur une pho­to de groupe, devant un pan­neau de bien­v­enue d’Afrin : “Hun Bi Xer Hatin”. 

Lors de ce fes­ti­val, qui dur­era qua­tre jours, les femmes provenant du Pays Basque du sud partageront avec émo­tion leurs points com­muns poli­tiques avec le Roja­va, leurs mar­que de sol­i­dar­ité, de tout leur coeur.

A Mauléon, un riche pro­gramme nous attendait :

Mauleon Pro­gramme-2021

Le fes­ti­val tient à “Célébrer la diver­sité et la richesse de la pop­u­la­tion mauléonaise, ren­dre hom­mage à un passé mar­qué par l’exil, l’accueil et le métissage, ouvrir des espaces d’échange comme autant de per­spec­tives d’avenir.” Sa pre­mière édi­tion a une invitée d’hon­neur : Pınar Selek, soci­o­logue, écrivaine.

Dans un fes­ti­val dont aucunE kurde ne fait par­tie des organ­isatri­ces et organ­isa­teurs, un focus si con­séquent sur les thé­ma­tiques comme la résis­tance des femmes kur­des au Roja­va, la jinéolo­gie, les YPJ, l’A­cadémie des femmes, ne pour­rait voir le jour sans l’ex­is­tence d’un lien de sol­i­dar­ité très fort.

Je partagerai avec vous, dans les jours à venir, des entre­tiens que nous avons réal­isés avec cer­taines per­son­nes qui ont par­ticipé à cette belle aventure…

Durant ce fes­ti­val, avec le tra­vail d’artistes kur­des, comme Zehra Doğan, c’é­tait la résis­tance du Kur­dis­tan qui repre­naient vie dans les murs d’un autre bout du monde.

Prison n°5”, le livre graphique de la jour­nal­iste et artiste Zehra Doğan, est paru au print­emps 2021, aux Edi­tions Del­court en français, et simul­tané­ment en ital­ien aux édi­tions Bec­ca Gial­lo. Zehra a réal­isé ce livre secrète­ment en prison, elle a réus­si à sor­tir les pages une par une, clan­des­tine­ment. Le livre racon­te la péri­ode des exac­tions de l’E­tat turc dans les années 2015–16, remonte l’his­toire de la lutte du peu­ple kurde, le quo­ti­di­en des pris­on­nières. Un ensem­ble de vingt repro­duc­tions agrandies des planch­es orig­i­nales est désor­mais disponible pour des expo­si­tions à l’in­ten­tion de des asso­ci­a­tions, libraires, bib­lio­thèques. Et c’est à Mauléon, que cette petite expo­si­tion à débuté son chem­ine­ment… Ces vingt repro­duc­tions sont là, devant nous.

D’ex­po­si­tion en ren­con­tres et échanges, de pro­jec­tions en spec­ta­cles, la musique joue aus­si son rôle rassembleur…

Le soir, sur scène, se pro­duit un groupe basque, le Trio Daraçiyê, dont un mem­bre est kurde, Hay­dar Işcen. Quant à Yohann Vil­lan­ua, il nous émeut lorsqu’il chante “Şevekî tarî, bi berf û baran”, en kurde, et avec brio. Nous, ensem­ble et réu­nis, cama­rades kur­des, basques, arméniens, arabes, français, espag­nols, turcs, por­tu­gais, témoignons de la trans­for­ma­tion du sen­tier emprun­té par la sol­i­dar­ité en une grande route qui s’é­tend du Pays Basque jusqu’au Kurdistan.

Le con­cert du col­lec­tif Medz Bazar est tout une mosaïque, de toutes couleurs lui aus­si. Les mots s’ar­rê­tent et par­lent les mélodies.…

Finale­ment, même si je m’é­tais dit au début de ce voy­age “ce ne sera pas un voy­age dont le ter­mi­nus sera Amed”, ces retrou­vailles m’ont ramené instan­ta­né­ment jusqu’à Amed.

Durant ces qua­tre jours, j’ai échangé avec de nom­breuses per­son­nes. Elles suiv­ent toutes, de très près, le Kur­dis­tan et le Roja­va, et avec leur coeur… Un pont est bâti, tra­ver­sant toutes les fron­tières, coeur con­tre coeur. Il est impos­si­ble ici, de ne pas hésiter, “suis-je à Mauléon-Licharre, à Lichans-Sun­har, ou à Amed, à Cizre, à Afrin ?”

Quelqu’un marche quelque part, il laisse ses traces de pas, voyez-vous ? Ensuite d’autres emprun­tent ces pas et un sen­tier appa­rait. Ce chemin est alors plus facile à entre­pren­dre, parce que tout le monde sait qu’il amène quelque part.

Au Roja­va, tout un peu­ple emboi­ta le pas des femmes kur­des. La voie ouverte se trans­for­ma en un chemin. Main­tenant, des per­son­nes appar­tenant à d’autres peu­ples du monde l’emprunteront à leur tour avec confiance…

Avec grat­i­tude à celles et ceux qui ont ouvert la voie, à celles et ceux qui l’ont emprun­tée, et à celles et ceux qui la poursuivent.

Je vous dis alors à bien­tôt, pour don­ner la parole aux belles âmes croisées à cette occasion.


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Ercan Jan Aktaş
Auteur
Objecteur de con­science, auteur et jour­nal­iste exilé en France. Vic­dan retçisi, yazar, gazete­ci. Şu anda Fransa’da sürgünde bulunuy­or. Con­sci­en­tious objec­tor, author and jour­nal­ist exiled in France.