C’est encore İrf­an Aktan qui apporte un éclairage plus que jamais néces­saire, au lende­main de la libéra­tion et mise en lib­erté sur­veil­lée d’un des enseignants en grève de la faim. Il le fait par l’en­trem­ise de Veli Saçılık, un des pro­tag­o­nistes, depuis le début, de ce bras de fer.


Türkçe (Gazete Duvar) | Français | English

Cet éclairage, parce que Veli Saçılık ne mâche pas ses mots, explore les zones d’om­bres de la non con­ver­gence des com­bats soci­aux con­tre les décrets suc­ces­sifs du régime AKP en Turquie. Le regard est crû sur la divi­sion des oppo­si­tions, et le rôle qu’elle joue dans l’ap­par­ente sta­bil­ité du pou­voir, face à celles et ceux qui le con­tes­tent, et restent isolés.

Toute ressem­blance avec des sit­u­a­tions européennes serait bien sûr une coïncidence…

Cet entre­tien à bâtons rom­pus, s’il mon­tre l’ex­trême fatigue de celles et ceux qui lut­tent seulEs depuis des mois, révèle aus­si toute la dif­fi­culté de pren­dre sur soi une lutte qui se devrait d’être mas­sive et col­lec­tive, face à un régime qui dicte sa loi sur fond de ter­ror­isme d’Etat.


Veli Saçılık : “Constater l’état de Nuriye pourrait provoquer une indignation”

La bonne nou­velle est arrivée au moment où j’avais ter­miné la tran­scrip­tion de cet entre­tien et que je pré­parais l’in­tro­duc­tion : Semih Öza­kça, enseignant incar­céré depuis 23 mai, a été libéré sous con­di­tion de porter un bracelet élec­tron­ique. Cepen­dant, la même déci­sion n’a pas été prise pour l’en­seignante Nuriye Gül­men, arrêtée con­join­te­ment avec Semih, dont l’é­tat de san­té s’est aggravé jusqu’à néces­siter son trans­fert en soins inten­sifs. Selon Saçılık, Gül­men n’a pas été libérée, par crainte, de l’indig­na­tion que sa vue pour­rait provoquer.

Semih Öza­kça et Nuriye Gül­men, qui ont débuté une résis­tance à la même péri­ode, ont mené le même com­bat, pronon­cé les mêmes mots, et exprimé les mêmes reven­di­ca­tions. Le fait que Öza­kça soit libéré, suite à l’au­di­ence du 20 octo­bre, mais que l’in­car­céra­tion de Gül­men se pour­suive sem­ble devenir un sujet de dis­cus­sion qui dur­era. Selon Veli Saçılık, la crainte que la vue de Nuriye provoque une indig­na­tion dans l’opin­ion publique, fait qu’elle doit être tenue hors des regards.

Semih libéré sous con­trôle judiciaire…

Pen­dant que des cen­taines de mil­liers d’employés du secteur pub­lic étaient liq­uidés sous état d’ur­gence, déclaré le 20 juil­let 2016, et pro­longé sans répit, la réac­tion con­tre cette pra­tique est restée réduite à la résis­tance d’une poignée de per­son­nes qui dis­aient “Je veux retrou­ver mon tra­vail”, devant le mon­u­ment aux Droits humains, sur l’av­enue Yük­sel à Ankara. Veli Saçılık, lui aus­si descen­du sur l’av­enue Yük­sel, pour réclamer son tra­vail, aux mêmes moments que Gül­men et Öza­kça, fut aus­si un nom quo est venu en avant, dans cette poignée de personnes.

Saçılık, qui a subi l’in­ter­ven­tion poli­cière qua­si chaque jour, fut mis en garde-à-vue d’in­nom­brables fois, se plaint surtout du fait que leur syn­di­cat les laisse seulEs. Saçılık, dont même sa mère et sa com­pagne font objets d’ou­ver­tures de procès, dit “Main­tenant je suis fatigué”. Mais il s’empresse d’a­jouter “Il est ques­tion de la vie de nos deux cama­rades, de Nuriye et de Semih. Je suis obligé de sor­tir [à la rue] pour elle et pour lui. Alors que per­son­ne ne dit rien, je suis obligé de dire ‘notre tra­vail, notre pain, notre lib­erté’. Sinon, en ce moment même, je serais avec ma com­pagne et ma fille qui sont à la mai­son, à vivre comme un être humain. Mais puisque per­son­ne ne sort [dans la rue], per­son­ne ne dit rien, je dois faire des concessions.”

Nous avons donc ren­du compte, avec Veli Saçılık, de la résis­tance de Yük­sel, qui est sur le point d’at­tein­dre un an, et de la déci­sion de libéra­tion d’Öza­kça ain­si que le main­tien de Gül­men en incarcération.

Après notre entre­tien, nous avons appris la nou­velle de la libéra­tion de Semih. Que veut dire cette libération ?

Pour moi, le tri­bunal con­cerné, veut impres­sion­ner l’é­tranger, comme s’il y avait eu une véri­ta­ble procé­dure judi­ci­aire. Bien sûr nous con­sid­érons le fait d’avoir récupéré Semih, comme une con­quête. Nous l’avons sauvé de la cap­tiv­ité. Et la grève de la faim, sera sous les yeux. Ce sera un argu­ment con­tre celles et ceux qui dis­ent “Ils ne font pas de grève de la faim”. Nous allons con­tin­uer à nous faire enten­dre dans l’av­enue Yük­sel. Et je pense que nous allons pren­dre aus­si Nuriye d’en­tre leurs mains, et les faire [elle et Semih] retrou­ver leur tra­vail. Pour cela, j’ai de l’e­spoir. Au delà de l’e­spoir, je suis déter­miné à pour­suiv­re le combat.

A votre avis, pourquoi Nuriye Gül­men n’a-t-elle pas été libérée ?

Il y aurait des aveux d’un soit dis­ant repen­ti. Or, aujour­d’hui le 20 octo­bre, à l’au­di­ence, tout ce que cette per­son­ne a exprimé s’est avéré vain. . Une telle déci­sion a été prise, parce qu’ils font sem­blant de men­er une procé­dure judi­ci­aire légale. Par ailleurs, alors que la vue de Nuriye provo­querait une indig­na­tion dans l’opin­ion publique, ils con­tin­u­ent à la dis­simuler aux regards.

Parce que l’é­tat de Nuriye est très mau­vais, au point de ne pas pou­voir la regarder. Le gou­verne­ment court après le fait de ne pas laiss­er bafouer son pro­pre pres­tige. Mais, avec notre lutte, nous l’avons déjà bien sec­oué, ce prestige.

Le 9 novem­bre, la résis­tance que vous avez entamée à Yük­sel-Ankara, arrivera à un an. Par des décrets, des cen­taines de per­son­nes ont été démis­es de leur tra­vail, mais nous avons suivi la réac­tion con­tre la large liq­ui­da­tion à tra­vers la résis­tance menée par quelques per­son­nes dont vous faites par­tie. Com­ment réalisez-vous le compte de cette année [écoulée] ?

Ecoutez, nous sommes plusieurs résis­tants, mais cette fois, je vais par­ler en mon nom pro­pre. Moi, j’avais été licen­cié le 22 novem­bre 2016 et j’avais rejoins la résis­tance le 24 novem­bre. Nuriye Gül­men, [fut] la pre­mière à descen­dre sur l’av­enue Yük­sel, et elle por­tait la pan­car­te “Je veux mon tra­vail”. Une journée après, Semih Öza­kça a rejoint Nuriye. Le lende­main, j’é­tais, moi aus­si, sur Yük­sel. Ensuite, d’autres cama­rades comme Acun Karadağ, Mehmet Der­su­lu nous ont rejoint. La dose de vio­lence [poli­cière] qui nous a pris pour cible, n’a jamais changé depuis le tout pre­mier jour. Franche­ment, je pen­sais que ces résis­tances allaient se mul­ti­pli­er dans d’autres endroits, que de sérieuses opin­ions publiques allaient se con­stru­ire dans plusieurs régions, et que, à défaut de pou­voir car­ré­ment invers­er le proces­sus, nous réus­siri­ons à trans­former ceci en un mou­ve­ment de masse. Finale­ment, dans les pre­mier temps, cela s’est passé ain­si. Les résis­tances indi­vidu­elles se sont mul­ti­pliées dans dif­férents lieux, à com­mencer par Ankara et Istan­bul, devant des étab­lisse­ments. Mais le gou­verne­ment AKP a été telle­ment, avec leurs pro­pres ter­mes ‘intran­sigeant’, que toutes les per­son­nes qui descendaient dans la rue ont été mis­es en garde-à-vue, et soumis­es à sévices. Lors de cette péri­ode où le gaz et les balles en caoutchouc étaient au ren­dez-vous, et où en plus, d’in­nom­brables procès furent ouverts, la nais­sance d’un mou­ve­ment de masse a été con­trar­iée. Moi, tous les jours je passe devant les tri­bunaux. Des procès ont été ouverts à l’en­con­tre de ma mère, de ma com­pagne. De cette façon, la men­ace a com­mencé à con­cern­er aus­si les familles.

Le fait que les actes de résis­tance ne con­ver­gent pas provient-il seule­ment du sim­ple fait de ces répressions ?

En faisant référence au film “Le silence des agneaux”, il faudrait dire “le silence des syn­di­cats”. Moi, par exem­ple, j’ai du mal à com­pren­dre le silence de la KESK [Con­fédéra­tion des syn­di­cats des tra­vailleurs du ser­vice pub­lic, mem­bre du CSI et CES]. Il y a eu près de 130 mille liq­ui­da­tions et près de 3 500 par­mi ces licen­ciéEs sont mem­bres de la KESK. Il n’é­tait pas très dif­fi­cile de mobilis­er ces 3 500 per­son­nes. Ce que nous faisons n’est pas une action surhu­maine. Nous allons nous asseoir devant le mon­u­ment aux Droits humains, nous faisons des déc­la­ra­tion de presse et nous sup­por­t­ons la vio­lence poli­cière. En Turquie, les gens ne sont jamais des lâch­es. Nous avons vu, lors des [protes­ta­tions de] Gezi que les gens peu­vent le faire. Mais les syn­di­cats se sont com­portés d’une façon sans lende­main, en enfer­mant les reven­di­ca­tions dans une gaine bureau­cra­tique, ont freiné con­tin­uelle­ment le mou­ve­ment de masse et l’ont arrêté. Ils n’ont pas pu diriger, alors n’ont pas voulu diriger.

Les syndicats sont devenus un rouage du climat de terreur

Com­ment ?

En faisant les morts.

Pourquoi ?

Ils ont pen­sé, “en faisant les morts, il n’y aura pas d’autres par­mi nos mem­bres qui se fer­ont licenci­er, et nous, les dirigeants, nous ne serons pas arrêtés”. Les syn­di­cats sont devenus un des instru­ments du cli­mat que l’AKP a créé.

Mais nous savons que les dirigeants de la KESK (con­fédéra­tion) ont des cri­tiques vous con­cer­nant. Ils dis­ent que Gül­men et Öza­kça, en enta­mant leur grève de la faim, ne les ont pas con­sultés, et que même, cette action leur a été imposée, et que celles et ceux qui mènent la résis­tance de Yük­sel ne sont pas chauds non plus pour une coor­di­na­tions avec le syndicat.

Ils ne dis­ent pas la vérité. Moi, je ne viens pas de la même tra­di­tion poli­tique que Semih et Nuriye. Tout le monde le sait. Je n’ai pas inté­gré cette résis­tance non plus, après de longues con­ver­sa­tions et dis­cus­sions avec Nuriye et Semih. J’ai bougé depuis le début avec la KESK. Le jour même de mon licen­ciement, je suis allé faire une con­férence de presse avec la KESK. Ensuite, j’ai essayé de par­ticiper à toutes les actions et réu­nions que la KESK a organ­isé, con­cer­nant les liq­ui­da­tions par décrets. Mais la KESK a fait surtout des efforts pour ne rien faire et pour frein­er. Par exem­ple, ils ont réal­isé une activ­ité nom­mé “Con­grès des liq­ui­da­tions”, mais aucune des déci­sion qui en sont sor­ties n’ont jamais été appliquées. Par ailleurs, les syn­di­cats ou les per­son­nes, ne sont pas à tout prix oblig­és de venir sur Yük­sel. Ils ne sont pas oblig­és d’en­tamer une grève de la faim, comme Nuriye et Semih, ou résis­ter à la façon dont je le fais. Il n’ex­iste pas de règles de ce genre. Mais la seule règle est de résis­ter. Vous pou­vez résis­ter dans d’autres espaces, sous d’autres façons. La KESK est actuelle­ment dans un état où elle ne peut même pas faire un sit-in dans le boule­vard Sakarya à Ankara. Nous par­lons d’un syn­di­cat qui n’ar­rive pas s’oblig­er à faire même cela.

Mais à Istan­bul, dans les quartiers  Bakırköy et Kadıköy, il existe une résis­tance des mem­bres de la KESK…

Oui, ce sont mes amiES et je sais qu’ils/elles ne sont par organ­iséEs par la KESK, et qu’ils/elles pour­suiv­ent cette résis­tance de leur pro­pre ini­tia­tive. Ils/elles sont, comme moi, des mem­bres de la KESK, mais descen­dent dans la rue, de leur pro­pre volon­té. La KESK n’ar­rive même pas à s’oc­cu­per de ses mem­bres qui mènent des résis­tances devant leurs lieux de tra­vail à Ankara. Or la KESK a pour­tant pris une déci­sion pour des “Mobil­i­sa­tions et des actions devant les lieux de travail”

Esra Öza­kça, amenée en garde-à-vue, le 22 mai 2017

Le dirigeant du syndicat a dit “A cause de vous, nous sommes battus”

Avez-vous par­lé de cela avec eux ?

Je leur ai par­lé de mul­ti­ple fois. “D’ac­cord, ne venez pas à Yük­sel, je peux y être, d’autres cama­rades peu­vent être présentEs”, leur ai-je dit, “Mais ne lais­sons pas tomber nos posi­tions, par exem­ple à l’av­enue de Sakarya. Quand la police nous demande de nous dis­pers­er, ne quit­tons pas les lieux, restons devant nos lieux de tra­vail, avec entête­ment”. Ils nous pren­nent et met­tent en garde-à-vue, sans cesse. Après ce reportage, je vais aller à Yük­sel et je vais être remis en garde-à-vue une nou­velle fois. Demain aus­si, je serai arrêté, et le surlen­de­main… Si nous étions cinq cent per­son­nes à être présentes, dans dif­férents espaces, deux par deux, et en rota­tion, ne seri­ons-nous pas plus effi­caces ? Suis-je obligé de subir autant de souf­frances ? Tu pré­tends à la direc­tion syn­di­cale, tu obtiens la direc­tion et ensuite, tu ne fais rien ! Un dirigeant de la KESK a dit aux jeunes qui sont passés à l’acte pen­dant la com­mé­mora­tion de l’at­ten­tat du 10 octo­bre [atten­tat à la Gare d’Ankara, lors d’un meet­ing pour la Paix, ayant fait 102 morts 2015] : “A cause de vous on est bat­tus

Qui a dit cela ?

Je ne donne pas de nom, mais ils s’ag­it d’un des plus impor­tants dirigeants de la KESK. Et il a dit cela aux jeunes qui n’obéis­saient pas à la police. Cette phrase fut pronon­cée lors de l’hom­mage pour 102 per­son­nes mas­sacrées. Elle était adressée non pas à la police, qui gaza­it une salle fer­mée, mais aux jeunes qui réagis­saient à cette vio­lence [poli­cière]. Elle est grave. Je ne l’ac­cepte pas. Et même, je leur réponds, “c’est moi qui suis bat­tu à cause de vous”. Nous sommes bat­tus, parce que vous ne mobilisez pas votre syn­di­cat de 250 mille mem­bres, parce que vous ne prenez pas les devants, vous ne mon­trez pas la résis­tance néces­saire, et en tant que dirigeants, vous ne met­tez pas votre main sous la pierre [expres­sion en turc, ‘pren­dre des risques’]. Ma cri­tique est claire et déter­minée. Mais cette cri­tique ne veut pas dire “Veli a une action, un pro­pos, et tout le monde doit le suiv­re”. Les actions que je mène peu­vent trou­ver des sou­tiens, ou pas… Les gens peu­vent dire “Ce que Veli dit n’est pas juste” et je respecte cela. Mais si ce que je dis n’est pas juste, eux/elles doivent aus­si met­tre à la lumière du jour ce qui est juste, aller sur la zone [de résis­tance] avec leurs pro­pres visions, et pro­duire un dis­cours et des actions. Ces cama­rades, ‑lais­sez tomber les actions- ils n’ont même pas de dis­cours, con­cer­nant les décrets. Sur la zone [de résis­tance], j’ar­rive à pro­duire des slo­gans, je prononce des mots, et les jour­naux et sites web les pub­lient, qu’ils pensent comme moi, ou non. Mais dans les mêmes médias, nous ne voyons pas une seule déc­la­ra­tion des co-prési­dentEs de la KESK. Parce qu’ils ne font pas de déc­la­ra­tion, et même s’ils en font, ils ne dis­ent rien d’in­téres­sant, ils ne réfléchissent pas dur le sujet, et ils n’ont aucun pro­jet pour trans­former ces actions [en un mou­ve­ment de masse].

Les mem­bres ne for­cent pas la KESK à bouger ?

Au début cela arrivait. A Ankara, le nom­bre de mem­bres licen­ciéeEs est autour de 250 et au début, nous arriv­ions à faire des réu­nions avec une cen­taine de per­son­nes. Je n’ai jamais observé que les mem­bres non-licen­ciéEs aient une quel­conque reven­di­ca­tion sur ce sujet, auprès de la KESK. Nous deman­dions sans cesse aux syn­di­cats, “Que faire ?” et la réponse que nous avions était tou­jours la même “Atten­dez, on va pren­dre une déci­sion”. Ils n’en ont rien fait.

Veli Saçılık

İrf­an Aktan avec Veli Saçılık

J’ai dit à Nuriye et Semih “confiez-moi votre grève de la faim”

Le fait que Nuriye Gül­men et Semih Öza­kça enta­ment une grève de la faim fut un élé­ment cri­tique qui a porté cette résis­tance dans l’ac­tu­al­ité inter­na­tionale. Pourquoi alors, n’avez-vous pas entamé une grève de la faim ?

Je veux récupér­er mon tra­vail et je pense qu’une grève de la faim qui risque de finir par la mort ne trou­ve pas sa place dans cette bal­ance. Mais Nuriye et Semih pensent que cela doit être comme cela. Moi, je pense que mon avis est juste, mais je respecte le leur. Le fait que je ne pense pas comme eux, ne se trans­forme jamais en un juge­ment con­tre leur volonté.

Il y a eu beau­coup d’ap­pels lancés, pour que Gül­men et Öza­kça arrê­tent leur grève de la faim. Avez-vous, vous aus­si émis des sug­ges­tions similaires ?

A par­tir du 50ème jour, j’ai pro­posé à mes cama­rades, “arrêtez, et je fais la grève pen­dant 50 jours, à mon tour”. J’ai pro­posé de la trans­former en une grève tour­nante. Mais lorsqu’il/elle ont dit “notre volon­té est telle et nous allons faire comme cela”, j’ai respec­té. A par­tir de ce moment, il n’y aurait pas eu de sens à dire à mes amiEs “pourquoi faites-vous une grève de la faim, ce n’est pas une voie juste”. De toutes façons, dans ma pra­tique, je fais ce qui est, pour moi, juste. Et mes cama­rades, avec leur pro­pre pra­tique, dis­ent ce qui est juste pour elles/eux. Alors, nous avons deux exem­ples d’ac­tion devant nous : celui que Nuriye et Semih pra­tiquent, et celui que moi, Acun Karadağ’ın, Mehmet Der­su­lu et les autres pra­tiquons. Si d’autres, qui ne pensent pas comme nous, pro­posent d’autres choses, je ne leur dirai jamais “pourquoi vous faites comme cela, pourquoi vous résis­tez comme cela”. Prenons l’ex­em­ple d’un cama­rade à Bodrum, Engin Karataş [enseignant]. Un jour, il écrit partout, en util­isant du scotch d’emballage, “Jus­tice”, un autre jour, il saute en para­chute, il plonge dans la mer, un autre jour il écrit “Jus­tice” en util­isant des cordes marines, il fait vol­er un bal­lon avec une devise accrochée “Je veux mes élèves”. Il vient à Ankara, il sème les policiers et il pose une devise sur le Mon­u­ment pour les Droits humains. Maître Engin, en ce qui con­cerne les modes d’ac­tion, n’est pas ortho­doxe comme moi, mais il réalise toutes sortes d’ac­tions pour dire digne­ment “je veux mes élèves”. Et sur ce, que fait Eğitim-Sen [Syn­di­cat des enseignantEs, mem­bre du KESK] à Maître Engin ?

Que lui fait-il ?

Le représen­tant de l’an­tenne de Bodrum lui dit “Maître, ne venez pas à Eğitim-Sen, la police fait pres­sion sur nous”. Et alors, main­tenant, allons-nous nous tenir à dis­tance des actions sin­gulières que Maître Engin réalise ?

Pensez-vous que vous faites une action radicale ?

Non, je ne fais rien d’une action rad­i­cale, je ne fais que me faire  bat­tre. Se faire bat­tre, peut être rad­i­cal ?! Je tourne le dos, il me frappe sur la tête, et ils met­tent des coups de pieds der­rière. Devant, ils asper­gent mon vis­age de gaz, ils envoient des balles en caoutchouc sur mon corps. Moi, je fais une action pas­sive, et c’est une action qui cor­re­spond à la dig­nité d’un tra­vailleur du secteur pub­lic. Et s’il y a quelqu’un qui dit “Ce n’est pas une action juste”, qu’il/elle par­le, sans fuir, au tra­vers de sa pro­pre pratique.

Quels sont les argu­ments des dirigeants du KESK qui répon­dent vos critiques ?

l’AKP a inter­dit, la police attaque”. C’est cela leur argu­ment. D’ac­cord, l’AKP inter­dit, la police attaque, mais moi, je sors [dans la rue] quand même. Une poli­tique de syn­di­cat qui se base sur “ne jamais être prise en garde-à-vue”, est-elle pos­si­ble ? Si Lami Özgen, le Coprési­dent du KESK avait mon­tré la volon­té que j’ai mon­trée la pre­mière fois que j’ai descen­du la rue, les choses seraient-elles pareilles ? S’il avait par­lé, comme il trou­vait juste, là où il voulait, et avait dit “mes mem­bres ont fait cette action selon mes con­signes et j’en prends la respon­s­abil­ité”. N’é­tait-ce pas pos­si­ble ? Ils dis­ent au sujet de notre action “la déci­sion n’a pas été prise en coor­di­na­tion avec le syn­di­cat”. Pourquoi alors, n’ap­pliquent-ils pas les déci­sions qui ont été pris­es en coor­di­na­tion avec le syndicat?

Quel genre de déci­sions avaient été prises ?

Par exem­ple, il avait été décidé de faire des actions, tous les jours de la semaine, devant tous les établissements.

Quand cette déci­sion fut-elle prise ?

Il y a env­i­ron huit mois. En effet, il y a des déci­sions comme “Dans les endroits impor­tants des villes, nous allons men­er des actions d’une durée de qua­tre heures, tous les jours”, “Nous allons éla­bor­er des out­ils de pro­pa­gande général­isés con­tre l’é­tat d’ur­gence”, toutes déci­sions écrites et enreg­istrées. Les déci­sions que la KESK a prise elle-même, ne sont même pas respec­tées par les mem­bres de son pro­pre con­seil d’administration.

Ecoutez, l’ac­tion de dix min­utes de KESK ne me sat­is­fait pas. Moi, je suis licen­cié, j’ai un enfant, je dois résis­ter. Moi, je dis, “je ne ren­tre pas chez moi, je résiste” et eux me répon­dent “non, nous avons décidé d’une action de dix min­utes, les dix min­utes sont écoulées, ren­tre chez-toi”. Ils ne peu­vent pas me dire cela, ils ont des déci­sions enregistrées.

Existe-t-il des oppo­si­tions idéologiques entre vous et le syndicat ?

Non, nous n’avons pas de dif­férents idéologiques. Je ne dis à per­son­ne “tu es de telle famille poli­tique, c’est pour cela que tu fais ceci, cela”. Nous avons une tra­di­tion au KESK : la lutte légitime et active. Elle prend sa force, non pas de la Loi, mais de la légitim­ité. C’est à dire, que si ton action est légitime, même si la police l’in­ter­dit, tu la fais. Je vais tous les jours à Yük­sel, et ce que je fais est légitime. Mais cer­tainEs vont à l’av­enue Sakarya, et la police leur dit “ne restez pas là, allez devant le com­mis­sari­at”, ils/elles par­tent et vont devant le 5e com­mis­sari­at… Moi, je n’ac­cepte pas cela. Ecoutez, lorsque qu’ils/elles man­i­fes­tent et annon­cent “Pour celles et ceux qui sont licen­ciéEs : nous fer­merons nos yeux durant une minute et penserons à eux”, la police leur dit “votre action a pris une forme illé­gale, nous allons inter­venir”. Alors, ils/elles répon­dent “D’ac­cord, d’ac­cord, nous ouvrons nos yeux”. Cette sit­u­a­tion n’au­rait pas du en ariv­er là.

Depuis près d’un an, vous ren­con­trez qua­si quo­ti­di­en­nement la vio­lence poli­cière. Com­ment est votre état de santé ?

Maux au cou en con­tinu, cas­sure à l’é­paule, je ne peux pas me couch­er sur ce côté. Suite à une déchirure de mus­cle à mon épaule gauche, je ne peux pas faire cer­tains mou­ve­ments. Je porte encore les hématomes de la dernière inter­ven­tion poli­cière. Comme je subis des gaz régulière­ment, des prob­lèmes de res­pi­ra­tion on été révélés. J’avais une excel­lente vue, main­tenant j’y vois moins bien.

Je n’ai pas vécu une autre période où j’ai été ainsi battu, matin et soir

Etes-vous fatigué ?

Je suis fatigué ! Je ne le dis pas au sens négatif mais oui, je suis fatigué ! Je m’in­téresse à la poli­tique depuis 1993, mais depuis cette date je n’ai jamais été dans une action qui se rap­proche de 350 jours. Je n’ai jamais vécu une telle péri­ode où je suis bat­tu, matin et soir. Je vis actuelle­ment cela et je suis fatigué. Je l’ai dit de nom­breuses fois ; autant de per­son­nes ont été liq­uidées, pourquoi seules qua­tre, cinq per­son­nes endossent-elles seules le poids de cela ? Cette charge doit nous être enlevée, désor­mais. Ecoutez, le mon­u­ment aux droits humaines est l’hon­neur d’Ankara, et il est actuelle­ment encer­clé. Si les syn­di­cats, l’İHD [Asso­ci­a­tion des Droits de l’homme] et les organ­i­sa­tions sim­i­laires ne font pas d’ac­tion, qu’ils se réu­nis­sent et organ­isent au moins une cam­pagne pour que ce mon­u­ment soit “libéré”. Le mon­u­ment aux Droits humains est mis der­rière des bar­rières, c’est une honte pour nous toutes et tous !

Le fait que vous soyez fatigué, veut-il dire que vous ne sor­tirez pas à nou­veau sur Yüksel ?

Moi, je ne veux plus descen­dre ain­si à la rue Yük­sel. Je suis obligé de sor­tir [à la rue] pour elle et pour lui. Alors que per­son­ne ne dit rien, je suis obligé de dire ‘notre tra­vail, notre pain, notre lib­erté’. Sinon, en ce moment même, je serais avec ma com­pagne et ma fille qui sont à la mai­son, à vivre comme un être humain. Mais puisque per­son­ne ne sort [dans la rue], per­son­ne ne dit rien, je dois faire des con­ces­sions. Com­ment je tourn­erais le dos, aux nou­velles qui annon­cent que les qua­tre cinq per­son­nes qu’y sont allées en mon absence, on été battues ? Je vais con­tin­uer. Tout à l’heure je vais aller à l’ac­tion, je vais encore être aspergé de gaz, je serai encore bat­tu, encore mis en garde-à-vue.

Il y a une éventualité que le gouvernement puisse résoudre la question de grève de la faim

Bien sûr, pen­dant ce temps là, la grève de la faim de Nuriye Gül­men, Semih Öza­kça et Esra Öza­kça se pour­suit. Par con­séquent, chaque jour qui passe, le risque sur leur vie aug­mente. Apparem­ment, du côté du gou­verne­ment, il n’y aura pas d’évo­lu­tion sur se sujet…

Moi, je pense qu’il y aura une évo­lu­tion. Cette grève de la faim arrive au 222è jour et c’est un proces­sus sans pos­si­bil­ité de retour. Même s’ils les libèrent aujour­d’hui même, le fait que nos amiEs restent hand­i­capéEs est mal­heureuse­ment cer­tain. Bien que nous menions nos actions avec qua­tre cinq per­son­nes, nous savons que le coeur de tout le monde est avec nous, les yeux sont sur nous. L’E­tat nous donne de l’im­por­tance. Il pense que cette action peut génér­er une révolte du type Gezi. Par con­séquent, pour que cette ten­sion ne con­tin­ue plus, je pense qu’il y a une pos­si­bil­ité que le gou­verne­ment puisse résoudre la ques­tion de la grève de la faim, par des voies parallèles.

Sur ce sujet, y a‑t-il des sig­naux que nous ne voyons pas, mais qui pour vous sont visibles ?

Anadolu Ajan­sı [AA agence d’in­fo de l’E­tat] a com­mencé à venir à nos déc­la­ra­tions de presse… alors il se passe quelque chose. Lors de la con­férence de presse tenue devant l’hôpi­tal Numune, dans lequel Nuriye est détenue, AA était égale­ment présente.

Mais il n’y a pas d’autre sig­nal à part cela…

Je pense qu’ils essaieront de trou­ver une voie par­al­lèle par l’in­ter­mé­di­aire de la com­mis­sion d’é­tat d’ur­gence ou de la CEDH. Le gou­verne­ment va éla­bor­er, une tac­tique plutôt que chercher une solu­tion. Pen­dant ce temps là, il pour­ra aller vers une for­mule qui per­me­t­tra de faire une pause. Mais cela veut dire que nos amiEs per­dront leur vie, et quand nous retournerons à notre tra­vail, nous allons nous asseoir sur leur dépouille. Et cela sera enreg­istré dans la casi­er du gou­verne­ment comme un événe­ment indélébile.

Durant cette année, aus­si bien le HDP que le CHP ont mené dif­férentes démarch­es. Pensez-vous que les par­tis d’op­po­si­tion pren­nent leurs responsabilités ?

Nous ne pou­vons pas dire que c’est pleine­ment fait, mais nous avons vu que le CHP (Par­ti répub­li­cain du peu­ple) a don­né un sou­tien, au dessus de leurs pro­pres tra­di­tions. Le HDP (Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples) nous a don­né aus­si son sou­tien. De nom­breux députéEs sont venus nous voir et beau­coup de mem­bres et sym­pa­thisantEs du HDP ont par­ticipé à ces actions avec nous. Les autres par­tis de la gauche social­iste aus­si. Même si une déci­sion d’une enver­gure cen­trale n’ex­is­tait pas, ils/elles ont été présentEs à nos côtés. Le CHP insiste encore pour­tant sur les démarch­es insti­tu­tion­nelles. Le HDP, du point de vue poli­tique, est cohérent avec ses dis­cours. Moi, je suis con­tent de cela. Un dirigeant du KESK issu du HDP, mem­bre du HDP en poli­tique, ne prend pas les mêmes pos­tures. Les mem­bres du HDP qui sont dans l’ac­tion poli­tique, sem­blent bien plus cohérents. La même chose est val­able pour les mem­bres du ÖDP (Par­ti de la lib­erté et de la sol­i­dar­ité) et les autres. Parce qu’ils/elles voient qu’une brèche quo serait ouverte ici, peut affecter tous les décrets et l’é­tat d’urgence.

Le fait que le gou­verne­ment fasse un pas qui irait dans le sens où Gül­men et Öza­kça arrêteraient leur grève, ne voudrait-il pas dire à la fois, une ouver­ture de brèche pour lui ?

Ce que fera le gou­verne­ment nous importe peu, nous pen­sons à ce que nous devons faire, nous. Le gou­verne­ment mon­tre de toutes façons, qu’il ne veut pas de solu­tion, depuis 350 jours. Par­fois, pour dimin­uer l’ef­fet sur l’opin­ion publique, ils dimin­u­ent la vio­lence sur moi, ou sur Acun. Et cette fois, nous haus­sons nos voix, alors ils nous frap­pent en nous dis­ant “tu as trop par­lé”. Ils n’ont pas réus­si à équili­br­er. Le gou­verne­ment veut nous faire taire, mais tout ne peut pas répon­dre à ses désirs, la vie ne se déroule pas ainsi.

Cet entêtement est un bon entêtement, un entêtement solide

Depuis des mois, presque tous les jours, vous vous trou­vez devant la police, et vous n’ar­rivez pas à devin­er quel jour, quelle type d’in­ter­ven­tion il y aura. Lorsque vous arrivez à Yük­sel, quel est votre état d’esprit ?

Je pense non pas à ce que la police fera, mais à ce que je dois faire. Suite à leur querelle avec la Con­frérie [organ­i­sa­tion du prêcheur Fetul­lah Gülen, ancien ami d’Er­doğan, devenu enne­mi pub­lic n°1], alors que je n’avais aucun lien, alors que je suis social­iste, ils m’ont licen­cié. En plus, comme si j’é­tais déchu de ma nation­al­ité, ils m’ont retiré tous mes droits, mon droit aux études, à fonder une coopéra­tive, à voy­ager, à par­tir à l’é­tranger, tout. Si j’é­tais con­damné pour appar­te­nance à une organ­i­sa­tion [illé­gale] je n’au­rais même pas été puni de telle façon, mais quand on est licen­cié par décret, cela se passe comme cela. Ils ont dit “Qu’ils/elles man­gent les racines des arbres” [SIC Osman Zabun, respon­s­able de l’AKP Ispar­ta le 7 octo­bre 2016 ], ils ont dit, “Ceux là, on les a trans­for­mé en morts soci­aux”  [Un min­istre AKP].

Je ne suis pas en colère seule­ment pour des raisons poli­tiques. Je descends pas dans la rue parce que je suis social­iste. J’y suis en tant que tra­vailleur du secteur pub­lic licen­cié. Et je suis très en colère con­tre eux. C’est une colère per­son­nelle. Comme je dis, “ils ne peu­vent pas nous faire cela”, je dis aus­si “ils ne peu­vent pas me faire cela”. Je sais, je peux être tué, d’un coup, par une cap­sule de gaz. Ils peu­vent faire du mal à mes amiEs. D’un autre côté, en arrivant, tu ressens la peur. Elle vient du fait de ne pas savoir ce qui va se pass­er, mais une fois sur place, tout se ter­mine. Il y a quelques jours, ils ont fait une chose que je n’ai pas sup­porté. Ils m’ont jeté par terre et on appuyé avec leurs bottes sur mon bras amputé. Vivre des moment comme ça, est dif­fi­cile­ment sup­port­able. Mais je sais aus­si que le compte sur tout ce qui nous a été fait sera don­né. Je ne dis pas cela pour faire de l’ag­i­ta­tion, mais, nous n’écrivons pas sur le sable, mais dans l’His­toire. Avant, j’ap­pelais ceux qui nous tor­tu­raient “fas­cistes”. Mais pour les gens qui nous ont menot­té au dos, même la maman Per­i­han, qui a 75 ans, je n’u­tilise plus de ter­mes poli­tiques. Chaque fois que nous pen­sons qu’ils n’iront pas jusqu’e là, ile le font. Mais à chaque fois qu’ils dis­ent eux, “cette fois ils vont avoir peur”, nous n’avons pas peur. Cet entête­ment est un bon entête­ment, un entête­ment solide.

Nous voyons seule­ment la vio­lence sur l’av­enue Yük­sel, mais nous ne savons pas ce qui se passe pen­dant les gardes-à-vue. Etes-vous amenés chaque fois au com­mis­sari­at ? Que se passe-t-il après Yüksel ?

Cette pra­tique change chaque fois. De toutes façons, nous n’avons jamais su quel était exacte­ment notre crime. Pen­dant ces derniers jours par exem­ple, ils nous jet­taient dans le véhicule en nous bat­tant et en nous étouf­fant par le gaz. Ensuite, ils nous amè­nent à l’hôpi­tal, et nous met­tent une amende de 227 livres turques, pour “entrave à la Loi sur les inci­vil­ités”, c’est à dire, pour les dél­its du type “jeter des déchets sur la voie publique”, et ils nous libèrent. Avant, ils nous arrê­taient pour “entrave à la Loi de man­i­fes­ta­tions et rassem­ble­ments”, et d’ailleurs pour cela, il y a de nom­breux procès ouverts à notre encon­tre. Après, ils ont vu que ça ne mar­chait pas. Alors, ils ont alors ouvert un procès à l’en­con­tre de Nuriye et Semih, pour “appar­te­nance à une organ­i­sa­tion [illé­gale]”. A ce moment là, j’avais fait un appel au Min­istre de l’in­térieur, en lui dis­ant “trou­ve une organ­i­sa­tion pour moi aus­si”. Finale­ment, ils m’ont ajouté dans le procès de Nuriye et Semih. Désor­mais, je vais tous les jours au com­mis­sari­at, pour sign­er [Con­trôle judiciaire].

Avenue Yük­sel, Ankara, le 22 mai 2017 
Mon­u­ment aux Droits de l’homme encerclé

Si j’étais membre d’organisation, je serais incarcéré depuis longtemps

Quelles sont les preuves util­isées pour le chef d’ac­cu­sa­tion d’ ”appar­te­nance à une organ­i­sa­tion [illé­gale]” ?

Les partages que je fais sur Twit­ter et Face­book, à pro­pos de notre résis­tance à Yük­sel. Un pro­cureur m’a demandé “de qui prenez-vous les con­signes d’ac­tions ?”. Je lui ai dit “vous ne pou­vez pas me pos­er une telle ques­tion, vous pou­vez dire seule­ment, ‘nous avons déter­miné, vous prenez les ordres d’in­tel”. Je lui ai dit “Vous avez oublié de met­tre les preuves dans le dossier. S’il vous plait, essayez d’en trou­ver d’i­ci le procès, sinon ce serait une insulte à votre méti­er”. Je suis social­iste, je suis révo­lu­tion­naire, je ne suis pas mem­bre d’une quel­conque organ­i­sa­tion illé­gale. Je suis dans la rue, en tant que tra­vailleur du secteur pub­lic, mem­bre du KESK. De toutes façons, si j’é­tais mem­bre d’une organ­i­sa­tion, il m’au­rait arrêté de nom­breuses fois.

Qu’est ce qui a man­qué pour que les choses en arrivent là ?

S’il était ques­tion d’un gou­verne­ment bour­geois nor­mal, nous ne seri­ons pas licen­cié, et il n’y aurait pas toutes ces dis­cus­sions. Mais comme tout cela est arrivé, si notre syn­di­cat était un peu organ­isé, et pou­vait gér­er les liq­ui­da­tions, si les dirigeants se mobil­i­saient à l’in­térieur du syn­di­cat, nous auri­ons pu les faire reculer. Mais mal­heureuse­ment tout le monde est dev­enue un rouage de ce cli­mat de peur et a reculé.

Il y a des policiers qui viennent nous voir pour se confesser

Pour vous, sur ce chemin, ceux et celles qui ont été licen­ciéEs ont été vaincuEs ?

Tant que l’av­enue Yük­sel n’est pas vain­cue, les licen­ciéEs ne peu­vent pas être con­sid­éréEs comme vain­cuEs. L’av­enue Yük­sel est dev­enue la pierre angu­laire, mais ce n’est pas une bonne chose, c’est mau­vais. Notre pra­tique ne devrait pas être comme cela. Le fait d’avoir con­fié sa volon­té à la volon­té du Préfet et du Directeur de la Police, et ne pas pou­voir pronon­cer de mots sans leur autori­sa­tion, est pour nous, honteux.

Depuis des mois vous vous trou­vez face face avec les policiers de l’av­enue Yük­sel. Depuis tout ce temps, y a‑t-il eu une trans­for­ma­tion dans la com­mu­ni­ca­tion entre vous ?

Une par­tie des policiers, selon ce que j’ai enten­du, auraient de la sym­pa­thie pour nous. Ils diraient “Pourvu que ceux-là occu­pent l’ac­tu­al­ité et que ce ne soit pas notre tour” (Il rigole). Quant à une autre par­tie, pour con­tenter le pou­voir, ils attaque­nt bien plus que l’or­dre qui leur est don­né. Lorsque cer­tains s’adressent à moi par “Veli”, je leur dis “vous ne pou­vez pas vous adress­er à moi par mon prénom”. Il y en a cer­tains qui bous­cu­lent, et qui ensuite, se con­fessent. Mais en général ils sont dans la réflex­ion “cette affaire peut un jour faire volte face et Acun, Veli qui sont bien en avant, peu­vent nous deman­der des comptes un jour”. Cer­tains jours, ils s’en pren­nent à nos sou­tiens en leur dis­ant “Acun et Veli, ils peu­vent, mais pour qui vous vous prenez?” Et quand nous allons à l’hôpi­tal, des policierEs qui sem­blent plus respecta­bles peu­vent dire “nous n’y sommes pour rien”

İrf­an Aktan

İrfan Aktan a commencé le journalisme en 2000 sur Bianet. Il a travaillé comme journaliste, correspondant ou éditeur, à l’Express, BirGün, Nokta, Yeni Aktüel, Newsweek Türkiye, Birikim, Radikal, birdirbir.org, zete.com. Il fut le représentant de la chaîne IMC-TV à Ankara. Il est l’auteur de deux livres  “Nazê/Bir Göçüş Öyküsü” (Nazê/Une histoire d’exode), “Zehir ve Panzehir: Kürt Sorunu” (Poison et antidote : La question kurde). Il écrit actuellement à l’Express, Al Monitor, et Duvar.

Vous pou­vez trou­ver tous les arti­cles sur la lutte de Nuriye, Semih, Veli, Acun et leur cama­rades dans ce dossier spé­cial :
Nuriye et Semih


Traductions & rédaction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
Translation & writing by Kedistan. You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
Auteur(e) invité(e)
Auteur(e)s Invité(e)s
AmiEs con­tributri­ces, con­tribu­teurs tra­ver­sant les pages de Kedis­tan, occa­sion­nelle­ment ou régulièrement…