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Le printemps a mûri, les fruits sont plus que blets, et bien pourris … Vivement l’été.
Bon, le Ramadan est fini, les fêtes aussi. Le Reis a fait ses vœux tardifs dans un discours. Je me rends compte qu’il ne rate pas une seule occasion de s’adresser à la Naaation, même en piquant la parole à ses ministres qui font eux, le job, mais il faut que ça soit lui qui le dise personnellement. C’est ça être Reis.
Dans ce dernier discours, où il célèbre comme d’hab, “la réussite de la Turquie qui est devenu un pays exemplaire dans le monde, dans la lutte contre le corona”, il précise, “nous sommes convaincus qu’un avenir lumineux nous attend, car dans cette période notre Nation a montré la détermination à défaire tous les pièges mis sur le chemin, un par un, afin d’atteindre les objectifs prévus pour le 2023”.
Ce fameux 2023 est la date anniversaire séculaire de la fondation de la République turque, le 29 octobre 1923. Mais sous l’emballage de 100 ans républicains, le Reis et ses bras musclés, se basent plutôt sur la date de signature du traité de Lausanne, le 24 juillet 1923, et, avec l’idée que le traité ne serait plus valable au delà de 100 ans, excitent les foules avec la carotte d’un empire “Nouvel Ottoman”.
“Le 27 mai est la date où le virus du coup d’Etat est entré pour la première fois en Turquie” dit le Reis. Tiens, je croyais que le virus était arménien, kurde ou autres minorités, voire LGBT, ou encore les femmes… Je vois que le terme “virus”, dans l’air du temps, est prononcé sans modération…
Quant au 27 mai… Vous pouvez jeter un coup d’œil à l’article “Coup d’État de 1960 en Turquie” sur Wikipédia qui dit, si je résume pour vous : “Le coup d’État militaire de 1960 en Turquie a été organisé le 27 mai 1960 par un groupe d’officiers de l’armée turque, contre le gouvernement du Parti démocrate, démocratiquement élu. (…) Le président Celal Bayar, le Premier ministre Adnan Menderes et quelques autres membres du gouvernement ont été arrêtés et jugés par un tribunal irrégulier nommé par la junte, sur l’île de Yassıada, dans la mer de Marmara. Ces hommes politiques du Parti Démocrate ont été accusés de haute trahison, de mauvaise utilisation des fonds publics et d’abrogation de la constitution. (…) Les procès se finirent avec l’exécution de Menderes, du Ministre des Affaires Étrangères Fatin Rüştü Zorlu et du Ministre des Finances Hasan Polatkan, sur l’île d’İmralı, le 16 septembre 1961. Le président Celal Bayar fut condamné à la prison à vie. Les militaires ont dissous le Parti démocrate, accusé alors d’être un parti islamiste.”
Le Reis continue sur sa lancée : “Malheureusement, à partir de cette date là, nous avons fait face à de nombreuses attaques comme putschs, juntes, mémorandums, proclamations ou tentatives de coup d’Etat. Des jeux de jambes de tutelle à la tentative de coup d’Etat, des attaques d’organisations terroristes au délit de manipulations économiques, tous les moyens ont été tentés mais le grand et puissant voyage de Turquie qui le nôtre, n’a pas pu être empêché.”
“Menderes et ses amis ont payé le prix de leurs services rendus à notre pays et Nation, avec de lourdes tortures, humiliations, emprisonnement, et en marchant vers l’échafaud.”
Mais le Erdoğan premier est confiant : “La volonté et le courage que notre Nation a montré le 15 juillet [lors de la tentative de coup d’Etat de 2016] est le signe du fait que le temps des juntes, des putschs et des tutelles est révolu, inch’allah.”
Et il enchaîne sur “Fête de la Conquête”, qui célèbre la prise de Constantinople par les forces ottomanes. Il annonce que lors de la semaine de célébrations organisée par le Ministère de la culture et du tourisme, des prières se dérouleront à Sainte Sophie, à partir de demain 29 mai… Dieu, quelle belle symbolique !
Pour en savoir plus lire sur Susam Sokak, le blog de l’historien Etienne Copeaux
Esquisse n° 45 — Notes sur les commémorations de la Fetih avant 1996
Esquisse n° 46 — Erdogan, Erbakan et la prise de Constantinople
Ensuite il donne des comptes sur la période d’épidémie, qui est d’ailleurs loin d’être finie en Turquie…
“De la Mauritanie à la Bolivie, nous n’avons laissé aucun de nos ressortissants seuls”. Puis, il souligne : “Nous avons réussi à répondre à 100 des 135 pays qui ont demandé de l’aide ou des produits. Grâce à Allah, avec le soutien que notre Nation a apporté, avec nos services de santé et nos autres mesures, nous venons en tête des pays qui ont traversé la période de la pandémie avec le moindre des soucis.”
En effet, en traversant des “mesures” uniques au monde, pendant que nous autres ici, nous crevions de manque de masques et de tests, avec les 10 livres turques demandées au peuple, en plus de l’argent du contribuable, plusieurs aides furent envoyées à droite à gauche, histoire de faire la comm…
Par exemple, fin avril, les médias pro-AKP informaient que “après avoir tendu la main” à l’Espagne et l’Italie, la Turquie avait répondu à la demande de Nathalie Goulet, sénatrice du département de l’Orne 1 qui aime bien le Reis. La Turquie a envoyé 500 blouses sanitaires et 20 000 masques.
L’aide fut remise à Nathalie, à l’Ambassade de Turquie à Paris, en plein 10 ème anniversaire du Génocide arménien, dans le hall expressément décoré de portraits des diplomates turcs assassinés (80′) par l’Asala, (Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie).
Paf, l’opération communicopropagande qui pue, aussi pourris que les fruits !
Bref, le Reis annonce avec son langage habituel et ses sous entendus que je vous épargne, la reprise des voyages, l’ouverture des parcs et jardins, cafés et restaurants, ainsi que la reprise des initiatives comme des concerts en plein air, tout cela ponctué par l’importance du fait “que le peuple doit respecter les règles sanitaires”.
Les fruits sont gâtés… L’été s’annonce bien pourri lui aussi.