Les bureaux d’Ankara de la Cham­bre des archi­tectes (TMMO) décer­nent depuis six ans les “Prix de la presse Emre Mad­ran dans le domaine de la pro­tec­tion du cadre environnemental”.

Ces prix récom­pensent les travaux jour­nal­is­tiques menés en lien avec la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, du pat­ri­moine, de l’ur­ban­isme ou encore la sol­i­dar­ité, prix remise en mémoire de l’ar­chi­tecte Emre Mad­ran, décédé le 26.09.2013. C’é­tait un enseignant uni­ver­si­taire très appré­cié. Il a oeu­vré durant toute sa vie pour la pro­tec­tion du pat­ri­moine culturel.

Le pal­marès de 2021 fut annon­cé le 27 sep­tem­bre dernier.

Par­mi les nom­breux lau­réats, se trou­ve, l’émis­sion d’é­colo­gie “Yeşil Pencere” (La fenêtre verte), de la chaîne fémin­iste kurde Jin TV, dif­fu­sant depuis les Pays-Bas. L’émis­sion pro­duite par Güler Yıldız fut récom­pen­sée dans le domaine du jour­nal­isme télévisé inter­na­tion­al, pour ses sujets sur les destruc­tions de la nature, par la pro­liféra­tion incon­trôlée de cen­trales hydroélec­triques (HES) et les extrac­tions minières.

Le plaisir de Güler Yıldız, une jour­nal­iste con­fir­mée et expéri­men­tée qui vit aujour­d’hui en Europe, n’a duré qu’à peine 24 heures. Elle fut prise comme cible par les jour­naux aux ordres du régime, les trolls de l’AKP, mais aus­si par l’U­nion de la jeunesse de Turquie (TGB).

Le TGB, “Türk Genç­lik Bir­liği” qui se décrit comme “l’or­gan­i­sa­tion de lutte com­mune de la jeunesse turque unie autour de l’ob­jec­tif de l’indépen­dance nationale et des réformes de la République”, est une organ­i­sa­tion de jeunesse kémal­iste. Bien qu’elle refuse tout lien organique, il est étroite­ment asso­cié au Par­ti des tra­vailleurs (IP) dont le nom fut changé en 2015 en Par­ti Patri­o­tique (Vatan), tou­jours présidé par Doğu Per­inçek. Fondée en 2006, Le TGB com­prendrait 65 clubs et sociétés étu­di­antes issues de plus de 40 uni­ver­sités turques. Le TGB s’op­pose à toute adhé­sion future de la Turquie à l’U­nion européenne et à toute coopéra­tion avec ce qu’il appelle “l’im­péri­al­isme améri­cain”. En  résumé, le TGB qui se veut “pro­gres­siste et révo­lu­tion­naire”, utilise la forme d’ex­pres­sion la plus éculée qu’on puisse imag­in­er, et en par­ti­c­uli­er se tar­gue d’une oppo­si­tion anti-AKP qui s’adresse à sa base, et pour­tant ne gêne en rien le régime, posant même par­fois fière­ment pour des self­ies. Il mène une poli­tique de jeunesse sur une ligne ultra nation­al­iste, raciste, incar­née par des jour­naux tels que Aydın­lık, Sözcü

Une large attaque, dans la presse et médias alliés, sur les réseaux sociaux…

On dénonce ce qui serait un scan­dale ! Le hash­tag de la “cam­pagne” de dén­i­gre­ment exprime approx­i­ma­tive­ment “TMMO récom­pense le PKK”. Dans la presse, manchettes et arti­cles pas plus longs que le résumé suiv­ant ; “La Cham­bre des archi­tectes qui a décerné un prix à la chaîne du PKK, pour soi-dis­ant des émis­sions sur l’é­colo­gie”…  La même manchette, les mêmes visuels, le même court texte sans vrai con­tenu, se mul­ti­plie, se clone comme d’habi­tude, dans la nuée de médias du copi­er-coller… C’est telle­ment fla­grant, que nous ne pou­vons même pas vous faire plaisir avec quelques autres vari­antes de manchettes. La quin­tes­sence du vide…

Güler Yıldız livre ces pro­pos à Kedis­tan : “Le prix décerné par la Cham­bre des archi­tectes d’Ankara, à l’émis­sion d’é­colo­gie, “Yeşil Pencere” que je pro­duis et présente sur Jin TV, est pré­cieux pour plusieurs raisons : avant tout, ce prix est une récom­pense de moti­va­tion qui encour­age Jin TV, qui est une chaîne télévisée qui existe seule­ment avec la sueur et l’én­ergie des femmes. Mais aus­si, cela démon­tre que cette émis­sion s’adresse à tous les milieux, sans dis­crim­i­na­tion, avec la même sincérité.”

Güler Yildiz

Quant à la Cham­bre des archi­tectes, elle pub­lie un texte très élo­gieux, et pré­cise que “tous les ans, après avoir étudié avec soin le tra­vail des jour­nal­istes et des médias, ces prix sont décernés à celles et ceux qui insis­tent pour faire du jour­nal­isme avec déter­mi­na­tion, mal­gré toutes les oppres­sions, et qui écrivent et pub­lient les réal­ités pour une poli­tiques d’ur­ban­i­sa­tion saine et pour la pro­tec­tion de nos pat­ri­moines his­toriques, naturels et cul­turels”. Le com­mu­niqué annonce un dépôt de plainte.

Où qu’ils soient dans le monde, peu importe à quel peu­ple, cul­ture, ou croy­ance ils appar­ti­en­nent, nos pat­ri­moines cul­turels sont uni­versels” ajoute la déc­la­ra­tion, “les seuls mots que nous avons à pronon­cer, face aux dis­cours calom­ni­a­teurs, aux lyn­chages et provo­ca­tions dis­crim­i­na­toires, plan­i­fiées à l’en­con­tre de celles et ceux qui  oeu­vrent pour la pro­tec­tion de nos pat­ri­moines, est, comme notre maître Emre Mad­ran le dis­ait ‘Edep ya hu” [équiv­a­lent de ‘un peu de décence bon sang’].

Pour un monde sain et un envi­ron­nement pro­pre, il est de notre respon­s­abil­ité de vain­cre cette médiocrité !”

Güler Yıldız pense que “cette réac­tion agres­sive, raciste et haineuse à l’en­con­tre de cette émis­sion a un sens et nous démon­tre que nous devons réfléchir encore plus et en pro­fondeur sur l’é­cofémin­isme, l’é­co­cide, l’é­co-fas­cisme, la pétro-mas­culin­ité.” Elle nous dit “nous con­nais­sons la Turquie assez bien pour savoir qu’écrire la vérité fait mal. Nous savons bien qu’une men­tal­ité qui brûle des forêts, qui vend des forêts appar­tenant à l’É­tat à des sociétés minières, qui marchande les riv­ières, les pâturages, les mon­tagnes, aux cap­i­taux étrangers, et qui voudrait bris­er, veut détru­ire surtout les organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles qui s’y opposent.”

La Cham­bre des archi­tectes d’Ankara, est égale­ment une organ­i­sa­tion pro­fes­sion­nelle con­nue pour ses procès inten­tés et gag­nés con­tre le pil­lage écologique par le gou­verne­ment Erdoğan. Ils veu­lent punir cette organ­i­sa­tion, en nous attaquant sous pré­texte de la récom­pense qu’elle nous a décernée. Ils essaient de créer des preuves de la neu­tral­i­sa­tion de grandes organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles telles que TMMOB (Union turque des cham­bres d’ingénieurs et d’ar­chi­tectes) avec de telles manchettes. Et ils font cela en usant les petits bras de l’É­tat pro­fond, à tra­vers une organ­i­sa­tion fas­ciste appelée Union de la jeunesse de Turquie,” pré­cise Güler et elle ajoute, “la Cham­bre des archi­tectes a répon­du à cette cam­pagne de lyn­chage, en dis­ant “de la décence bon sang” et porté plainte. J’ap­prou­ve de tout coeur leur déc­la­ra­tion si pertinente…”

Le same­di 2 octo­bre à 16h00, un appel protes­ta­tion con­tre ce prix a été appelé devant la Cham­bre des archi­tectes… “On ne les lais­sera pas faire”.

Le tonnerre est vociférant, mais c’est un piètre éclair

A l’heure du ren­dez-vous, un groupe com­posé d’une poignée de mem­bres de la dite organ­i­sa­tion, bien regroupés pour la pho­to… Le groupe, dra­peaux et pan­car­tes en main, scan­de les slo­gans ressas­sés durant ces quelques jours de lyn­chage sur les réseaux soci­aux “nous ne per­me­t­trons pas à la TMMO de décern­er ce prix au PKK”. Ou encore, “Un prix pour le PKK est une balle tirée sur le petit Mehmet”, “le petit Mehmet” étant le surnom don­né au sol­dat ordi­naire turc, tou­jours envoyé comme chair à canon, dans toutes les guer­res menées par la Turquie, ici et là. “TMMO sous l’in­va­sion du PKK”, dis­ent les jeunes nation­al­istes en marche, “nous sommes venus sauver la TMMO de l’oc­cu­pa­tion du PKK”

tgb

La TMMO ne peut sauver le PKK ! L’u­nique ‘récom­pense’ pour le PKK, est la balle du petit Mehmet”, dit la pancarte…

Quant à la remise des prix, elle est prévue pour le lun­di à 19h00, et il n’est pas exclu que des ten­sions éclaboussent à nou­veau la céré­monie. Donc à suivre…

Mais, Güler, à juste titre, met l’ac­cent sur la déter­mi­na­tion : “Toutes ces agres­sions nous démon­trent que nous devons exprimer les vérités avec une voix encore plus forte. Et je vais con­tin­uer ain­si”.

Ce n’est pas tant les ques­tions d’en­vi­ron­nement ou d’é­colo­gie qui met­tent en furie les ultra-nation­al­istes, et pour­tant il y aurait bien à dire et dénon­cer sur le sujet, que le fait qu’une émis­sion de télévi­sion “dif­fusée de l’é­tranger” et bien sûr à majorité kurde, s’au­torise à par­ler des saccages en tous gen­res des ter­ri­toires de Turquie, pour le béné­fice de la cor­rup­tion de quelques uns. La rage de ceux qui se présen­tent comme “jeunes de gauche pour la république et la nation” est prin­ci­pale­ment dirigée con­tre les Kur­des, bien enten­du, qui n’au­raient pas leur mot à dire sur la “Patrie”, puisqu’elle appar­tient à la turcité.

Là encore, il con­vient de not­er que ce sou­verain­isme ultra nation­al­iste est dans le droit fil de ceux qui se dévelop­pent en Europe, et propulsent leur haine à tout va, leur xéno­pho­bie, ici anti kurde, d’au­tant qu’il sont con­fortés par un régime qui les couve.

 


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