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S’il est une demande des femmes, des jeunes et de tous ceux qui descen­dent dans la rue con­tre le régime en Iran, c’est bien celle-là. “Par­lez de nous, ne lais­sez pas le silence s’in­staller avec la répres­sion”.

Voilà quinze jours déjà que Jina (Mah­sa) Ami­ni, jeune femme de 22 ans, a suc­com­bé aux coups des forces irani­ennes, dont la brigade des moeurs, qui l’avaient arrêtée, pour sa mèche de cheveux qui dépas­sait. Voilà plus de dix jours que ce meurtre a catalysé une révolte poli­tique con­tre le régime des Mol­lahs, avec aux pre­miers rangs les femmes, jeunes et moins jeunes.

Toutes les con­tes­ta­tions de ces dernières années, épars­es et très dure­ment réprimées, ont trou­vé là une rai­son de se rejoin­dre dans la rue.

Même si en Iran, il n’y a pas en dehors du régime, une oppo­si­tion poli­tique forte­ment organ­isée, insti­tu­tion­nelle et vis­i­ble, même si les con­tra­dic­tions ne s’ex­pri­ment que par des élec­tions manip­ulées dont les can­di­dats appar­ti­en­nent à la caste dite de la révo­lu­tion de 1979, entre “durs” et “réfor­ma­teurs”, un mou­ve­ment de révolte trou­ve des relais aujour­d’hui dans tous les milieux soci­aux et dans les régions.

Minorités opprimées (Kur­des en par­ti­c­uli­er), vic­times des sanc­tions économiques qui a lit­térale­ment déclassé la classe moyenne, taux impor­tant de pop­u­la­tions jeunes éduquées, qui ne trou­vent aucun avenir dans cette société cade­nassée, jeunes, femmes et hommes, qui avaient ouvert des brèch­es sous l’ex prési­dence “réfor­ma­trice”, class­es pop­u­laires déçues des “promess­es” de vie meilleure du prési­dent actuel, intel­li­gen­cia qui jouait avec les con­tra­dic­tions du régime, tous et toutes se retrou­vent dans cette révolte de “la mèche de cheveux qui dépas­sait”. Ce régime qui dys­fonc­tionne n’a que la répres­sion pour agir.

Cette même révolte, lorsqu’elle a encore les moyens de s’ex­primer vers l’ex­térieur, fait preuve d’une con­science aigüe des con­nais­sances que beau­coup ont de ce qui s’est déroulé dans la décen­nie, en Iran même, mais surtout dans les Pays arabes. L’échec et les con­tre révo­lu­tions, et la par­tic­i­pa­tion active à celles-ci du régime iranien lui-même, est dans toutes les têtes. Les destruc­tions et les cen­taines de mil­liers de morts pour en défini­tive voir des tyrans tou­jours au pou­voir, et par­fois ce pou­voir ren­for­cé, mar­que autant les généra­tions jeunes et infor­mées, qu’a mar­qué la révo­lu­tion sanglante de 1979 les généra­tions antérieures.

Tout est donc à con­stru­ire, dans cette con­tes­ta­tion qui, pour le moment, tient encore tête dans la rue et sur les toits, face à un régime qui a tou­jours choisi la force sans retenue con­tre les révoltes.

Des appels à grève ont été lancés, dans l’en­seigne­ment supérieur, pour exiger la libéra­tion des empris­on­nés, dans le secteur énergé­tique, pour ten­ter de peser pour le niveau de vie, dans les trans­ports de Téhéran. Ce sera un test pour le mou­ve­ment qui, rap­pelons-le, reste organ­isé seule­ment sur les réseaux soci­aux que le régime ne cesse de couper, et au tra­vers du tis­su rela­tion­nel des jeunes ou des minorités.

En effet, la ques­tion de l’In­ter­net est pri­mor­diale, et le régime con­naît la portée et l’u­til­i­sa­tion de cette arme, tant pour la cir­cu­la­tion de l’in­for­ma­tion au sein de la révolte, et en tous points de l’I­ran, que vers l’ex­térieur, et la pub­li­ca­tion mon­di­ale d’im­ages de répres­sion qui dérangent, ou du mou­ve­ment qui fab­rique des images libératrices.

Offi­cielle­ment, les 41 morts sont atteints, et plus de 2000 arresta­tions ont été opérées. Les jour­nal­istes qui en rendaient compte sont pour grande majorité en prison. On peut sans se tromper mul­ti­pli­er ces chiffres pour attein­dre une cer­taine vérité.

Les images d’as­sas­si­nat par balles, de femmes, en pleine rue, démon­trent qu’il ne s’ag­it pas de main­tien de l’or­dre extrême, mais bien d’un acharne­ment délibéré pour tuer, con­tre les femmes en par­ti­c­uli­er. Plusieurs jeunes femmes en pointe au début du mou­ve­ment ont été sauvage­ment abattues à dessein.

On sait qu’une telle révolte, face à un tel régime oppres­sif, qui s’ap­puie sur la caste de ses affidés, ne peut chaque jour compter ses morts et ses arresta­tions et qu’il y aura néces­saire­ment des paus­es ou des reculs. Le régime le sait aus­si, qui cade­nasse l’in­for­ma­tion, en interne et en direc­tion de l’étranger.

Ce régime compte aus­si sur la re-négo­ci­a­tion plus ou moins en cours du traité sur le nucléaire iranien, qui allègerait les sanc­tions, d’au­tant que l’I­ran est une puis­sance gaz­ière, den­rée dis­putée. La France, entre autres, est sur les rangs avec Total et déjà en proces­sus de con­trat. Les Mol­lahs obser­vent de près les réac­tions des gou­verne­ments occi­den­taux qui pour le moment font le min­i­mum diplo­ma­tique. La France a même offert une charge poli­cière bien vis­i­ble devant l’am­bas­sade d’I­ran, con­tre une man­i­fes­ta­tion de sou­tien. Lon­dres également.

Les Irani­ennes et Iraniens ne peu­vent donc compter que sur les opin­ions publiques inter­na­tionales, les relais soci­aux et poli­tiques, les artistes, sportifs, toute per­son­ne ayant audi­ence, pour ne pas être les oublié.es d’une réal-poli­tique qui con­tin­ue avec la guerre en Ukraine et les ques­tions de four­ni­ture énergé­tique. Les droits des femmes sont déjà la dernière roue du car­rosse, alors, pensez, les droits de l’homme, c’est bon pour une phrase d’introduction.

Voilà pourquoi toute réponse à la demande des Irani­ennes de bris­er le silence est bien­v­enue, surtout lorsqu’elle fait sens avec leur combat.

Notre amie Zehra Doğan et celles et ceux qui l’en­tourent à Berlin ont donc décider sym­bol­ique­ment de réa­gir à l’am­bas­sade d’I­ran il y a quelques jours.

Zehra, artiste et jour­nal­iste kurde, qui fut per­sé­cutée par le régime turc, util­isa en prison du sang men­stru­el pour pro­test­er. Ce tabou, tout comme celui des cheveux ren­con­tra alors une vive oppo­si­tion des geôlier.es.

Ain­si, réu­tilis­er cette force du tabou con­tre l’I­ran actuel et la prison pour femmes qu’il représente, exprimer aus­si sa sol­i­dar­ité kurde con­tre le mas­sacre de Jina Ami­ni, devint pour Zehra une néces­sité absolue.

Voici un extrait vidéo de cette inter­ven­tion en sou­tien, que vous pou­vez relayer.

 

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Kedis­tan a par­ticipé égale­ment à d’autres ini­tia­tives vidéos.

Rien n’est dérisoire, rien n’est inutile, dès lors où un geste, un acte, une prise de parole, une action col­lec­tive, est relayée et des­tinée à ren­dre leur lutte vis­i­ble et mon­tr­er un sou­tien, et qu’elle fait sens, dès lors où il ne s’ag­it pas d’une instru­men­tal­i­sa­tion intéressée, que ce soit par les islam­o­phobes ou des habitué.es de l’é­go en bandoulière.

Ain­si, il serait faux de con­sid­ér­er que nous sommes impuis­sants pour aider la révolte des femmes en Iran. Toute ini­tia­tive ren­due vis­i­ble, relayée, est une réponse au cri des Irani­ennes, “ne nous lais­sez pas seules”.

iran jina amini

Par Gian­lu­ca Costan­ti­ni sur channeldraw.org

Il est bien évi­dent que cette forme de sou­tien à min­i­ma, doit s’ap­pli­quer aus­si à toutes les luttes que mènent les femmes, en Afghanistan, pour ne citer qu’elle.

 

Image à la Une : Gian­lu­ca Costantini


 

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