Français | English

Frac­tured Spine”, en français, “Frac­ture de la colonne vertébrale”, est une expo­si­tion mixte qui se déroulera au Pho­to­bastei, à Zurich, du 28 octo­bre au 18 novem­bre 2021 à l’ini­tia­tive et sous la curatelle de Niş­ti­man Erdede.

Sous la devise “Résis­tance par la vis­i­bil­ité de la cen­sure, dans le jour­nal­isme et l’art”, l’ex­po­si­tion porte sur la manière dont les artistes expri­ment des formes spé­ci­fiques de résis­tance dans le domaine de l’art. Les œuvres présen­tées illus­trent le thème des droits de l’homme, du droit à la lib­erté d’ex­pres­sion et de leur vio­la­tion par la répres­sion étatique.

L’art, en dia­logue affec­tif direct avec l’individu auquel il s’adresse, a la pro­priété de se trans­former en un puis­sant out­il d’information, de sensibilisation.

Des ini­tia­tives pos­sé­dant un solide con­cept, nais­sent sou­vent en se ressourçant de l’engagement des unEs et des autres, et avec la con­tri­bu­tion d’un réseau tis­sé petit à petit, par la sol­i­dar­ité. Une expo­si­tion peut devenir ain­si le miroir d’une démarche col­lec­tive, cri­tique, dénon­ci­atrice, reven­dica­tive. C’est le cas de “Frac­tured Spine”.

Pen­sée depuis qua­tre ans, et bâtie pierre par pierre par Niş­ti­man Erd­ede, cette expo­si­tion est l’aboutissement d’une inten­tion déter­minée et claire.

Sur le chemin arpen­té jusqu’à l’ouverture des portes du “Frac­tured Spine”, se niche une longue histoire.

Je voudrais vous en con­ter une par­tie, celle dont je fus l’une des témoins. Ce souhait de partager ce réc­it n’est pas une occa­sion de vous par­ler de ma pomme. Des étin­celles de sol­i­dar­ité bril­lent à chaque mail­lon d’une chaîne qui, je l’e­spère s’étir­era d’un aboutisse­ment au prochain, sans jamais trou­ver de fin. Et cette étape qui s’y inscrit aujour­d’hui, sous forme d’ex­po­si­tion, nous dépeint que les ren­con­tres, les con­tri­bu­tions, même les plus hum­bles sou­tiens, ont leur importance.

Je ne vais pas être longue sur Zehra Doğan, artiste, jour­nal­iste, activiste kurde et amie pré­cieuse. Elle fut con­damnée pour “avoir dépassé les lim­ites de la cri­tique” selon le juge, et elle fut empris­on­née près de 3 ans. En novem­bre 2017, l’association suisse des libres penseurEs, Frei Denken a décerné le prix de la libre pen­sée à Zehra, alors en prison. Je me suis ren­due à Zurich, avec une inde­scriptible émo­tion et fierté pour mon amie, pour recevoir ce pre­mier prix européen, qui s’avèr­era d’ailleurs plus tard, le prédécesseur de nom­breux autres…

Après la céré­monie, je sor­tis pour fumer une cig­a­rette et me remet­tre de mes émo­tions. Un jeune homme se tenait près de moi, et nous com­mençâmes à échang­er. C’é­tait Niştiman…

Ce chaleureux dia­logue en langue turque, où cha­cunE com­plé­tait presque toutes les paroles de l’autre, se pour­suiv­it à dis­tance. On regar­dait par la même fenêtre. Le lien ami­cal se ren­força. En fin 2017, nous avons entre­pris l’or­gan­i­sa­tion de dif­férentes ini­tia­tives autour de Zehra, dont l’une à Mor­laix, organ­isée autour de l’ex­po­si­tion de ses oeu­vres de prison. Zehra Doğan, alors encore en prison, fut l’oc­ca­sion de retrou­vailles. Une table ronde sur l’art réu­nit Niş­ti­man, ain­si que l’artiste activiste Gian­lu­ca Costan­ti­ni et Elet­tra Stam­boulis, com­mis­saire d’ex­po­si­tion indépen­dante, auteure de ban­des dessinées.

Je me sou­viendrai tou­jours des pro­pos de Niş­ti­man, qui met­tait l’accent sur un sujet impor­tant. “Je pense qu’il y a deux choses qui ani­ment l’artiste. L’émotion et la moti­va­tion. La moti­va­tion ani­me l’artiste pour avancer et réus­sir. Quant à l’émotion, elle est liée à la cul­ture, au peu­ple, à l’Histoire dont l’artiste fait par­tie inté­grante. Lorsque l’artiste se laisse aller unique­ment à la moti­va­tion, il-elle avance vers une réus­site per­son­nelle. Et, mal­heureuse­ment, l’endroit où il-elle se trou­vera recon­nue, sera le marché de l’art, monop­o­lisé par l’Occident. Moi, je me sens comme une par­tic­ule des ter­res sur lesquelles j’ai gran­di, molécule de la cul­ture, de la lutte qui m’ont forgé. Pour cette rai­son, c’est l’émotion qui m’anime et qui me fait agir. Pour moi, s’il y a une chose qui doit être élevée par l’art, c’est le témoignage de la cul­ture et l’Histoire qui nour­ris­sent. C’est ain­si que je ne veux pas seule­ment agir par moti­va­tion, et, de fait, devenir le singe des marchés d’art, sur lesquelles j’ai un regard très cri­tique”. Ces pro­pos ont crée beau­coup de réflex­ions dans le pub­lic. Après la table ronde, les échanges se sont pro­longés. Car là, il était ques­tion  juste­ment, de cette bal­ance qui ne fig­ure pas tou­jours dans la “car­rière” de tous les artistes. Une pré­cieuse balance…

A tra­vers ces retrou­vailles avec Niş­ti­man, la ren­con­tre avec Elet­tra et Gian­lu­ca, le cer­cle d’ami­tié s’élar­git, tout comme le réseau de sol­i­dar­ité. D’ailleurs, depuis, les unEs et les autres s’ac­tivent autour de divers­es ini­tia­tives. Aujour­d’hui Gian­lu­ca con­tin­ue à dénon­cer, soutenir des artistes, intel­lectuelLEs, auteurEs de divers coins du monde, notam­ment la chanteuse Nudem Durak, le jour­nal­iste Ned­im Tür­fent, tous les deux kur­des, et en prison… Elet­tra a endossé l’or­gan­i­sa­tion des expo­si­tions, des tables ron­des et con­férences en Ital­ie, ou encore la paru­tion des livres, de Zehra Doğan, qui elle, aujour­d’hui libre, sou­tient à son tour les autres “otages poli­tiques”. Et tout cela fait par­tie d’un tout qui informe, ques­tionne, fait réfléchir et sen­si­bilise à tra­vers l’art. Les efforts des unEs et des autres, peu­vent devenir des vagues sol­idaires, col­lec­tive­ment soulevées, grâce à la volon­té, partage, et con­tri­bu­tion de per­son­nes qui nous entourent à la “hau­teur humaine”, cha­cune à sa manière, avec son savoir-faire, ses disponi­bil­ités, sa générosité. Vous qui lisez ces lignes, vous en faites partie…

L’ex­po­si­tion pro­posée par Niş­ti­man Erd­ede s’in­scrit dans cette démarche…

Mais qui est-il ?

Niş­ti­man Erd­ede, ini­ti­a­teur et com­mis­saire d’ex­po­si­tion est né en 1979, à Diyarbakır. Artiste décolo­nial, jour­nal­iste radio free-lance et rédac­teur-con­cep­teur, il vit et tra­vaille à Zurich. Il est arrivé à Zurich en 2008, en tant que migrant politique.

Après une pre­mière déten­tion pro­vi­soire pour son impli­ca­tion poli­tique, il avait quit­té la Turquie. Il a fal­lu six ans pour que sa demande d’asile soit accep­tée en Suisse, et qu’il puisse men­er une vie active en tant que réfugié recon­nu. Entre 2010 et 2014, Erd­ede a par­ticipé à un col­lec­tif mis en place par des réfugiés ; une asso­ci­a­tion de l’é­cole autonome de Zurich (ASZ), de l’In­sti­tut de for­ma­tion artis­tique de la Haute école des arts de Zurich ZHdK et d’autres insti­tu­tions artis­tiques. Tou­jours sous le statut de deman­deur d’asile, il a pos­tulé à la ZHdK, a été accep­té et a étudié au départe­ment Art & Media entre 2013 et 2016. À cette époque, Erd­ede s’in­ter­ro­geait déjà sur la rela­tion entre his­toire, mémoire et action éman­ci­patrice dans le con­texte des mou­ve­ments d’émi­gra­tion involontaire.

La com­préhen­sion de son tra­vail est aus­si celle d’une explo­ration de la pos­si­bil­ité de ren­dre vis­i­ble ses pro­pres expéri­ences de pri­va­tion de lib­erté ain­si que les expéri­ences col­lec­tives, que ce soit par l’écri­t­ure ou la pra­tique de l’art décolonial.

Pour “Frac­tured Spine”, Niş­ti­man livre l’in­ten­tion et objec­tif de son ini­tia­tive : “Dans quelle mesure l’art et les expo­si­tions d’art peu­vent-ils inspir­er une réflex­ion cri­tique sur les proces­sus soci­aux et poli­tiques ? L’ex­po­si­tion et le pro­gramme visent à créer une réal­ité dis­cur­sive jusqu’à présent incon­nue non seule­ment pour de nom­breuses per­son­nes en Suisse, mais aus­si en Turquie même. De cette manière, l’ex­po­si­tion con­tribue à la sen­si­bil­i­sa­tion et à l’amélio­ra­tion de la sit­u­a­tion des droits de l’homme en Turquie.”

Le lieu de l’ex­po­si­tion n’est pas choisi au hasard. “Frac­ture Spine” est accueil­lie dans les murs de Pho­to­bastei, qui se fixe pour objec­tif “de ren­dre vis­i­ble la créa­tion pho­tographique et son énorme poten­tiel artis­tique entre les espaces hors-les-murs d’une part et les insti­tu­tions établies telles que les galeries et les musées d’autre part.”

Cette ini­tia­tive s’en­ri­chit d’un pro­gramme que vous retrou­verez sur migrart.ch/ frac­tured-spine. Des pro­jec­tions de films et de vidéos, des per­for­mances, des dis­cus­sions avec des artistes, fer­ont par­tie inté­grante de l’ex­po­si­tion. Niş­ti­man argu­mente ce volet, “c’est en met­tant l’ac­cent sur la cen­sure, l’art et le jour­nal­isme, que les ques­tions suiv­antes fer­ont l’ob­jet d’une réflex­ion appro­fondie : Que sig­ni­fie la lib­erté d’ex­pres­sion sous un régime auto­cra­tique ? Com­ment la lib­erté d’ex­pres­sion peut-elle s’ex­ercer dans le cadre insti­tu­tion­nel d’une exposition ?”

Je tiens à not­er que je serai per­son­nelle­ment présente au nom de Kedis­tan, du 28 au 30 octo­bre, avec une table ronde pro­gram­mée le 31 octo­bre au Pho­to­bastei 0.2 à 14h00, en com­pag­nie d’Elet­tra Stam­boulis, et de Gian­lu­ca Costan­ti­ni, à nou­veau, pour dia­loguer sur l’ac­tivisme et la sol­i­dar­ité à tra­vers l’art, et les ini­tia­tives collectives.

Deux représen­ta­tions du pro­gramme de sou­tien auront lieu dans la Citykirche Offen­er St. Jakob qui se présente comme tel : “Une pierre angu­laire impor­tante du tra­vail de la Citykirche est son engage­ment en faveur des réfugiés, qui, aujour­d’hui encore, souf­frent le plus de divers­es formes de dis­crim­i­na­tion dans notre pays prospère. Beau­coup d’en­tre eux ne reçoivent pas de cours d’alle­mand payés par l’É­tat, ne sont pas autorisés à tra­vailler et vivent par­fois dans des con­di­tions extrême­ment exiguës et pré­caires. Nous essayons régulière­ment de pro­téger les réfugiés de la men­ace d’ex­pul­sion dans un asile de l’église.”

Niş­ti­man Erd­ede s’ex­plique : “Dans l’ex­po­si­tion, des posi­tions artis­tiques de la Turquie sont jux­ta­posées avec des posi­tions de Turcs et de Kur­des vivant en Suisse, ain­si que d’artistes suiss­es et inter­na­tionaux qui trait­ent des réal­ités décrites ici dans leur tra­vail”. Cette expo­si­tion offre à voir au pub­lic le tra­vail de belit sağ, Edi Hub­schmid, Ercan Richter, Fer­han Mor­d­eniz, Gaël Le Ny, hêlîn, Gian­lu­ca Costan­ti­ni, Hüsamet­tin Bahçe, Manuela Hitz, !Medi­en­gruppe Bit­nik, Melih Sarıgöl, Sal­ly Schon­feldt, Yousif Sal­ih, et Zehra Doğan.

Niş­ti­man con­clut : “En plus de mes références per­son­nelles, je me con­cen­tre non seule­ment sur les posi­tions locales et inter­na­tionales, mais aus­si sur les posi­tions et les débats en Turquie. Des œuvres exem­plaires d’artistes qui ont été cen­surés en témoignent. Frac­tured Spine a pour but de créer un espace dans lequel les artistes repren­nent leur lib­erté d’opin­ion et de parole.” 

Et il nous présente de près quelques unEs des artistes qui con­tribuent à ce projet :

L’artiste et jour­nal­iste Zehra Doğan est cofon­da­trice de la pre­mière agence de presse dirigée exclu­sive­ment par des femmes, JINHA, qui a depuis été inter­dite, et rend vis­i­bles les con­di­tions poli­tiques et la vie quo­ti­di­enne des femmes appar­tenant à des minorités eth­niques en Turquie. Elle a été empris­on­née pour ses con­tri­bu­tions cri­tiques con­tre le système.

Zehra Dogan

Une poignée de ciel”; 2018, Prison de Diyarbakır. Sur taie d’or­eiller, jav­el, sty­lo bille, 69 x 92 cm. (Pho­to : Jef Rabillon)

!Medi­en­gruppe Bit­nik mon­tre “Livrai­son pour M. Assange”. En 2013, Bit­nik a envoyé à Julian Assange un paquet à l’am­bas­sade d’Équa­teur à Lon­dres — comme un “ping du monde réel” et un test du sys­tème. Le col­is était équipé d’une caméra qui doc­u­men­tait son voy­age à tra­vers le sys­tème postal, et pub­li­ait les images en temps réel sur Inter­net. La con­tri­bu­tion de !Medi­en­gruppe Bit­nik mon­tre de manière exem­plaire et très claire que la sol­i­dar­ité est pos­si­ble par le biais du tra­vail artis­tique et que la lib­erté d’ex­pres­sion est un enjeu mondial.

exposition fractured spine Mediengruppe Bitnik

Medi­en­gruppe Bit­nik, “Deliv­ery for Mr. Assange”, vue de l’ex­po­si­tion, Helmhaus Zurich, 2014.
Pho­to : FBM Stu­dio / Remer­ciements à Helmhaus Zurich

Les œuvres de belit sağ dis­sèquent les liens com­plex­es entre pro­duc­tion d’im­ages et idéolo­gie, habi­tude visuelle et stan­dard­i­s­a­tion. Dans une inter­view inti­t­ulée “mon appareil pho­to sem­ble recon­naître les gens” dans le cadre de la 2e Bien­nale de pho­togra­phie con­tem­po­raine Mannheim-Lud­wigshafen-Hei­del­berg 2017, elle déclare : “En tant que per­son­ne ayant un passé de vidéo-activiste et pour­suiv­ant aujour­d’hui une activ­ité artis­tique, je con­tin­ue à me déplac­er dans la zone grise entre les deux.”

Exposition Fractured Spine belit sag

belit sağ, “Ce qui reste”, 2018. Canal vidéo unique, 7:05 min.

Gian­lu­ca Costan­ti­ni se décrit comme un artiste activiste. Bien qu’il s’oc­cupe presque quo­ti­di­en­nement de l’évo­lu­tion des droits de l’homme dans de nom­breuses régions du monde, la Turquie occupe une place par­ti­c­ulière dans son tra­vail. Il con­sid­ère Istan­bul comme sa deux­ième mai­son. Depuis les man­i­fes­ta­tions du parc Gezi en 2013, il a traité presque tous les événe­ments impor­tants du pays qui impli­quaient des vio­la­tions actuelles des droits de l’homme.

Gian­lu­ca Costan­ti­ni, “Mère Tay­bet”, Droits de l’homme Turquie, 2016–2019. Dessin graphique numérique, 29,7 cm x 21 cm.

Manuela Hitz, une jeune artiste zuri­choise, fait égale­ment par­tie de ce pro­jet. Son tra­vail fait preuve d’une grande sen­si­bil­ité et vise à apporter un regard dif­férent et nou­veau sur le sujet.

exposition franctured spine manuela hitz

Manuela Hitz, “The Win­dow”, 2021. 65 cm x 50 cm.

Donc une expo­si­tion à voir…

Pour plus d’informations :


Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Naz Oke on EmailNaz Oke on FacebookNaz Oke on Youtube
Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.