Je remarque une image représentant une combattante, illustrant des articles à propos du Newroz. Les images utilisées sont souvent petites, mais j’ai comme une impression qu’il s’agit d’un tableau… Je me lance alors après cette jeune femme qui saute joyeusement par dessus le feu du printemps…
J’ai du manquer un épisode. Je me rattrappe !
Je fais la connaissance de Carlos Farinha avec une année de retard. Mieux vaut tard que jamais.
Carlos est un peintre contemporain portugais. Il naît en 1971 à Santarem. Il commence à exposer en 1991 à Das Galveias à Lisbonne. Depuis 1998, il travaille comme scénographe pour le Festival international de la bande dessinée d’Amadora. Diplômé en 2004, de la Faculté de Beaux-Arts de Lisbonne, Carlos se trouve à l’initiative de plusieurs organisations artistiques. Plusieurs fois primé à l’international, il expose dans divers pays, notamment européens.
L’artiste dit peindre souvent “les temps actuels et l’humanité”, mais ne manque pas de produire dans son style bien à lui, sur les sujets d’actualité, les luttes qui lui tiennent à coeur.
Dans son éventail thématique, on trouve aussi Kobanê, les combattantes, et une forte sensibilité pour le peuple kurde.
« Quand la femme souffre des massacres, devient victime de la barbarie, vendue dans des marchés aux esclaves, le fait qu’elle prenne sa place dans la lutte devient incontournable. J’ai voulu peindre les combattantes, qui combattent pour la liberté, pour s’approprier leurs droits, aussi pour les connaitre. » dit-il.
Je déniche un interview que Carlos avait donné à l’agence DIHA en avril 2015 :
J’étais en Kurdistan en février. J’ai participé à une exposition organiséé à Amed (Diyarbakir) dont les bénéfices étaient offerts pour la reconstruction de Kobanê. J’étais un des invité spéciaux, car j’avais peint le tableau d’une combattante de YPJ de Kobanê, et ce tableau avait été très apprécié par le peuple kurde. J’ai été chaleureusement accueilli. Les Kurdes sont un peuple très joyeux et amical. Je suis admiratif de la fierté qu’ils ont de leur identité et de leur joie de vivre.
Je connaissais la lutte que les Kurdes mènent depuis des années. J’ai vu des informations sur Kobanê, attaqué par Daech, et j’ai commencé à suivre cela de près. J’ai donc vu la résistance et le combat héroïque des YPG et YPJ contre Daech. Cette résistance est enregistrée dans l’Histoire comme une première guerre menée par des personnes ordinaires, pour les droits et le Droit.
Carlos a offert son tableau intitulé « Kobanê » à la Mairie de Kobanê. Il précise : « Le tableau est une chose mais, le plus important est la reconstruction de Kobanê. »
L’artiste a peint plusieurs tableaux sur les kurdes, « Kobanê » est le premier. Le deuxième est « Newroz » et suivi d’un troisième intitulé « Viyan Peyman ».
En avril 2015, Carlos peignait en effet, Viyan Peyman, célèbre dengbêj kurde, peu de temps après sa mort.
Nous parlions des dengbêj dans l’article sur le film “Kurdistan Kurdistan” de Bülent Gündüz, et l’éthnomusicologue Estelle Amy de la Bretèque nous faisait découvrir ses archives dans une de ses chroniques musicales. Pour en savoir plus sur la forme musicale “lamentation”, vous pouvez aussi lire la chronique d’Estelle “Pourquoi se lamenter ?”
En kurde « deng » veut dire « son » et « bêj » veut dire « dire ». Le dengbêj est donc celui qui dit des mots avec harmonie, celui qui donne de la vie aux sons. Traditionnellement le dengbêj qui vit en se déplaçant d’un village à l’autre est un précieux véhicule de la littérature orale kurde. Il « dit » des épopées, des histoires, des « kılam » (parole, prose, poème…) et chante des « stran »(chanson). La plus grande partie des dengbêjs utilisent la voix nue, peu d’entre eux accompagnent leur voix par le son des instruments comme « erbane » (daf) ou « bılur » (un sorte de, kawala ou flûte). Le dengbêj aborde un éventail de thématiques très large, de l’héroïsme à l’injustice, de la beauté du printemps aux bonheur, amour et plaisir, mais aussi aux souffrances.
Carlos explique qu’il a été profondément touché par la voix de Viyan, et qu’il retrouvait dans sa musique, le timbre du Fado.
La première fois où je l’ai entendue, elle m’a donné les mêmes sensations intenses que notre musique traditionnelle me donne. Vous pouvez ne pas savoir ce que les mots prononcés veulent dire, mais la langue musicale est universelle. Elle avait une voix qui m’envoutait, sa mort précoce m’a beaucoup attristé.
Je laisse Viyan vous émouvoir…
*La vidéo est sous titrée en français par Estelle Amy de la Bretèque, n’oubliez pas d’activer les sous titrages en cliquant sur l’icône .
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Et voici le tableau de Carlos Farinha représentant Viyan Peyman.
Pour Carlos, Kobanê est devenu un symbole contre la barbarie, la peur, et l’ignorance :
Je crois, en tant qu’étranger et parent, que la terre peut devenir un lieu vivable, grâce au respect des différences, comme on l’observe à Kobanê. On naît, kurde, musulman, chrétien, ou femme, ce n’est ni une raison pour une vie d’esclave ni pour une peine de mort.
Quand on le questionne sur l’Art, Carlos répond :
Pour moi, il faut que l’artiste contribue pour l’humanité avec son art. Il y a plusieurs moyen de lutter avec des forces obscures et sales, un de ces moyens est sans aucun doute l’art. J’essaye de parler avec mes tableaux. Vous savez, je ne suis pas un politicien, mais juste une personne qui parle seule. Je sais que l’Histoire de humanité et de la civilisation est née entre le Tigre et l’Euphrate, et je pense que l’héritage de l’Histoire, et l’Art peuvent servir à l’humanité comme cela se fait à Kobanê.
L’artiste continue à porter son attention humaine et créative à ce qui se passe au Kurdistan. Je découvre ce tableau récemment peint, faisant allusion aux habitants du Kurdistan Nord, qui, en portant des drapeaux blancs, essayaient d’atteindre sous les tirs de l’armée, les blessés et les corps des civils morts.
Pour voir les autres oeuvres de Carlos Farinha, voici son site Internet, et sa page Facebook très fournie…