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Oui, puisqu’on ne peut plus écrire un mot dans ce fichu pays sans tomber pour un rien sous le coup d’un décret, on va dire que ma chandelle est morte.
Je devrais en profiter pour vous donner la recette de la cuisson du pilav. J’ai, paraît-il, une lectrice qui en aurait besoin.
Mais, même là, selon que je vous donne les variantes anatoliennes ou celles du Bakur, on va m’accuser d’atteinte à l’unité de la gastronomie nationale.
On ne plaisante pas avec ces choses là.
Nos écrivains sont en prison, nos meilleurs journalistes aussi. Ainsi, chacun fait des reportages sur l’autre, dans l’intimité des cellules. De quoi remplir des colonnes de magazines littéraires pour des années. Il paraîtrait même que leurs avocats n’ont plus besoin de se déplacer pour les visiter, puisque des hébergements sont aussi organisés sur place pour eux. Des hommes et des femmes politiques les ont rejoint, attirés sans doute par la lumière.
Les prisons deviennent des petites Turquie en miniature, où se côtoient toutes les classes sociales, tous les corps de métiers, tous les chômeurs, hommes et femmes.
Donc, disais-je, il ne s’est rien passé cette semaine. La neige fut blanche, puis noire, comme d’habitude, pour ne fâcher personne, et peut être aussi un peu à cause de suies venues de l’étranger, rien que pour contrecarrer sans doute notre belle unanimité nationale.
Le Parlement a parlementé, puis voté, dans un bel élan national et démocratique. Ils étaient tellement excités à l’idée de changer notre belle constitution qu’en faisant de grands moulinets avec leurs bras, sans le vouloir, ils ont envoyé une femme députée du HDP à l’hôpital. Il manquait également quelques députéEs, retenuEs ailleurs auprès de journalistes qui leur avait donné rendez-vous dans leur petite Turquie. Mais j’en ai déjà parlé.
Quelques centaines se sont mis d’accord pour garder leurs postes, et désormais diminuer leur charge de travail, puisqu’elle sera transférée vers le Palais, qui gouvernera par décrets. Ils ont même voté des mesures d’économie pour la Nation, en décidant du principe de suppression du premier ministre. Après tout, un Président, ça suffit non ? Ils n’auront même plus à revoter l’état d’urgence, puisqu’il devient permanent. Et, de toutes façons, ils auront bien assez de discuter de l’abaissement de la majorité sexuelle et du nombre d’enfants par femme pour s’occuper durant leurs mandats. Donc, à part ce léger changement de constitution, pour lequel, on va démocratiquement nous demander notre avis, la semaine fut calme.
Il y a bien eu les rassemblements habituels de mécontents ou de non turcs, mais ça… Ah, j’allais oublier. Vous vous souvenez du disquaire “Velvet IndieGround”, en plein centre d’Istanbul. Le voilà fermé définitivement. C’est devenu difficile pour le petit commerce.
Ah oui, ils ont arrêté l’assassin du Reina… Un terroriste, ça on le savait. Mais ce qui est plus étonnant, c’est qu’il ne soit pas comme les milliers d’autres. On pourrait donc aussi être terroriste sans être écrivain ou journaliste ? Et même pas FETÖ avec ça ! Ils ont découvert un mutant… A l’occasion, on a pu apprécier l’efficacité physique de notre police, en voyant les photos… Sinon, rien à dire.
Non, vraiment, notre chef du Palais a raison. “Ô monde, Ô Europe ! Pourquoi veux-tu donner des leçons à la Turquie ?”.
Bon, le pilav est cuit, je file dresser la table. J’ai Poutine à dîner.
RECETTE PILAV MAMIE EYAN
Pour commencer, Tu as besoin de beurre, du riz, de l’eau, du sel, et du poivre. Pour le riz, ça marche bien avec du Basmati, mais tu peux essayer avec d’autres types.
Tu choisis un verre à eau. Il va te servir de dosette. Comme ce soir on est deux, je te donne les mesures pour 2. Si tu te prépares à une réunion de sommet, tu multiplieras les doses.
Tu verses 1 verre de riz dans un saladier. Tu y ajoutes une cuillère à café de sel, et de l’eau bouillante. Tu laisses tremper ton riz pendant 10 minutes. On va éliminer l’amidon, pour qu’une fois ton pilav prêt, “chaque grain de riz puisse être autonome”, comme ma grand-mère disait. Enfin, pour que ton pilav ne colle pas quoi… Au bout de 10 minutes, tu vides l’eau et rinces ton riz, sous l’eau coulante, à plusieurs reprises, jusqu’à ce que l’eau devienne claire.
Dans une casserole anti-adhérente, tu feras fondre du beurre. La quantité ? Le contenu de deux cuillères à soupe par exemple… Enfin, ça dépend de ton bon plaisir. Beurre fondu au fond de la casserole, parfume mieux que de fondre le beurre dans du riz après cuisson. Tu peux aussi utiliser de l’huile d’olive à la place du beurre.
Si tu veux un pilav avec quelques clins d’oeil, tu peux faire jouer ton imagination à ce stade. Tu peux ajouter par exemple une poignée de cheveux d’ange, ou des amandes, ou encore des pignons de pin pour la version de luxe. Tu les fais revenir un peu dans le beurre fondu sur le feu doux. Quand ils sont assez dorés, tu ajoutes ton riz.
Aussitôt, tu mets l’eau. Combien ? Pour 1 verre de riz, 1,5 verres d’eau tu mettras mon enfant.
Tu laisses sur le feu fort, mais surveille-le. Attends le moment où tu commenceras à voir “des yeux dessus”. Oui, je sais tu te demandes de quoi je parle. Eh bien, “t’inquiètes pas, quand les yeux seront là tu sauras” m’avait dit ma grand-mère pour mon premier pilav. Et elle avait raison. Donc quand ton riz commence à te zieuter, c’est le moment de fermer ta casserole, la poser sur ton plus petit feu, allumé au plus doux possible. Tu peux saler et poivrer à ce moment là…
Le riz épongera tout l’eau et ton pilav sera cuit en environ de 10 minutes. Vérifie quand même de temps en temps pour que le fond ne brûle pas. Tu peux mélanger aussi pour voir. Mais n’en abuses pas, pour ne pas faire fuir la vapeur toutes les minutes.
Au moment où tu ouvres le couvercle en disant “ça doit être prêt maintenant” et que tu vois que c’est en effet prêt, ça veut dire que tu excelles en timing et que les grains sont “autonomes”, tu auras obtenu donc ton diplôme de pilav. Finies les engueulades de riz raté à table.