Pour Tayyip Erdogan, il ne fait aucun doute que le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) est derrière ce nouvel attentat qui a fait onze morts à Istanbul mardi dernier. “Il n’est pas nouveau que l’organisation terroriste (on ne prononce jamais PKK ) étende ses attaques dans les villes” a‑t-il déclaré aux journalistes.
« Notre lutte contre le terrorisme se poursuivra jusqu’à la fin, jusqu’à l’apocalypse », a enfin ajouté Tayyip Erdogan.
François Hollande a condamné “de la manière la plus ferme l’odieux attentat terroriste”. Angela Merkel a assuré que “dans le combat contre le terrorisme, l’Allemagne est au côté de la Turquie”. “L’Otan est solidaire de la Turquie contre la menace globale du terrorisme”, a dit son secrétaire général Jens Stoltenberg. Il ne manquait plus que le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, c’est chose faite : il a dénoncé cet “attentat terroriste méprisable”.
Ils avaient tous lus le Figaro, quotidien de la droite française qui affirmait lui, dès la nouvelle tombée, qu’il “s’agissait probablement du TAK”, qui, écrivait-il, « est la branche terroriste du PKK, bien que ce dernier s’en défende». Il rajoutait même, en déformant des propos récents d’un responsable politique kurde, que le PKK avait décidé « d’étendre le conflit aux villes », paraphrasant du coup les propos d’Erdogan. Rappelons que ce responsable kurde comparait lui, la période des répressions contre les villages kurdes des années 1990, avec les combats et l’auto défense que mènent aujourd’hui « dans les villes », les enfants et petits enfants des victimes d’hier… Depuis, même la correspondante du journal Le Monde, pointe du doigt “les Kurdes, les rebelles”, qui, selon elle, “profiteraient de la régionalisation du conflit syrien” avec un “appui russe”, ça va sans dire…
Ainsi vont les attentats en Turquie, revendiqués lorsqu’il s’agit du TAK, et jamais signés quand Daech officie. Mais on se doit de remarquer qu’ils arrivent toujours quand cela arrange le régime. De Diyarbakir à Suruç, d’Ankara à Istanbul… Là, c’est pile poil quand enfin une délégation kurde se trouve invitée au prochain round de négociations sur la Syrie, et quand Erdogan promulgue le décret de loi de modification constitutionnelle permettant le démantèlement du groupe parlementaire du parti d’opposition démocratique (le HDP), en autorisant la levée de leur immunité et leur accusation devant les tribunaux pour complicité de « terrorisme ». Certes, Erdogan veut la guerre, mène la guerre et récolte la guerre. C’était bien une cible militaire qui était visée… en plein coeur d’Istanbul, et dans un quartier très fréquenté.
Il n’échappera à personne que de fait, que ce soit Daech ou le TAK, tout cela est regroupé de plus en plus, comme déjà le régime AKP le fait en Turquie, sous l’appellation de « terrorisme », et il ne faut compter sur personne pour en faire une exégèse politique qui permettrait au Turc lambda qui aurait encore échappé au rouleau compresseur AKP de s’y retrouver. La question n’est pas celle de la violence, mais bien de la totale inefficience politique de celle-ci quand elle est théorisée comme stratégie terroriste dans un Etat qui n’a jamais hésité à la pratiquer déjà pour son propre compte, et à deux pas de Daech qui y excelle…
Le Parti des travailleurs du Kurdistan a revendiqué, jeudi 9 juin, l’explosion à la voiture piégée contre le siège de la police à Midyat, qui avait tué la veille six personnes, dont trois policiers. Un attentat suicide qualifié de “martyr”, qu’on peut aisément comprendre dans la situation de désespérance et d’exaspération que créent sur place les forces de répression armées et leurs “miliciens” supplétifs… Actes de guerre, punition de criminels responsables, vengeances, combats à armes inégales ? Les médias aux ordres n’en parlent que pour mieux fustiger les “terroristes”…
Mais, nous direz-vous, Tayyip Erdogan n’a besoin d’aucun « prétexte » pour mener sa politique, perpétrer ses crimes de guerre, intenter tous les procès possibles et imaginables à son opposition, continuer son ascension vers une présidentialisation du régime, qui le rendrait « Reis » pour un peuple rendu docile et bigot, nationaliste et négationiste à souhait. Tout le monde sait maintenant que le processus est sur la bonne voie, avec même la complicité tacite de l’opposition kémaliste… et le soutien actif des ultra nationalistes.
Les partisans de la paix ont subi de tels revers, et ont tellement vu les gouvernements européens les ignorer, qu’une bombe de plus ou de moins qui explose en Turquie finira par faire partie des anecdotes de guide touristique, et prétexte toujours à diatribes supplémentaires du Reis…“contre le terrorisme”…
Kedistan cynique ? Allons bon.
Et puisque nous voilà revenu sur notre terrain de sport favori pour un nième Erdogan basching, qui nous éloigne chaque fois davantage d’un possible périple en Turquie, autant faire l’inventaire des « perles » du Reis. Enrichissons donc le futur dossier pour “insultes au président”.
Passons vite sur la façon dont il a téléguidé son nouveau Premier Ministre, pour lui faire comparer le « génocide des Arméniens » à une « migration, conséquence des guerres », une « péripétie historique sans conséquences ». Le refoulé génocidaire, le négationisme se renforcent d’autant plus que les populations kurdes sont ostracisées et subissent au Kurdistan turc, tortures, massacres et crimes, le tout sous le regard dans le vide, d’une Europe forteresse qui noie du réfugié de guerre ou les cède à la Turquie, milliards d’euros en sus.
“Soit nous trouvons des solutions à nos problèmes de manière équitable. Soit la Turquie cessera de constituer une barrière aux problèmes de l’Europe. Nous vous laisserons à vos propres tracas…” a, depuis le vote au Buntestag, renchéri le président Tayyip Erdogan lui-même, histoire d’enfoncer le clou.
Intéressons-nous à ses déclarations sur les femmes, qui, lorsqu’elles n’ont pas d’enfants, sont des « demi femmes ». Dans la foulée bien sûr, c’est la contraception et l’avortement qui sont visés, et l’éloge de la femme épouse, soumise et fidèle, mère des « enfants de la patrie et de la nation turque » qui est fait.
Rions un peu aussi de ce serpent de mer qui ressurgit des abîmes de temps en temps. Nous avons nommé “le diplôme universitaire d’Erdogan”. Ce fameux diplôme, toujours cité, jamais montré. Ces “camarades de classe” introuvables, le nom du Reis absent de tout registre… Et nous n’aurons rien à envier aux révélations d’un “canard enchaîné” qui aurait pu être turc, si la presse là bas ne s’écrivait pas en prison.
Par contre, on se contentera aussi de peu avec un demi sourire, en apprenant qu’Erdogan, qui s’était soudain ému du décès de Mohamed Ali, s’est vu empêché de prononcer un « discours », qu’il avait du pourtant préparer, lors des funérailles. Pensez donc, Obama le fait, donc le Reis doit le faire aussi. L’un pour le « noir », l’autre pour le « Musulman », sans doute. Penser un petit instant qu’Erdogan a du ravaler sa salive et sa mégalomanie est une bien piètre victoire, alors qu’on meurt toujours dans la région de Nusaybin…
Cela fera pourtant, après que les Etats Unis l’aient quelque peu boudé lors d’un récent périple, un camouflet politique de plus pour Tayyip Erdogan, la semaine même ou malgré toutes ses protestations, une délégation de Kurdes syriens sera en principe invitée prochainement à Genève.
Pour les Américains et les Russes, il ne s’agit en rien, ne nous y trompons pas, d’une marque de soutien politique, mais plutôt d’un réalisme pragmatique. Il vaut mieux, en ce moment, les Kurdes dedans plutôt que dehors, si l’on veut que les victoires contre Daech soient celles de la « coalition ». Et faire faire des concessions au Rojava dans un proche avenir passera davantage par les négociations que par le chantage à l’armement… Cela dit, le Reis, là aussi a été redescendu du podium.
Les guerres en Syrie et en Irak continuent de charrier leurs lots de réfugiés. Les massacres et les destructions, les expropriations et les expulsions des populations kurdes de Turquie vont bientôt aussi produire leurs effets « migratoires ». Et même avec l’existence du processus de « confédéralisme » au Rojava, des populations kurdes continuent à prendre le chemin de l’exil, et leur nombre se compte dans les arrivants qui avaient déjà franchi les murs inhospitaliers de la forteresse Europe.
Nous ne pouvons être optimistes pour l’année 2016, même si des victoires « militaires » contre Daech sont enregistrées. Les processus politiques sont au rouge.
Et, dans ce contexte, faire la fine bouche sur le « Rojava », et marchander son soutien, alors que plus que jamais il est indispensable, serait se condamner à broyer du noir dans l’entre soi.
Kedistan cynique d’accord, mais pas au point de prendre du recul sur le seul processus politique, militaire et social, qui apporte dans la région une lueur d’utopie pour demain, et une énergie pour aujourd’hui, en même temps qu’il stimule la réflexion pour se débarrasser des nationalismes destructeurs.
Dernière minute : Tayyip Erdogan, vient très “officiellement” de qualifier les députés allemands qui ont voté la reconnaissance du génocide des Arméniens, (dont certains d’origine turque), de “personnes au sang corrompu” et menace en rappelant le nombre de Turcs résidant en Allemagne, et “capables de leur donner une leçon”.… Nous avions publié hier cet article, qui se trouve être en deçà de la réalité du délire mégalomane du Reis… Fini les trônes du Palais d’Ankara pour Merkel ? La Commission européenne va-t-elle s’abaisser encore davantage demain pour récupérer le coup ???
Note de Kedistan : la dernière explosion a bien été revendiquée par le TAK “pour venger la guerre sale menée dans le Kurdistan par les forces turques” et “pour avertir les touristes étrangers” disent-ils dans leur communiqué…