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En Turquie, un pack de lois, liées à la “censure” vient de voir son projet initial retiré. Ce projet concernant l’alimentation, l’agriculture et les forêts, lancé le 24 juin 2020, était très contesté et fut dénoncé par 61 associations et organisations de la société civile, dénonciation appuyée par une pétition.
Nouvelles lois, nouvelle censure !
Cette nouvelle loi stipulait : “toutes les publications écrites, visuelles et sonores, contraires à la réalité, qui ne rentreraient pas dans le cadre des publicités commerciales émises à travers les outils numériques, et qui, en créant chez les consommateurs, de l’inquiétude, de la peur, de la défiance concernant l’alimentation, et affecteraient en conséquence les habitudes de consommation seront considérées comme “publications trompeuses” et leurs auteurs passibles d’amendes de 20 à 50 mille livres turques”.
Ainsi, ce texte rendait impossible, la communication de toutes opinions, informations, avertissements, recherches, concernant les produits alimentaires contenant des additifs, conservateurs, ou encore des produits génétiquement modifiés et la possibilité de prévenir le public des dangers de produits malsains.1
Ce type de lois de censure de l’information anéantissent toute liberté d’expression pour les auteurEs, journalistes, scientifiques et médecins bienveillants et critiques. Les lanceurs d’alerte sont criminalisés.
Le retrait du pack de lois en question n’est qu’une petite bataille gagnée contre la censure.
Museler tous les médias…
Si on use de la formule “qu’une petite bataille”, c’est parce que ce n’est pas seulement l’alimentaire qui était visé par des lois non éthiques autorisant et légitimant la censure. Cette démarche muselière se multiplie dans divers domaines de l’information et de différentes façons.
Le régime turc produit des efforts colossaux pour rendre inaudible toute voix qui s’élève à son encontre. La presse, les réseaux sociaux…
Bien que lui-même, son parti le AKP, les membres de gouvernement, ses proches, et ses “aktrolls” usent et abusent des réseaux sociaux, Erdoğan déclare, de discours en discours, qu’il “y mettra de l’ordre”. Et ce, depuis la révolte de Gezi en 2013 lors de laquelle les réseaux sociaux ont joué un rôle primordial pour l’information et l’auto-organisation des protestataires.
Courant juillet 2020, Erdoğan annonçait lors d’une visioconférence depuis Ankara : “Comprenez-vous maintenant, pourquoi sommes-nous contre YouTube, Netflix [prononcé ‘nechflis’], Twitter… ce genre de réseaux sociaux ? C’est pour faire disparaitre ces immoralités. Ceux-là, mes citoyens, ils ne possèdent pas de moralité. Comme dit Âkif,2 ‘L’effondrement le plus monstrueux est celui de la moralité. Car ni la Nation peut être sauvée, ni la liberté’. Nous sommes les petits enfants, les enfants d’une Nation dont la moralité est éminente, les valeurs de civilisation éminentes. Et nous ne voulons pas vivre, ni voir ces progrès qui ne méritent pas cette Nation. Le sujet sur lequel nous devons nous focaliser ici, est : comment se fait-il que les médias et particulièrement les enseignes de réseaux sociaux sont devenus des instruments d’un tel pourrissement. Il est impératif de mettre en ordre, ces médias, où le mensonge, la calomnie, les attaques aux droits individuels, les attentats à la réputation, sont devenus un fléau. Ces médias ne siéent pas à cette Nation, à ce pays. Nous voulons les porter le plus rapidement possible à notre Parlement, mes chers citoyens, et la suppression totale et le contrôle de ces médias.”
[Traduction fidèle des propos, sans correction rédactionnelle…]
Bien sûr, pour des raisons techniques, mais aussi commerciales, la suppression totale des médias et réseaux sociaux est irréaliste. Leur contrôle est difficile. La Turquie n’a pas les moyens techniques ni structuraux d’une Chine qui parvient à le faire… Mais le souhait d’Erdoğan s’est tout de même concrétisé dans une version plus adaptée : Le 1er octobre dernier, une nouvelle loi est entrée en vigueur en Turquie, pour renforcer le contrôle du gouvernement sur les réseaux sociaux.
Le régime turc exige des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Instagram, d’avoir chacun un représentant en Turquie, et à se plier, sous 48 heures, aux décisions des tribunaux turc demandant le retrait de contenus signalés. La loi menace les plateformes, en cas de non-respect de ces obligations, d’une conséquente réduction de bande passante et d’amendes allant jusqu’à 4,3 millions d’euros. Par ailleurs, la loi appelle Facebook et Twitter à stocker les données des utilisateurs situés en Turquie, dans le pays-même. Début octobre Facebook et Instagram ont rejeté l’obligation de la Turquie de nommer des représentants dans le pays.
Commerce et compétitivité obligent, ne voulant pas risquer une interdiction totale d’accès depuis la Turquie, des plateformes comme Netflix, BluTV, Amazon Prime Video parmi d’autres, se sont déjà pliés à la demande de la Turquie. Quant à des “retardataires” dont Spotify, FOXplay, ils ont finalement répondu à l’ultimatum de 72h émis par RTÜK, en soumettant une demande de nouvelle licence conforme aux exigences du régime…
Nous n’aborderons pas, dans cet article, les suppressions et suspensions de comptes d’usagers déjà effectués avec zèle par les modérateurs de ces plateformes, souvent sur signalements massifs.
“Interdictions de publication”
Parlons donc, par contre, de “l’interdiction de publication” ou d’information, un “concept” particulier, super moyen de censure et d’oppression…
Cette interdiction peut être mise en vigueur sur un sujet par le Conseil supérieur de l’audiovisuel turc (RTÜK) chargé de contrôler et de censurer les médias. Mais elle peut être déclarée également par décision d’un tribunal, dans une version élargie aux médias sociaux, et tous supports sur Internet, interdisant alors, à tout quidam de parler sur le sujet concerné. Même si ces décisions contreviennent à certains articles de la loi sur la presse, elles sont pratiquées régulièrement et abusivement…
En résumé, ces interdictions de publication sont déclarées à tout bout de champs, dès qu’il s’agit de “sujets sensibles”, que le pouvoir préfère étouffer, ou voir communiqué “autrement”, par le biais des médias à ses ordres. Evidemment, les journalistes qui mènent les enquêtes et informent l’opinion publique sont arrêtéEs, les utilisateurs et utilisatrices des réseaux sociaux qui prennent le risque de partager leurs avis, ou relayer les tweets des autres, sont poursuivis.
Il existe d’innombrables exemples. On peut citer les attentats de Reyhanlı en 2013, ou de Suruç et d’Ankara en 2015, attribués à daesh… Pour celles-ci même si on pourrait logiquement penser que l’ouverture d’une enquête pouvait nécessiter une telle mesure, cela ne serait recevable que dans un contexte démocratique qui assurerait un mécanisme de justice fonctionnel et indépendant… Ce qui n’est pas le cas en Turquie.
Censure décidée lors de l’invasion d’Afrin, puis de celle du Nord Syrien, hors des versions de médias officiels.
Un autre exemple récent : en septembre dernier, deux hommes kurdes torturés et “jetés” d’un hélicoptère de l’armée furent hospitalisés dans un état très grave, et l’un d’entre eux y perdit sa vie. Cette information créa une très forte indignation, beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux et s’en suivirent des déclarations dénonçant ces méthodes barbares. Mais… les quatre journalistes, Adnan Bilen (MA), Cemil Uğur (MA), Şehriban Abi (Jinnews) et Nazan Salaqui, qui menèrent les investigations furent accuséEs de “terrorisme” ayant “informé sur des événements sociaux, à l’encontre de l’Etat”. Ils sont aujourd’hui en prison…
Pendant ce temps, les médias au service du pouvoir, tapissent leurs Unes, de noms d’intellectuels, de défenseurEs des droits, de journalistes déclaréEs “terroristes, venduEs, traitres, ou encore espions à la solde des pays étrangers ennemis”, et les affichent ainsi comme des cibles grandeur nature, à la merci de n’importe quel individu zélé qui userait de quelques violences, quand ils-elles ne sont pas directement prises en étau par la machine juridique. L’expression critique est criminalisée, c’est la case prison ou l’exil…
Mais le refus d’obtempérer, d’autocensure ou de silence, peut aller encore plus loin… Un autre exemple est celui de Can Dündar, le journaliste ayant mis à la lumière de jour l’existence des camions remplis d’armement destinés à daesh. Le journaliste est aujourd’hui en exil en Allemagne. Il est poursuivi pour “trahison et espionnage” car il aurait “révélé des secrets d’Etat avec intention de lui nuire”. L’accusation même apparait quelque part, comme la reconnaissance de cette aide, en la qualifiant de “secret d’Etat”. Un tribunal d’Istanbul l’a déclaré le 7 octobre dernier, comme “fugitif”, et a ordonné la saisie de ses biens…
En Turquie, les lanceurEs d’alerte sont donc priéEs de se taire, les populations de baisser la tête et de continuer à survivre dans le silence, si possible en consommant…
“Interdiction d’informer” sur l’assassinat de Samuel Paty, sauf propagande !
Pendant que nous préparions cet article, une dernière “interdiction de publication” est tombée. Elle concerne l’enseignant Samuel Paty atrocement assassiné en France par un islamiste. A l’inverse, les médias aux ordres continuent à communiquer d’immondes fausses informations, clairement orientées, avec l’effort de modifier l’opinion publique… Vous pouvez en prendre conscience ci-dessous…
(1) Akit / Le jeu sournois de Macron contre les musulmans : Il a fait faire par les renseignements français et il prend pour cible les musulmans.
Dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat d’un enseignant en France, le nombre de personnes placées en garde-à-vue est monté à 9. Macron, le Président de la France qui joue une pièce de théâtre sanglant pour légitimer la “lutte contre l’Islam”, suite à l’attaque qui selon des allégations serait perpétrée par les renseignements français, a pris comme cibles l’Islam et les musulmans.
(2) Akit / Discrimination au sein des élèves
Il est communiqué que l’enseignant, lors de son cours donné aux élèves de niveau primaire, a montré les caricatures représentant d’une façon immonde le prophète Mohammed, et qu’il a attiré les réactions des parents d’élèves. Il est annoncé que l’enseignant qui a montré un comportement discriminatoire, en demandant aux élèves musulmans de lever les mains et de faire un pas en avant, était déjà signalé à ses supérieurs pour pédo-pornographie. L’enquête est prise en main par le bureau du procureur de lutte contre la terreur. Dans le cadre de l’enquête, est étudiée une vidéo dans laquelle un des parents d’élèves qualifie les actes de l’enseignant comme inappropriés et le dénonce à ses supérieurs. Par ailleurs, le président Macron qui a visité le lieu de l’événement, a qualifié l’événement comme “attaque terroriste islamiste”.
(3) Les mêmes propos orduriers en copier-coller sur un autre “journal” parmi de nombreux autres…
On ne peut que remarquer que cette presse là orchestre les informations ordurières fournies et diffusées par les “Frères”.
Qui tient la laisse de la censure ?
Ainsi, on trouve un fonctionnement qui entretient l’illusion d’un fonctionnement étatique, avec ses lois, sa justice, des contre-pouvoirs. En y regardant de près, ce paravent démocratique cache en réalité le pouvoir oligarchique qui agit en cartel.
En langage militaire “qui tient les hauts tient les bas”. Ainsi, la censure reste légitimée par une justice aux ordres, et orchestrée directement par le pouvoir totalitaire, qui lance les fatwas si nécessaire et les fait enregistrer par la caisse de résonance d’un parlement réduit au rôle de croupion, où des partis s’opposent entre eux, pour garantir l’illusion démocratique. Ce qui est déjà le cas dans nombre de démocraties dites parlementaires est là poussé au delà même de la caricature. Ainsi la “presse”, contractée et soumise à censure, pourrait aussi apparaître comme contre-pouvoir toujours existant, alors qu’elle est de fait réduite à l’auto-censure, tandis que s’affichent par ailleurs les moyens colossaux de la propagande de l’oligarchie régnante.
Ce n’est pas une nouveauté que d’écrire que la censure est la règle en Turquie. Encore moins de devoir en permanence rappeler que “le journalisme n’est pas un crime”, face aux vagues d’arrestations ou d’intimidations. Mais il nous avait semblé nécessaire de décortiquer une petite partie du fonctionnement pervers de cette censure.
Enfin, concernant les réseaux sociaux, s’il est bon de dire que les GAFA ne sont pas des philanthropes de la démocratie, il est nécessaire à l’inverse, de préserver leur accès là où il est encore libre, pour y jouer le rôle de contre-pouvoirs et de lanceur d’alertes. Ils ne sont que les outils numériques à préserver d’une agora contre la censure, dans l’océan de la “communication”. Mais il suffit de constater comment partout, les totalitarismes existants, ceux en gestation comme les pantins qui y prétendent, s’agitent pour les contrôler, pour comprendre qu’il faut refuser la laisse et le collier tendus.