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Le centre culturel Mem û Zîn de Cizre n’est plus…
Ce centre fut ouvert en 2004, sur Cizre, dans le district de Şırnak. Son nom était inspiré de l’œuvre immortelle d’Ehmedê Xanî, l’un des pionniers de la littérature kurde classique.
Ce centre fut un berceau de culture pour des milliers d’élèves, qui y ont appris à jouer à le tambour kurde, l’erbane, la bağlama, guitare, à danser le halay et se sont initiés à l’art populaire oral des bardes kurdes, les dengbêj. Des dizaines d’artistes, des formations d’art, y sont passéEs, y ont été forméEs et des groupes de musique tels que Koma Meyaser et Koma Koma Sorxwîn ont fait leur apparition au sein du centre.
Fermé lors de la période des couvres-feux, dans les années 2016–2017, le centre culturel n’avait pas été autorisé depuis à réouvrir ses portes, et il vient d’être démoli par le propriétaire, pour faire ériger un immeuble à sa place. Pendant 5 ans, plusieurs tentatives de reprise d’activité culturelle et artistique ont été tentées mais, chaque fois, le centre a subi des descentes de police, ses portes furent scellées, son personnel, et les artistes qui y ont été forméEs furent arrêtéEs. Nûdem Durak, chanteuse kurde, membre du groupe Koma Sorxwîn, condamnée à 19 ans de prison, pour avoir chanté en kurde, fait partie de celles là. Elle est encore aujourd’hui derrière les barreaux.
Selon l’information relayé par Mahmut Ruvanas de l’Agence Mézopotamie (MA), la population est abattue.
Un des commerçants interviewés exprime sa tristesse : “L’intérieur était orné des fleurs, il y avait une belle scène où tout le monde pouvait suivre des pièces de théâtre, des concerts. Depuis son ouverture, j’étais leur voisin. Je suis très triste pour cette destruction, mais que pouvait-on faire ?”
Quant à Umut Botan, il a travaillé longtemps au centre culturel. “La mémoire [collective] peut être aussi lue telle une grille de valeurs créées par une société au fil du temps. Lorsqu’on regarde de cet angle, on voit l’importance de la mission d’une institution comme Mem û Zîn, dans la prise de conscience d’une société sur son identité, sa culture et sa propre réalité.” dit-il. Umut souligne que les conquêtes, la valeur ajoutée, que ce centre a fait gagner à la ville de Cizre sont incontestables, et ajoute “Toutes les personnes qui s’activent dans la musique, ou d’autres branches artistiques et culturelles dans la région, sont passées dans les murs de Mem û Zîn, où elles ont trouvé la possibilité de progresser dans leur art. L’importance de la mission que le centre Mem û Zîn a endossée vient de cela.”
“Le fait qu’une telle institution créée et développée avec d’innombrables concessions et prix, qui ruisselait jusqu’à dans les veines capillaires de la population, ne puisse continuer son existence à cause des oppressions, est désolant. La destruction du centre culturel Mem û Zîn à Cizre en rejoint d’autres, car dans les derniers temps, dans de nombreuses villes, des institutions et des bâtiments qui constituent le tissu culturel et historique et l’âme de la région ont été sacrifiés au nom de constructions tape à l’oeil. Il est difficile d’exprimer la dévastation créee par cette démolition. Mais il est de notre devoir, de faire perdurer la tradition, comme le méritent les valeurs et l’âme nées dans le centre culturel Mem û Zîn Kültür.
Lisez aussi : la série de reportages de Loez :
Résistances culturelles #1 : La musique kurde
Résistances culturelles #2 : La littérature kurde
Résistances culturelles #3 : Le cinéma kurde
Prochainement : Le theâtre kurde
Une partie de la mémoire populaire et collective est ainsi détruite, comme le furent des quartiers historiques comme celui de Sur, dans les années récentes des états de siège. Il s’agit de bien davantage que d’une simple “gentrification” de quartiers anciens. C’est le mode de vie, la culture kurde, qui est sciemment visée, comme le ferait un colonisateur. Se mêlent profits de bétonneurs, corruption et politique d’éradication culturelle en terres majoritairement kurdes.
Le tandem bigots et ultra-nationalistes au pouvoir actuellement en Turquie poursuit ainsi la politique de turcification des territoires, menée avant par les pouvoirs nationalistes kémalistes. La turcité progresse au bulldozer, tout en continuant d’incarcérer les opposants, de démettre les élus.
Ainsi, tenter de préparer la jeunesse kurde à un avenir sans identité culturelle reste l’agenda, surtout lorsque celui-ci s’accompagne de projets immobiliers juteux, dans le cadre de marchés où règne la corruption habituelle.
N’oublions jamais que de 2015 à 2017, toute une population kurde a vécu dans sa chair, les exactions et meurtres des forces de répression de l’état turc, justement au nom à la fois de la défense d’une identité culturelle, et du besoin de vivre ensemble pour la partager. La turcité est à l’opposé de ce combat.