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Le par­ti d’ex­trême droite turc du Mou­ve­ment nation­al­iste (MHP) a pro­posé un pro­jet de loi qui vise une fois de plus à restrein­dre par­ti­c­ulière­ment le fonc­tion­nement des médias et des jour­nal­istes opposants. 

Si cette loi, con­tenant des dis­po­si­tions restreignant la com­mu­ni­ca­tion, la pub­li­ca­tion, l’in­ter­pré­ta­tion et la lib­erté d’ex­pres­sion, dans les médias imprimés, audios ou visuels est adop­tée, elle affectera tous les médias indépen­dants béné­fi­ciant d’un sou­tien étranger à la Turquie, quel qu’il soit, et les met­tra dans l’im­pos­si­bil­ité de tra­vailler, et dans les faits, d’exister…

Le pro­jet de loi oblige les insti­tu­tions médi­a­tiques et les jour­nal­istes rece­vant des fonds directs ou indi­rects de l’é­tranger et perce­vant des revenus à par­tir de ces fonds, à enreg­istr­er un “représen­tant du cen­tre étranger” auprès du min­istère de l’In­térieur. Selon le pro­jet de loi, le représen­tant devra soumet­tre tous les doc­u­ments req­uis par le min­istère, et ain­si l’ensem­ble des activ­ités des médias et des jour­nal­istes sera enreg­istré et con­trôlé par le min­istère. Tous les doc­u­ments écrits ou numériques des médias doivent être tenus prêts à être inspec­tés par le min­istère. Les médias et les jour­nal­istes devront fournir des détails sur les activ­ités menées à l’aide de fonds étrangers.

Le pro­jet de loi prévoit égale­ment des sanc­tions en cas de non-respect de ces dis­po­si­tions. Les médias ou les jour­nal­istes rece­vant des fonds étrangers peu­vent être con­damnés à une peine de deux à cinq ans de prison ou à une amende de 100 milles Livres turques (près de 10 milles Euros) à 1 mil­lion de LT (près de 100 milles Euros), s’ils n’en­reg­istrent pas le représen­tant de leur cen­tre étranger auprès du min­istère de l’In­térieur. Par ailleurs, le fait de “ne pas partager des infor­ma­tions” avec le min­istère peut entraîn­er une peine de prison d’un à trois ans.

Le directeur des com­mu­ni­ca­tions de la Prési­dence, Fahret­tin Altun, avait lais­sé enten­dre déjà en juil­let qu’une nou­velle régle­men­ta­tion serait adop­tée pour les médias qui reçoivent un sou­tien financier de l’é­tranger : “Le gou­verne­ment suit de près les allé­ga­tions selon lesquelles une fon­da­tion, dont le siège est aux États-Unis, finance cer­tains médias en Turquie”, a déclaré Fahret­tin Altun, “Il est évi­dent qu’il est néces­saire de met­tre en place une régle­men­ta­tion pour les organ­i­sa­tions médi­a­tiques opérant dans notre pays avec des fonds four­nis par des gou­verne­ments ou des organ­i­sa­tions étrangères.”

Fahret­tin Altun fai­sait référence à l’époque, à la fon­da­tion Chrest, dont le siège est aux États-Unis, qui, selon les infor­ma­tions publiques disponibles, a fourni des fonds à Medyas­cope, Serbestiyet, 140 Journos et P24. Ces derniers furent récem­ment visés par des “dénon­ci­a­tions” sur les réseaux soci­aux, comme “des médias au ser­vice” de fameux “enne­mis étrangers qui veu­lent détru­ire la Turquie” pro­duit de la “fab­rique d’en­ne­mis” de l’in­tel­li­gence nation­al­iste turque… For­cé­ment, l’in­for­ma­tion pro­duite par ces médias indépen­dants et opposants au régime est con­sid­érée par ce dernier comme “pro­pa­gande” et “fake news”. Au cas où nous ne le sauri­ons pas toutes et tous, la Turquie se porte à mer­veille, et c’est un par­adis où il fait bon vivre…

Avec des pra­tiques d’ac­qui­si­tion par des con­glomérats pro-régime, ou des régu­la­tions visant à exercer une pres­sion finan­cière, le régime pos­sède déjà ses “médias alliés”, qui occu­pent une grande par­tie du paysage médi­a­tique turc. Il ne reste plus que les enseignes indépen­dantes qui rela­tent tant bien que mal, les réal­ités. Et ce, sous men­ace de fer­me­ture, de sanc­tions à tout bout de champ…

Les con­di­tions sont dev­enues qua­si impos­si­ble pour les jour­nal­istes qui ne veu­lent pas entr­er dans le “droit chemin” défi­ni par le régime, et qui insis­tent pour faire du jour­nal­isme. La Turquie est l’un des plus grands geôliers de jour­nal­istes pro­fes­sion­nels au monde et se classe 153e sur 180 pays en ter­mes de lib­erté de la presse, selon Reporters sans fron­tières (RSF), qui pour­tant ne prend pas sou­vent en compte, les jour­nal­istes dit “sans carte de presse”. En réal­ité, la carte de presse turque est refusée à un grand nom­bre de jour­nal­istes, et de fait ils-elles sont pour­suiv­iEs, empris­on­néEs, accuséEs de “ter­ror­isme”…

Les médias indépen­dants turcs, et les ver­sions en turc des organes d’in­for­ma­tions appar­tenant à des gou­verne­ments étrangers, tels que Deutsche Welle, BBC et Voice of Amer­i­ca, sont les derniers rem­parts d’une vraie infor­ma­tion, et bien évidem­ment, le régime s’ef­force de les musel­er.

La presse étrangère en Turquie et les organ­i­sa­tions de presse financées depuis l’é­tranger sont ciblées par le gou­verne­ment depuis un cer­tain temps. La ques­tion fut soulevée par le rap­port pub­lié par le SETA, (Fon­da­tion pour la recherche poli­tique, économique et sociale), un think-tank poli­tique, basé à Ankara. S’est pour­suiv­ie ensuite, une dis­cus­sion sur les fonds perçus de l’é­tranger, et le gou­verne­ment n’a pas man­qué d’an­non­cer, à chaque occa­sion, qu’un arrange­ment devrait être con­clu sur cette ques­tion. Il n’est pas nou­veau que les médias indépen­dants et inter­na­tionaux soient accusés de la sorte. Il y a deux ans, SETA, était déjà mon­tré comme “une men­ace” pour la sécu­rité nationale, en pub­liant notam­ment publique­ment les noms des jour­nal­istes et des médias, et en apparentant leurs activ­ités jour­nal­is­tiques à de “l’es­pi­onnage”. Par ailleurs, dans un com­mu­niqué, RTÜK, le Con­seil supérieur de l’au­dio­vi­suel, a déclaré que les organ­i­sa­tions de médias rece­vant des fonds d’in­sti­tu­tions étrangères “peu­vent entraîn­er des prob­lèmes de sécu­rité nationale”.

L’As­so­ci­a­tion des jour­nal­istes européens (AEJ), l’In­sti­tut Inter­na­tion­al de la Presse (IPI), et tels que PEN Inter­na­tion­al, le Syn­di­cat turc des Jour­nal­istes (TGS), les organ­i­sa­tions de pro­tec­tion de la lib­erté de la presse, ont pub­lié des déc­la­ra­tions à leur tour, con­damnant ces propos…

Qu’en sera-t-il égale­ment des “bours­es” ou “prix” reçus par des jour­nal­istes de Turquie, de la part d’In­sti­tu­tions étrangères ?

Ce n’est pas une sur­prise de voir que la volon­té de “musel­er” les voix dis­cor­dantes aux aspi­ra­tions du régime se trans­forme en une loi coerci­tive. Et finale­ment, le fait que ce pro­jet soit présen­té par le MHP ne l’est pas non plus, parte­naire prin­ci­pal du régime…

Le pro­jet de loi pro­posé sera débat­tu par une com­mis­sion par­lemen­taire avant d’être soumis au vote de l’Assem­blée générale.


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