J’es­saye de trou­ver des styles dif­férents, de com­pos­er des phras­es qui ne se ressem­blent pas… Mais à quoi bon ? Je racon­te tou­jours la même his­toire qui se répète sans cesse.

Seuls les lieux, les mois, les années changent, les noms sont dif­férents. Ces noms qu’on a l’habi­tude de représen­ter en Turquie, par les ini­tiales… Et les pho­tos des vic­times, des por­traits de pho­to d’i­den­tité, avec une bande noire sur les yeux, ou vis­age flouté. J’ai tou­jours l’im­pres­sion que ça ne sert qu’à les ren­dre anonymes, presque irréels. Pour que tout le monde oublie qu’il s’ag­it de “vrais gens” et qui peu­vent être des amis, des proches, des voisins. C’est telle­ment plus facile de les trans­former ain­si, les réduire à de sim­ples chiffres à pos­er dans les statistiques.

Les sta­tis­tiques” mon­trent pour­tant un graphique ver­tig­ineux sur la crois­sance de la vio­lence faite aux femmes, vio­ls et meurtres.
Franche­ment je suis lasse de radot­er… On en a fait des arti­cles sur ce sujet. Lisez ça, ou encore ça, et ici, et … Ou mieux, vis­itez la rubrique “femmes” de Kedis­tan pen­dant que vous y êtes.

Vous lirez et vous ver­rez que dans la plu­part des cas, les juges font béné­fici­er les agresseurs, vio­leurs ou meur­tri­ers, des allège­ments de peines pour des motifs bidons. Le fait de porter un costard, ou par­ler poli­ment peut faire env­ol­er la moitié de la peine demandée. Il n’est pas rare non plus de voir les accusés par­tir tran­quille­ment, acquit­tés, car le tri­bunal peut aller jusqu’à décider, qu’une mineure de 15 ans, vio­lée par 8 adultes, était en fait, juste « con­sen­tante ». C’est la jus­tice patri­ar­cale. C’est bien cela, parce que quand une femme excédée ose descen­dre son bour­reau, elle n’a pas de réduc­tion de peine, elle. Même si elle s’est habil­lée pro­pre­ment, tenue tran­quille et a par­lé poli­ment. C’est la jus­tice moustache.

Cette fois-ci, nous sommes à Diyarbakır pour un viol com­mis en 2013.

Y.T. (22 ans) est dans une rela­tion sen­ti­men­tale avec Z.B. (14 ans). S’il vous plait, don­nons leur des prénoms… Allez, on va dire que le gars s’ap­pelle Yavuz et la fille Zeynep. 

Alors, Yavuz emmène Zeynep se promen­er dans le quarti­er de Çiftkapı. Un moment oppor­tun, il tire la jeune fille par le bras, der­rière les vieilles murailles. Il la frappe à la tête avec une pierre et quand elle s’é­vanouit, il la viole.

Zeynep, psy­chologique­ment très affec­tée n’en avait par­lé à per­son­ne jusqu’à ce que sa famille se rende compte qu’elle était enceinte et porte plainte. Depuis, elle avait accouché d’un petit garçon, et les tests d’ADN avaient con­fir­mé la pater­nité de Yavuz.

La suite sera un procès mous­tache dans un tri­bunal mous­tache qui abouti­ra à un ver­dict de moustachu.

Oui, j’ai spolié la fin de l’his­toire. Oui par­faite­ment. Mais, dites-moi franche­ment, à quoi nous atten­dions nous ?

Le pro­cureur avait donc demandé à l’en­con­tre de l’ac­cusé, une peine de prison jusqu’à 43,5 années, « pour abus sex­uel sur mineure, cau­sant des séquelles psy­chologiques et physiques » et pour « séques­tra­tion à but sexuel ».

Le ver­dict est tombé le 4 novem­bre : Yavuz a écopé d’une peine de 14 ans de prison pour les motifs demandés par le pro­cureur. Le Tri­bunal a allégé la peine à 11 ans, 8 mois pour “com­porte­ment respectable”.  Le tri­bunal a égale­ment souligné que la vic­time n’ayant PAS de prob­lème de san­té psy­chique du au viol, l’article pénal con­cerné n’était pas appliqué.

Hal­ime San­lı, l’avocate de la jeune fille, a annon­cé qu’ils allaient faire appel :  ” Le nou­veau Code Pénal indique claire­ment que la peine de prison dans ce cas de fig­ure ne peut être en dessous de 16 ans. Même l’ancien Code Pénal indi­quait un min­i­mum de 12 ans. La peine que l’ac­cusé écope est en dessous de toutes les lim­ites. Or il n’a jamais accep­té de recon­naître l’agression, ni jamais pronon­cé un quel­conque regret, et con­tin­ué à nier les faits. Il prof­ite d’une réduc­tion de « bon com­porte­ment ». Ce n’est pas du Droit. La Jus­tice qui con­damne des enfants pour avoir jeter des cail­loux, préserve un homme qui frappe, qui vio­le et qui met enceinte une mineure.”

Je n’ai rien à ajouter alors je laisse la plume à Uykusuz. Le mag­a­zine satirique heb­do­madaire, sur la cou­ver­ture de son dernier numéro, dénonce à sa façon, ce cas qui n’est qu’un exem­ple dans un océan…

uykusuz-couverture-12-11-2015

La rue du vio­leur Asım”
— Il était telle­ment respectable que nous avons été oblig­és de don­ner son nom à la rue où le Palais de Jus­tice se trou­ve
-Il était très respectable.


Illus­tra­tion : Détail du tableau de Titien, “Tar­quin et Lucrèce” 
(Ver­sion de Cam­bridge, la dernière des trois ver­sions que l’artiste a fait sur le même instan­ta­né : le viol de Lucrèce)

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.