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- Es-tu prête à repren­dre, Ayfer ? Nous en étions à ton départ. Où es-tu donc allée ?

- D’abord à Istan­bul, où j’é­tais cen­sée pren­dre l’avion pour l’Eu­rope. Un cama­rade m’at­tendait là-bas. Nous avons pris le bus pour Suruç, à la fron­tière syri­enne où nous avions ren­dez-vous avec quinze cama­rades. De là, nous avons passé la fron­tière à pieds, en sec­tion­nant les bar­belés. Nous sommes par­venus à Kobané. En voiture, nous avons rejoint Damas, où se trou­vait la Montagne.

Apo1arrivait du camp de Béka, au Liban. Il a une très bonne mémoire. Il se sou­ve­nait d’Az­iz, d’Ayfer et de mes élèves.

A l’époque, Süley­man Demirel était pre­mier min­istre de Turquie. Il affir­mait qu’un mur de mil­i­taires turcs empêchait le pas­sage de combattant.e.s de la mon­tagne en prove­nance de Syrie et d’I­rak. En nous voy­ant, Apo s’est sou­venu des pro­pos du min­istre : ça l’a bien fait rire !

Apo m’a demandé :

« — Con­nais-tu la dif­férence entre Marx, Engels, Lénine et moi ?

- Non…

- Si Apo n’é­tait pas drôle, il ne serait pas Apo ! »

- Marx, Engels et Lénine n’au­raient sans doute pas tenu ce genre de pro­pos sur eux-mêmes !

- Oui, c’est plutôt le genre de Staline ! Mais je fais la dif­férence entre le guide et les mil­i­tants. Il y a un tal­ent de lead­er­ship qui est indépen­dant de l’idéolo­gie. J’ad­mets que le lead­er­ship puisse être dictatorial.

Apo m’a mise à l’épreuve. Il a exprimé sa tristesse pour ma famille. Il m’a reproché d’avoir entraîné mes élèves dans les hau­teurs: « Tu as gâché ta vie et la leur ! La révo­lu­tion a besoin de combattant.e.s, mais ton choix est roman­tique. Il faut faire face à la réal­ité ! La vie dans les hau­teurs est très dure, surtout pour les femmes. Es-tu vrai­ment prête à devenir mon­tag­narde ? As-tu la force de sup­port­er le feu de la révolution ? »

Qu’as-tu fait ensuite ?

- Nous sommes début août 1992. De nuit, j’ai tra­ver­sé la fron­tière du Liban. C’é­tait la troisième fron­tière que je tra­ver­sais dans la même journée !

Non loin de la fron­tière, au cœur d’une val­lée, se trou­ve le camp de Béka, appelé aus­si Académie L…, du nom du respon­s­able de l’at­taque de 1984, mort au com­bat en 1986. J’y ai ren­con­tré les meilleures per­son­nes du monde et de ma vie.

Entre la fin des années soix­ante-dix et le début des années qua­tre-vingt, la Mon­tagne kurde a frater­nisé avec la Mon­tagne pales­tini­enne. De nom­breux Kur­des sont morts en mar­tyrs à cette occa­sion. C’est pour les remerci­er que les mon­tag­nards pales­tiniens ont lais­sé à leurs cama­rades Kur­des le camp de Béka qu’ils util­i­saient jusqu’alors.

C’é­tait un camp pra­tique et théorique. Apo y don­nait des cours.

J’é­tais par­fois en désac­cord. Il y avait des choses qui me fai­saient comme des claques, comme lorsque j’ai réal­isé que je n’avais pas le droit de retourn­er à ma vie d’a­vant. J’avais une men­tal­ité anti-mil­i­tariste. Je n’aimais pas recevoir des ordres, suiv­re une discipline.

Nous devions marcher un par un, en ligne, pour aller manger, pour aller en cours… On nous expli­quait cela par des raisons de sécu­rité : en cas de bom­barde­ment ou de fusil­lade, il y aurait ain­si moins de victimes.

A l’A­cadémie pro­pre­ment dite, je n’ai pas non-plus trou­vé l’am­biance estu­di­antine à laque­lle je m’attendais !

Nous étions regroupés en man­ga (sec­tion), la cel­lule la plus petite de la Mon­tagne. C’est un groupe non-mixte de sept per­son­nes, toutes respon­s­ables les unes des autres. Nous étions par ailleurs libres d’avoir des rap­ports ami­caux avec tout le monde. La man­ga ne con­cerne que la vie quo­ti­di­enne, en dehors de l’en­traîne­ment militaire.

Peux-tu nous racon­ter une journée type au camp de la Béka ?

- On se lève à 5H du matin. On fait de la gym. Il y a sym­bol­ique­ment une file de filles et une file de garçons. Si l’une des files n’est pas égale à l’autre, elle est com­plétée de façon mixte.

On prend le petit dej’ à 7H.

Chaque jour, un mem­bre dif­férent de la man­ga est respon­s­able de la logis­tique. Pour la cui­sine, la charge est heb­do­madaire. L’ob­jec­tif est que tout le monde par­ticipe totale­ment aux tâch­es matérielles, afin qu’il n’y ait aucune dis­tinc­tion entre cama­rades plutôt « manuels » et d’autres plutôt « intellectuels ».

Les cours com­men­cent à 8H. En une heure de temps, il faut donc manger, se laver les dents et faire ses besoins. On n’a droit qu’à une « douche » par semaine. En effet, nous sommes dans une zone déser­tique, ce qui implique un rationnement en eau. L’eau est stock­ée dans des bidons. Chaque matin, on reçoit un verre en plas­tic par per­son­ne : un demi verre pour les dents, un autre pour le vis­age. Pour la « douche » heb­do­madaire, l’eau est chauf­fée au poêle : on se lave à la tasse, assis sur une chaise.

Les cours se déroulent dans un amphithéâtre. Apo par­le pen­dant env­i­ron quar­ante-cinq min­utes. Il fait une sorte de dis­cours libre. Il y est ques­tion de poli­tique, de soci­olo­gie, d’His­toire, de son expéri­ence per­son­nelle, de sa philoso­phie… Il adopte avec nous une méth­ode socra­tique : en abor­dant un cas con­cret, tel qu’une opéra­tion de ran­don­née ayant occa­sion­né des pertes, ou ayant totale­ment échoué, et il nous amène à analyser les raisons des pertes et de l’échec, les moyens qui auraient peut-être per­mis de les éviter. Des témoins vien­nent par­fois nous faire part de leur expérience.

Un jour, il a été ques­tion de la femme de Fouat, un des fon­da­teurs de la Mon­tagne. C’é­tait un pré­texte pour réfléchir sur la con­di­tion fémi­nine. Apo a assim­ilé la rela­tion que Fouat entrete­nait avec sa femme avec celle de Jésus avec Marie Madeleine et celle de Mahomet avec son épouse. Il lui a opposé l’ap­proche révo­lu­tion­naire des rela­tions femme-homme, qui implique la lib­erté de la femme.

Il y a env­i­ron cent cinquante per­son­nes en for­ma­tion dans le camp.

Apo est le seul prof d’am­phi. Après son cours, on se retrou­ve en ate­liers, par petits groupes pour lire, dis­cuter et pré­par­er les exposés entre élèves. Les exposés se font devant tout le monde. A l’is­sue de cha­cun d’eux, l’as­sis­tance est invitée à pos­er des ques­tions. C’est l’ad­min­is­tra­tion du camp qui choisit les sujets des exposés. Le pro­gramme dure trois mois. Nous abor­dons le matéri­al­isme dialec­tique, l’his­toire du Kur­dis­tan, l’his­toire de la Mon­tagne, la philoso­phie d’Apo, la femme et la famille, notam­ment selon Engels…

Nous sommes dans l’am­phi de 8H à 12H. Apo vient par­fois inter­rompre la pré­pa­ra­tion des exposés.

A 12H, nous prenons le déje­uner. Celui-ci se com­pose de lentilles, par­fois de riz et de boul­go­ur, de hari­cots blancs, de poulet tous les ven­dredis et d’un peu de viande rouge une fois toutes les deux semaines.

Et au petit dej, tu ne nous as pas précisé…

- La même chose ! Il y a par­fois en plus de l’huile d’o­live et du thym en prove­nance de la région d’Afrin, en Syrie. On y trempe son pain. C’est comme dans la par­o­die de la chan­son de Ciwan hajo : « Sibê, sibê, sib’ sibê, her roj dixwarim çor­ba… » (« Matin, matin, tous les matins, on boit de la soupe aux lentilles… »)

La pause de midi dure jusqu’à 14H.

A 14H, les man­ga se réu­nis­sent par­fois en com­mis­sions théâtre, musique et danse afin de pré­par­er les spec­ta­cles. Sinon, en temps nor­mal, c’est le moment de l’en­traîne­ment mil­i­taire, qui se déroule dans une ambiance joyeuse.

Vers 16H30, on fait le bilan de la journée. Qu’à-t-on appris ? Que faire pour s’améliorer ?

On prend le repas du soir à 18H. Celui-ci est iden­tique au déje­uner et au petit déje­uner ! Il ne faut pas se plain­dre, car dans les maquis du Kur­dis­tan turc, il n’y a sou­vent à manger qu’un fro­mage tra­di­tion­nel zaza2absol­u­ment dépourvu de gras !

Après le repas, nous reprenons nos dis­cus­sions et nos lec­tures en petits groupes, pas néces­saire­ment en man­gas. A ce moment, on a la pos­si­bil­ité de se ren­dre vis­ite les uns aux autres pour échanger.

Comme les tâch­es ménagères, le tour de garde du camp se fait à tour de rôle. Il est mixte.

On se couche vers 20H-21H.

Peux-tu nous don­ner des pré­ci­sions sur l’en­traîne­ment militaire ?

- Oui. On marche jusqu’à un point, chacun.e avec sa kalach­nikov. On doit alors tir­er sur la cible choisie. On s’en­traîne aus­si au lancé de grenade, à la grosse mitrail­lette pour descen­dre les avions et au lance-roquette.

Com­bi­en de temps as-tu passé au camp de la Béka ?

-Env­i­ron un mois, de début août à mi-sep­tem­bre 1992. A ce moment-là, la Turquie a fait pres­sion sur la Syrie pour obtenir d’elle la fer­me­ture du camp. En effet, le Nord du Liban est alors dirigé par le Hes­bol­lah, un par­ti religieux dans son dis­cours mais plutôt laïc dans les faits, allié à la Syrie. D’un com­mun accord entre la Mon­tagne et le régime syrien, le camp a donc fermé.

Un nou­veau camp s’est ouvert à Damas.

-Vous avez donc démé­nagé à Damas...

- Non, pas tous. Sur les cent cinquante que nous étions, une par­tie a directe­ment rejoint les hau­teurs en Turquie, une autre est allée dans un camp du nord de l’I­rak, une autre à Damas et une autre en Europe. Ceux qui sont par­tis en Europe y ont tra­vail­lé pour la diplo­matie et le finance­ment de la Montagne.

Le sou­venir de mes cama­rades est tou­jours frais. Pour ma part, je suis allée à Damas, avec les autres nou­velles recrues.

Racon­te-nous donc Damas !

- A Damas, on m’a chargée de la pro­pa­gande en direc­tion de la pop­u­la­tion kurde. Pour l’héberge­ment, je devais me faire inviter. Les gens se bat­taient pour m’avoir chez eux ! C’é­tait un grand pres­tige, de leur point de vue, d’of­frir l’hos­pi­tal­ité à une cama­rade, surtout une cama­rade du Bakur3. Comme l’a dit Ho-Chi-Minh : « Les mon­tag­nards sont dans le peu­ple comme des pois­sons dans la mer ! »

Cer­tains Kur­des syriens étaient incon­scients de leur iden­tité cul­turelle, ou/et apoli­tiques. Je n’avais pas de con­tacts avec eux.

Dans l’ensem­ble, la pop­u­la­tion syri­enne était favor­able à la Mon­tagne. Elle perce­vait la Turquie comme une puis­sance impéri­al­iste. Cette per­cep­tion est notam­ment un héritage de l’ex­ten­sion de l’empire ottoman au détri­ment des Arabes.

Quels étaient les objec­tifs de la propagande ?

- Nous devions trou­ver des répons­es aux con­flits religieux, aux ques­tions nationales et à la lutte des classes.

Pour cela, nous avons doté le peu­ple de struc­tures démoc­ra­tiques : comités de jeunesse, comités de femmes, comités diplo­ma­tiques chargés des rela­tions avec les pop­u­la­tions non-Kur­des ou non sym­pa­thisantes de la Mon­tagne… On organ­i­sait même des comités pour les enfants : il s’agis­sait de les instru­ire de façon ludique, notam­ment au tra­vers du théâtre et de la musique. Ce que nous appelons aujour­d’hui le con­fédéral­isme démoc­ra­tique était alors en pleine ges­ta­tion. C’est la forme que la Mon­tagne donne au communisme.

- (Zeynep inter­vient) : Je me sou­viens que lorsque j’avais huit ans, nous allions ren­dre vis­ite aux cama­rades de la prison de Diyarbakir, à l’oc­ca­sion des fêtes. C’est un droit qu’ils avaient con­quis par leur lutte de pris­on­niers, notam­ment par la grève de la faim, qui leur a été retiré ensuite. C’é­tait très fes­tif. On pou­vait même danser sur de la musique kurde, ce qui était alors rigoureuse­ment inter­dit à l’ex­térieur ! Les pris­on­niers partageaient tout ce qu’ils rece­vaient de l’ex­térieur: vête­ments, argent, nour­ri­t­ure… Là aus­si, c’é­tait le communisme !

- (Ayfer reprend la parole) : A cette époque, nous appro­fondis­sions la ques­tion des femmes. Il s’ag­it alors de les « par­ti­cis­er », autrement dit d’en­cour­ager leur impli­ca­tion dans la Mon­tagne. C’est une réus­site qui provoque un effet domi­no. De plus en plus de femmes s’en­ga­gent, et une fois impliquées, les femmes sont très impliquées !

Je vais te racon­ter une anecdote :

Une jeune femme de Damas avait décidé de devenir cadre en alti­tude. Avant elle, un de ses frères avait pris la même déci­sion. Leur famille, sym­pa­thisante de la Mon­tagne, n’avait fait aucune dif­fi­culté quant à la déci­sion du frère. Mais lorsque la jeune fille a annon­cé à son tour qu’elle entendait suiv­re le même chemin, ses par­ents l’ont très mal pris. C’é­tait pour eux un véri­ta­ble scandale !

J’ai été chargée de con­va­in­cre la famille, à qui on m’a présen­tée comme une enseignante de Diyarbakir ayant fait le sac­ri­fice de son méti­er et le don de sa vie pour la cause.

La famille était égale­ment de Diyarbakir, ce qui m’a aus­sitôt attiré leur sym­pa­thie ! Ils m’ont embrassée. Le père m’a félic­itée pour mon voy­age et pour mon sac­ri­fice. Pour finir, il a déclaré : « Je respecte la déci­sion de ma fille ».

Je l’ai revue dernière­ment. Elle cir­cule en Europe en tant que respon­s­able des femmes de la Montagne.

Je me sou­viens d’une autre famille, dont le frère aîné s’ap­pelait Agit. C’é­tait une famille kurde aisée de Damas. Ils vivaient dans un triplex. Ils avaient une belle voiture.

Je viens de les retrou­ver à Bonn, à l’oc­ca­sion d’une manif. Ils vivent ici dans une grande pré­car­ité, dis­per­sés à tra­vers toute l’Alle­magne. Ils avaient le vis­age abat­tu, les épaules tombantes. Ils m’ont racon­té leur voy­age par la Turquie. Ils ont subi les dis­crim­i­na­tions. A Gaziantep, ils ont ouvert une bou­tique. Elle a été brûlée par des par­ti­sans de Daesh. De la Turquie, ils sont par­tis vers l’Alle­magne. Ils ont subi la mafia des passeurs qui leur ont pris tout ce qu’ils avaient. Ils sont à présent dans la misère.

Pen­dant com­bi­en de temps t’es-tu occupé de la pro­pa­gande à Damas ?

- Pen­dant deux mois. Apo avait en pro­jet de for­mer une «Mon­tagne des femmes » avec l’aide d’une élite de femme, dont je fai­sais partie.

En même temps, je pour­suiv­ais ma for­ma­tion poli­tique. Cela pas­sait par la lec­ture et l’é­tude de cer­taines œuvres.

Il y avait un roman du XIX° siè­cle, de l’écrivain russe Cher­nichevs­ki : Com­ment faire ? . Cela racon­te l’his­toire d’une femme de la bour­geoisie que ses idées révo­lu­tion­naires poussent à se sépar­er de son mari. Elle ouvre alors un ate­lier dans lequel elle recrute d’autres femmes. Ensem­ble, elles auto-gèrent l’ate­lier et gag­nent ain­si leur vie.

Ce roman a pour nous une valeur exem­plaire. Il a beau­coup influ­encé la révo­lu­tion turque. Il est aus­si au fonde­ment de la révo­lu­tion russe. La ques­tion qu’il pose, « Com­ment faire ? », com­plète par avance le « Que faire ? » de Lénine. D’une manière générale, la lit­téra­ture russe est une source com­mune aux révo­lu­tions russe et kurde.

Après les lec­tures, on dis­cute avec Apo.

On étu­di­ait égale­ment La guerre aux portes de Moscou d’Alexan­der Alexan­drovich Bek. Ce roman, comme la bataille de Stal­in­grad, est aux sources de la bataille de Kobanê.

Il y avait encore un livre de Niko­lay Ostro­vs­ki au sujet de la révo­lu­tion bolchevique.

Comme j’é­tais con­sid­érée comme faisant par­tie de l’« élite », on me don­nait des lec­tures sup­plé­men­taires : les « décrets » annuels de la Mon­tagne, les bilans d’ac­tiv­ité, les doc­u­ments de con­grès et d’ori­en­ta­tion, une con­férence d’Apo et du soci­o­logue turc Ismail Beshiktchi.

Où as-tu été envoyée à l’is­sue de cette formation ?

- En avril 1993, je me rends dans la région de Djizre, au Kur­dis­tan syrien.

Je suis frap­pée par la réal­ité de la vie des Kur­des au Kur­dis­tan. Leur sit­u­a­tion n’est pas du tout la même qu’à Damas. La dis­crim­i­na­tion dont ils sont vic­times est per­cep­ti­ble à tra­vers l’ar­chi­tec­ture de leurs maisons. Ils vivent dans le sous-développe­ment, dans une immense pau­vreté. L’É­tat sem­ble absent. Ici, pas de grands bâti­ments comme à Damas. Les Kur­des n’ont même pas de carte d’i­den­tité, pas d’ex­is­tence officielle.

Peux-tu nous pré­cis­er les raisons pour lesquelles les Kur­des de Syrie n’ont alors pas de carte d’identité ?

- Oui, il y en a deux. En 1925, après que la révolte de Cheikh Saïd ait été écrasée dans un bain de sang, de nom­breux Kur­des ont fui au Kur­dis­tan syrien où ils se sont instal­lés dans la clan­des­tinité, donc sans papiers officiels.

En out­re, dans les années soix­ante, le régime du par­ti Baas a décidé de procéder à l’ara­bi­sa­tion du pays en déraci­nant les pop­u­la­tions autres qu’Arabes. Les Kur­des ont alors été mas­sive­ment expul­sés. Cer­tains sont par­venus à rester clan­des­tine­ment. D’autres sont revenus un peu plus tard, tout aus­si clandestinement.

Bizarrement, les Kur­des de la région procla­maient tous leur ado­ra­tion pour Afez Al Has­sad. Je sup­pose qu’ils avaient peur d’être espi­onnés. Intérieure­ment, j’é­tais révoltée par l’al­liance tac­tique de la Mon­tagne avec le régime baas­siste. La Syrie d’Al Has­sad me sem­blait pire que la Turquie. Pour les Kur­des syriens, la Mon­tagne était perçue comme le grand frère du Bakur. Pour le Bakur, ils accep­taient d’être sacrifiés.

Les Agas, en revanche, n’é­taient pas dis­crim­inés. Ils fai­saient office de médi­a­teurs entre Assad et les hau­teurs. Ils jouaient plus ou moins le rôle d’a­gents de l’État. Dans le même temps, ils traitaient cor­recte­ment les paysans et payaient leur impôt à la Montagne.

Quel était ton rôle à Djizré ?4

- Comme à Damas, je devais « tra­vailler par­mi les mass­es ». Cela sup­po­sait encore de for­mer des comités, mais aus­si de trans­met­tre ma for­ma­tion aux cadres de la région et de col­lecter de l’ar­gent. Je devais égale­ment pour­suiv­re ma pro­pre for­ma­tion par de nou­velles lec­tures. Mes seules fenêtres sur le monde, au-delà de Djizre, étaient la radio de la BBC et la chaîne de télévi­sion turque. Deux fois par mois, je rece­vais Ron­ahi (« Lumière »), une revue intel­lectuelle proche de la Mon­tagne, et une fois par mois Serxwe­bun, le men­su­el des hauteurs.

Je suis restée à Djizre jusqu’en sep­tem­bre 1994.

Lionel C.
Kur­dis­tan alle­mand, Tou­s­saint 2016

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Image à la Une : ©Kurdeki Benav | Flickr
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