J’avais décidé de prendre ma retraite en Turquie, mais vu que j’ai été sortie de mon lit en pleine nuit par ce terrible tremblement de terre, me revoilà devant vous, à gratter mon clavier.
En fait, j’avais toujours pensé, comme beaucoup de scientifiques, que ce serait sous le Bosphore que les failles sismiques céderaient en premier, et que je disparaîtrais avec les nouveaux ponts avant de voir les cent ans de la République.
Et, comme toujours, ce sont à contrario les Kurdes qui trinquent.
Et le bruit des verres cassés me sont parvenus aux oreilles, en même temps que les prières des mosquées.
Car oui, vous avez bien entendu, le son des prières en Turquie arrive avant celui des ambulances.
Imaginez ces pauvres gens, encore ensevelis sous des décombres, qui guettent le moindre des secours, et qui entendent soudain le son amplifié des salat (faire part de décès) qui leur parvient, dans leur prison de gravats. Comment leur dire mieux “mourrez en paix”, qu’en leur soufflant dans les oreilles une prière des morts ? “Il n’y en avait pas en stock pour encourager les secours” me dira-t-on. D’ailleurs, les secours de l’Etat auront sans doute quelque retard, le temps de remettre leurs chaussures.
Fort heureusement, j’ai vu les images des populations qui s’entraidaient, alors même que des immeubles s’effondraient encore. C’est le sable qui veut ça paraît-il, ça tient pas tout seul, surtout quand il est de mer et que la ferraille a manqué. Et il semble que l’on ait en plus égaré le guide de la construction en milieu propice aux tremblements, comme une Parkinson oublierait ses médicaments.
L’Etat veut tellement maîtriser ce qu’il ne fait pas que lorsque plus de 500 mineurs, formés aux sauvetages, attendent d’être embarqués dans des avions, il tergiverse et fait des moulinets sur les chaînes de télé du régime, en annonçant “la plus grande catastrophe depuis un siècle”, comme si ce record lui permettait de dissimuler son incapacité et impuissance, derrière cette colère d’Allah, qui nous dépasserait. Et, dans le même temps, le prix de base de la moindre des couvertures est multiplié par quatre, depuis ce matin. Les appels au secours eux, se multiplient aussi, et pas que parvenant de villages isolés, mais de villes entières, utilisant pour cela des images sur les réseaux sociaux. La Turquie est tellement divisée aujourd’hui qu’elle affiche le meilleur et le pire, en même temps.
Pourquoi elles et eux, dans la souffrance, et moi, devant ma télé à écouter le Reis encourager à prier, comme il encouragea à prier et descendre massacrer dans les rues, lors du pseudo coup d’Etat de 2016.
C’est encore pour lui “un cadeau du ciel”, cette catastrophe ? Il va en profiter pour repousser les élections, pour “l’unité de la Nation” ?
Et comme un complot religieux s’accompagne toujours d’un autre, ne voilà-t-il pas que sur l’oiseau bleu, toujours vivant en Turquie par miracle, je lis que ce serait un “coup des américains”. S’en suit toute une explication qui, “comme par hasard”, me confie sur le ton de la science infuse qu’il s’agirait là, d’une application grandeur nature et in vivo du grand projet HAARP. Ce projet, m’est-il spécifié s’attacherait à “étudier l’ionosphère et les perturbations de cette couche de la haute atmosphère par des orages magnétiques provoqués”. Ces mêmes “spécialistes” parlent aussi des chemtrails.
Ben oui, les Américains auraient provoqué ce séisme en Turquie et en Syrie pour effacer les traces de leur abandon des Kurdes et pour emmerder les troupes de Poutine en Syrie, tout en mettant en garde l’Iran, au choix. Un 7,8 géopolitique et stratégique…
Je n’ai plus avec ça que ma sérénité de vieille dame et ma résignation pour me consoler. Mon empathie m’est volée pour la passer dans un moulin à prières et en faire un élixir d’oubli et de soumission.
Car c’est bien ce qui est recherché : tuer l’humanité et réveiller le bigot crédule, pour que les sabliers qui s’écroulent ne dénoncent que le temps qui passe.
Oui, bien sûr, les lois votées dans les années 2000 en Turquie, après les grands séismes, “ont été appliquées à la lettre”. Toute construction neuve devait l’être aux normes anti-sismique et la corruption dans la construction devait disparaître. Alors, c’est quoi ces châteaux de cartes neuves qui s’effondrent ? Des jeux de poker menteur ?
Mais, me revoilà à jouer l’enquêtrice des travaux finis. Il est temps que je regagne ma retraite dans mon bâtiment, et que je prie, comme on me le demande. Dans mon for intérieur, je vais sans doute le faire… en préparation des élections.
Je ne ne sais pas qui du prophète ou de Biden l’emportera. Mais je sais à coup sûr que c’est la mort qui gagnera à la fin, comme toujours.
Image à la Une : A Malatya, s’est écroulée aussi, la mosquée Yeni Camii, bâti il y a 123 ans…
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