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Aujour­d’hui, nous nous ren­dons à l’as­so­ci­a­tion de femmes « Out­aa­ma­ra », du nom de deux femmes mortes dans un acci­dent de voiture dans les mon­tagnes de Kandil. L’une, Outa, était alle­mande, soignante par les herbes. L’autre, Ama­ra, était une étu­di­ante turque.

Il s’ag­it d’une mai­son au fond d’un jardin, en bor­dure du bourg de Linz, entre les rails et les falais­es touf­fues qui sur­plombent le Rhin. Ayfer a oublié de prévenir de notre arrivée. Il n’y a per­son­ne pour nous ouvrir. Notre mon­tag­narde saute la grille, tra­verse le jardin, mais revient bredouille.

On en prof­ite pour faire un bout de chemin, entre les rails et les falais­es, en remon­tant vers le nord.

Peu après les dernières maisons, un vaste pan de roche noire se déboise en soule­vant plus haut la ligne du gouf­fre. C’est d’i­ci que les officiers Nazis se jetèrent dans le vide à l’ap­proche des Alliés. Depuis qu’elle a enten­du cette his­toire, Ayfer ne sup­porte plus les attaques sui­cides de la Mon­tagne. Nous nous bat­tons pour la vie. Cela sup­pose de respecter la nôtre. Le sui­cide, c’est bon pour les fas­cistes. Je suis bien d’ac­cord avec elle. J’a­joute qu’il y a des excep­tions, toute­fois, quand on ne peut vrai­ment pas faire autrement. Je pense bien sûr à Arin Mirkan, qui par son sac­ri­fice a don­né le sig­nal de la reprise de Kobanê. Ou à toute per­son­ne sur le point de tomber aux mains des tor­tion­naires. Ça fait déjà beau­coup d’exceptions…

Nous reprenons le train à la petite gare de Konigswinter.

Nous sommes en avance pour la réu­nion de lance­ment de ce qui ne s’ap­pelle pas encore « Bonn-Kur­dis­tan Sol­i­dar­ität ». ça nous laisse le temps d’un choco­lat chaud chez Heval Mc Don­ald !1

- Le temps du choco­lat chaud, pour­rais-tu nous dire où tu es allée et ce que tu as fait après avoir quit­té la région de Djizre ?

- Je suis retournée à Damas. Il s’y ouvrait alors une Académie où j’ai pour­suivi ma for­ma­tion théorique jusqu’en mars 1995. Là-bas, j’ai retrou­vé cer­tains de mes anciens élèves, des cama­rades de mon frère Aziz, ain­si que mon oncle G.., qui était respon­s­able de l’é­cole cen­trale des hau­teurs pour la ses­sion en cours.

Ma for­ma­tion achevée, j’ai été envoyée au Kur­dis­tan irakien, dans la région de Zax­ho, dans l’ag­gloméra­tion de Duhok, au vil­lage de çiyayê Sîpi (les « mon­tagnes blanch­es »). C’est une base d’ac­cueil qui est en même temps une base arrière et une base de tran­si­tion vers le camp de la val­lée de Zap et le camp de com­man­de­ment itinérant de la chaîne de Metina.

Lorsque je suis arrivée, les brigades féminines YAJK ( Yek­i­tiya Azadiya Jinen Kur­dis­tan, l’u­nion de la lib­erté des femmes du Kur­dis­tan ) venaient de repouss­er une attaque turque dans le cadre de l’ « opéra­tion aci­er ». Trois-cents sol­dats turques y étaient restés. L’at­taque était sur­v­enue au beau milieu de leur pre­mier con­grès, dont Sakine2a été un élé­ment moteur.

J’ai encore retrou­vé l’on­cle G.., qui était en attente d’affectation.

Avec un groupe de femmes des YAJK, nous nous sommes mis­es en marche vers Garé, un autre camp situé à l’autre bout de la val­lée de Zap (à l’op­posé de Meti­na). La nature était mer­veilleuse. Elle regorgeait d’eau, il y pous­sait des arbres somptueux, une végé­ta­tion lux­u­ri­ante… Nous avons tra­ver­sé des vil­lages évac­ués par les forces de Sadam Hus­sein, plusieurs années aupar­a­vant : des vil­lages arméniens, juifs, musul­mans, chré­tiens… Nous avons croisé des autochtones qui s’adon­naient à l’api­cul­ture. Mais on trou­vait aus­si du miel sauvage ain­si que des noix. On racon­tait que le cobra pou­vait se ren­con­tr­er en ces régions. Nous en avions très peur. Mais je ne l’ai jamais vu !

La région était très cos­mopo­lite. Les forces de Sadam Hus­sein chas­saient les Pesh­mer­gas du PDK (Par­ti Démoc­ra­tique du Kur­dis­tan), ain­si que d’autres groupes armés, dont celui affil­ié au Par­ti Com­mu­niste Irakien. L’UPK (Union Patri­o­tique du Kur­dis­tan) avait sa pro­pre vallée.

Nous sommes passés au pied de la colline de Per­sus, où Xenophon racon­te que les Grecs affron­tèrent les Perses.

Et vous avez marché longtemps comme cela ?

- De mars à mai, nous n’avons pas cessé de marcher ! Les nuits de mai, le noir était total. Il pleu­vait beau­coup. Le ciel était tou­jours cou­vert. Nous mar­chions en file, sou­vent de nuit. Le chemin était invis­i­ble, car bien sûr, il n’é­tait pas ques­tion d’u­tilis­er une quel­conque source lumineuse. Il fal­lait met­tre ses pieds dans les empreintes de l’autre. Mais à force, cela amol­lis­sait la terre boueuse, au risque de faire gliss­er la suiv­ante. Comme j’es­sayais de met­tre mes pieds légère­ment de côté pour éviter de gliss­er, celle qui était der­rière moi m’ac­cu­sait de ne pas savoir marcher.

Un matin, nous sommes revenus sur nos pas. L’ob­jec­tif n’é­tait pas de nous ren­dre quelque part, mais d’être con­stam­ment mobiles. De jour, je me suis ren­du compte à quel point le tra­jet de la nuit était magnifique.

A Garé, nous sommes passés à côté du palais aban­don­né de Sadam Hus­sein. Nous étions dans la région de Barzani,3mais c’est la Mon­tagne qui tenait cette zone, inac­ces­si­ble à l’ar­mée de Sadam.

Tout en demeu­rant en for­ma­tion mil­i­taire, j’é­tais émer­veil­lée par la nature.

Je te racon­te une anecdote :

Comme vice-com­man­dante de man­ga (sec­tion), on m’avait chargée de récolter des herbes comestibles. Mais, fascinée par les fleurs, j’ai cueil­li des fleurs ! Ne me voy­ant pas revenir, les cama­rades sont venues me chercher. J’é­tais un peu per­due dans mes pen­sées. Elles se sont moquées gen­ti­ment de moi. Ce n’é­tait pas très grave, car l’« Opéra­tion aci­er » avait déjà pris fin.

Après mai, nous sommes restées dans la région, tou­jours un peu mou­vantes. En principe, j’au­rais dû rejoin­dre les hau­teurs dans la région de Diyarbakır. Mais les cama­rades, m’ayant peut-être jugée un peu trop « flo­rale », ont estimé que le Bakur serait trop dur pour moi. On m’a donc gardée au Bashur.

Lionel C.
Kur­dis­tan alle­mand, Tou­s­saint 2016

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Image à la Une : ©Kurdeki Benav | Flickr
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