Pendant que je me faisais de la bile pour les femmes et que j’encourageais mes filleules à se battre pour leurs droits, il y en avait qui continuaient à raconter des conneries…
Et Asım Yenihaber, journaliste du quotidien intégriste Vahdet préparait dans son coin, sa chronique du lendemain du 8 mars, en vomissant sur les femmes qui préfèrent utiliser plutôt leur cerveau que leur utérus.
Je n’achète pas Vahdet bien sûr, donc je ne connais pas ce type. Quand je lève mes sourcils en disant « Je ne leur paierais pas un sou pour cette serpillière même une fois, rien que pour voir la tronche de ce spécimen !», ma soeur me répond qu’il écrit sous un pseudo et en utilisant une fausse photo. Alors je lis les extraits de sa chronique montrés du doigt et publiés dans d’autres journaux.
Tenez-vous bien, c’est moche. Très moche.
Ah bon, la journée de la Femme, la journée des femmes ouvrières… Dans les quotidiens, une campagne de lèche cul bien visqueuse, pour les femmes, juste pour une journée précise.
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En tête, les journaux qui commercialisent des corps de femme tous les jours du bon Dieu, des groupes de presse qui font cela dans un degré des plus avancés. Eux, ils font leurs affaires sur le dos de la journée des femmes. Vendre et utiliser le corps de la femme à tous les niveaux.
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Et un autre groupe fait sa petit affaire sur le principe de la journée de la femme ouvrière. Femmes ouvrières d’accord, mais en utilisant les femmes pour l’idéologie, pour le parti, pour le système raciste et stalinien qu’ils installeront dans le futur.
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Donc il y a deux types de femmes : ouvrière et cuisinière.
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Un léchage de cul sale, construit sur cette catégorisation débile.
Les femmes qui sortent de leur maison et qui travaillent dans n’importe quel boulot sont des « ouvrières »… et parmi celles-ci, il y a des femmes qui sont utilisées comme capitale [expression pour dire « prostituer »]…
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Seules celles qui rentrent dans cette catégorie sont des « ouvrières », mais celles qui travaillent, qui triment à la maison sont des « cuisinières ».
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Si vous avez une conception de famille, vous devriez apprécier le travail de la femme sous toutes ses formes. Et la femme, patronne de sa maison est à mettre sur un piédestal. Elle, elle est mère, elle est épouse.
Elle est la substance la plus bénéfique à la société. Et voilà, le paradis se trouve sous leurs pieds. Une femme de cette qualité connait ses responsabilités, même si elle travaille.
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Certaines femmes en apparence droguées, ont fait une marche récemment : « Nous refusons l’esclavage de la maternité ».
Si tu ne deviens pas mère, que peux tu être ? Une bûche pour l’enfer !
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Si l’abricotier ne donne pas d’abricot, à quoi sert-il ? L’arbre sans fruit n’a pas sa place dans la nature. Même les arbres dont les fruits ne sont pas consommables, en produisant des pollens, servent pour rendre la terre un endroit vivable.
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Que peut être une femme qui n’est pas épouse ? Au mieux elle peut être maîtresse. Il y a bien sûr pire. Donc ce que vous idéalisez, c’est ça. Le choix est à vous !
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Celles qui sont épouses et qui refusent la maternité, peuvent-elles avoir une santé mentale normale ? Dans ce cas de figure, le mariage n’a pas d’autre sens que la sexualité.
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Oui, les femmes sont déshumanisées avec ce genre d’idéologies contre nature.
Sans commentaire…
Mon poil se hérisse !
Et pendant ce temps là, notre Ministre de la Santé Mehmet Müezzinoğlu fait un discours…
Vous voyez peut être qui c’est ?
Allez je vous rafraichis la mémoire : C’est celui qui dit à chaque occasion « la maternité est la seule carrière que la femme doit avoir ».
La bonne blague : il prononce son discours dans une réunion organisée à l’occasion de 8 mars, par la branche féminine de l’AKP de Keşan (Edirne), donc devant des femmes !
La revendication « Nous demandons l’égalité » est la plus grande injustice faite aux femmes.
Là, je suis d’accord.
Ma soeur m’avait offert une jolie magnette, avec une citation de Rosa Luxembourg dessus. Elle est toujours sur mon frigo :
« Une femme qui aspire à être l’égale d’un homme manque singulièrement d’ambition ».
Mais ne rêvons pas en pensant que ce Mehmet là tomberait d’accord avec cette Rosa.
Le Ministre de Mehmet continue :
La femme ne demande pas à être égale à l’homme, elle ne doit pas le demander, et ne pas se passer de ses droits et de ses privilèges. La femme donne un esprit à ce que l’homme ne peut pas donner. La femme accouche ce que l’homme ne peut pas accoucher. Aujourd’hui sur terre, tous les changements, les différences, toutes les nouveautés, beautés et inventions qui ont marqué l’Histoire, existent grâce à la fertilité de la femme. (Drôle de phrase, il veut sans doute parler de « progrès »).
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Par conséquent le fait de pousser la femme vers la singularité de l’égalité, et la placer sur une place mathématique serait une grande erreur et la plus grande injustice qu’on puisse lui faire.
A cet instant précis, je suis sure que Rosa retourne un coup dans sa tombe.
Et le Mehmet, ne manque pas de placer sa rengaine habituelle, il le faut bien :
Donc, nous devrions empêcher ceux qui nous orientent vers l’erreur, et en tant que membres de cette civilisation, en tant que femmes qui construisent l’esprit de cette civilisation, en tant que mères, épouses, nous devrions absolument, mais absolument mettre au centre de tout, la valeur d’être des familles, des épouses et des mères.
Pour bien enfoncer le clou, il ajoute :
Mes paroles « il n’y a pas meilleure carrière que la maternité pour la Femme » ont été mal comprises.
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Bien sur que les femmes peuvent être médecins, avocates, ingénieurs et elles doivent l’être. Mais si tu pousses d’un revers la maternité, pour devenir médecin, avocate, ingénieur, tu auras faite une erreur, une injustice envers toi même, ainsi qu’à la société, à la maternité.
Applaudissements chaleureuses des femmes de l’AKP dans la salle !
Enfin, je suppose… Je n’y étais pas.
Encore heureuse.
Voilà, je suis encore en rogne. Pardonnez-moi de vous mettre vous aussi, en colère, mais il fallait bien que je vous raconte toutes ces choses martelées sans arrêt, injectées dans des cerveaux de femmes et d’homme. Pendant que je prends note en radotant à voix haute, ma soeur me tape sur l’épaule : « Ce dont tu parles soeurette, c’est de la propagande, c’est de l’idéologie. Pour passer leur message, ils instrumentalisent même cette journée. Ecoeurant. Grave…»
Le lendemain du 8 mars, c’est un douloureux retour des couches…
Mais rassurez-vous, il y a aussi un retour de noces :
Des centaines de milliers de femmes de tout âge, toutes sortes, ont arpenté les rues du pays, un peu partout. Plein d’actions et d’organisations ont eu lieu.
Je retrouve mon sourire en voyant ces foules qui font corps.
Des fourmis courageuses. Des belles têtes avec des cerveaux dedans. Des jolies bouches qui sont capables de faire des phrases sensées et clouer le bec aux obscures crétin(e)s. Des arbres jeunes ou centenaires peu importe, tous debout sur des racines plantées solidement dans la terre. Des branches de printemps chargées de fleurs.
Des femmes qui accoucheront oui, mais d’un autre avenir.
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Je vous embrasse toutes.
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Avec les jolies photos de Bahar Gökten / NarPhotos