Mon coeur saigne depuis hier soir. Je vois les familles qui attendent devant la morgue, les enterrements…
Tout la nuit, j’ai pédalé dans ma tête et je n’ai pas fermé les yeux. On en est arrivé à un point où tout est terreur.
Allongée, là, sur mon lit sans sommeil, un tas de choses ont défilé devant mes yeux, sans chronologie, sans ordre d’importance.
Ce dernier attentat a brûlé des familles, a mis le pays en deuil… Mais le pays n’est-il pas en feu partout ?
Les gens sont divisés, transformés en ennemis l’un envers l’autres, les frères et soeurs se haïssent… « Eux ! » « Nous ! » voilà les deux mots qui sortent sans arrêt, de la fente buccale du masque d’islam porté par ceux qui dirigent. Et les gens reprennent en choeur et en coeur « vous » « nous ». Peu importe où ils se trouvent….
Corruption, vol, scandales… Les relations avec d’autres pays sont devenues n’importe quoi, on baisse le regard et on se tape la honte tous les jours. Terrorisant…
Il n’y a plus d’amour ni pour la nature, ni pour les arbres, ni pour les animaux, ni pour les êtres humains. Pillage, destruction, incendie, répression, violences… Ce n’est pas de la terreur ça ?
Les pauvres, sont plus pauvres que jamais, il y a des vieux qui se baladent sans dents. Ce n’est pas de la terreur ?
Les cerises se vendent à 11 livres turques le kilo, les prunes c’est pareil. Je n’ai jamais vu ça de ma longue vie. Les prix de plein de choses sont terrorisants.
Le risque de tremblement de terre, tiens… On paye des impôts de séisme, et que fait l’Etat pour la sécurité ? Même les terrains de secours sont pillés et construits. Si ça secoue grave, on n’a pas où fuir… Désolée mais ce n’est pas autre chose que de vivre dans la terreur 24h sur 24.
Il n’y a plus de tourisme. Les commerçants se déchirent, se battent, se blessent dans des bagarres généralisées pour s’arracher les trois touristes qui osent encore venir. Combien de cas sont enregistrés de ce genre de bagarres ! Ce n’est pas une forme de terreur peut être ?
Un tas de morts, encore plus que les attentats, dans les lieux de travail, par manque de sécurité. Mines, constructions, maladies professionnelles, produits toxiques et phytosanitaires… ou encore pendant les transferts du personnel lors des accidents de route, dans des véhicules trop remplis… Ce ne sont pas des massacres, des assassinats ?
Les médecins sont assassinés dans l’hôpital, les pharmaciens sont tués derrière leur comptoir. Des femmes, des centaines de femmes sont assassinées, des enfants sont abusés, violés, au sein d’écoles, d’associations, de leur propre famille. Les gens sont agressés, tués, au nom de la morale, de la religion, du nationalisme, par homophobie, par xénophobie, par racisme, mépris, haine… Ca peut paraitre comme des faits divers comme ça, mais non, c’est tout un ensemble de terreur.
Même les accidents de circulation, qui emportent des centaines de vie, qui surviennent parce qu’ignorance, parce qu’irrespect, parce que je m’enfoutisme, parce que manque de sécurité… Ne sont-il pas quelque part des massacres ?
Il y a ce « nous », « vous » partout. Même le fait de donner une place aux vieux et femmes enceintes dans les bus, ça a changé de forme. Chacun donne place « aux siens ». Je vous promets que c’est vrai.
Une partie de ceux qui ont les moyens, ne savent plus quoi faire pour l’avenir de leurs enfants. Ils se déchirent pour trouver de bonnes écoles, parce qu’elles sont transformées du jour au lendemain en imam hatip. D’autres sont contents de confier leurs gamins à l’enseignement petit à petit formaté, orienté.
En ce moment, le fait que les mariages soient faits par les imams est discuté. Je parle des mariages civils, hein, pas des mariages religieux.
Le vieux chnock qu’ils ont élu comme Président de l’Assemblée, déclare trankilou qu’il faut abolir la laïcité.
La mixité disparait dans les écoles, sur les plages, dans les wagons de train.
Ce n’est pas une révolution au mauvais sens du terme ? Une contre révolution ?
Quelle idée de remettre la construction de la Caserne de Topçu à la place du parc Gezi de nouveau, trois ans plus tard ? Le parc est là, il est fréquenté, il est fleuri, ça dérange qui ? Ca sert à quoi de ressortir ça à part mettre la poudre au feu ? Quel intérêt ? A part imposer son pouvoir, et imposer un magnifique symbole du mariage de l’obscurantisme et du profit ?
Ne me dites pas que j’ai fait un cauchemar dû à la mauvaise digestion. Non. C’est le paysage actuel. Tout le monde voit ça. Mais les interprétations sont différentes.
Il y a trop de choses. Tout en même temps. Alors si ça ne te plait pas, tu ne sais plus quoi faire. C’est un peu comme se trouver sous des rafales. Tu essayes de protéger ta tête, tu risques ton cul. Tu couvres ton cul, c’est ta tête qui est découverte…
Plein de gens, de tous les niveaux, qui essayent de continuer à vivre. Certains trouvent tout cela normal voire s’en réjouissent, jusqu’à frotter les mains des morts et en demander d’autres surtout s’il s’agit de ceux qu’ils appellent “eux”. Et il y en a d’autres qui s’en foutent royalement, tant qu’ils ne sont pas “concernés”, sans bien sur penser, qu’au bout du compte, leur tour viendra… Encore d’autres essayent de faire abstraction, tachant d’avoir ou de faire semblant d’avoir un présent et un avenir. Et il y a aussi ceux pour qui, rien que de vivre le jour, poursuivre ses études, aller travailler, se balader la main dans la main, aimer, sourire, espérer sont, dans toute leur simplicité, une résistance. Et puis il y a ceux qui luttent, et qui se trouvent derrière les barreaux.
Mais, je vous le dis, le demain est incertain. Le pays est en train d’être révolutionné.
Ils font en sorte que les nôtres…. Bon sang, quelle tristesse, je réalise que je dis moi aussi, « les nôtres » !!!
Souvenez-vous Abdülkadir Selvin représentant d’Ankara d’un journal pro AKP, qui avait dit après l’attentat d’Ankara, « Nous devons nous habituer à vivre avec la terreur». Bah non, il ne faut surtout pas s’habituer. Mais pas seulement aux attaques terroristes. C’est facile de dénoncer, de pointer le doigt sur la terreur, de passer à autre chose en disant « c’est des terroristes qui l’ont fait ». Tout ce qui m’a turlupinée pendant la nuit, sont aussi de la terreur. Et là, ce n’est pas les terroristes qui les commettent, c’est des gens parmi NOUS poussés, encouragés, soutenus. Et par qui ?