Une réflex­ion entamée qui mérite appro­fondisse­ment. Et qui place la lutte des femmes face à l’E­tat turc, comme une lutte con­tre les pou­voirs, la vio­lence et la guerre.

La “guerre civile eth­nique” érigée en pou­voir d’E­tat dont par­le l’au­teur, n’est autre que le pro­longe­ment armé de la turcité oblig­a­toire. Et lorsque cette turcité s’im­pose par la vio­lence et la guerre, avec des pra­tiques où l’E­tat donne l’im­punité aux tor­tion­naires, quoi d’é­ton­nant à ce que cette vio­lence soit légitimée dans la sphère sociale, et en rajoute à la vio­lence patri­ar­cale déjà prégnante…


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Guerre civile basée sur le genre

Nous avons de la chance. Si les provo­ca­tions visant à allumer la mèche d’une guerre civile eth­nique, sont absorbées par des “trous noirs démoc­ra­tiques” et ain­si invalidées, nous avons de la chance.

Apparem­ment, les par­ties qui ont été polar­isées, craig­nent aujour­d’hui davan­tage la guerre civile qu’elles n’ont peur l’une de l’autre. Espérons que cette peur restera un garde-fou. Car, si les peurs que les par­ties ont con­stru­ites récipro­que­ment, devi­en­nent plus fortes que la crainte de la guerre civile, les dan­gers du bel­li­cisme, les con­flits soci­aux et la guerre devien­dront inévitables.

Mais le fait de ne pas “pass­er” à une guerre civile eth­nique ne veut pas dire qu’une autre sorte de guerre civile ne se déroule pas. En Turquie, en retrait de la guerre menée con­tre le mou­ve­ment kurde, une autre guerre se déroule. De sur­croît, cette guerre, elle, n’a pas deux pro­tag­o­nistes. C’est une guerre uni­latérale d’oc­cu­pa­tion, de déci­ma­tion et de mas­sacre. Les auteurs sont des mem­bres d’un réseau crim­inel por­tant des masques de maris, d’amoureux, de frères, mem­bres du patriarcat.

Nous pou­vons appel­er ce dont nous sommes témoins, “une déci­ma­tion de genre”, en allant plus loin, l’ap­pel­er même, une guerre civile de genre général­isée. Parce que l’a­gres­sion général­isée épou­vantable que les femmes subis­sent dans tous les domaines de la vie, n’en­tre plus dans le terme de “vio­lence faite aux femmes”.

Qu’elles soient, sécu­laires ou con­ser­va­tri­ces, pau­vre ou riche, instru­ites ou non, ouvrières ou au chô­mage, rurales ou citadines, toutes les femmes vues comme faibles, sont plus ou moins sous attaque lourde des hommes. Autour de ce cer­cle, il y a les enfants, les ani­maux, pour que les hommes puis­sent pren­dre le dessus, et même les plantes et les objets.

L’ami des mauvais jours de l’homme est l’Etat

La vio­lence, la tor­ture, ou un sys­tème de jus­tice qui fonc­tionne en défaveur de la vic­time, ne font pas que des vic­times, mais aus­si empoi­son­nent la société qui en est témoin. Dans une société où la “polar­i­sa­tion eth­nique” est ren­due dom­i­nante, même si la vie des peurs, qui empêcheront la guerre “entre les pôles”, peut per­dur­er, ceci ne peut empêch­er l’altéra­tion au sein de cette société ou l’a­gres­siv­ité d’un autre type, le désir de châti­er, d’écras­er, d’anéantir.

Les petits pou­voirs, imi­tent la plu­part du temps, la plus grande autorité. L’homme, peut abreuver sa con­nais­sance et son savoir d’op­pres­sion à la source des pra­tiques d’E­tat qui ne sont pas lim­itées par des mécan­ismes de légitim­ité, ou qui ont per­du ces mécan­ismes. Par con­séquent, l’a­gres­siv­ité mâle, est liée au pou­voir poli­tique. A la fois directe­ment, et indi­recte­ment, elle est politique.

Lorsqu’un Etat ne pro­duit pas de mécan­ismes qui lim­iteront, tien­dront les rênes des plus puis­sants, à com­mencer par lui-même, ou lorsque en liq­uidant ces mécan­ismes, il se trans­forme en un appareil de pra­tiques de vio­lences sans lim­ites ni con­traintes, il ouvre le chemin de cette même vio­lence sans lim­ite ni con­trainte, dans des espaces de pou­voir plus petits qui lui ressem­blent. Les guer­res selon ‘la loi du plus fort’ com­men­cent comme cela.

Dans les adminin­stra­tions “civil­isées” l’a­gres­sion est lim­itée ou est liée à un cer­tain “Droit”. Mais, si par exem­ple les forces armées de l’E­tat, sans crain­dre d’être jugées, sans ressen­tir d’oblig­a­tion de con­trainte juridique, pra­tiquent la tor­ture sur les gens et en pub­lient les pho­tos sur les réseaux soci­aux, avec sen­ti­ment d’im­punité, le reflet de cela sur la société pour­ra être l’a­gres­sion col­lec­tive visant les femmes, ou même la guerre.

Selon la théorie, c’est la société qui con­fie le “mono­pole de la vio­lence légitime” à l’E­tat. Cepen­dant, si l’E­tat com­mence à se servir de ce mono­pole d’une façon illégitime, il ren­con­tre, soit l’ob­jec­tion col­lec­tive de la société, soit, avec l’assen­ti­ment et l’ac­cep­ta­tion d’une par­tie de la société, et sa par­tic­i­pa­tion pro­gres­sive, rend cette posi­tion durable.

En con­statant que l’AKP, afin de préserv­er sa force, passe alliance avec divers­es con­fréries ou sources de pou­voir, nous per­dons sou­vent de vue le fait qu’il choisit comme grands alliés : les hommes.

turc turquie femmes

Les assas­si­nats de femme sont poli­tiques.
“L’amour” des hommes tue chaque jour 3 femmes.

L’homme fait à la femme, ce que l’Etat fait à l’opposantE

Erdoğan, qui a organ­isé une réu­nion avec les Préfets le 12 octo­bre, a beau jeu de faire cette déc­la­ra­tion, con­cer­nant Hakan D. qui a agressé une femme ‑en foulard- qu’il avait croisée sur la route : “Dois-je con­stater un relâche­ment chez les forces de l’or­dre, ou un dépasse­ment des lim­ites, l’aug­men­ta­tion [du nom­bre] des tueurs sans hon­neur n’est pas une chose sup­port­able. Ceux-là don­nent des coups d’é­paules à des femmes dans les rues, puis des coups de pieds, des coups de poings. Je ne digère pas que ce genre de per­son­nes immorales et mépris­ables se trou­vent dans la société.” [arti­cle en turc]

Pour­tant si la tor­ture pra­tiquée par les forces armées est perçue, elle, comme légitime, et lais­sée sans puni­tion, et qu’il n’y a pas d’op­po­si­tion sociale forte, les sources de pou­voir de la société (homme, mari, amoureux, frère, père, enseignant, patron, chef etc.) com­men­cent à s’har­monis­er avec cela.

Pourquoi, la tor­ture, qui n’est pas con­sid­érée comme crime par l’E­tat, ne serait-elle pas alors pra­tiquée par le mari à l’en­con­tre de sa femme, par des humains con­tre des ani­maux, du patron vers l’ou­vrierE, des par­ents vers les enfants, de l’en­seignant à l’élève, de la part de celui qui com­mande vers le/la sub­or­don­néE ? Dans ce temps où le tor­tion­naire célèbre son oeu­vre avec des cris de vic­toire, où ce que le Droit dit ne se fait pas, pourquoi l’as­sas­sin d’une femme se priverait-il de pos­es souri­antes devant la caméra ? Le fait que la majorité des assas­sins ou agresseurs de femmes n’ex­posent pas la moin­dre expres­sion de peur ou d’embarras, vient de la con­vic­tion qu’ils ont de la légitim­ité de leur acte et du fait de savoir qu’ils ne sont pas sans alliés. Finale­ment, l’homme écrase la femme, de la même façon que le puis­sant écrase son opposantE. Pour arriv­er à ce con­stat, il suf­fit de regarder les méth­odes de vio­lence des hommes.

Bien sûr, les femmes font face partout à la vio­lence mas­cu­line inten­sive, y com­pris dans les pays “démoc­ra­tiques” où les tor­tures restent des cas isolés. L’his­toire du patri­ar­cat est aus­si l’his­toire de l’a­gres­siv­ité mas­cu­line. Mais, la nature et les dimen­sions de la vio­lence anti-femme qui se déroule en Turquie vont au delà de l’a­gres­sion “ordi­naire”. Que serait le fait de con­sid­ér­er cette agres­sion indépen­dam­ment du cli­mat poli­tique actuel ? De ne pas don­ner le nom de cette guerre anti-femme ? Sinon banalis­er une agres­sion grave, et fer­mer les yeux sur les ten­dances du pou­voir, et ain­si le blanchir.

İrf­an Aktan

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İrfan Aktan a commencé le journalisme en 2000 sur Bianet. Il a travaillé comme journaliste, correspondant ou éditeur, à l’Express, BirGün, Nokta, Yeni Aktüel, Newsweek Türkiye, Birikim, Radikal, birdirbir.org, zete.com. Il fut le représentant de la chaîne IMC-TV à Ankara. Il est l’auteur de deux livres  “Nazê/Bir Göçüş Öyküsü” (Nazê/Une histoire d’exode), “Zehir ve Panzehir: Kürt Sorunu” (Poison et antidote : La question kurde). Il écrit actuellement à l’Express, Al Monitor, et Duvar.

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