Nous sommes le 8 mars.
Je suis fatiguée de porter cette colère dans mon coeur. Moi qui suis vieille, une antiquité à mettre au musée. Ma voix ne porte pas loin. Mais je vois comment les femmes essayent de survivre dans leur quotidien, comment elles s’organisent et se battent pour changer les choses. Je suis épuisée rien qu’à les voir.
Mais elles ont raison. Si on espère changer les choses il ne faut pas lâcher le morceau. Un monde différent est possible, non, nécessaire !
Et je crois de tout mon coeur fatigué, que le changement viendra, porté en grande partie sur les épaules des femmes.
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Je pense souvent à une image que j’avais vue, montrant une jeune fille qui portait une pancarte, je ne sais dans quelle manifestation, je ne sais dans quel pays. Sur la pancarte elle avait écrit :
« Je n’arrive pas à croire que je dois encore manifester contre cette merde ! ».
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Vous savez, l’assassinat d’Özgecan a suscité beaucoup de réactions. On a dit qu’on devrait inscrire la date de sa mort comme premier jour de l’an zéro, et qu’il fallait que ça cesse maintenant. Et bien, je lis qu’il y a eu, depuis, des dizaines d’assassinats de femmes. Tu parles de l’an zéro ! Les choses ne changent pas radicalement comme ça du jour au lendemain…
Aujourd’hui c’est le 8 mars. Les femmes descendent dans la rue, elles parlent, elles crient, elles hurlent. Les caméras se tournent vers elles, les micros enregistrent leurs paroles, elles sont au coeur de l’actualité.
D’une part je suis contente de voir que les femmes se prennent en main. D’autre part, je me dis que la célébration du 8 mars est un peu comme un devoir. Ce soir il sera accompli.
Et demain ?
Il y aura encore un meurtre, puis un autre… Des viols, des agressions, des menaces…
Si ça se trouve, en ce jour du 8 mars, il y a déjà des victimes.
Il faut continuer à combattre le patriarcat qui ronge les entrailles de nos sociétés. Il se ressource de tout ce qui est obscurantiste, briseur de libertés, de crétineries de soit disantes traditions, et de la religion.
Cette sève aveuglante coule dans l’arbre jusqu’aux plus petites feuilles naissantes, et les ternit dès qu’elles bourgeonnent.
Je ne lis plus les nouvelles qui parlent de la violence faite aux femmes. Je vous avoue que je ne lis plus. Il y en a tellement ! Tous les jours, il y’en a ! Pas une seule, plusieurs, sur la une, dans les pages locales, dans les entrefilets…
Aujourd’hui je n’ai pas pu éviter l’article sur une jeune lycéenne d’Adana. Elle était filmée, bien sur à son insu, par son copain pendant qu’elle faisait l’amour avec lui. Une fois devenu son ex, le connard (excusez-moi), menaçant la fille de mettre le film sur Internet, l’a obligée à coucher avec ses potes. 10 hommes ont fait vivre l’enfer du viol à cette jeune fille, durant une année. Le CPE de son lycée a aidé la gamine à se confier et sa famille a porté plainte. Une partie des violeurs a été trouvée et arrêtée.
Ben voilà, en touillant le sucre de mon thé ce matin, je vois sur mon journal, la photo de ces criminels libérés après la garde à vue : grand sourire viril, fier de leurs exploits, sans une once de honte !
Pourquoi ?
Parce qu’ils ne se sentent pas « entachés ». Tant que cette société n’a pas changé de façon de penser, n’a pas remis ses critères de jugement à la place où ils devraient être, c’est la victime du viol qui continuera à être considérée comme « entachée ».
En attendant on peut en célébrer des 8 mars.
Enfin bon…. ne faites surtout pas attention à mes coups de pompes, mes moments de désespoir. Moi, doyenne, je suis éphémère, mais je vous regarde et vous aime. Il n’y a pas que la violence à combattre mais aussi les droits bafoués, les libertés mises en cage… Vous en avez tellement à faire !
Continuez à semer les idées comme des cailloux blancs, même touts petits. Serrez-vous les coudes, soyez solidaires entre les femmes, et avec les hommes féministes, les hommes respectueux de l’être humain, quelque soit son genre. Ne laissez pas ce monde pourrir encore plus. Vous êtes à même de changer le cours des choses pour cette planète sur laquelle vous vivez et continuerez à vivre.
Courage mes enfants !
…
PS : En cadeau, une des photos les plus sympas que j’ai vues aujourd’hui, celle d’une autre mamie :
“Nous allons exprès, porter des mini jupes !”
English: “Mamie Eyan’s Column on March the 8th” Click to read