Plus s’ap­procheront les échéances élec­torales de 2023 en Turquie, et plus les attaques con­tre les Kur­des se fer­ont violentes.

Le régime de Turquie et surtout les frac­tions poli­tiques cor­rompues qui en sont socle et sou­tiens ont tiré les con­clu­sions de ce que fut la rup­ture du “proces­sus de paix” d’a­vant 2015, du “coup d’E­tat man­qué de 2016″, et surtout com­pris les béné­fices poli­tiques qu’ils pou­vaient tir­er d’une stratégie de ten­sion accom­pa­g­née d’une fibre nation­al­iste exacerbée.
Il ne fal­lait donc pas être devin pour savoir que l’at­ten­tat d’Is­tan­bul du 13 novem­bre était annon­ci­a­teur d’une péri­ode où le bouc émis­saire kurde servi­rait à nou­veau de car­bu­rant élec­toral pour le régime Erdoğan en difficulté.

Enne­mi de l’in­térieur, enne­mi de l’ex­térieur, omniprésence de la men­ace ter­ror­iste proclamée, instru­men­tal­i­sa­tion de toute con­damna­tions d’opposant.es poli­tiques avec ce motif, cela n’est pas nou­veau. La relance par la vio­lence de cette stratégie était aus­si attendue.
Ce régime est prévis­i­ble, et l’ap­proche de 2023, à la fois date du cen­te­naire de la République de Turquie, et donc glo­ri­fi­ca­tion du nation­al­isme kémal­iste, et échéance élec­torale déci­sive pour le pou­voir en perte de vitesse, va accélér­er les proces­sus poli­tiques, comme en 2015.

Soud­er la “Nation turque et sa République indi­vis­i­ble” con­tre l’ac­cusé “séparatisme kurde” présente plusieurs avan­tages, dont celui d’empêcher la nais­sance d’un bloc élec­toral tacite d’op­po­si­tion à Erdoğan entre les kémal­istes du CHP et l’élec­torat kurde, de som­mer le même CHP de faire front face aux “enne­mis de la Turquie”, et de faire porter les enjeux sur les ques­tions de sécu­rité intérieures et extérieures, dans une sit­u­a­tion géopoli­tique régionale très guer­rière, pas­sant au sec­ond plan la sit­u­a­tion économique catastrophique.

Un grand clas­sique de tous les pou­voirs autocratiques.

Ain­si, pour l’AKP et ses alliés ultra-nation­al­istes, pour présen­ter en 2023 l’im­age d’une “Turquie mod­erne” fêtant ces 100 ans, con­ciliant nation­al­isme et reli­gion, et ten­ant tête à ses enne­mis dans un con­texte région­al où les guer­res sont mul­ti­ples, il devient plus que jamais néces­saire de raviv­er la divi­sion et la haine con­tre un “enne­mi kurde de l’in­térieur” qui tir­erait sa force de ses “com­plic­ités ter­ror­istes de l’ex­térieur, en Syrie et en Irak”.
La relance de la guerre au PKK, (qui n’a pour­tant jamais cessé), avait besoin de sang. L’at­ten­tat d’Is­tan­bul l’a fourni.

Comme pour tous les atten­tats depuis plus d’une décen­nie, les coupables arrêtés et désignés res­teront des énigmes. Autre­fois Daech, con­tre les Kur­des, aujour­d’hui le PKK, con­tre la “nation turque”. Dans tous les cas, des enquêtes réelles qui n’aboutiront jamais, menaient pour­tant à de tout autres respon­s­ables et complicités.

L’af­faib­lisse­ment du mou­ve­ment kurde, par une répres­sion sys­té­ma­tique de ses acteurs, actri­ces poli­tiques, élu.es, de ses jour­nal­istes, artistes… l’ex­il d’un grand nom­bre, et le har­cèle­ment polici­er des sou­tiens défenseurs des droits humains a fait suite à la rup­ture du proces­sus de paix et aux actions mil­i­taires vio­lentes et meur­trières de l’ar­mée turque dans la par­tie turque du Kur­dis­tan en 2015. Demir­taş et beau­coup d’autres en prison, avec le silence tacite de l’op­po­si­tion CHP, voire la com­plic­ité, con­damnait pour un temps long le prin­ci­pal par­ti d’op­po­si­tion démoc­ra­tique à majorité kurde à la défen­sive per­ma­nente. Lui ver­rouiller une expres­sion pour 2023 en ré-ouvrant la vio­lence est donc une suite logique que s’emploient à met­tre en place des frac­tions sig­ni­fica­tives du pou­voir et des hommes clé.

N’ou­blions pas non plus que le cen­te­naire de la nais­sance de la République de Turquie est aus­si celui du découpage en qua­tre du Kur­dis­tan, et de l’at­tri­bu­tion des parts ain­si créées à qua­tre Etats- nation désignés de la région, Iran, Irak, Syrie et… Turquie.

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A l’échec relatif des ten­ta­tives mul­ti­ples d’Er­doğan d’im­pos­er une nou­velle occu­pa­tion de ter­ri­toires syriens, sous le pré­texte d’y installer les réfugiés en nom­bre et de “réduire l’in­flu­ence ter­ror­iste du YPG”, qual­i­fié de “ter­ror­istes kur­des”, suc­cède une cam­pagne de bom­barde­ments de sites névral­giques en Syrie Nord, et en Irak, que ce récent atten­tat viendrait donc “jus­ti­fi­er”.
Ces bom­barde­ments sont en effet présen­tés comme “repré­sailles légitimes” et accom­pa­g­nés par une pro­pa­gande médi­a­tique autour des 2 enfants tués dans l’ex­plo­sion, par­mi les 6 morts.

L’om­niprésence d’Er­doğan dans la diplo­matie inter­na­tionale, que ce soit en provo­quant à nou­veau la Grèce, autour du con­tentieux de Chypre, en se présen­tant comme “inter­mé­di­aire” après l’a­gres­sion russe de l’Ukraine, puis “sauveur” auprès des pays africains dans l’ac­cord d’ex­por­ta­tion des céréales, sans compter le rôle joué dans la guerre côté Arménie, se fondent donc dans le décor et masquent l’a­gres­sion en Syrie et en Irak.
Ain­si, un mem­bre de l’OTAN aus­si act­if deviendrait-il légitime à lut­ter con­tre SON “ter­ror­isme”, encore plus à user de “repré­sailles”, terme que l’on con­naît bien chaque fois qu’Is­raël légitime ses exac­tions con­tre les Pales­tiniens, en toute impunité inter­na­tionale depuis des années.

Ces “actions” mil­i­taires au nom de la lutte con­tre le PKK, que ce soit au Kur­dis­tan irakien ou au Nord Syrie, béné­fi­cient d’un silence com­plice et de sou­tiens tacites. Feu vert de la Russie en Syrie, sou­tien à peine masqué en Irak de l’en­tité poli­tique nation­al­iste du Kur­dis­tan, céc­ité d’un prési­dent améri­cain très occupé… Ne par­lons pas de la France, qui a déjà oublié le sem­blant de sou­tien apporté aux Kur­des dans leur lutte con­tre Daech. Elles s’in­ten­si­fient à inter­valles réguliers et s’ac­com­pa­g­nent d’as­sas­si­nats ciblés, qu’ils soient le fait de drones ou directe­ment de mem­bres des ser­vices turques.
Ain­si furent assas­s­inés récem­ment, et je ne cite que les plus emblé­ma­tiques, des activistes, militant.es, intellectuell.es, respon­s­ables poli­tiques kur­des, pour le sim­ple fait d’être kur­des et sou­tiens de la lutte com­mune : Nag­i­han Akarsel, Suheyl Xurşîd Ezîz, Yasin Bulut ou encore Zeki Çelebi… et que des exilé.es n’en sont pas à l’abri, tant les “ser­vices turques” sont act­ifs en Europe.

Les frappes de ces derniers jours dans les provinces syri­ennes de Raqa et Has­saké (nord-est) et d’Alep (nord) ont fait au moins 18 morts dans les rangs des Forces Démoc­ra­tiques Syri­ennes et 12 morts chez ceux du régime syrien, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), faisant aus­si 40 blessés, selon la même source.
L’ONG fait état de la mort d’un jour­nal­iste, Issam Abdal­lah, cor­re­spon­dant syrien d’une agence de presse kurde.
De leur côté les autorités autonomes kur­des étab­lis­sent un bilan d’au moins 29 morts.

89 cibles com­prenant des abris, tun­nels, dépôts de muni­tions, postes de com­man­de­ment et camps d’entraînement ont été détru­ites”, et “beau­coup de ter­ror­istes ont été neu­tral­isés”, c’est la thèse du min­istère turc de la Défense. Mais on sait que les “cibles” ont été davan­tage civiles, comme la destruc­tion de silos à grain ou d’in­fra­struc­tures essen­tielles (cen­trale élec­trique) pour les pop­u­la­tions, tout comme une unité pédi­a­trique en construction.

A not­er que l’on a pas enten­du de protes­ta­tions côté “régime de Bachar”, les assur­ances ayant été pris­es ces derniers mois entre Bachar et le régime turc, via la Russie. Le régime syrien en a cepen­dant prof­ité pour ciblé des posi­tions favor­ables à la Turquie près d’Idlib (Taftanaz), aidé par l’avi­a­tion russe.

On peut encore s’at­ten­dre à de nou­velles exac­tions sur le mode riposte/représailles de la part des forces mil­i­taires turques, et russ­es, qui pro­longeraient ce lourd bilan, sachant que des frappes ont été exé­cutées égale­ment en Irak. Des ripostes côté kurde, en légitime défense, auraient déjà tué plus de 47 sol­dats turcs sur dif­férents points de la fron­tière syri­enne, selon les FDS.

D’un “atten­tat à coupable qui aurait avoué” à un abcès de guerre qui est réou­vert, il y a toute une nième ten­ta­tive du régime d’Er­doğan pour lancer les élec­tions dans un con­texte où nation­al­isme rime avec sang et polar­i­sa­tion de la Turquie, alors que les regards du monde sont tournés vers la Russie et l’Ukraine.

Et bien que ces attaques sur le Kur­dis­tan aient sus­cité un peu partout des mobil­i­sa­tions de sou­tien au Roja­va, on peut penser que comme pour “la révolte irani­enne”, ces “prob­lèmes récur­rents du Moyen Ori­ent” res­teront des événe­ments que les médias com­mentent et que les dirigeants poli­tiques de ce monde évac­uent au prof­it d’une réal-poli­tique bricolée dans un G19, pour sauver les intérêts économiques et financiers à court terme, dans le con­texte de la guerre en Ukraine et ses reten­tisse­ments mondiaux.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…