Encore une “brève”, dont quelques jour­naux turcs se sont emparés. Encore un procès en per­spec­tive, d’une femme “qui a assas­s­iné son mari”. Encore une vic­time du patriarcat…

Le patri­ar­cat a encore une fois frap­pé, cette fois, dans le quarti­er Üskü­dar à Istanbul.

Voilà com­ment la plu­part des médias turcs relaient le déroulé :

Ser­hat avait 22 ans, il était au chô­mage. Kad­er ne sup­por­t­ant plus la vio­lence qu’elle subis­sait de son mari, avait quit­té le domi­cile con­ju­gal et était retournée à la mai­son patriarcale.
Après le départ de Kad­er, son mari l’appelait très sou­vent et la menaçait. Ser­hat a appelé sa femme qui voulait divorcer, et lui a dit de se ren­con­tr­er à Kuz­gun­cuk, pour par­ler. Kad­er a accep­té et s’est ren­due au ren­dez-vous. Le cou­ple s’est retrou­vé alors, sur un espace vert, près du cimetière de Kuz­gun­cuk. La con­ver­sa­tion s’est rapi­de­ment trans­for­mée en men­aces, et Ser­hat a com­mencé à train­er Kad­er par les cheveux et à la frap­per. La jeune femme, voy­ant que le mari por­tait un pis­to­let à la cein­ture, l’a attrapé dans un élan de panique, et elle a tiré. Ser­hat, blessé par deux balles à la poitrine s’est écroulé en sang. Kad­er, sous le choc, a fui, s’est ren­due au domi­cile de son père à Ümraniye. Elle a ensuite appelé à l’aide un ami, Emrah, qui l’a con­duite à nou­veau sur les lieux du ren­dez-vous. Ser­hat était tou­jours vivant. Kad­er a appelé la police et s’est ren­due, en annonçant que par peur, elle avait jeté le pis­to­let dans la mer. Le mari a été hos­pi­tal­isé, mais n’a pas pu être sauvé. Il s’est avéré que Ser­hat, avait un casi­er chargé, men­aces, vols, port d’arme illé­gal, nar­co­tiques… Kad­er passera aujour­d’hui devant le juge et son ami Emrah, est égale­ment en garde à vue.

Ce compte-ren­du est pub­lié à peu près dans tous les médias. D’une source à l’autre, non pas le déroulé, mais le texte mon­tre quelques dif­férences. Il faut vrai­ment lire entre les lignes : “Kad­er ne sup­por­t­ant plus la vio­lence qu’elle subis­sait de son mari, avait quit­té le domi­cile con­ju­gal et était retourné à la mai­son patri­ar­cale (ou de son père).” Beau­coup annon­cent que “le mari avait don­né ren­dez-vous au cimetière”, carrément !

Selon le pos­tures des médias, les titres vari­ent égale­ment dans un large éven­tail, entre le flash ‘fait divers sen­sa­tion­nel’ et l’ar­ti­cle engagé et dénon­ci­a­teur : “Elle a tué son mari qui la trainait à la mort, avec sa pro­pre arme”, “Tragédie au cimetière”, “En légitime défense, elle a tué son mari vio­lent”, “Les femmes s’ap­pro­prient leur vies”…

Le cas de Kad­er, (dont le prénom comme une mau­vaise blague, veut dire en turc “des­tin”) se noie dans un océan de meurtres dont les vic­times sont majori­taire­ment des femmes. Elles sont tuées par des incon­nus comme Hande, comme Özge­can, ou par leur mari ou com­pagne, par­fois méthodique­ment, par­fois après un long cal­vaire, comme Remziye pour laque­lle sont mari déclarait : “Je l’ai battue comme d’habi­tude, cette fois elle est morte.” Ou encore, elles sont assas­s­inées par leurs pro­pres proches (père, frère, oncle), sou­vent suite à des déci­sions pris­es au sein de leur famille…  Mais il y a aus­si, celles qui “tuent pour ne pas être tuées”, comme Kad­er, comme Nevin, comme Çilem, comme Sibel

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QUEL DESTIN ! La vic­time de vio­lences a tué son futur assas­sin.
Le mari armé trainait Kad­er en la tirant par les cheveux, dans la nuit déserte ;
Kad­er a attrapé l’arme et a appuyé sur la gâchette.
(en sous titres) Il l’a appelée au cimetière. Elle y est retournée et a appelé la police. (Haber­Turk)

Fait divers, quelconque ?
Fatal­ité, comme le prénom de Kad­er le prédit ?
C’est l’is­lam qui serait respon­s­able ? Une men­tal­ité “ori­en­tale” ? Un “sous développe­ment” de la Turquie qu’on aurait bien fait de ne pas “faire entr­er en Europe” ?

Autant faire les répons­es d’avance.

Juste pour don­ner un élé­ment, quelques chiffres qui ne vien­nent pas de fémin­istes enragées, mais de l’ONU :

D’après les données internationales disponibles, 15 à 76 % de femmes sont la cible de violence physique et/ou sexuelle au cours de leur vie. La majorité de ces violences se produisent au sein des relations intimes et nombre de femmes (entre 9 et 70 %) signalent leur mari ou leur partenaire comme en étant l’auteur. À travers les 28 États de l’Union européenne, un peu plus d’un sur cinq femmes a subi des violences physiques et / ou sexuelles de la part d’un partenaire (Agence européenne des droits fondamentaux, 2014).
  • Le féminicide : Au Guatemala, on assassine en moyenne deux femmes par jour. En Inde, 8 093 cas de décès liés à la dot ont été signalés en 2007. On ignore le nombre de meurtres de femmes et de jeunes filles faussement qualifiés de « suicides » ou d’« accidents ». En Australie, au Canada, en Israël, en Afrique du Sud et aux États-Unis, entre 40 et 70 % des victimes féminines d’assassinat ont été tuées par leur partenaire intime. Dans l’état de Chihuahua, au Mexique, 66 % des meurtres commis sur des femmes ont été perpétrés par le mari, le partenaire ou un membre de la famille de celles-ci.
  • La violences et les jeunes femmes : Dans le monde, jusqu’à 50 % des agressions sexuelles sont commises à l’encontre de jeunes filles de moins de 16 ans. On estime que 150 millions de filles de moins de 18 ans ont subi une forme de violence sexuelle ou une autre, rien qu’en 2002. La première expérience sexuelle de près de 30 % des femmes est forcée. Le pourcentage est encore plus élevé parmi les filles âgées de moins de 15 ans au moment de leur initiation sexuelle, et jusqu’à 45 % d’entre elles signalent que cette expérience a été forcée.
  • Les pratiques nuisibles : Environ 130 millions de filles et de femmes dans le monde ont subi des mutilations génitales féminines, et en Afrique, plus de trois millions de filles par an courent le risque de subir ces pratiques. Plus de 60 millions de filles dans le monde sont des enfants mariées avant l’âge de 18 ans, principalement en Asie du Sud (31,3 millions) et en Afrique subsaharienne (14,1 millions). La violence et la maltraitance caractérisent la vie maritale de bon nombre de ces filles. Les femmes qui se marient jeunes sont plus susceptibles d’être battues ou menacées, et plus susceptibles de croire qu’il est parfois justifié qu’un mari batte sa femme.
  • La traite : Les femmes et les filles comptent pour 80 % du chiffre estimé de 800 000 personnes victimes de trafic transfrontalier chaque année, la majorité d’entre elles (79 %) à des fins d’exploitation sexuelle. Au sein des pays, davantage encore de femmes et de filles sont victimes de la traite, souvent à des fins d’exploitation sexuelle ou de servitude domestique. En Europe, une étude a constaté que 60 % des femmes victimes d’un trafic avaient subi des violences physiques et/ou sexuelles avant la traite, désignant la violence sexiste comme un facteur d’incitation à la traite des femmes.
  • Le harcèlement sexuel : Dans les pays de l’Union européenne, 40 à 50 % des femmes subissent des avances sexuelles non désirées, un contact physique ou une autre forme de harcèlement sexuel sur le lieu de travail. En Asie, des études menées au Japon, en Malaisie, aux Philippines et en Corée du Sud ont démontré que 30 à 40 % des femmes sont harcelées sexuellement sur leur lieu de travail. À Nairobi, 20 % des femmes ont subi un harcèlement sexuel sur le lieu de travail ou en milieu scolaire. Aux États-Unis, 83 % des filles âgées de 12 à 16 ans ont subi une forme de harcèlement sexuel ou une autre dans les écoles publiques.
    Rien qu’en France, en 2014, 143 personnes sont décédées, victimes de leurs conjoints : 118 femmes et 25 hommes et ces chiffres sont en hausse.

Bon, avec ces sta­tis­tiques là, on aura déjà avancé.

Non, la Turquie n’est pas à part. Et la reli­gion ne fait qu’u­tilis­er et instru­men­talis­er les rap­ports de pou­voirs patri­ar­caux exis­tants, elle les cod­i­fie au besoin, mais se con­tente d’en rajouter sur des rap­ports hommes/femmes d’op­pres­sion… d’ailleurs repro­duits con­tre les LGBTI. Si, dans les prénoms ci-dessus nous citons des trans femmes, comme Hande et Sibel, c’est juste­ment pour le démontrer.

Alors dia­ble, pourquoi alors par­ler de ce que la presse papi­er relaie comme un fait divers cra­puleux et croustil­lant ? Et notons au pas­sage que cela fait pour elle, le relai avec “l’af­faire du short”, tout autant traitée par dessus la jambe.

Et bien juste­ment pour tor­dre le cou à cet “ori­en­tal­isme” qui ferait que la Turquie “exo­tique”, le serait par son Prési­dent, ses min­istres machistes, sa femme de prési­dent anti fémin­iste et pro­tec­trice de la famille et des valeurs morales, face à une Europe civil­isée qui ferait tant envie aux Laïcs turcs… Par­ler des femmes qu’on assas­sine, vio­lente, dans la rue ou en prison en Turquie, c’est par­ler de la con­di­tion des femmes en général, et les chiffres “européens” sont tout aus­si élo­quents, dans une société autant sexiste.

Que les femmes en soient réduites à la légitime défense, en dernier recours, n’est que le résul­tat. Et cela devrait inter­roger aus­si sur les classe­ments que cer­tainEs font dans leurs pri­or­ités “pour le changement”…

Non, il n’y a pas des ques­tions “féminines”, des “reven­di­ca­tions de droits” qu’on deman­derait poli­ment à l’E­tat-nation, comme d’ailleurs aus­si dans le mou­ve­ment LGBTI européen… Une sorte de min­i­mum syn­di­cal fémin­iste… Il n’y a pas non plus de monde à plusieurs vitesses, celui des corps voilés, des femmes inter­dites d’a­vorte­ment en Pologne, des excisées… avec lesquels on tran­sigerait dans l’at­tente que ces mon­des “rat­trapent” des retards de “développe­ment”. La dom­i­na­tion patri­ar­cale est inté­grée aujour­d’hui aux sys­tèmes d’ex­ploita­tion, et se décline en idéolo­gie moral­istes, religieuses, sex­istes, en tous lieux du globe, en par­faite har­monie avec la mon­di­al­i­sa­tion cap­i­tal­iste… Le com­bat est donc totale­ment poli­tique. Et les mou­ve­ments de femmes, là où la pres­sion est la plus forte, mon­tre la voie bien souvent.

Et là, les mou­ve­ments fémin­istes et LGBTI turcs don­nent une leçon. Ils sont aux côtés de toutes les minorités qui se bat­tent, non pour obtenir pour cha­cune un mieux “syn­di­cal fémin­iste”, mais pour chang­er rad­i­cale­ment ce vieux monde, où la femme, entre autres, est une marchan­dise, une sup­plé­tive famil­iale ou au mieux un salaire d’ap­point. Et, dans le cas présent, l’ob­jet de toutes les violences.

Alors, bien sûr, n’at­ten­dez pas que la presse turque en par­le, au delà du fait divers, pas davan­tage que sur des affaires récentes en France, pour­tant médi­atisées, et où les médias n’ont pas dépassé la sim­ple compassion.

 


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