Cette année le Fes­ti­val de Ravenne (Ital­ie) dédie de longs moments à la Syrie et aux com­bats pour la lib­erté menés par les femmes kur­des. Quoi de plus logique que  Zehra Doğan en soit par­tie prenante, avec égale­ment la chanteuse Aynur Doğan. La presse ital­i­enne s’en fait l’écho.


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Ne pas pou­voir dessin­er, ne pas avoir accès à mon matériel, pour moi, c’est une autre forme de tor­ture”, écrivait Zehra Doğan dans une let­tre, depuis la prison.

L’artiste et jour­nal­iste kurde de 31 ans avec  la citoyen­neté turque, qui sera aujour­d’hui à 10 heures au Corel­li Hall du Théâtre Alighieri pour la présen­ta­tion du livre du Fes­ti­val de Ravenne, “Raven­na Fes­ti­val”  a été empris­on­née pour la pre­mière fois en 2016, puis à nou­veau jusqu’en 2019, pré­cisé­ment à cause d’un dessin : une œuvre qui en a révélé trop, qu’elle a pub­lié sur les médias soci­aux. Il s’ag­it d’un témoignage de la destruc­tion de la ville de Nusay­bin, après un siège mil­i­taire, où le pou­voir turc aurait voulu inter­dire la presse.

Pour Zehra Doğan il y a eu une mobil­i­sa­tion inter­na­tionale soutenue, par­mi d’autres, par Banksy qui lui a dédié une immense fresque murale à New York. Le pub­lic de la télévi­sion ital­i­enne l’a ren­con­trée fin 2019 dans l’émis­sion Che tem­po, sous la direc­tion de Fabio Fazio, et aujour­d’hui, ici, à Ravenne, vous pou­vez la ren­con­tr­er en per­son­ne, écouter ses paroles et admir­er ses œuvres intens­es et dra­ma­tiques, dont cer­taines sont pub­liées dans le livre du Fes­ti­val, dans la grande sec­tion con­sacrée à la Syrie, puis assis­ter demain à une de ses représen­ta­tions artis­tiques avec la musique de la chanteuse Aynur Doğan, égale­ment kurde.

L’artiste et la jour­nal­iste indompt­able par­ticipera en effet active­ment  avec une per­for­mance artis­tique aux con­certs des Routes de l’ami­tié, prévus le 3 juil­let à Ravenne et le 5 à Paestum.

Dédié à la Syrie et en par­ti­c­uli­er à deux vic­times de Daech et des mil­ices, la mil­i­tante Hevrin Kha­laf et l’archéo­logue Khaled al-Asaad, l’exé­cu­tion de la Sym­phonie n° 3 “Héroïque de Beethoven, dirigé par Ric­car­do Muti avec l’Orchestre Gio­vanile Lui­gi Cheru­bi­ni et les musi­ciens de l’orchestre phil­har­monique Syrien Expat, mar­queront le fort engage­ment human­i­taire du Fes­ti­val de Ravenne. Un engage­ment qui, depuis la pre­mière édi­tion des Route de l’ami­tié, qui cette année en est venue à la trente et unième, s’est con­cen­tré par l’ap­port de la musique sub­lime aux peu­ples des régions de la Terre touchées par les con­flits, et qui partout ont besoin d’un sou­tien. Parce que la musique est  immatérielle, mais qu’elle développe une fra­ter­nité entre les hommes, et que la sol­i­dar­ité se main­tient face à la souffrance.

Patrizia Lup­pi

Zehra Doğan, artiste et jour­nal­iste kurde de nation­al­ité turque, est née en 1989 à Diyarbakır, sur les rives du Tigre dans le sud-est de la Turquie, où elle a obtenu un diplôme d’art et de design à l’u­ni­ver­sité de Dicle. Elle est l’une des fon­da­tri­ces de l’a­gence de presse JINHA, la pre­mière entière­ment com­posée de femmes, qui a été fer­mée par décret suite à des lois spé­ciales émis­es par le gou­verne­ment turc en 2016. Grâce à son tra­vail de jour­nal­iste sur le ter­rain, elle a reçu en 2015 le prix “Metin Gök­te­pe”, du nom du jour­nal­iste mort après avoir été tor­turé par la police en 1996 — le prix est décerné aux jour­nal­istes qui “défend­ent l’in­tégrité de la pro­fes­sion en résis­tant aux pres­sions et aux obsta­cles”. Dans le cas de Zehra, elle a été récom­pen­sée pour avoir mis en lumière l’his­toire des femmes yézi­dies, une minorité con­sid­érée comme héré­tique par Daesh dans le nord de l’I­rak, qui a subi l’élim­i­na­tion physique, l’esclavage et la vente de femmes et d’en­fants au marché inter­na­tion­al du corps par le cal­i­fat autoproclamé.

Le 21 juil­let 2016, elle a été arrêtée et empris­on­née pen­dant plus de qua­tre mois dans l’at­tente d’un procès en rai­son d’un dessin et de quelques arti­cles écrits pen­dant le con­flit de Nusay­bin. Le siège mil­i­taire de la ville turque, à majorité kurde (une petite minorité assyri­enne était présente jusqu’en 2016, il ne reste plus qu’une famille), a été inter­dit aux jour­nal­istes : puis, en mars 2017, un rap­port de l’ONU sera établi sur la base d’im­ages satel­lites. Selon ce rap­port, entre 355 000 et 500 000 habi­tants ont dû fuir la région et 70 % des bâti­ments ont été rasés. Le nom­bre de morts et de blessés n’est pas con­nu. A cette époque, Zehra Doğan a décidé de suiv­re directe­ment les événe­ments afin de les racon­ter d’une manière ou d’une autre, mais il a signé sa sen­tence. Libérée en décem­bre 2016, elle a été jugée le 23 févri­er 2017 : elle a finale­ment été con­damnée à 2 ans et 9 mois de prison.

A par­tir du 12 juin 2017, elle fut détenue à la prison pour femmes d’Amed jusqu’à son trans­fert for­cé à la prison de sécu­rité max­i­male de Tarse. Elle a été libérée le 24 févri­er 2019 et depuis le mois de mars suiv­ant, elle réside à Lon­dres, invitée par le PEN anglais.

Pen­dant son incar­céra­tion, l’artiste chi­noise Ai Wei­wei, le PEN Club inter­na­tion­al et Amnesty Inter­na­tion­al ont soutenu une cam­pagne inter­na­tionale pour sa libéra­tion en tant que pris­on­nière d’opin­ion injuste­ment empris­on­née. L’artiste Banksy lui a dédié un immense mur, le Bow­ery Wall, à New York. En novem­bre 2017, l’as­so­ci­a­tion suisse Frei Denken lui a décerné le prix Free­thinker, con­join­te­ment avec le jour­nal­iste per­san Masih Aline­jad, et en mai 2018, le Deutsch­er Jour­nal­is­ten Ver­band (l’as­so­ci­a­tion alle­mande des jour­nal­istes) lui a remis le prix Print­emps de la lib­erté de la presse : des prix qu’elle n’a pas pu col­lecter, dans les deux cas, parce qu’elle était encore en prison. Mais en avril 2019, elle a finale­ment pu obtenir le prix Index sur la lib­erté d’ex­pres­sion et la cen­sure pour son tra­vail artis­tique à Lon­dres. Et en mai de la même année, la Tate Mod­ern accueille une de ses instal­la­tions : c’est à cette occa­sion que l’artiste déclare que, tout en recon­nais­sant l’im­por­tance de l’ex­po­si­tion de ses œuvres dans le musée anglais, son prin­ci­pal désir est de pou­voir le faire dans sa patrie, ce qui est actuelle­ment impos­si­ble. Le 11 octo­bre 2019, elle a reçu le prix de courage de la Fon­da­tion May Chidi­ac à Bey­routh, prix du courage excep­tion­nel en jour­nal­isme. Le mois suiv­ant, son livre “Nous aurons aus­si de beaux jours” est pub­lié en France aux Édi­tions de Femmes, ce qui a inspiré le titre de l’ex­po­si­tion de ses œuvres qui s’est tenue récem­ment à Bres­cia.


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