Le régime Erdoğan, dans le cadre de dif­férentes “enquêtes” con­cer­nant le putsch raté du 15 juil­let 2015, a lancé une vaste opéra­tion con­tre 10 000 per­son­nes, dans un pre­mier temps sus­pec­tées selon les dires du min­istère de l’in­térieur, de “pro­pa­gande ter­ror­iste” ou d’ ”atteinte à l’u­nité nationale” sur des réseaux sociaux.

En réal­ité, ce n’est pas chose nou­velle, pour les forces de répres­sion du gou­verne­ment AKP, que de puis­er des “actes d’ac­cu­sa­tion” sur les comptes per­son­nels de celles et ceux qu’elles pla­cent en garde à vue. C’est même devenu un réflexe et une procé­dure pour la police et les sup­plétifs officiels.

Durant la péri­ode de Gezi, un jeu de chat et souris s’é­tait instal­lé pour fer­mer à temps les comptes d’amiEs sur les réseaux soci­aux lors des arresta­tions, dès qu’elles étaient con­nues. Cha­cun devrait savoir aus­si qu’il est décon­seil­lé pour qui se rend en Turquie aujour­d’hui, d’avoir des partages “sen­si­bles” sur son portable dans les jours qui précè­dent. Des jour­nal­istes, et récem­ment une avo­cate ital­i­enne, ont ain­si pu être dans la plus com­plète illé­gal­ité refoulés.

La loi “ter­ror­isme”, votée avant le coup d’é­tat man­qué s’ap­plique donc, sous état d’ur­gence aujour­d’hui, aux pub­li­ca­tions et partages per­son­nels sur les réseaux. Ces partages, non seule­ment appa­rais­sent comme “preuves de sédi­tion” dans des dossiers ouverts, mais devi­en­nent en eux mêmes “objets d’en­quêtes”, et pré­textes à répres­sion. Et pour cela, le gou­verne­ment AKP a mis en place des sur­veil­lances, lancé des cam­pagnes de sig­nale­ment et de déla­tion, financé des AKtrolls pour ce faire.

Et penser que cela date de la grande purge d’après juil­let serait se four­rer le doigt dans le clavier.

Car juste­ment, dès les années 2013, le “dan­ger des réseaux soci­aux” était dénon­cé au Palais. Dès ces années là aus­si, furent mis en place pour les dias­po­ras européennes des “sur­veil­lances bien­veil­lantes” qui ne se lim­itèrent plus aux tapis de prières, pour gag­n­er ceux des souris. L’Alle­magne en sait quelque chose, puisque récem­ment cer­tains jour­naux alle­mands ont fait remon­ter des enquêtes, qui ont fait l’ob­jet de com­mu­ni­ca­tions au Bun­destag. On ne sig­nale pas encore d’en­quêtes sem­blables, à pro­pos du mini­tel français… Par con­tre, des con­nivences entre le régime turc et les réseaux Face­book ont été en 2015 déjà dénon­cées au Roy­aume Unis, par le mou­ve­ment kurde. Nous avons eu à Kedis­tan le même type de soucis à l’époque.

Bref, s’imag­in­er que l’u­til­i­sa­tion du mail­lage des réseaux soci­aux et leur sur­veil­lance est un brico­lage rapi­de d’après juil­let serait une erreur. La plan­i­fi­ca­tion de la main mise sur tous les moyens d’ex­pres­sion, leur con­trôle, leur fer­me­ture, les oblig­a­tions à auto-cen­sure, sont réal­isées au fil des oppor­tu­nités qui se présen­tent, mais les moyens pour ce faire sont eux, pen­sés depuis longtemps. On peut même, sans dévoil­er de secrets d’é­tat, dire qu’il s’ag­it là du “ren­force­ment antiter­ror­iste” com­mun avec l’UE et ses échanges de ren­seigne­ments. Un Cazeneuve, ou d’autres min­istres de l’in­térieur d’E­tats européens, lors de vis­ites et ren­con­tres avec le Palais turc, ont cer­taine­ment aus­si peaufiné ces mesures là, qui met­tent en place la “lutte con­tre le terrorisme”.

Et de la même façon que des gou­verne­ments ici ont resser­ré les con­trôles sur le net, et l’ont éten­du à bien d’autres choses, le gou­verne­ment Erdoğan ne s’en est pas privé, tant à l’in­térieur qu’à l’extérieur.

Faites rapi­de­ment une recherche sur le net, avec quelques mots clés pré­cis, et vous trou­verez des exem­ples par­lants de cette belle col­lab­o­ra­tion et de ses effets d’aubaine. La dias­po­ra turque et kurde n’a qu’à bien se tenir, et ses sou­tiens avec elle…

Aujourd’hui

Revenons à l’ac­tu­al­ité des purges, des enquêtes, des gardes à vue, des décrets en tous gen­res qui les permettent.

Nous com­pren­drons mieux la démarche d’ac­cu­sa­tion en prenant par exem­ple le cas de 6 jour­nal­istes en garde à vue depuis 24 jours, qui ont été arrêtés entre autres pour leur activ­ité sur Twitter.

(Pour info : Ils sont passés devant le juge aujourd’hui. Derya Okatan, Eray Sargın et Metin Yoksu ont été liberés sous contrôle judiciaire. Quant à Mahir Kanaat, Tunca Öğreten et Ömer Çelik, ils ont été mis en détention pour un procès ultérieur, comme c’est le cas dans des centaines de dossiers). Chaque jour certainEs sont remisEs en liberté sous contrôle judiciaire, tandis que d’autres sont arrêtéEs, on ne peut que vous conseiller de consulter régulièrement cette page qui est quotidiennement mise à jour.

Metin Yok­su, jour­nal­iste de l’A­gence de presse Dicle (DIHA), agence fer­mée par décret le 29 octo­bre dernier, est accusé de “pro­pa­gande pour une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”. L’acte d’ac­cu­sa­tion a été établi à par­tir de ses mails per­son­nels et de ses pub­li­ca­tions sur Twitter.

Ömer Çelik est inculpé pour avoir été ajouté, en tant que jour­nal­iste, dans un flux sur Twit­ter dans lequel les infor­ma­tions con­cer­nant la divul­ga­tion publique par le “Red­Hack” de mails du Min­istre Albayrak, et qui ont été pub­liés. Le Tri­bunal voulait aus­si savoir ce que “pro­lé­taire” voulait dire exacte­ment, car Özer se présen­tait comme tel sur son pro­fil de compte per­so sur Twitter.

Sem­ra Turan, jour­nal­iste de l’A­gence de presse Dicle (DIHA) avait été mise en garde-à-vue, il y a qua­tre jours. Accusée pour ses notes jour­nal­is­tiques qu’elle col­lec­tait dans dif­férentes villes telles que Diyarbakır, Der­sim, Bingöl, mais aus­si pour ses pub­li­ca­tions sur les réseaux soci­aux, elle a été libérée sous con­trôle judi­ci­aire. Là encore l’u­til­i­sa­tion des réseaux est criminalisée…

Mais, bien sûr, il n’y a pas que les jour­nal­istes. N’im­porte quel inter­naute opposantE qui pub­lie sur les réseaux soci­aux est dans la ligne de mire. Nous avons là aus­si beau­coup de mal à col­lecter noms et chiffres, mais les opposants au régime AKP util­isant mas­sive­ment les réseaux, l’ac­cu­sa­tion est récurrente.

Le Min­istre de trans­ports, mar­itime et infor­ma­tion, Ahmet Arslan a en per­son­ne déclaré aujour­d’hui que l’ob­jec­tif du gou­verne­ment était de “nation­alis­er le numérique”  et que de grands pro­jets étaient en route pour ce faire. Ecou­tons le :

Ain­si, les don­nées des enseignes de réseaux soci­aux comme Twit­ter, Face­book, Insta­gram seront con­servées dans notre pays, afin de sécuris­er les don­nées de nos citoyens. Nous allons donc empêch­er que les don­nées qui con­cer­nent les ten­dances per­son­nelles des Turcs se baladent à l’étranger.

Le Min­istre annonce par ailleurs qu’un moteur de recherche “nation­al” est en train d’être élaboré, tou­jours dans la même optique. “Il per­me­t­tra l’u­til­i­sa­tion des car­ac­tères spé­ci­aux de l’al­pha­bet turc” ajoute-t-il, “mais aus­si con­tribuera à utilis­er Inter­net sans faire de con­ces­sions dans l’in­té­gra­tion de notre pays avec le monde”.

Ce sont là déc­la­ra­tions plus douces que celles qui con­sis­tent à désign­er les réseaux soci­aux comme util­isés par les ter­ror­istes, mais au final, l’in­ten­tion est bien de réduire et con­trôler flux et don­nées, même si elle repose sur une incom­préhen­sion du web. Et s’ils n’y parvi­en­nent pas, la coupure pure et sim­ple des com­mu­ni­ca­tions, comme c’est sou­vent le cas au Bakur, fera tou­jours l’affaire.

C’est donc la phase du coup d’é­tat civ­il d’Er­doğan qui voudrait bal­ay­er les dernières marges à demi libres, et ne plus se con­tenter d’ou­vrir ou fer­mer des robi­nets d’in­ter­net quand ça l’arrange.

Purg­er le net, comme on purge une tuyau­terie, est le grand rêve aujour­d’hui de toute dic­tature qui se respecte. S’en servir pour inculper ne suf­fit plus, con­trôler l’ensem­ble serait un plus. Erdoğan sait bien qu’un désor­mais “ami proche” y parvient en par­tie, dans sa Russie nou­velle, et que la Chine pour­rait fournir l’ex­em­ple qu’il est pos­si­ble de tra­vailler en “bonne intel­li­gence” avec cer­tains des plom­biers omniprésents et gras sur la toile. Si les multi­na­tionales du web avaient une con­science poli­tique, cela se saurait.

Ce qui se passe en Turquie devrait donc alert­er tous les défenseurs de la lib­erté du web, surtout après la vague d’ar­resta­tion spé­ci­fique récentes dans les milieux activistes et mil­i­tants accusés d’être des hack­ers rouges…

Et terminons encore sur des chiffres

Un décret con­cer­nant les dél­its com­mis sur Inter­net avait été pro­mul­gué le 6 jan­vi­er dernier.
Le décret n° 680 per­met donc à la police d’obtenir les iden­tités et les don­nées des util­isa­teurs, ain­si que de suiv­re les flux numériques, sans déci­sion de tri­bunal, afin de “pren­dre des pré­cau­tions avant que le délit soit com­mis”.

Des descrip­tions telles que les per­son­nes qui font sur les réseaux soci­aux, “des pub­li­ca­tions inci­tant la pop­u­la­tion à la haine et à la rébel­lion”, “faisant l’éloge du ter­ror­isme”, “faisant de la pro­pa­gande d’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste”, “déclarant son lien avec l’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste” per­me­t­tent désor­mais des obser­va­tions, enquêtes et pour­suites totale­ment arbitraires.

Les lib­erté d’ex­pres­sion et de com­mu­ni­ca­tion avaient été déjà bafouées en 2007 avec la loi 5651, le décret 680 a ren­for­cé les lim­i­ta­tions encore davantage.

A notre con­nais­sance ces décrets n’ont encore pas per­mis une seule enquête réussie con­cer­nant Daesh, même si l’ar­resta­tion de l’au­teur de l’at­taque de Reina du 31 décem­bre, est présen­tée comme telle.

Avant le décret les esti­ma­tions étaient : procé­dures ouvertes sur 3710 per­son­nes, 1656 arresta­tions, dont 102 libérées sous con­trôle judi­ci­aire, 84 en détention.

Le 14 jan­vi­er dernier, donc après le décret 380, le député du CHP et mem­bre de la Com­mis­sion Média au Par­lement, Barış Yarkadaş a pris parole à l’Assem­blée Nationale et a annon­cé qu’une chas­se aux sor­cières était lancée sur les médias soci­aux. En soulig­nant qu’une unité spé­ci­fique “Unité de suivi des médias soci­aux” étaient fondée :

Des per­son­nes sont arrêtées suite au tra­vail de cette unité, pour des motifs qui n’ex­is­tent pas dans las Code Pénal turc, tels que ‘insulte à homme d’E­tat turc’ ”.

Barış Yarkadaş, a égale­ment posé une question :

Con­for­mé­ment à quelle loi cette unité a‑t-elle été con­sti­tuée ? Qui paye les salaires de ces policiers qui en font partie ?”

Et voici les chiffres exacts :

  • Env­i­ron 3500 per­son­nes ont été mis en garde-à-vue, dont 1500 jetés en prison depuis.
  • Des dossiers d’en­quête ont été ouverts à l’en­con­tre de 17 862 inter­nautes, leur traite­ment est ter­miné, ils atten­dent les ordres d’arrestations.
  • Sur les dossiers ouverts tou­jours en cours, sur 68 774 per­son­nes, 21 723 per­son­nes sont claire­ment iden­ti­fiées et 47 024 en cours de vérification.

Celui ou celle qui tweete l’ar­ti­cle s’a­joutera-t-elle/il au nombre ?


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