Ramasseurs” ou “ouvri­ers de déchets en papi­er”, ils traî­nent leurs sacs géants qu’il rem­plis­sent de papi­er à recycler.

Ils font par­tie du four­mille­ment des “invis­i­bles” des grandes villes. Ils se fondent dans la vie urbaine… Telle­ment “habituels” qu’on ne s’é­tonne plus de les voir, ou encore qu’on ne les voit même plus pass­er. Pour­tant, ils sont là, ils tra­vail­lent sous le soleil brûlant ou sous la neige, par tous les temps.

ramasseur papier neige

Qui sont-ils ?

C’est un méti­er urbain, un méti­er “écologique­ment utile” et par son his­toire, c’est même un méti­er “poli­tique”.

Le méti­er de ramas­sage com­mence avec les déchets “tex­tiles” dans les années 1970 et con­naît quelques change­ment au fil du temps.

Au départ, ce furent des “pau­vres” de l’Anatolie  (par­ti­c­ulière­ment de Niğde) venus vers les grandes villes, qui se char­gent du ramas­sage. Les pre­miers grands change­ments se fer­ont dans les années 90, suite aux per­sé­cu­tions des vil­lages kur­des dans l’Est et Sud-Est du pays, avec l’ar­rivée des kur­des. Ils devi­en­nent la grande com­posante des ramasseurs. Et depuis 2011, nou­velle donne, des cen­taines de mil­liers de réfugiés syriens rejoignent le secteur et devi­en­nent un des plus impor­tantes par­tie des ramasseurs.

L’ex­ode et la pro­lé­tari­sa­tion crois­sante et suc­ces­sive de pop­u­la­tions entières mènent au “ramas­sage”.

enfants ramasseurs papier

Interdiction et amendes annoncées

Depuis peu, une annonce gou­verne­men­tale d’une “pénal­i­sa­tion” de cette activ­ité sec­oue tout ce “petit monde” qui essaye de sur­vivre, de faire vivre des familles et d’élever des enfants. C’est un “petit monde” de 500 milles ramasseurs avec leurs familles, au moins 2 mil­lions de per­son­nes en question.

En effet, le Min­istère de l’Environnement et de l’Urbanisme a infor­mé récem­ment par cir­cu­laire envoyée aux entre­pris­es de recy­clage qui achè­tent les papiers triés et récupérés par les ouvri­ers du papi­er, que désor­mais les achats seront inter­dits sous peine de 140.000 Livres Turques d’amende (env­i­ron 43.500 €).

Suite à cette déci­sion basée sur une mesure datant de 2011, de nom­breuses entre­pris­es ont cessé leurs achats.

Par­al­lèle­ment les ramasseurs qui gag­nent env­i­ron 40 Livres Turques (12€)par jour, risquent une amende de 20.000 Livres Turques (6.200€).

ramasseuse de papier

Un témoignage parmi d’autres…

Nilay Var­dar de Bianet a inter­viewé Osman Öztürk, un ouvri­er du papi­er,  inqui­et comme tous ses amis.

Osman Öztürk est né à Niğde il y a 42 ans. Son père est aus­si « ramasseur de papi­er ». Il est venu à Cihangir, à Istan­bul, avec son père quand Osman avait 10 ans. Depuis ce jour, il ramasse des déchets en papi­er, plas­tique et  fer­raille, dans les poubelles des habi­ta­tions et des bureaux de ce quarti­er. Il récupère 200 kg de déchets par jour, dont 150 kg de cette quan­tité en papi­er. Le papi­er est le plus abon­dant et pour­tant le plus léger. Ce qui crée de gros vol­umes de raas­sage. Le kilo de papi­er lui apporte 20 kuruş, (3 cen­times d’€) il gagne donc 40 Livres Turques par jour. (12€)

Osman a qua­tre enfants qui vivent avec leur mère à Niğde. Quant à lui, il dort dans un entre­pôt dans le quarti­er de Tophane avec 5 amis. Il envoie 1000 Livres Turques (310€) à sa famille et essaye de sur­vivre avec ce qui reste. Il retourne chez lui tous les trois mois, pour voir sa famille. Sa journée com­mence à 9h du matin et il tra­vaille jusqu’à 20h. A la fin de journée il vend sa récolte à une entre­prise à Bayra­m­paşa. Osman explique qu’avant 2011 ils pou­vaient ven­dre le papi­er à l’entreprise qu’ils voulaient. Mais après 2011, depuis que les Mairies ont com­mencé à récupér­er le papi­er, ils ne peu­vent ven­dre leur récolte qu’à des entre­pris­es sous con­trat avec les Mairies. Bien que ce change­ment n’ait pas fait per­dre de l’argent aux ramasseurs, Osman souligne que depuis quelques années, ils parta­gent leur gain pain avec les réfugiés syriens.

« Avant cha­cun avait ses rues, ses quartiers, et per­son­ne n’empiétait sur le ter­rain de l’autre. Mais depuis que les syriens sont arrivés, et que notre nom­bre a aug­men­té, notre gain a bais­sé. Eux, il vendent moins cher. »

Et avec les nou­velles amendes, Osman a peur de per­dre totale­ment son gagne pain.

« J’ai 42 ans, mon âge est avancé, je ne suis pas déclaré. Nous ne con­nais­sons pas d’autre tra­vail. Si je ne peux pas ramass­er du papi­er, que ferais-je ? Nous, nous gagnons notre pain et en même temps nous con­tribuons à l’économie de notre pays. Et nous pro­té­geons les forêts. Per­son­ne d’autre, à part nous, ne peut faire ce tra­vail. Et l’Etat ne peut s’en sor­tir avec tous ces déchets. Il y aura des déchets partout. La Mairie (ser­vice éboueurs) ne vient qu’une journée dans la semaine et à des horaires pré­cis­es. Alors que nous, on ramasse partout et toute heure »

Hamit Agabey photo ©Erdost Yıldırım | Evrensel papier

Hamit ağabey
pho­to ©Erdost Yıldırım | Evrensel

Quelles solutions pour un travail décent ?

Dinçer Mendil­lioğlu, le Prési­dent de l’Association des Ouvri­ers de Recy­clage (Geri Dönüşüm İşçil­eri Derneği), souligne qu’en Turquie au moins 500 milles ouvri­ers du papi­er sont en activ­ité avec leur famille et que la déci­sion en l’é­tat du Min­istère de l’Environnement et de l’Urbanisme impacterait plus de 2 mil­lions de personnes.

« Le règle­ment des déchets d’emballage de août 2011 inter­di­s­ait à la fois le ramas­sage aux per­son­nes sans licence, et l’achat de leur récolte aux entre­pris­es. L’interdiction était donc des deux côtés. Mais cela n’a jamais été appliqué jusqu’à nos jours. Actuelle­ment il existe 950 entre­pris­es qui pos­sè­dent une licence, si cha­cune fait tra­vailler 10 per­son­nes, ils ne peu­vent répon­dre qu’à 9500 ouvri­ers. Or, actuelle­ment il y a au moins 500 milles ouvri­ers du papi­er. Que vont-ils faire ces gens ? »

L’association a un pro­jet con­cer­nant les 2500 ouvri­ers qui tra­vail­lent dans le quarti­er Çankaya à Ankara. Le pro­jet sera pro­posé au Min­istère. Mendil­lioğlu souligne que le ramas­sage de papi­er est con­sid­éré comme un tra­vail sauvage. Dans d’autres pays, il existe des méth­odes qui encour­age et légalise ce genre de tra­vail pour que les ouvri­ers puis­sent exercer leur activ­ité décem­ment, dans des con­di­tions d’hygiène et de sécu­rité néces­saires, sans avoir peur des agents de sécu­rité des mairies, et que leur tra­vail est déclaré (chô­mage, retraite).

Dans toutes les grandes villes, les travailleurs du papier…

Sinan Yıldırım papier

Sinan

Sinan  tra­vaille comme ouvri­er du papi­er depuis 10 ans.

« Je ramasse du papi­er et je vais à l’école. Cette année, je suis en ter­mi­nale. Je vais pass­er les exa­m­ens pour aller l’Université. Il faut que je me pré­pare pour les con­cours. Il est très dif­fi­cile de faire des études quand on n’a pas les moyens. Alors je cherche du tra­vail. J’ai été déjà embauché pour dif­férents jobs mais il dis­ent, soit tu boss­es en con­tinu, soit tu arrêtes. Alors je fais ce tra­vail, il n’y a pas ce soucis. Je gagne autour de 50 Livres Turques par jour. S’ils l’interdisent, on sera à la rue. Il fau­dra que j’arrête l’école. Il y a de mil­liers de per­son­nes qui comme moi, étu­di­ent et font ce travail. »

Yakup Yıldırım papier

Yakup

Yakup lui,  est d’Urfa et pour venir à Bur­sa, il a tra­ver­sé le pays il y a huit mois, pour faire ce tra­vail. Yakup est inquiet

« Ils dis­ent qu’ils vont inter­dire le ramas­sage. Si ça arrive, je vais ren­tr­er ou je serai à la rue. Il n’y a pas d’autre boulot et notre sit­u­a­tion finan­cière n’est pas ter­ri­ble. Et je n’ai pas la pos­si­bil­ité de tra­vailler déclaré. Ils ne m’embaucheront jamais pour un tra­vail déclaré. Si on ne ramasse pas ces papiers, ils vont être gâchés. Ils les jet­teront à la poubelle. Nous, on les donne au recyclage. »

Je peux align­er les témoignages sans fin… Des hommes, des femmes, des jeunes. Des enfants qui gravi­tent autour de leur par­ents, dor­ment dans un panier attaché au char­i­ot et qui tra­vail­lent dès qu’ils peuvent.

Dans une économie qui a rejoint les choix  de “crois­sance infinie” et l’adap­ta­tion con­tin­uelle aux règles du “marché”, qui dans les faits sont sauvages et dic­tées par le prof­it à très court terme pour quelques uns, le “pro­lé­taire” qui vend sa force de tra­vail par néces­sité de survie subit toutes les vari­a­tions. Cette société là, où le déchet s’ac­cu­mule, où le gaspillage sert de vari­able d’a­juste­ment, nous la con­nais­sons par coeur.

Partout dans le monde, les plus pau­vres vivent sur, ou avec, les tas d’or­dures. L’Asie et l’Afrique ser­vent même de poubelle à recy­cler pour les déchets tex­tiles, élec­tro ménagers, élec­tron­iques, voire plus pol­lu­ants encore.

La Turquie de par ses choix de “moder­nité” génère des déchets en masse elle aus­si. Comme partout ailleurs, des “investis­seurs” ont com­pris l’in­térêt économique du recy­clage. Ce qui n’é­tait que petit méti­er mar­gin­al de “ramasseur” s’est donc adap­té rapi­de­ment au “grand gaspillage” de la crois­sance et a crû lui aus­si, de façon sauvage.

La Turquie en est donc là, au point où elle est inca­pable, de par ses choix libéraux, de créer un véri­ta­ble “ser­vice pub­lic” dans ces secteurs, et de déclar­er ces métiers “d’u­til­ité publique”, en leur don­nant pro­tec­tion sociale et garanties. C’est aujour­d’hui à coup d’in­ter­dits et d’a­mendes, que le gou­verne­ment veut que le “marché” se régule, sans souci des pop­u­la­tions qui en sont les acteurs, et sans qu’ils aient leur mot à dire.

Si on ajoute à cela le “moins dis­ant” d’une main d’oeu­vre de réfugiés, on a tous les ingré­di­ents d’une future régu­la­tion où des “pro­lé­taires” seront dressés con­tre plus pau­vres qu’eux encore, dans des batailles de chiffonniers.

Mais der­rière tout cela, il y a des hommes, des femmes, des enfants, qui ne sont pas “des vies de papier”.


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.